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De escritura à écriture
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28 juillet 2018

Bonjour, Lorsqu'on écrit une série, il y a

 

 

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Bonjour,

Lorsqu'on écrit une série, il y a quelque chose d'addictif dans ce processus, pas seulement à l'attachement aux personnages, mais aussi à l'idée, au concept de l'histoire. Cela parait un peu absurde dit comem cela, mais en écrivant je me prends au jeu, au point de me voir dans ces situations, actions, émotions et sentiments. Aussi, je vous livre la troisière partie avec autant de plaisir et d'enthousiasme, en souhaitant que ce sera pour vous un aussi bon moment de lecture que cela a été pour moi d'écriture. Bonne lecture!

VERA LUX

3

PAS  ENCHANTEE DU TOUT                                             

Carmen Monuera – 1-2013

 

1.

 

            J’ai réussi un prodige. Virer tout le monde de mon bureau. Pas facile. J’étais si heureuse dans mon cher bureau, prête à travailler mon mi-temps avec un bonheur inusuel, mais si plaisant, si réel. Puis… L’histoire de ma vie actuelle. Un pseudo client de l’administration, que j’ai d’abord cru égarer, s’est avéré être un enchanteur. Ne me demandez pas ce que c’est exactement, je suis encore officiellement au boulot pour quinze minutes. Si je ne compte pas les dix minutes que je mets pour arriver à ma voiture, ni les bons trois-quarts d’heure qu’il me faut pour arriver at home. Comme si cela ne suffisait pas, mes deux CV – Vampires Cons ; oui, je sais, pas très sympa, mais bon -  m’ont pas mal foutu la grogne ! Bref ! Ils sont venus me sauver du méchant envoûteur qui s’avère être plutôt pas mal ; traits ciselés, peau légèrement cuivrée, lèvres sensuelles et pleines, pommettes hautes et légèrement saillantes, corps délié, mais apparemment musclé quoi que sans excès, des yeux en amandes frangés de longs cils très fournis et sombres qui ourle des yeux mordorés au liseré brun chocolat, taille au-dessus de la moyenne quoi que plus basse que celles de mes amours, bref… un bel homme, mais… Chuut ! Que ça reste entre nous ! Et puis, il n’est ni Glo ni Mi et pas vraiment… John.

Je n’ai pas tout compris de ce qui s’est réellement passé dans mon bureau, je pense qu’ils me manquent quelques milliers de chapitres pour prendre la juste mesure de cette… histoire. Je sais juste que Dan Miangel, l’envoûteur, a besoin de mon aide et mes deux hommes ne l’apprécient pas du tout, du tout ! Quand il a sorti un immense miroir de… sa poche ou de je ne sais où, j’ai d’abord été polie et j’ai demandé ce qu’était la suite des réjouissances, avant de péter un câble ! J’étais si heureuse  ce matin en arrivant au bureau, si pleine de félicité à l’idée d’avoir une journée conventionnelle, habituelle de celle qui fait partie de l’adage « métro, boulot, dodo » et voilà que c’est reparti pour un tour ! J’ai craqué ! J’ai foutu tout ce petit monde à la porte que j’ai claqué violemment. Ça m’a fait un bien fou, même si après j’ai demandé pardon à la porte. J’ai tendance à avoir de la compassion pour les portes depuis que j’ai lu « Le Voleur aux Esprits » de « Racher Aaron ». Je me sens responsable et coupable dès qu’un objet – et s’il est en bois c’est encore pire – se détériore ou est malmené. Flippant ! Enfin… Peu importe ! La porte n’a pas à faire les frais de ma… rage impuissante et inutile. Après tout qui suis-je ? Vera Lux, quarante ans et des poussières, pas vraiment mince pas vraiment grosse, bien que depuis mes relations amoureuses, mon physique se porte mieux que bien. Forte poitrine pour ne pas dire plantureuse, mais ni blonde ni les yeux bleus. Je les ai marron chocolat au lait, un visage pas trop laid d’après mon miroir et ce que les autres me renvoient comme image. Fonctionnaire de l’Etat à mi-temps, une petite fortune placée à la banque grâce à une grand-tante morte sans héritier direct, bénie soit son âme. Propriétaire d’une veille maison, très vieille dame, qui est mon refuge, mon foyer et mon nid d’amours en grande partie. Je suis divorcée depuis pas mal de temps, un soulagement et j’ai une fille mariée et vivant ailleurs avec un mari qui sait la tenir. Ma fille est du genre à me coller aux basques dès qu’elle a la veine filiale qui la démange. Jusque-là moi et Madame Tout Le Monde nous n’avons rien à nous envier, on est copie conforme ou presque. Et c’est cela le presque. Je suis aussi Gardienne des Ames de la mort dans la Vie avec un guide que j’ai appelé Ned et qui est un Passeur de Lumière, autrement dit, il aide les âmes à passer dans l’Au-Delà ou T.O.U.T, autrement dit, Totum Omnium Umbrae Terra. Un latin  de cuisine, mais on se comprend ! Il est aussi Gardien des âmes de la vie dans la mort. Ou quelque chose comme cela, je n’ai jamais été très forte pour les titres honorifiques. Je vois des esprits de morts aussi, j’en ai même un permanent, Polinius, qui est comme mon âme damnée. Il apparaît quelquefois chez moi et je ne sais jamais ce qu’il fait là, ni s’il veut quelque chose de moi. Je suis, paraît-il, une sorte de « phare » pour les morts et ils viennent à moi. Ou alors comme une bestiole attirée par une lumière. Je peux aussi me « décorporer » pour voyager astralement dans d’autres plans de réalités. C’est vachement flippant. Et je n’aime pas ça, du tout, du tout. Je suis aussi, bien malgré moi, devenue une espèce de personne qui aide les Outre-Vivant lorsqu’ils ont un problème. Et c’est possible à cause de toutes ces particularités. Ne me demandez aucune explication, je n’en sais pas plus que vous. Ma vie ne m’appartenait pas trop avant, je ne vous dis pas maintenant !

 J’ai une multitude de marques ou tatoo sur le corps, parce que des… supranaturels ou Outre-Vivant, dont des Dieux, ont estimé que je devais les avoir. Je préfère ne pas y penser, déjà que de temps en temps je les sens vibrer et je ne sais même pas pourquoi. Je suis… très autruche, mais bon, essayez de vous y conformer sereinement si d’aventure vous vous trouvez dans une situation similaire à la mienne et, si vous y arriver, venez m’en toucher deux mots ! J’ai deux amours dans ma vie, ce qui n’est déjà pas très conventionnels en soi – et je ne parle pas des maîtresses occultées et autres aventures passagères ou semi passagères qu’affectionnent certains, femmes et hommes confondus – et je m’apprête à… Mais il est trop tôt pour que j’en parle. Je dois… voir et pour l’instant, je ne vois pas bien ! Bref, je suis presque normale, selon le point de vue sous lequel on envisage la normalité. Je soupire longuement. Même si je n’ai jamais été très claire dans ma vision de moi-même, ces derniers mois ont eu un effet secondaire surprenant, je me sens de plus en plus moi-même, même si ce moi-même n’est pas toujours ce que je pense être moi-même. Je me comprends !

            Je suis arrivée à la maison et c’est toujours un réel plaisir. Home sweet home. Ça c’est l’idée théorique, parce que dès que j’ai mis un pied dans mon salon, j’ai trouvé l’ambiance chauffée à blanc, mes deux amours à cran d’arrêt surtout et l’envoûteur assis nonchalamment près du miroir. OK ! Le mot de passe, c’est quoi : oh mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle ? Pour me retrouver à ressembler à une méchante et horrible sorcière ?

 

-        Nullement, Dame Vera. Ce miroir ne pourrait qu’embellir ce qui l’est par nature. Du reste…

 

Mes deux hommes sont autour de moi comme une poule avec son poussin et si j’adore les avoir contre moi, là, ça commence à bien faire ! Je les regarde en fronçant les sourcils et l’envoûteur a ce drôle de petit sourire.

 

-        Si on s’asseyait d’abord, on casserait ensuite la croûte, puis on voit le reste. Je n’ai même pas eu le temps de prendre un café à la pause d’avant midi…

 

Un brouillon plus tard, je suis assise à la table de la véranda. Une minute plus tard la table est garnie de mets et nous déjeunons. Je jette des regards discrets à l’envoûteur. Il ne semble pas dangereux. Enfin, Aaron non plus, pourtant c’est un changeforme et il a les habiletés des garous, donc potentiellement dangereux.

 

-        Nous pouvons tous l’être, Dame Vera.

 

Je claque la fourchette sur mon assiette garnie qui se fissure et se divise en deux.

 

-        Mettons déjà une chose au point, Monsieur Miangel. Si je tolère, principalement parce que je n’ai pas encore le choix, les intrusions dans mon esprit de personnes qui m’importent, je ne l’accepterai pas de vous. Aussi je veux votre parole d’honneur que vous vous tiendrez en dehors de mes pensées !

 

Je me suis relevée et me tient penchée au-dessus de la table, les mains bien à plat, mais prête à lui en coller deux bonnes s’il n’accède pas à ma « sollicitation » ! Les yeux de Dan se mettent à scintiller et une lueur étrange passe par ses prunelles plus sombres que l’obscurité même. Je sens mes deux hommes prêts à intervenir, mais je ne peux pas les laisser faire. Ils sont plus vulnérables que moi à cet… homme. Il a un bref sourire et hoche la tête avec déférence.

 

-        Je vous prie d’accepter mes plus sincères excuses, Dame Vera. Ma seule excuse est la pure curiosité et aussi le plaisir ineffable que j’ai d’entendre le courant de vos pensées.

-        Eh bien, prenez plutôt plaisir à entendre ma voix !

-        Comme il vous plaira.

 

Il me fait un salut très protocolaire du buste en laissant retomber ses paupières et ses longs cils fournis sur la brillance de son regard. Je déglutis. Je me laisse aller en arrière et retombe sur ma chaise qui grince légèrement. Encore des excuses à la pauvre chaise en bois. Décidément… Il relève les yeux et son regard me sourit.

 

-        Acceptez à votre tour mes plus plates excuses, Monsieur Miangel…

-        Dan…

-        … Dan… Ma seule excuse est que je n’en ai aucune. J’ai manqué à tous mes devoirs d’amphytrione…

 

Dan sourit et je le lui rends. Mes deux hommes suivent de près ce qui se déroule sous leurs yeux. Je sens comme une sorte de pression dans ma tête, comme lorsqu’on sent un regard rivé à votre dos. Je mets une fraction à comprendre ce que c’est. Mikaïl vient de « sécuriser » notre aparté mental.

 

-        Désolée… je suis à cran… le mieux est que je prenne un bain et une siesta. J’ai la haine !

-        Ne t’excuse pas, mon aimée. Sitôt le déjeuner fini et ce que l’envoûteur tient à te dire, tu pourras prendre tout le repos que tu désires.

-        Je me ferai un plaisir de te le rendre plus doux avec un de mes massages, yamanahe…

-        Wouh ! J’accepte illico ! Il faut signer où ?

 

Dan nous suit des yeux comme s’il entendait notre conversation privée, mais je sais que ce n’est pas possible ou… Si ?

 

-        C’est fascinant. Seules les personnes qui ont un vrai amour peuvent maintenir ce niveau d’échanges mentaux.

-        Vous pouvez nous entendre ?

-        Non, je vous rassure tout de suite, Dame Vera. Du reste, je vous ai donné ma parole de ne pas m’immiscer dans vos pensées et par conséquence dans ceux de vos compagnons.

-        Ah ! Oui ! Bien ! Alors…

-        Mes parents ont ce même air lorsqu’ils se parlent entre eux…

-        Ah…

 

Je n’ose pas demander quel air et il ne me le dira pas, même si je soupçonne qu’il entend parfaitement ma curiosité.

 

-        L’air… qu’ont mes parents… est celui de personnes qui s’aiment profondément, qui ont une complicité si grande qu’elle témoigne ouvertement de leur profond attachement.

 

Je rougis violemment. Si j’avais des doutes sur nous, je n’en aurais plus maintenant.

 

-        OK ! On va manger, puis vous m’expliquerez en quoi je peux vous être utile…

-        Avec plaisir, Dame Vera.

 

Une minute plus tard, j’ai une nouvelle assiette garnie devant moi, malgré mes protestations. Mikaïl et Glorios finiront vraiment par me gâter pourrir complètement.

 

2.

 

       Le repas a été... intéressant. Je sentais la méfiance instinctive de mes deux amours vis-à-vis de Dan Miangel et la façon surannée et très protocolaire qu’a ce dernier de jouer les convives exemplaires contrastait de façon bizarre avec leur attitude à tous deux. Et Moi… ben, étant donné que je suis chez moi, j’ai fait ce que je sais faire assez bien, jouer les bonnes amphytriones. Notez, avec un repas aussi succulent que celui concocté par Mikaïl, ce n’est pas difficile ! Nous sommes dans la véranda et nous prenons un café. Pour les hommes, ils sont chargés à l’alcool. Un « calajillo » comme disait ma grand-mère andalouse, autrement dit, un café arrosé cognac. Ici c’est du whisky irlandais. John m’a fait parvenir deux caisses pleines. Lorsque j’ai entendu le gémissement de mes deux hommes, j’ai compris que ce n’était pas de la bibine, mais bien un nectar divin. Pourquoi dois-je toujours me sentir aussi béotienne ? Celui versé dans leur café en une grande rasade n’est pas millésimé, mais assez commun. Il paraît qu’utiliser un whisky comme ceux envoyés par John pour arroser un kawa aurait été « une hérésie ». Je m’en voudrais de commettre un tel impair, j’ai laissé faire les spécialistes. A noter que dans ce domaine ce n’était plus deux mâles V contre un mâle F(Fée, la nature de Dan, d’après ce que j’ai déduit…), mais bien un ensemble V+F. Qui dit que la désunion ne fait pas la force quelquefois ? Bel exemple de solidarité masculine. J’ai apprécié surtout après la levée de boucliers lors du repas.

            Je sirote ma tisane. Oui, je sais ! Ça craint un max pour quelqu’un qui est en train de virer héroïne, mais que voulez-vous, pour moi quand je pense « héros », je pense « zhéro » Et je me reconnais mieux là-dedans. Parce que je ne sais pas si vous vous êtes rendu compte d’une chose, mais à chaque fois qu’il y a une héroïne – la dernière en date que j’ai lu avec passion étant Riley Jenson d’Arthur Keri, une dhampire gardienne d’une agence qui est là pour faire respecter l’ordre et exécuter des sentences de mort à l’occasion –  se morfle toutes sortes de désagréments allant de blessures effroyables à des tortures inimaginables, quand elles ne risquent tout bonnement pas de passer l’arme à gauche et de quelle manière encore bien ! Le dénominateur commun ? La souffrance bardée de douleurs ! Donc, excusez du peu, je vais rester un « zhéros », je n’ai aucun goût pour les souffrances, même si c’est pour une bonne cause ! Et si vous n’aimez pas lire, ben, regardez Zena, par exemple. Toute fortiche qu’elle soit, ça ne l’empêche pas d’encaisser à mort tout le temps. Idem pour les autres héroïnes du genre. On peut aussi dire qu’elles ont des compensations. C’est vrai que ma chère Anita Blake a des amours incroyables. Jean-Claude, l’époustouflant vampire, Usher son acolyte, amant et amour pour qui j’ai un faible, Micah… Qui n’a pas envie d’avoir un Micah dans sa vie ? Nathaniel, si touchant et si puissant, intense, sans parler de ses amours transitoires qui sont tout aussi fascinants. N’empêche… Je relève la tête et rencontre trois paires d’yeux qui me regardent fixement. Eh merde ! J’avais oublié… mais vraiment, je préfère avoir un Mikaïl et un Glorios dans ma vie, parce que les autres sont fabuleux, mais ils ne sont pas réels, enfin je veux dire, en imagination oui, mais dans la réalité, non. Un brouillon plus tard, mes amours m’ont pressé contre eux à tour de rôle en m’embrassant à pleine bouche, puis se sont rassis. Je reprends à peine contenance, lorsque le regard étrange de Dan Miangel m’accapare. Le mordoré semble s’être transformé en or brillant retenu par ce liseré brun foncé qui rend son regard hypnotique. J’entends mes amours émettre une sorte de petit grognement. Je n’y prête pas trop attention.

 

-        C’est curieux comme couleur d’yeux. Un trait de famille ?

 

Dan me regarde avec confusion pendant un bref instant.

 

-        Oui et aussi une particularité de notre nature, Dame Vera.

-        Ce que l’envoûteur veut dire, ma félidée, c’est qu’il peut hypnotiser quiconque avec ce regard, ce qui lui permet d’en faire sa marionnette s’il le désire.

 

Dan n’a pas bronché, mais je sais que c’est vrai. Génial ! J’ai déjà un tatoo venant de lui, je vais aussi me retrouver à courir comme un cabri sous ses injonctions ? Dan a un grand rire élégant qui le rend radieux. Il s’arrête de rire et m’adresse ce drôle de petit sourire.

 

-        Dame Vera, vous êtes une femme extraordinaire. Je suis heureux de pouvoir m’adresser à vous pour l’affaire qui m’occupe.

-        Ben justement… si on en venait au fait…

-        Comme il vous plaira…

 

Manque plus que la courbette façon Monsieur Darcy et j’en viendrais à regretter les robes de l’époque ! Il fait un geste rapide avec ses doigts et le grand miroir apparaît devant nous. Je sursaute. Merde ! J’avais oublié que l’envoûteur ne tirait pas des lapins de sa poche, mais des miroirs. Super pratique pour voyager ! Ceci dit, s’il ne le sait pas, on les fait de taille pochette maintenant.

 

-        Ah, le miroir…

-        Ce n’est pas un miroir à proprement parlé, Dame Vera.

 

Non ! Bien sûr ! La « chose » doit faire au moins deux mètres sur deux mètres cinquante, a un cadre doré avec des tas de… figurines ou d’objets indéterminés stylisés et gravés dans la matière de celui-ci. Je ne sais pas si c’est du bois, cela y ressemble, donc on va dire que si le cadre est composé d’une matière qui ressemble à du bois, cela doit être du bois ! J’me comprends ! Puis il y a la surface incorporée dans le cadre, brillante, lisse, réfléchissant ce qui est devant elle et qui a l’air de ressembler à la matière dont est fait un miroir. Donc si une surface ressemble à la surface d’un miroir, on peut supposer que c’est bien la surface d’un miroir. J’me comprends ! Puis, de la tisane, c’est bien de l’herbe non ? Donc, on peut supposer qu’en tant qu’herbe ça peut avoir les mêmes effets que de la vraie herbe. J’me comprends !

 

-        D’accord ! Ce n’est donc pas un miroir et moi j’ai la berlue !

-        Loin de moi l’idée de vous insulter, Dame Vera. Vos yeux ne vous trahissent pas et c’est bien un miroir que vous pensez avoir devant vous, mais disons que c’est un… camouflage.

 

Un camouflage ? C’est un militaire en plus du reste ?

 

-        Nullement. Je suis plus un gardien qu’un guerrier, même si ma longévité m’a donné l’occasion d’être également un guerrier.

-        Oui… OK ! Donc, si ce n’est pas un miroir, même si c’est apparemment un miroir, que ça a l’apparence d’un miroir, qu’est-ce que c’est ?

-        Whouna…

 

Mikaïl a soufflé le mot. Glorios sursaute violemment.

 

-        Impossible, mon ami ! Cet artefact est une légende…

-        Vous avez raison, Maître Glorios. C’est ce qui a été décidé au départ, pour ne pas attiser les convoitises…

-        Et comme toutes les légendes, il y a un fond de vérité !

-        C’est cela même, Dame Vera.

-        Donc, c’est quoi un Wahounoua ?

-        Ta prononciation est déplorable, yamanahe !

-        Merci ! Moi aussi je t’aime ! Ce n’est pas parce que vous êtes super doué en langue, que tout le monde l’est. C’est comme les maths ! Ou t’as la bosse ou tu l’as pas !

-        La bosse ?

-        C’est une expression, Monsieur Miangel…

-        Appelez-moi Dan…

-        Dan… moi c’est… enfin comme vous dîtes ! Donc, c’est quoi le machin chose ?

-        Ce mot est très ancien et pratiquement inusité de nos jours, ma belle…

-        … sauf par de très vieux pei…

-        Tu cherches les ennuis, petite félidée…

 

Je lui tire la langue. Je sais ! Pas très adulte, mais bon… Vous y croyez, vous, à des histoires pareilles ? Moi, des fois, je me pose la question !

 

-        Donc… désolée de vous interrompre… poursuivez je vous prie, Mon… Dan…

-        C’est un terme qui signifie «  essentiel, premier, primordial, base, genèse » ou encore « tout, ensemble, union ».

-        Et ça sert à quoi ?

-        C’est une question pertinente, mais qui n’a pas de réponse aisée.

-        Vous connaissez aussi Ned ?

-        Ned ?

-        Oui. C’est un… enfin il dit que c’est mon guide, mais il est un Gardien des Âmes de la Vie dans la Mort. Il est dans d’autres plans et il m’aide des fois pour que les âmes aillent dans T.O.U.T.

-        TOUT ?

-        Totum Omnium Umbrae Terra, c’est là où vont les âmes d’après ce que j’ai compris. C’est comme ça que je l’appelle, mais utiliser le mot que vous voulez, Paradis, Enfer, Purgatoire, Walhalla, Au-delà, Outre-monde… Vous voyez ?

-        Oui. Cela est fort clair, Dame Vera. Mais je ne vois toujours pas le rapport avec ce Ned.

-        Aucun, sauf qu’il passe son temps à me fourrer ce genre de platitudes. «  Je ne puis t’en dire plus, ma douce. » « Il serait très difficile pour toi d’envisager cette idée, ma très douce. » « il n’y a pas de référence dans votre dimension pour que je puisse t’éclairer, ma douce» et tout à l’avenant !

-        Je vois…

 

J’en doute, mais bon… je n’ai pas pu m’empêcher de faire la comparaison.

 

-        Désolée ! Je ne veux pas vous insulter…

-        Je ne me sens guère insulté. Je vais essayer de vous expliquer au mieux.

 

3.

 

            Dan se tient devant le miroir qui semble réagir à sa présence. Mes deux amours se statufient à mes côtés. Quoi ?

-        Bon sang !

-        Crénom !

 

Mes deux V ont soufflé les mots, totalement subjugués. Je ne vois rien de spécial. De deux choses l’une : où ils sont passés à une vision infrarouge ou un machin du genre et donc, moi, je reste sur la touche ou alors je suis immunisée.

 

-        Ni l’un ni l’autre, Dame Vera. C’est pour cela que j’ai pris sur moi d’apporter dans votre demeure Whouna.

-        Je ne comprends pas.

-        Je vous prie d’excuser mon obscurantisme en cette matière et aussi d’avoir tenté cette épreuve, mais comme vous le comprendrez bientôt, c’est fondamental.

-        Si vous le dîtes…

-        J’aimerais d’abord vous familiariser avec un résumé de l’histoire de Whouna.

-        Je vous en prie. J’ai toujours adoré les histoires et si en plus c’est un conte de fée, mieux encore. Vous allez commencer par «  Il était une fois... » ?

 

Je sais ! Nul de chez nul, mais je n’ai pas pu m’empêcher ! Enfin, quoi, merde ! J’ai chez moi un Fée qui est à l’origine des contes du même nom, en chairs, en os et en je ne sais pas trop quoi encore et je ne pourrais pas faire une toute petite blague insignifiante ? Un sourire lumineux étire les lèvres pleines de l’homme. Bon, il a le sens de l’humour, c’est déjà ça. Même s’il continue à écouter mes pensées.

 

-        Seulement celles qui concernent le moment présent.

-        Vous avez l’art de la litote…

-        Je m’y emploie, Dame Vera…

-        Bon ! De toute façon, vous, ceux qui êtes d’une autre nature que la mienne, n’en faîte qu’à votre tête, mais s’il vous plaît, Dan, essayer de ne pas exagérer, j’en ai un peu marre des manipulateurs et des profiteurs en tous genres ! Je trouve que la considération et la décence sont des bases fondamentales pour les rapports entre personnes.

 

Génial ! Grand Tante Vera vient d’émettre une sentence morale ! J’ai vraiment besoin de « transater » ou « hamaquer » un max dans les jours prochains, ça me casse menu les neurones! Sans parler que, du coup, je fais vachement plus vieille que ces personnes millénaires près de moi ! « Comment se foutre mille ans sur le paletot en un clin d’œil » est en passe de devenir ma marque de fabrique ! Dan me regarde, le visage sérieux. Son étrange regard a une lueur surprenante. Il me salue très bas, puis se redresse. Il s’approche de moi à pas feutrés et délicatement prend ma main. Je fronce les sourcils.

 

-        Dame Vera, je vous fais le serment de ne pas faire partie de l’engeance que vous semblez avoir côtoyé de trop près. Vos paroles sont celles d’une femme extraordinaire et sincère. Je ne peux que vous admirer et vous respecter d’autant plus.

 

Il me fait un baisemain des plus conventionnels, puis s’éloigne à reculons, le torse un peu penché en avant. Eh bé ! Moi qui adore Jane Austen et ses gentlemen, je suis servie. Il ne lui manque que le frac. « Non ! Non ! Ce n’est pas nécessaire de vous habiller façon Régence anglaise, vous avez très bon goût en matière vestimentaire ! » Vaut mieux préciser ma pensée, on ne sait jamais ! Dan me sourit avec sympathie et revient au miroir. Mes deux amours semblent totalement fascinés par le miroir qu’il ne voit pas comme un miroir, mais comme… Quoi ? That’s the question ! Ça ou ils sont hypnotisés par…

 

-        Rassures-toi, mon aimée, nous ne sommes pas sous la coupe de l’envoûteur ! Mais… Expliquez-lui ce qu’est Whouna !

 

Le ton de la voix est très léger et uniforme, mais je tremble intérieurement. Mikaïl est rarement ainsi, mais s’il l’est, il doit avoir de puissantes raisons que je finirai par découvrir un jour ou l’autre. Le miroir semble changer de forme par moment, comme s’il était enveloppé de brumes. De temps en temps j’ai l’impression de voir des choses passer sous la surface, des images, des objets… C’est flippant ! Il caresse le bois alentour et certaines des figurines réagissent à son contact.

 

-        Whouna est un artefact très ancien, mais nul ne sait exactement qui l’a conçu. Les anciens ont cherché à connaître son origine, mais ils n’ont rien pu déterminer avec exactitude et certitude. Le premier à l’avoir eu en sa possession est Enessëa (le solitaire). On n’a jamais su d’où il le tenait. Beaucoup ont pensé qu’il en était le créateur, mais le Whouna a d’autres origines inconnues jusqu’à ce jour.

-        Si vous demandiez à Ranita, sûr qu’elle arriverait à trouver des infos là-dessus.

-        Qui est Ranita ?

-        Mon amie et aussi ma SCTC&P.

-        Excusez mon incompréhension, mais qu’est une SCTC&P au juste ?

-        Secrétaire, confidente, tête chercheuse et pensante !

 

Dan plisse les yeux, pas très assuré de ce qu’il doit comprendre. Ah, Ranita et ses sigles ! Glorios a un petit rire en s’étirant langoureusement. Je sens une chaleur s’insinuer dans mon corps. Pas le MOMENT ! Concentration !

 

-        Oui, enfin, faite pas attention, c’est un peu comme une fonction qu’elle s’est inventée pour moi, mais informelle, hein, surtout, informelle !

-        Oh ! Je vois…

 

Que dalle, mon pote, mais bon, moi c’est un peu kif !

 

-        Excusez-moi à votre tour et reprenez, je vous prie, Dan…

 

Une autre courbette. Je commence à apprécier ! Glorios émet un petit son dédaigneux ! CV, va !

 

-       Crois-moi, ma félidée, l’époque des « courbettes » est une époque vraiment horrible ! Tu n’aurais pas aimé y vivre, que ce soit en Angleterre ou ailleurs.

-       J’imagine, mais puisqu’on nage en plein conte de fée, autant rêver, non ?

-       Touché !

 

Il m’envoie virtuellement un œillet enveloppé dans un baiser qui me va droit au… Glups ! Chaud devant ! Plus tard.

 

-        Hum… donc…

-        Whouna est ensuite passé de mains en mains à travers les temps.

-        Comment le transmettait-on ?

-        Excellente question, Dame Vera ! Whouna se transmettait par lui-même à d’autres personnes.

-        Comment ça ?

-        Il est difficile d’expliquer la logique d’un tel acte, mais un jour, Whouna décidait tout simplement de partir chez une autre personne.

-        Comme ça ? Et cela se passait à intervalles réguliers ou au vogelpik ?

-        Vogelpik ?

-        Au petit bonheur la chance, à intervalles irréguliers, de manière aléatoire…

-        Oh, je vois ! Non. Les anciens ont remarqué que le temps n’était pas une incidence dans ce choix.

-        Et les personnes acceptaient tout simplement ce départ à brûle pourpoint, sans explication, ni même lettre de rupture ?

-        Non. Beaucoup décidaient de reprendre ce qu’ils considéraient comme leur bien, mais Whouna repartait aussi sec.

-        Donc, en fait, le Whouna est convaincu de n’appartenir qu’à lui-même ! Notez, je le comprends parfaitement. Ces trucs d’appartenance, de propriétaire, de dominance, c’est vraiment misère et compagnie !

-        L’analogie est assez juste. Whouna est très autonome.

-        On y devient accro ?

-        Accro ?

-        Oui, genre drogué…

-        Pas exactement. Disons que Whouna est quelque chose qui devient très vite précieux dans l’existence de ceux qui l’ont en sa possession.

-        Et pour les Fées ? Le Whouna choisit en fonction de quoi ? Il fait passer un test, un examen, une épreuve ?

-        Non, rien de tel. Whouna, s’il a des critères de sélections, ne semble pas suivre un patron très cohérent, du moins pour tous ceux qui ont cherché la pertinence de ses choix.

-        Arbitraire, donc !

-        Tout le laisse supposer.

-        Mais les Fées étaient-ils tous moraux ? Je veux dire, il n’est pas allé dans de mauvaises mains ?

-        La question est insidieuse, Dame Vera. Les notions du bien et du mal ne sont pas totalement identiques dans nos diverses natures et essences.

-        Bon ! Alors, un exemple. Parmi ces personnes y avait-il un pédéraste, un violeur, un psychopathe, un psycho killer ?

-        Non. Pour peu que j’en sache, les personnes qui ont accueilli Whouna ne pratiquaient pas ce genre d’ignominie.

-        Bon ! C’est déjà ça ! Mais… il n’y a vraiment rien qui unit ces personnes  pour que le Whouna les choisisse ? Leurs pouvoirs, leurs forces, le savoir, la sagesse, leurs connaissances, leurs avoirs, des habiletés en quelque chose, art, métiers? Que sais-je !

-        Non.

-        Bon, alors, le Whouna choisit au pif et il veut quoi ? Parce que s’il fait ça, il doit bien avoir ses raisons…

-        Sans aucun doute, mais personne n’a jamais su ce qu’il voulait réellement.

-        Peut-être que c’est ça le hic ! Comme ces personnes n’arrivent pas à le complaire, alors il fiche le camp voir ailleurs !

-        Une des théories en vigueur sur Whouna.

-        Et les conclusions ? Quelqu’un a une idée du pourquoi du comment ?

-        Pas vraiment. Du moins sans aucune certitude.

-        Et à quoi il sert ?

-        La réponse est complexe. Whouna est une sorte de « mémoire » des temps. Personne n’est arrivé à savoir tout ce qu’il a en lui.

-        Waouh ! Un disque dur à billards de gigabytes bourrés d’infos dans un stick USB géant ! Impressionnant ! J’en connais deux qui voudraient bien se l’indexer quel qu’en soit le prix !

 

Dan ouvre la bouche en écarquillant des yeux. Mikaïl a un sourire entendu et Glorios glousse. Ce qu’il peut être puéril ! Faut bien que j’adapte les explications à des trucs que je connais plus ou moins, non ?

 

-        Je ne suis pas au fait de ces deux personnes !

-        Désolée ! C’est un peu une vanne. Je parle des deux géants actuels d’Internet : Microsoft et Google.

-        Ah, bien sûr. Mais… Whouna n’est pas à vendre, ni à acheter !

-        Attendez, là ! Vous êtes en train de me dire que tout n’a pas forcément un prix ? Va me falloir du temps pour digérer ça ! Mais, entre nous, évitez de le faire savoir ici ou là, ça risquerait de créer des mouvements de masse hystéros et atterrées !

 

Dan me regarde perplexe. OK ! Mais vous savez, vous, ce qui fait rire un Fée ? Si c’est le cas, vous venez m’en parler et je me mets à la page !

 

-        Blague à part ! On peut dire que c’est un software ?

-        Un software ?

-        Un programme ou un logiciel informatique formaté pour gérer des informations et des données.

 

Dan réfléchit un instant. Il semble que cela le confond. Moi aussi, des fois, souvent, même !

 

-        Je suppose que l’analogie est assez exacte.

-        Et on peut y avoir accès facilement ?

-        Ce n’est pas difficile, mais il arrive que Whouna refuse de répondre.

-        Oh ! Je vois ! Il a ses caprices ! Notez, m’étonne pas ! Des fois ça doit être usant de toujours devoir répondre à des questions ! Regardez les ordis ! Ils deviennent des écrans bleus, font des bugs et même un coma à l’occasion, tellement c’est crevant ! Alors j’imagine bien que c’est kif-kif et bourricot pour le Whouna.

 

Glorios éclate de rire. Mikaël se joint à lui. Dan a la mine confuse.

 

-        Oui… je vois…

-        Excusez-moi, mais jusqu’à présent votre Whouna me fait l’effet d’être un emmerdeur de première ! Il fiche le camp sans demander son reste, réponds ou non aux questions et quoi encore ?

-        Eh bien, il donne aux lignées de ces personnes qui l’ont, la possibilité d’avoir des vies à la hauteur de leurs désirs, tant que ceux-ci partent de l’honnêteté, de la sincérité, de la dignité, du respect, de la considération et de la décence.

 

J’ouvre la bouche et je la referme. D’accord ! Je vois ! Eh merde !

 

 

4.

 

       Je m’approche lentement du miroir. Whouna. Il va falloir que je m’habitue à lui donner son vrai nom ! Génial ! Moi qui n’arrive même pas à retenir tous les prénoms de mes collègues de bureau de notre édifice… Dan ne bouge pas. La surface polie réagit toujours à sa proximité, mais je ne peux pas voir ce qu’il y voit. Je me place devant lui. Je me sens légèrement Harry Potter, là !

 

-        Ne craignez rien, Dame Vera. Il ne vous fera rien.

-        J’en doute. Si je devais compter le nombre de fois qu’on m’a dit cela…

 

Je regarde avec précaution les figurines et autres gravures de ce bois étrange. La surface change tout à coup, alors que le cadre se meut lentement. L’espèce de brouillard que j’ai toujours eu l’impression de voir entourer le miroir et le cadre disparait comme un rideau diaphane que l’on écarte doucement. La surface change aussi et une espèce de susurrement m’attire inexorablement vers lui. Je m’approche pour mieux voir, lorsque je me pétrifie.

 

-        Oh !

 

Je sens mes deux amours me flanquer étroitement de part et d’autre, mais je suis trop captivée par ce que je vois. Une mer. Pas n’importe quelle mer, je sais que c’est la mer primordiale. Elle est si semblable à celle que je connais, mais si différente, fascinante, sa couleur est bleue, mais d’un bleu si parfait que je m’y noie totalement. J’oscille un peu, me sentant si entière, si pleine, si réunie. Dans le ressac inlassable des millions de choses passent. Je sais que là entre chaque goutte, entre chaque vague la connaissance de la Terre se trouve et pas seulement celle-ci, mais toutes celles qui sont dans l’Univers lui-même. Chacune de ces informations sont essentielles, la quintessence de tout. Une encyclopédie universelle complète, totale, mais qui ne cesse jamais d’adjoindre des chapitres. La surface pousse une sorte de gémissement comme celui d’une baleine et je ris. C’est si magique, si magnifique, si parfait ! Je suis ivre… Dan me tient contre lui, il glisse sa main sur la mienne et sa marque me vrille littéralement. Je le regarde.

 

-        Dame Vera, non… s’il vous plaît…

-        Quoi ? Je… Quoi ? Vous ne voyez pas, c’est magique ! Vous aviez raison, ce n’est pas un miroir, c’est Dieu, le Tout, l’Absolu et c’est… Magique ! Ma-gi-que !

-        Revenez à vous, je vous en prie, Dame Vera… Je ne peux vous écarter de lui sans votre accord… s’il vous plaît, Dame Vera, je vous supplie de vous écarter…

 

Je fronce les sourcils. Je ne comprends pas bien. Je regarde son visage blême et terrifié. Il croit quoi, que je suis…

 

-        Hallucinée ? Vous croyez que je suis hallucinée ? Ah ça, c’est la meilleure ! Un envoûteur qui a peur que je sois hallucinée ? Du jamais vu ça, non ?

 

J’éclate de rire sans pouvoir y remédier. Whouna pousse un autre gémissement qui me fait l’impression d’un formidable éclat de rire éminemment joyeux. J’arrête de rire quand je constate que Dan est vraiment inquiet. Je lui pose la paume sur la joue.

 

-        Allons Dan, je ne suis pas hallucinée, ni rien de ce genre, je suis juste enivrée par tant de beauté, par toute cette perfection. Je suis transportée, vous comprenez ? C’est la chose, à défaut de trouver un meilleur terme, la plus  époustouflante, inimaginable que j’ai pu admirer jusqu’à ce jour. Si je ris, c’est parce que je ne peux pas pleurer de bonheur. D’ailleurs, le Whouna ne pourrait pas me charmer… je… c’est difficile à expliquer…

 

Je me fixe sur ce regard si particulier plein d’inquiétude, décidée à le convaincre, lorsque son expression change.

 

-        Par la Divinité… Whouna vous a choisie…

 

Je vois des larmes perler à ses paupières et bientôt elles sillonnent, brillantes, ses joues pâlies. Je suis tellement interloquée que je le prends entre mes bras et le berce comme s’il était un enfant. C’est plus fort que moi. Adulte ou pas, si une personne pleure, je le vois comme un enfant ! Je sais ! Ca fait vachement maternel et tout, mais bon… vous ne voyez pas comment pleure Dan !Mes deux hommes sont toujours à mes côtés, mais ils ne semblent plus sur la défensive. Ils posent une main sur les épaules de Dan pour le réconforter. Dan cesse de pleurer. Il me serre contre lui et je le sens s’apaiser. Il s’écarte doucement en restant près de moi, tourné de trois-quarts. Son profil est aussi beau que tout le reste. Il m’émeut terriblement.

 

-        Désolée, Dame Vera… ceci est…

-        … une réaction normale dans des circonstances supranormales !

-        Oui. Notre femme a raison, mon vieux ! Je suis curieux, ma félidée. Que vois-tu qui te mette de si bonne humeur ?

-        Ben… la même chose que toi, non ! Une mer, la mer primordiale…

-        Bonté divine !

 

Dan me regarde en se plaçant à nouveau devant moi, puis se tourne vers le miroir.

 

-        Qu’y a-t-il, Dan ? Vous ne voyez pas une mer ?

-        Non.

-        Ni moi, mon aimée.

-        Moi non plus, yamanahe…

-        Que voyez-vous alors ?

-        J’y vois, mon aimée, un arbre gigantesque avec tellement de branches qu’il semble encore

-        plus volumineux. Et il y a tant d’informations dans chaque branche, chaque feuille… C’est fascinant…

-        Moi, ma félidée… J’y vois un ciel immense… tellement immense… j’ai l’impression de l’avoir déjà vu, mais il y a si longtemps. Il n’a pas la couleur de celui de maintenant, mais des tonalités que je pensais ne plus jamais revoir… il est si plein, si… j’ai du mal à fixer du regard tout ce qu’il comporte… c’est époustouflant ! Flippant, comme tu dirais…

 

Je regarde Dan qui continue son va-et-vient oculaire entre moi et la surface réfléchissante.

 

-        C’est normal, Dan ?

-        Quoi, Dame Vera ?

-        Que nous voyons différemment ce qu’il y a dans le Whouna ?

-        Oui. C’est la nature de Whouna.

-        Qui voyez-vous ?

-        Une fenêtre. Elle reste fermée, mais s’ouvre continuellement devant des connaissances de toutes sortes.

-        Et on peut avoir les infos que l’on veut comme quand on pose une question à Google, par exemple ?

-        Google ?

-        Un moteur de recherches sophistiqué se trouvant dans un ordinateur et qui donne accès à des millions d’informations sur tout et n’importe quoi.

-        Oh ! Je vois. Certains de mes frères et sœurs plus jeunes ont ce genre d’artefact dans leur demeure.

-        Artefact ? Je suppose que ce terme vaut bien un autre.

-        L’analogie est étrange, mais assez juste… quoi que Whouna soit plus « performant » que n’importe quel artefact moderne…

-        Wouh ! Ben, c’est impressionnant, mais pas forcément s’il s’agit de la mer primordiale.

 

Dan me regarde fixement, ouvre la bouche et vacille légèrement.

 

-        Eh… il vaudrait mieux vous asseoir !

 

Glorios prend à bras le corps Dan et une seconde plus tard il se retrouve assis sur un siège. Mikaïl revient avec un verre d’alcool. Autant qu’il apporte une ou deux bouteilles. Les Outre-Vivant ont tendance à absorber l’alcool comme si c’était de l’eau. Un vrai cauchemar incarné et virtuellement humiliant pour les alcooliques ! Dan boit le verre d’un trait. Il hoche la tête vers Mikaïl et Glorios avec gratitude avant d’écluser aussi sec le deuxième. Vous parlez d’une descente !

 

-        Je vous prie d’excuser ma grande faiblesse… je… c’est le soulagement.

 

Je m’assois près de lui. Je prends sa main entre les miennes. Elles sont si grandes et si déliées. Les mains me fascinent toujours.

 

-        Ecoutez, Dan… je ne comprends rien à ce qui se passe… je trouve le Whouna superbe, mais… il faut nous expliquer…

-        Oui… vous avez raison…

 

5.

            Dan est debout. Il se promène les mains dans le dos et il a l’air… agité. Bon ou mauvais présage ? Je n’ai jamais rencontré d’Envoûteur. Il y a bien ce livre de Carrie Jones, Envoûtement, mais rien à voir. Je ne sais pas pourquoi, mais je subodore que Dan et sa famille sont vraiment beaux et pas comme il semble que soient les envoûteurs en général, sans leur camouflage ou « glamour » ou quel que soit le nom qu’on donne à ce qui les occulte. Bien sûr dans la série de Charlaine Harris, on parle de Fées qui sont splendides… et dans d’autres séries aussi, mais ce n’est pas toujours le cas. Et quand on les décrit, ils sont moches de chez très moches ! Glups ! Dan me regarde fixement, puis a ce drôle de petit sourire. Je m’immobilise. Peut-être que ça n’a rien  à voir…

Mes deux hommes sont assis l’un à ma gauche, l’autre à ma droite. Nous devons ressembler à de bons petits élèves qui s’apprêtent à recevoir une leçon magistrale. Dan se frotte le cuir chevelu donnant à sa parfaite coiffure un look parfaitement sexy et désordonné. Il est vraiment pas mal… Glups ! Carré immensément blanc ! Dan se place dos au mur, les mains croisées devant lui. Il a l’air tourmenté.

 

-        Il m’est difficile de vous parler de ceci…

-        Commencez par le début ? Pourquoi venir auprès de moi ? Et qui vous a demandé de le faire ?

-        J’ai pris sur moi de le faire. Mon père est au courant, cela va de soi…

-        Le Whouna est donc en possession de votre père ?

-        Pas vraiment. Disons que…Whouna nous est assujetti depuis le départ de mon père. Il finit toujours par revenir chez mon père.

-        Un peu un retour au bercail.

-        C’est une bonne manière de le définir.

-        Votre père serait son maître ?

-        Un gardien, plutôt… Je l’ai toujours vu dans la demeure familiale et disons que chacun des membres de la famille a tissé des liens particuliers avec lui. Pour vous donner un exemple. Lorsque l’un de nous est en difficulté, Whouna s’arrange pour nous venir en aide. 

-        Fait-il cela avec tout le monde ?

-        Non. Il donne les privilèges que je vous ai dits précédemment avec les critères qu’il a établi, mais il n’a jamais défendu quelqu’un. Il reste neutre la plupart du temps, si toutefois cette notion est possible.

-        On est deux alors à douter que ce soit possible ! Et vous dans cette histoire de lien et de protection ?

-        Je suis très lié à Whouna, plus que mes sœurs et frères et que mon père.

-        Il vous a choisi comme protecteur ou gardien ?

-        C’est plus subtil. Il s’est uni avec moi de façon que je sache toujours où il se trouve et ce qu’il « vit ».

-        Un genre de pacs ?

-        Un pacs ?

-        Oui. C’est quand on se marie avec quelqu’un, mais sans passer par l’église ou la commune.

-        Un mariage ? Je suppose que cela peut s’expliquer de cette façon-là, mais je pense qu’osmose est plus adéquat.

-        Osmose ? Ce n’est pas dangereux un truc pareil ?

-        Non. Pas si je suis consentant. Whouna m’a instruit préalablement de son intention d’union avec moi et j’ai accepté cette fonction.

-        Pourquoi ?

-        Parce qu’il m’a choisi et que je l’ai choisi en retour. C’est difficile de parler de cela… c’est très privé et très particulier…

-        Je comprends. Mais quand je demandais pourquoi, c’est surtout ce qui pousse un artefact aussi puissant et ancien à choisir quelqu’un comme vous pour être très proche, plus lié encore qu’un gardien ou un protecteur. Sans vouloir vous offenser, c’est juste que… je crois que…

 

Dan me regarde fixement. J’ai peut-être poussé le bouchon un peu trop loin ? Loin de moi l’idée de m’immiscer dans sa vie privée…

 

-        Ce n’est pas le cas, Dame Vera, je vous rassure. Vous pouvez me poser toutes les questions que vous considérez judicieuses. Je m’efforcerai de vous répondre au mieux. Seulement, pour cette question précise, je n’ai pas de réponse claire, ni appropriée, d’autant que cette question m’a toujours obsédée moi-même. J’en suis venu à la conclusion que ce choix était lié à sa survie. Whouna semble se « nourrir » de ceux chez qui il se rend. Pourtant cela ne semble pas suffisant…

-        Ça me rappelle les histoires de Robot d’Isaac Asimov. Ces « machines » soit disant sans âme, ni sentiments et émotions semblent dépérir s’ils n’ont pas un rapport rapproché avec une personne permanente et proche. Comme s’ils étaient plus que des machines, en somme. Cela s’explique par leur cerveau qui a besoin de liens « émotionnels » personnalisés pour continuer à fonctionner.

-        Je n’avais pas songé à cela, mais cela semble similaire.

-        Il commence à me plaire ce Whouna ! Cependant, je ne vois pas ce que je viens faire ici et pourquoi m’avoir choisi pour régler votre problème.

-        J’ai entendu parler de vous.

 

Je ne réagis pas, alors qu’il semble attendre une quelconque réaction de ma part. Je devrais peut-être ouvrir un bureau spécialisé dans les soucis extraordinaires comme dans la série d’Amanda Quick, Lavinia Lake et son compagnon et époux Tobias Marsh. Glorios fronce les sourcils.

 

-        NON ! Ce n’est pas nécessaire de lire toutes les séries dont je parle, mon amour !

-       Tu me rassures vachement, yamanahe…

-       CV, va !

 

Je reviens à Dan et ses yeux pleins d’attente. Je ne vois tout simplement pas où il veut en venir en me disant cela. Je soupire.

 

-        Ah bon ? Et par qui ?

-        Disons qu’on parle de vous dans nos mondes.

-        Dans vos mondes ? Pas dans les plans de réalité ?

-        Là aussi, je suppose, mais disons que nous sommes d’un autre monde et pas d’un autre plan de réalité. 

-        OK !

 

Je pige que dalle, rien de nouveau sous le ciel gris !

 

-        Et donc on dit quoi ? Que je suis une méga-super nana qui règle tous les problèmes, de préférence hyper gravos, des Outre-Monde ou Supra-Réalités ?

-        En gros, c’est cela !

-        Génial ! Mon rêve ! Devenir une super héroïne. Manque plus qu’un look d’enfer et on y est presque !

 

Mes deux CV se poilent ! Très drôle ! Morte de rire, là ! Dan a ce drôle de petit sourire.

 

-        Donc, vous m’avez « choisie », parce que j’ai une bonne réputation… et je ne veux pas savoir laquelle, je flippe à donf suffisamment comme cela !

-        Ce n’est pas seulement votre réputation qui m’a attirée jusqu’à vous, mais une intuition et aussi une requête de mon père.

-        Je le connais ?

-        Non. Il a connu votre grand-père brièvement…

 

J’ouvre la bouche, estomaquée !

 

-        Mon grand-père…

-        Oui, celui-là même qu’An-heh vous a fait rencontrer brièvement dans la Grotte Sacrée des Prescients Primordiaux dans le Bush Australien…

 

Je sens mes deux amours se raidir à mes côtés.

 

-        D’où tenez-vous cela, envoûteur ?

 

La voix de Mikaïl est d’une froideur arctique.

 

-        Je suis plus âgé que vous et j’ai aidé vos Prescients Primordiaux à bâtir cette grotte durant leurs existences.

-        Oh, alors vous connaissez Mana ?

-        J’ai ce plaisir et cet honneur !

-        Ben, Leanna, c’est sa copine, maintenant.

 

Il affiche ce même air confus ! Faut se mettre à la page, vieux !

 

-        Oubliez ! Donc… mon grand-père… et c’est pour cela que votre père…

-        Il m’a chargé de vous remettre un objet qui a appartenu à votre grand-père et vous demander de nous aider.

-        Je… c’est très aimable à lui et même sans cela, je vous aiderais sans problème, faut pas vous biler ! Et vous, pourquoi vous voulez que ce soit moi ?

-        Une intuition comme je vous disais. J’étais persuadé que Whouna vous choisirait et aussi… que vous verriez la vraie nature de Whouna.

-        Je ne comprends pas bien ! Comment pouviez-vous savoir qu’il me choisirait et que je verrais sa nature profonde ?

-        Je n’en avais pas une certitude, mais je vous ai vue à l’œuvre ou du moins Whouna m’a « parlé » de vous.

-        Et comment savait-il qui j’étais et pourquoi avez-vous fait le lien ?

-        Whouna n’agit jamais sans raison. Il m’a plusieurs fois montré qui vous étiez, j’ai compris que vous deviez faire partie de mon existence, en quelque sorte. Lorsque le problème a surgi, j’ai su que…

-        Quel problème ?

-        Il est difficile d’en parler simplement.

-        Alors faites-le « difficilement », mais, de grâce, parlez-nous de celui-ci !

-        Bien, Dame Vera.

 

Il se tord les mains. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui coupait autant les cheveux en quatre ! Faudra à l’avenir que je demande du concis, précis et concret, sinon on va jamais y arriver !

 

-        Whouna était chez Patrol, un de nos anciens. Cela faisait près de sept mille ans qu’il y résidait. De temps en temps, il revenait au « bercail », mais il repartait toujours chez ce dernier. Mon lien s’est accru et nous avons continué à renforcer celui-ci. Cependant, je me rends compte qu’il ne voulait pas me montrer sa nature profonde…

 

Le Whouna a une sorte de gémissement, suivi d’une série de petits sons, alors que les motifs du cadre se mettent à vibrer. Merde ! C’est vraiment flippant ! Dan se tourne vers le « miroir » et j’ai le sentiment qu’ils se parlent à un niveau très intense, quoi qu’inaudible. Le Whouna reprend son attitude sereine et Dan se tourne vers nous.

 

-        Je comprends mieux… Whouna ne peut montrer sa nature profonde qu’à une femme.

-        Pourquoi ? C’est du sexisme ça ou je ne m’y reconnais pas !

-        Nullement. Il s’agit seulement d’une capacité que seul peut avoir une femme et pas un homme.

-        Oh ! D’accord ! C’est comme une capacité inhérente à mon sexe, mais qui n’exclut pas les hommes.

-        Non. Whouna se présente différemment selon les personnes, mais en tenant compte du sexe de celles-ci.

-        D’accord ! ET cela a-t-il à voir avec le « problème » ?

-        Oui. Je crois… Whouna est arrivé hier dans ma demeure. Normalement, il préfère aller chez mes parents, c’est plus sûr, mais il est apparu chez moi et… je me suis tout de suite inquiété, à raison. Il y a une entité, à défaut d’autre nom, qui commence à effacer sa nature profonde, ce qui finira par « tuer » Whouna. Or, Whouna est devenu une mémoire active de ce que nous sommes tous, de ce que chaque chose est. Sa disparition risquerait de faire disparaître notre nature et peut-être tout un pan de l’Univers aussi.

-        C’est insensé ! C’est comme un virus, comme ceux qui s’attaquent à un ordinateur ? Comment une telle chose est-elle possible ?

-        Virus ?

-        Oui… ça peut effacer purement et simplement tout un disque dur ! La cata totale !

-        Je n’avais pas envisagé cela de cette manière…

-        J’imagine bien ! Mais… je ne suis pas vraiment une as des anti-virus et encore moins un anti-virus à moi toute seule !

-        Il va de soi que non, Dame Vera.

-        Alors ? En quoi suis-je indispensable ?

-        Vous pouvez voir la nature profonde de Whouna, il vous a choisi, ce qui signifie que vous pouvez pénétrer dans Whouna et « reconnecter » ce qui a été défait.

 

Et bien, voilà, on y est arrivé ! Quoi ? J’ouvre la bouche, la referme ! Quoi ? Je m’appelle Alice pour passer comme ça à travers un miroir ou quoi ?

 

-        Je ne sais pas qui est Alice, mais Whouna saura vous guider et moi aussi

 

6.

 

            Je tourne en rond depuis la déclaration de Dan. Mikaïl nous a servi une petite collation. J’ai déjà remarqué qu’il faisait toujours cela quand la situation devenait un chouïa tendue. Notez… c’est une bonne initiative. Sauf que là… Je refuse d’entrer dans un miroir ! Déjà les plans de réalité, je n’étais pas franchement partante, mais alors le miroir… Non, niet, neen, nein, no ! Dan se lève et s’approche de moi doucement. Il sort quelque chose de sa poche. On dirait un morceau de tissu en tulle. Il semble déteint, comme ces vieux tissus qui fleurent les belles histoires d’antan. Il me le tend. Je jette un regard à mes deux amours qui n’y voient rien à redire, alors je l’accepte. Dan me sourit de ce drôle de petit sourire et se penche en avant dans une révérence légère et respectueuse. Je m’approche de la table et dépose l’objet. Je déroule le tissu, il enveloppe un cadre de photo. Il semble aussi très ancien. Le bois est patiné et si doux sous mes doigts… Le verre est un peu fendillé. En-dessous, il y a une photo. Je les reconnais tout de suite. Il s’agit de mes grands-parents. Je savais qu’une photo comme celle-ci existait, mais lorsque mon grand-père est mort, tous ses effets personnels ont disparus en quelque sorte. Je soupçonne mes parents de s’en être défaits purement et simplement. Ils prônent le modernisme et le minimalisme, sans parler qu’ils ont toujours dit que tout ce que mon grand-père possédait n’était que des « vieilleries poussiéreuses et répugnantes ». Je ne leur ai plus adressé la parole depuis. Ils ne s’en sont pas formalisés pour autant. Ils sont devenus « visiteurs du monde » et grand bien leurs fasse ! Je n’ai pas connu ma grand-mère paternelle, mais je sais que je l’aurais aimée. Ils ont l’air si jeune sur la photo et si beaux. Ils s’aimaient profondément. J’ai connu mon autre grand-mère qui a compensé un peu l’absence de celle-ci. J’ai une telle nostalgie d’elle. Curieux sentiment, je le sais, mais si réel… Je passe un doigt tremblant sur le verre, caressant ces deux êtres qui sont toujours dans mon cœur. Je suis sur le point de pleurer et… ce n’est pas le moment. Je regarde Dan qui a l’air d’avoir un visage brouillé.

 

-        Je… il faudra dire merci à votre père et à vous… Bon sang ! Je ne m’y attendais vraiment pas, c’est tellement…

 

Je vois trouble tout à coup. Un brouillon plus tard je suis sur les genoux de Mikaïl pleurant à chaudes larmes. Je ne sais pas combien cela dure, mais quand j’émerge du torrent larmoyant, Dan n’est plus là. Mikaïl m’essuie les yeux avec un carré de coton immaculé. Comment fait-il pour qu’il soit si blanc ? Clayton, son majordome, devra me donner la recette. Un homme précieux, Clayton.

 

-        Où est Dan ?

-        Il s’est retiré. Il reviendra plus tard. Tu as besoin de te remettre de tes émotions. Glorios te fait couler un bain, puis tu vas faire une petite sieste.

-        Hamac ?

-        Transat.

-        Ah ! Enfin ! Tu « transates » avec moi et Glorios ?

-        Je ne peux pas. Clayton a besoin de moi quelques heures.

-        Oh oui ! Désolée… Et Glorios ?

 

Il sort de la salle de bain et s’assoit près de nous. Sa main dérive sur mon corps. Une coulée de frissons érotiques parcourt ma peau. Wouh !

 

-        Je serais heureux de pouvoir le faire, mais je dois me rendre à l’un de mes bureaux. Cela ne me prendra pas longtemps, yamanahe…

-        Je comprends. Il serait temps que tu délègues plus, Glo ! Tu as trop sur les bras…

-        Je le sais, mais… tu as sûrement une petite idée pour remédier au problème, yamanahe ?

 

Il me connaît bien le bougre. Il est accroupi devant moi et mon corps s’échauffe, désirant l’avoir sur moi, en moi…

 

-        Tes désirs sont des ordres, ma félidée…

 

Un brouillon plus tard, je suis sur notre lit, leurs corps nus m’entourant. Nos désirs demandent à se mêler avec force et passion, douceur et tendresse. Glorios me caresse de sa langue les seins, alors que Mikaïl exacerbe mon sexe de sa bouche, de ses doigts. Un premier orgasme me catapulte dans l’extase, un second se construit lorsque Mikaïl introduit sa verge dans mon vagin palpitant. Ses crocs transpercent ma peau et ajoute à mon plaisir. Mes lèvres s’ouvrent. Glorios pousse doucement son gland turgescent entre elles. Je le caresse d’une langue avide, alors que des gémissements ondulent dans ma gorge. Le sexe de Mikaïl m’emplit toute entière. Glorios se relève me laissant désireuse de l’avoir en bouche plus longtemps. Ses crocs pénètrent ma peau et se nourrit du sang qui rugit partout en moi. Je sens nos trois êtres se fondre en une union complète dans mon corps et dans mon âme. Le lien qui nous unit prend forme derrière mes paupières closes. « Un champs de blé mûrissant au soleil, des gémissements, un cri d’extase… Une maison aux tentures rouges, des jeunes filles dénudées se promenant et s’exhibant… une réunion dans un espace voûté, des torches éclairent avec parcimonie l’endroit, une discussion véhémente, des hommes armés et des femmes attendant une décision… un bal masqué, des dizaines de personnes se mêlant, une avancée décidée vers un groupe de jeunes filles tenant un loup devant leurs yeux… une bibliothèque et des moines copistes dans une grande salle avec de hautes fenêtres donnant sur une cour intérieure… un repas familial et frugal avec une dizaine d’enfants… une salle d’opération, un homme endormi sur une table… Un hurlement d’agonie zébrant l’espace d’une maison immense… deux corps se donnant du plaisir et un troisième qui regarde avec désir et convoitise… » Mikaïl et Glorios gémissent doucement. Glorios abandonne ma gorge. Il s’agenouille, dirige ma bouche vers sa verge et je la suce avec avidité. Le va-et-vient de leurs sexes s’exacerbe et l’orgasme secoue tout mon corps. Ils éjaculent au même moment. Nous crions à l’unisson, perdus et unis dans la même extase. Je sens mon cœur affolé tambouriner sourdement en moi. Mikaïl et Glorios se placent contre moi, m’enveloppant. Mes yeux fermés poursuivent ce lien étrange qui magnifie chacune de nos étreintes. Les images que j’entrevoie sont trop évanescentes pour que je puisse percevoir de quoi il retourne. Ce ne sont que des volutes éphémères d’émotions et de sensations. Je ne m’y attarde pas, suivant la ligne de notre lien émotionnel. Leurs lèvres se posent sur les petites perforations laissées par leurs crocs. Leur langue cautérise les petites plaies. D’ici une heure, il n’y aura plus aucune marque. Quelques secondes plus tard, nous sommes tous les trois réunis dans une étreinte trempée de sueur, les corps chavirés et la sérénité s’épanouissant dans chaque cellule. Les mains de mes amours sont posées sur mes hanches. Leurs pouces lissent ma peau moite dans une lente caresse excitante.

 

-        Waouh !

-        Comme tu dis…

-        J’ai tellement envie…

 

Glorios et Mikaïl se soulèvent sur un coude et me regardent fixement. Ils se lancent un regard avisé.

 

-        Je crois que nous avons donné naissance à une quémandeuse, mon vieux !

-        Je crois que tu as raison, l’ancien !

 

Ils partent d’un petit rire. Je ne sais pas si me réjouir de leur connivence ou si les frapper.

 

-        Dans ce cas, un bain est recommandé, tu ne crois pas, Mikaïl ?

-        Totalement d’accord, Glorios !

 

Un brouillon plus tard, nous sommes dans l’immense baignoire, nos mains et nos lèvres soudées, prêts pour une autre étreinte.

 

 Lorsque mes amours me déposent dans le transat, je suis à peine consciente. Ils me bordent doucement. La nuit est tombée depuis longtemps, mais je m’en moque. Du moment que je ne passe pas à travers le miroir, pour moi c’est bon ! Black-Out !

 

       Je ne sais pas au juste ce qui me réveille. Je constate distraitement que je suis dans mon lit. Curieux ! Sans doute y suis-je venue de moi-même. J’arrive facilement à me mouvoir en mode zombie. Une cause à effets par rapport à mes V ? Je tends mes sens. D’abord, au réveil, j’ai pensé à un de ces foutus esprits, mais ensuite, je ne sais pas… Je sais que mes amours sont partis et la maison semble tranquille. Ce n’est pas un sentiment de danger que je ressens, mais plutôt de… c’est difficile à décrire. C’est comme s’il y avait quelqu’un, mais sans qu’il y ait quelqu’un. Oui, je sais ! Ça pourrait être la définition d’une apparition ou d’un esprit, mais ce n’est pas cela. Si c’était cela, je serais déjà occupée à hurler après Ned et l’esprit égaré ! Pensez, depuis le temps ! Là, c’est différent. Ce n’est pas non plus comme s’il y avait un intrus qui avait pénétré par effraction dans la maison. Du reste, Mikaïl a fait placer des alarmes dans la maison en cas d’intrusion inopportune. Non. C’est autre chose. Je me dépêtre de l’édredon et me glisse sur le sol carrelé avec précaution. J’ai toujours su marcher dans l’obscurité et sans faire de bruit sur le sol. Sans doute une particularité de ma nature félidée. J’arrive dans le séjour en pénombre qui se trouve près de la véranda où nous avons passé une partie de la journée avec Dan. Il y a une sorte de réverbération dorée qui sourd de la grande pièce vitrée. Je fronce les sourcils. Je ne me souviens plus si Dan a repris le miroir. En fait… je ne sais même pas si Dan est encore là tout court. Ce qui me semble improbable. Mes deux amours ne l’auraient pas laissé ici. Je ne sais d’ailleurs pas quand ils sont partis. Bref, je ne sais rien et cela m’agace un peu ! D’ailleurs, depuis plusieurs mois, près de dix-sept mois, si je compte bien, je ne sais pratiquement plus rien. J’ai l’impression d’enchaîner les circonstances, les évènements et les situations sans bien savoir ni comment, ni pourquoi et encore moins à quelles fins. Je ne suis plus certaine de rien, sauf que je dois reprendre ma vie en main, sinon elle continuera à passer de mains en mains sans que je puisse m’y faire la main !

Un léger marmonnement me fait stopper net sur le pas de la porte coulissante au tiers ouverte. Ai-je vraiment envie de savoir ce ou qui est là-dedans ? Oui ! C’est ma baraque et on ne va pas commencer à y pénétrer à tort et à travers ! Déjà que les esprits n’en font qu’à leur âme et non-conscience, alors hein, ça va bien, là ! Je me glisse dans l’ouverture en retenant mon souffle, le cœur au bord des lèvres et je cale aussi net. Il y a un énorme pei au milieu de ma véranda qui regarde mon jardin soumis à l’obscurité par la large fenêtre fermée. De dos il est impressionnant. Je suis déçue ! Encore une âme en peine ! Je me racle la gorge. Le fantôme se retourne vers moi. Il me regarde de haut en bas. Il est tout aussi impressionnant par devant. Il doit bien faire… un mètre nonante-quatre. Je ne sais pas pourquoi, mais je sais qu’il mesure cela. Il semble baigné dans une sorte de halo doré et brillant. Il porte un vêtement étrange. Je ne peux pas dire autrement, jamais rien vu de pareil. Son visage est fascinant, un mélange de… on dirait qu’il a tous les traits des races humaines mêlées en lui et cela donne… Waouh ! Il est positivement sublime, presque trop beau pour être vrai ! Ses yeux sont si étranges, mais si beaux… indescriptibles aussi et il me passe en revue comme je le fais. Flippant et excitant, je dois dire ! Encore de l’adrénaline en cascade dans mon système organique déjà en surcharge ! Qui dit que le métro/voiture-boulot- dodo est chiant ? Je vote pour cela des mains et des pieds, si on me demande mon avis ! N’étant pas le cas ici, je me contente de soupirer profondément. L’entité – à défaut d’un mot plus juste - a une sorte de sourire magnifique et me fait une révérence. D’où sortent-ils tous ? Dingue !

 

-        Euh… je ne sais pas si vous le savez, mais puisque vous êtes mort, je ne peux plus rien faire pour vous. Aussi, il faut aller vers la lumière ou je ne sais trop quoi d’autre et vous carapater dans l’Au-delà où vous serez le bienvenu, pancartes, comité d’accueil, tout le toutim, mais version au-delà, quoi !

 

Où est encore passé ce crétinisé du bulbe de Ned ? Jamais là quand il le faut çui-la ! Parlez-moi d’un guide ! L’entité rit ! Un rire envoûtant. J’en reste comme deux ronds de flan ! Un fantôme qui rit ? Attendez, là, j’hallucine ou quoi ?  Son rire s’éteint comme la fin d’une musique céleste. Il me sourit et c’est ensorcelant. Il me fait une autre légère courbette.

 

-        Tu es bien telle que je t’ai vue…

 

Ouh là ! Et il m’a vu où, si on peut savoir ? Et comment est-ce possible ? Je suis certaine de ne pas le connaître ! Je n’aurais jamais pu oublier quelqu’un comme lui, c’est clair ! Et d’ailleurs… Est-il seulement un esprit ? Je ne suis plus sûre de rien avec tous ces va-et-vient d’Outre-Vivant !

 

-        Je ne comprends pas ! Si vous n’êtes pas un… revenant, je peux savoir qui vous êtes ?

-        Ne me reconnais-tu pas ?

-        Ah pour ça non, alors ! Si c’était le cas, je le saurais…

-        Oh ! C’est vrai. J’ai cru comprendre que tu étais réfractaire à passer à travers le miroir, aussi j’ai décidé de me montrer sous ma toute première apparence. Cela te sera plus facile et je pourrais ainsi mieux te guider pour m’aider à réunifier mon identité complète.

 

Je le fixe bêtement du regard ! J’y pige que dalle ! Je m’approche de lui. Il reste immobile. Il dégage une senteur qui me rappelle la mer. Une fragrance qui m’a toujours enivrée depuis la première fois où je me suis tenue devant une mer. C’est une senteur si puissante, si subtile aussi et si attirante. Je respire à plein poumon et là… Black-Out total !

 

 

7.

 

            J’ai la bouche un peu pâteuse. Je déglutis fortement. Les réveils ne sont pas toujours folichons. Je fronce les sourcils. Le réveil ? Oh merde ! Ce n’est pas un réveil, je suis tombée dans les… Je regarde où je me trouve. Véranda, transat, un plaid sur moi et… Je tourne précautionneusement la tête sur le côté. Il est là. Je pensais que c’était le fruit de mes cogitations un peu brumeuses, mais non ! Il me présente un verre d’eau bien frais qu’il a sorti de je ne sais où. Je le prends, mais mes mains tremblent tellement qu’il me le soutient et m’aide à boire. Il n’est pas évanescent, mais bien solide, même s’il y a toujours cette sorte de halo iridescent autour de lui. Je bois avidement. J’ai tellement soif. Je vide le verre. Il l’éloigne de mes lèvres et de ma bouche rassasiée. Le verre disparaît aussitôt. Je veux me redresser. Il m’aide. Je lui souris timidement. Il me fait une légère courbette.

 

-        Whouna ?

-        Je suis désolée de t’avoir fait peur, petite Vera. Telle n’était pas mon intention. Je te prie d’excuser ma maladresse.

-        Oh non ! En fait, c’est le stress. Vous comprenez, ça fait des mois que je vis des choses… romanesques, rocambolesques, pas croyables et je commence à fatiguer. Pas que je me plaigne, somme toute, je ne regrette rien, mais bon… Comment voulez-vous que je rationnalise des choses qui ne se lisent ou ne se voient qu’en fiction ? Y a de quoi péter plusieurs durites !

-        Durites ?

-        Des choses qu’il y a dans un moteur de voiture, c’est juste une expression, faite pas attention ! Ce que je veux dire, c’est que je suis crevée, j’ai besoin de « transater » ou de « hamaquer », mais pas moyen, y’ tout l’temps un stuut qui dérape quelque part et on a besoin de moi. Notez, c’est bien qu’on ait besoin de moi. C’est comme dans la chanson de Jean-Jacques Goldman « Il y a », ces paroles que je trouve tellement juste : « Parce qu'on a tant besoin que l'on ait besoin de nous ». Vous voyez ? C’est vrai, mais bon des fois on aime autant aussi être totalement indisponible, over, buiten, hors de, fuera de. Vous comprenez ?

-        Je m’y efforce.

-        Désolée… c’est juste que… Je peux vous poser une question ?

-        Je suis là pour cela, entre autres.

-        Merci ! Vous allez rester comme ça ou vous allez redevenir miroir à certains moments ?

-        Selon tes convenances, petite Vera.

-        Ah ! Et le miroir, il est où ?

-        Ce n’est qu’une de mes formes.

-        Vous faites une exception pour moi ?

-        Oui.

-        Ah ! Pourquoi moi ? Je veux dire, j’ai bien compris que vous aviez besoin d’une femme pour vous aider, mais je ne suis pas la seule et en plus, vous savez je suis comme tout le monde.

-        J’en doute, mais cela ne fait qu’ajouter aux qualités qui me sont essentielles chez un être, aussi je ne chercherai pas à te convaincre de ton erreur. Si je t’ai choisie, c’est en toutes connaissances de cause. Tu es celle qui peut m’aider. Cela tient à qui tu es et à ton essence.

-        Chamanique ?

-        Oui, mais l’autre.

-        L’autre ? Attendez ! A chaque fois qu’on m’a dit que j’étais un machin bizarre, on m’a marqué et après, vogue la galère ! Alors, je vous préviens, Monsieur Whouna, je ne vais pas me choper une marque de plus ! C’est clair ou je développe ?

-        Parfaitement clair. Cela ne sera pas nécessaire. Nos présences mutuelles se marquent d’elles-mêmes.

-        Comment cela ?

-        Nous nous imprégnons l’un l’autre et cela est marquant en soi, sans qu’il faille ajouter une marque distinctive.

-        Oh ! Un peu comme lorsqu’on a une relation avec quelqu’un et que nos échanges et nos rapports nous marquent ?

-        Précisément.

-        Tant mieux ! Vous ne pouvez pas savoir comme je déteste les marques ! Euh, je peux vous demander autre chose ?

-        Je t’en prie.

-        Vous mangez, buvez, enfin ce genre de choses ?

-        Je puis le faire, mais ce n’est pas nécessaire…

-        Vous n’êtes pas humain… enfin, vivant, je veux dire… Existant ?

-        Je fais partie de la nature de la Vie et de la Mort.

-        Ah ! Je comprends.

 

Que dalle, mais bon, on ne va pas en faire tout un plat. Qui a dit qu’il fallait tout comprendre, hein ?

 

-        D’accord. J’ai une chambre d’ami en haut, si vous voulez avoir un peu de privacité…

-        C’est fort aimable à toi.

-        Je dois vous appeler comment ?

-        Comme il te plaira.

-        Ben, euh… on va continuer avec Whouna alors, si cela va pour vous.

-        Parfaitement.

-        Vous aviez un nom quand vous étiez autrement, au départ… enfin je veux dire avant que vous soyez un miroir et comme maintenant, je veux dire…

-        Mon premier nom fut Ajmanalgaialu…

-        Ah ! Bien sûr ! On va peut-être continuer avec Whouna, hein, pour ne pas se mêler les pinceaux.

-        Comme cela te semble plus facile.

-        Merci.

 

Je remue dans mon transat, genre « un ange passe ». Maintenant que je peux demander tout ce que je veux sans restriction, je ne sais que demander.

 

-        Vous pouvez lire dans ma tête ?

 

Glups ! Ça m’a échappé ! Malin, ça, très malin ! J’ai les neurones qui se la jouent schieve lavabo ou je ne m’y connais pas !

 

-        Je le puis. Mais cela me semble plus judicieux de te laisser me dire les choses comme elles te viennent à l’esprit. J’ai cru comprendre que tu n’appréciais pas beaucoup ces intrusions mentales !

-        Vous pouvez le dire ! J’ai passé quelques semaines en Irlande en étant un genre de grand panneau informatif, ce qui m’a laissé sur les rotules ! C’est simple, plus moyen de garder mes pensées pour moi et c’est rien de le dire ! Bon, vous savez déjà qu’avec Glo et Mi, ce n’est pas pareil et dans une certaine mesure, les miens, enfin je veux dire ceux que je considère comme ma famille, peuvent lire en moi et j’accepte, mais pas les autres ! Enfin, maintenant, grâce à…

-        Morrigan…

 

Je le regarde fixement. Il est si splendide, même ce halo doré n’arrive pas à ternir sa splendeur.

 

-        Vous la connaissez ?

-        C’est l’une de mes petites filles…

-        Oh ! Je… elle est pas mal dans son genre…

 

Whouna me regarde durant quelques secondes, puis éclate de rire. C’est tellement… extraordinaire que je reste la bouche ouverte. Wouh ! C’est… indescriptible. C’est comme si j’entendais la genèse de la félicité, de l’allégresse, enfin ce que l’on nomme bonheur, mais sans savoir vraiment jamais de quoi on parle. Je l’ai là devant moi et je me sens… c’est… de la pure béatitude. Pour un peu j’en planerais presque. Ma peau se hérisse de partout en réponse à ce son divin et c’est… divin ! Le son ample et riche s’évanouit par vague dans l’air et j’ai presque envie de le suivre à la trace pour pas le perdre. Il s’assoit près de moi. Jusqu’à présent il est resté debout dans une attitude relax, mais… difficile à dire. C’est comme s’il était au garde à vous, mais dans une pose relâchée. Je ne sais pas bien expliqué. D’habitude quand on est assis, on enjoint l’autre ou les autres qui sont là avec vous de s’asseoir aussi, sinon on se sent mal-à-l’aise. Et bien avec lui on ne ressent pas cela. En fait, on se sent aussi bien avec lui qu’on peut l’être avec soi-même et ça c’est plutôt rare. Malgré sa haute taille et sa corpulence, le transat ne couine pas. Il est suffisamment proche pour que je puisse le toucher facilement, mais pas assez pour me sentir gênée. Il me regarde avec une telle douceur que ça me donne envie de chialer. Wouh ! Je lève la main et… je la retire.

 

-        Je peux vous toucher ?

-        Oui.

 

Je pose ma main sur sa manche. Il est solide. Je voudrais lui prendre la main, mais j’ai peur que ce soit trop intime. Il pose sa paume large et sans lignes à plat sur sa cuisse musclée. Je pose un doigt sur sa paume. Elle est chaude et douce. Elle semble pleine d’une énergie vitale que je perçois à travers ce seul doigt. Que serait-ce si j’y pose ma propre paume ? J’ouvre la main et la dépose sur la sienne. Nos paumes se touchent et je me sens si heureuse, comme si c’était le geste le plus naturel et normal qui soit. Je sens un bouillonnement puissant passer à ras de ma peau. Une lente vibration passe dans toute la main, sur mon bras et c’est merveilleux. J’éclate de rire. C’est si bon, si fascinant. Je ris encore. Il se joint à moi. Nos rires semblent se mêler et c’est un chant si harmonieux que j’en tremble intérieurement. Nous cessons de rire de concert. Je mêle mes doigts aux siens. Il me regarde de ses yeux si étranges.

 

-        C’est l’une des raisons qui m’a fait te choisir, petite Vera.

-        Vous savez que je ne suis pas certaine de bien comprendre tout ce que vous allez me dire…

-        Tu sauras l’essentiel et c’est ce dont j’ai besoin. Le temps n’a plus de prise sur moi et…

 

J’ai tout à coup une espèce de flash le concernant.

 

-        Le miroir ! C’est pour cela que vous êtes le miroir, parce qu’il vous permet de rester dans le temps avec tout ce qui se mire dedans, gens et choses ! Ben, alors, il faut que vous deveniez miroir le plus souvent possible! Pas question que vous vous débilitiez, parce que c’est plus facile pour moi de vous avoir en version humanoïde… Vous pouvez bien sûr, mais…

 

Je l’ai regardé dans les yeux en disant cela et en secouant nos mains toujours jointes. Il a un sourire éclatant. Il lève nos mains et m’embrasse le dos de la mienne avec révérence.

 

-        Je savais que tu comprendrais. Le reste suivra. Ne t’en inquiète pas.

-        Mais je m’inquiète, Whouna ! Vous n’êtes pas victime d’un Alzheimer Outre-Vivant ou un truc du genre ?

-        Non ! Les maux des vivants ou des existants et d’autres espèces ne m’affectent guère.

-        Alors, c’est bien un virus qui vous bouffe les données dans votre disque dur ?

-        Oui et non.

 

J’attends qu’il m’en dise plus, mais je suppose qu’il ne peut pas ou ne veut pas pour le moment. Du reste, je suis broyée grave !

 

-        Il est temps de dormir, petite Vera. Tout ceci est épuisant pour toi et je le conçois parfaitement. Prends des forces. Je veillerai sur ton sommeil.

-        Je vais vous montrer votre chambre, avant…

-        Ce ne sera pas nécessaire. Je la trouverai tout seul.

 

Quelques secondes plus tard, Whouna me borde dans le lit. Il pose sa main sur mon front avec infiniment  de tendresse. Je lui souris. Mr. Spock, c’est normal d’être dans un endroit un moment, puis dans un autre une fraction de seconde plus tard, surtout si c’est dans le monde physique que cela se passe, comme maintenant ? La voix de Whouna m’enveloppe avec infiniment de douceur.

 

-        Bonne nuit !

 

Black-Out !

 

 

8.

 

-        Eh merde ! C’est quoi ce binz ? Il est… Oh non ! Cinq heure trente-sept du mat ! Si j’ai pas mes six heures de sommeil, je ne vaux rien ! Mais, bon sang, c’est quoi ce boucan ?

 

Je tiens à peine debout lorsque je me carapate du pieu. Je suis certaine que ce ne sont pas des esprits. L’avantage avec eux, c’est qu’ils sont silencieux, même les frappeurs ! Ils ne parlent pas, du moins, pas à ma connaissance. A moins que ceux qui sont venus à moi n’aient été particulièrement polis ou muets, je n’ai jamais entendu un mot venant d’eux. Ned s’est chargé de jouer les interprètes. Si j’arrivais à communiquer avec eux, cela se faisait sous forme de « scènes » via mon cerveau. Un peu comme des flashs de voyance, mais beaucoup plus clairs et précis. Du moins, d’après ce que j’ai entendu dire des flashs, puisque je n’en ai jamais eu. Merci bien ! Quand j’arrive au bas des escaliers, j’entends que les bruits proviennent de la salle à manger. Si jamais mes bruyants invités surprises ont fichu en l’air un truc de la maison, je le trucide ! Je tiens beaucoup à tout le foutoir qu’il y a dans cette vieille baraque. En m’approchant, j’entends la voix de Glorios et je file en courant vers lui. Ce ton-là ne me dit rien qui vaille ! Quoi encore ? J’arrive dans la pièce en pénombre. J’ai dit que les vampires et les Outre-vivant n’ont aucun mal à circuler dans la plus complète obscurité ? Ben oui ! Pratique et économique, de vrais écolos, en somme ! Je perçois la présence de Glorios, de Mikaïl et de Whouna. J’aurais dû m’en douter ! Mais pourquoi faire autant de bruit dès l’aube ? J’ai besoin de pioncer, merde ! Une lampe s’allume dans la pièce et je reste la bouche ouverte. Mikaïl soutient fermement un Glorios au visage rougi et au regard meurtrier, alors que Whouna reste debout, impassible, avec toujours ce halo doré qui l’enveloppe comme une brume chatoyante. Du coup, je me demande si elle est réelle ou si c’est plutôt une aura.

 

-        Bonjour ! Je peux savoir c’est quoi ce foutoir ? Alors, que vous n’ayez pas besoin de dormir, j’assume et, vous ne savez pas ce que vous perdez, mais que vous m’empêchiez de roupiller, ça c’est mortel à donf !

 

Glorios me regarde fixement. Il souffle fortement et je crains un instant qu’il ne se transforme en yengo ou pire encore ! Flippant ! Il lève un doigt long et fin et le tourne vers Whouna.

 

-        Que fait Ajmanalgaialu ici, yamanahe ?

-        Qui ?

 

Je fronce les sourcils. C’est qui encore machin chose ? Ne me dites pas qu’il y a en prime un esprit au nom impossible ici avec nous que je ne vois pas ? Où est ce crétinisé du bulbe de Ned ? Jamais là quand on a besoin d’un support mental.

 

-        Ma douce, je suis présent, mais ne puis t’être d’une grande aide. Celui que l’on nomme Whouna et anciennement Ajmanalgaialu est plus à même de résoudre cette situation conflictuelle que moi.

-        Tu le connais ?

-        Oui. Il est l’un des Primordiaux de la Vie et de la Mort.

-        Tu veux dire un Eternel ?

-        Tu apprends vite, ma très douce. C’est l’un de ceux-là. Le plus ancien aussi.

-        Moi, je suis pas bien vieille à côté de lui, alors que puis-je faire ?

-        L’aider à ne pas perdre sa mémoire qui est ce qui unit les liens temporels dans la Vie et dans la Mort.

-        Comment ?

-        Il ne m’appartient pas de te le dire, mais tu le sauras en temps utiles. C’est un privilège de pouvoir le côtoyer.

-        Tu l’admires ?

-        Je l’aime aussi. C’est une part de ce que j’ai été et suis.

-        OK ! Je pige que dalle, mais ce n’est pas nouveau. Tu restes pour la suite des réjouissances ?

-        Je suis là avec toi toujours, même si ma présence ne t’est pas toujours perceptible.

-        Merci. Je suppose…

 

Je pose les yeux sur les trois hommes, à défaut de trouver un terme plus adéquat pour les appeler. Ils me regardent avec intérêt.

 

-        Quoi ?

-        Était-ce Ayauhcozamatl avec qui tu conversais, petite Vera ?

-        Qui ?

-        Il veut dire Ned, mon aimée.

-        Ah oui ! Vous le connaissez, Whouna ?

-        Ne l’appelle pas comme cela, yamanahe. C’est Ajmanalgaialu, un nom que j’espérais ne plus jamais entendre et surtout ne plus jamais revoir !

 

Il y a tant de haine et de rage frustrée dans le ton de Glorios que je déglutis péniblement. Whouna me regarde avec une lueur de douleur dans ces étranges yeux.

 

-        Je connais celui que tu nommes Ned.

-        Il m’a dit qu’il vous aimait et vous admirait.

-        Oui.

-        C’est parce qu’il ne connait pas l’engeance que vous êtes, Ajmanalgaialu !

 

Je regarde avec effroi Glorios. Je ne l’ai jamais vu comme cela. Je fais un pas pour m’approcher de Glorios. Je sais que sous toute cette fureur à peine maîtrisée il y a une souffrance très réelle.

 

-       Non, mon aimée ! Reste où tu es ! Ne t’approche pas ! Whouna te protègera s’il arrive quoi que ce soit, mais reste là…

-       Je ne comprends pas ? Que se passe-t-il, mon amour?

 

Glorios pousse une sorte de rugissement. Je me recroqueville sur moi-même. Une seconde plus tard, Whouna me tient derrière lui.

 

-        Glorios, non !

 

Mikaïl le retient fermement. Je les vois parfaitement en me tenant derrière le bras de Whouna.

 

-       Glorios, mon amour, je ne comprends pas ce qui se passe. Je t’en supplie, j’ai besoin de savoir, s’il te plaît… je t’en prie… je commence à avoir peur…

 

Je mets dans ma voix mentale toute la tendresse que j’ai pour Glorios, priant pour que cela soit suffisant. J’entends Glorios pousser un long soupir.

 

-        Lâche-moi, Koshka ! Je vais me comporter en être civilisé !

 

Glorios crache les derniers mots. Je pose la main sur le bras de Whouna en le contournant.

 

-        Merci, Whouna, je crois que nous pouvons nous asseoir et converser...

 

L’air ambiant est à couper au couteau. Nous nous asseyons, Glorios se maîtrisant à grand peine. Whouna reste à côté de moi, mais ne prend pas place sur un siège. Sa pose préférée en somme, si j’ai bien compris. Mikaïl reste auprès de Glorios.

 

-        Je… si vous pouviez m’expliquer ce qui se passe

 

 

 

 

9.

            La plaine est froide. L’hiver est bientôt là. Les intempéries et les violences naturelles ont cessé depuis peu. La terre à perte de vue n’est qu’un assemblage de terrains accidentés. Où que les yeux de Glorios le portent, il n’y a que chaos et désolation. Il se met en route. Il doit trouver un gîte avant la tombée de la nuit, un où il sera en sécurité autant que faire se peut. Il doit aussi trouver quelque chose à se mettre sous la dent. Quelque chose qui a du sang chaud, de préférence. Depuis l’aube, il n’a rien trouvé de semblable. Son flair l’aurait débusqué en toute sécurité. Le ciel est un mélange de bleu superposé et de grandes zébrures rougeoyantes et fulgurantes. Certains endroits de l’immensité céleste est d’un noir d’encre menaçant. Glorios arrive devant une cavité qui semble suffisamment profonde. Il ne craint pas qu’un prédateur s’y trouve déjà, il n’a pas encore trouvé un qui soit plus fort que lui. Sa nature bengaroush (un prédateur à longue durée de vie, similaire à un ancêtre de garou félin) le maintien en vie. L’endroit est sec et assez bien conservé, suffisamment pour qu’il s’y sente à l’abri, c’est tout ce qu’il demande.

            Il s’installe du mieux qu’il peut. Le sommeil n’est jamais très profond, garantie de sa survie. Durant la nuit, il sent une présence dans l’espace qu’il s’est alloué. Il sourit dans l’ombre. Peut-être un repas s’est-il invité chez lui ? Une sorte de luminescence semble irradié de l’intrus. Glorios n’a pas peur. Il connaît sa force et sa puissance. Il hume l’air et ne reconnaît pas l’odeur que dégage la proie. Il croît reconnaître des senteurs salines, comme lorsqu’il est passé près d’une étendue violente, mouvante et de la même couleur que les cieux. Il lui semble détecter quelque chose de la terre, de la pierre et de végétal dans cet être. Il n’entend pas de battements de cœur, mais il sait que c’est vivant. Le halo qui enveloppe la présence dans son habitat provisoire ressemble à ces zones de nuages bas et filants qu’il a traversé durant quelques kilomètres dans une terre plus au nord. Il n’a jamais rien vu de tel ailleurs, mais il ne craint pas cet individu.

 

-        Bengaroush…

 

La voix de l’intrus est harmonieuse, si rauque aussi et si douce qu’il est attiré inexorablement par elle. Glorios ne bouge pas, le dos calé contre le mur de roches inégales tout au fond de la petite grotte. Il voit l’entrée derrière la grande forme humaine, une bouche obscure et immobile, reflet d’une nuit qui retient son souffle. Des ondes de vents violents se profilent déjà dans le lointain. La pluie ne va pas tardé. 

-        Tu es fort et serein. J’ai besoin de toi…

 

Glorios comprends ce qu’il lui dit de cette voix si fluide, si envoûtante. Il lui parle la langue des siens, avec un accent d’ailleurs. Glorios ne bouge pas, il attend son moment. La présence finira par s’approcher de lui et alors il pourra l’attaquer et le vaincre. La patience est la base de la nature des siens. L’homme avance vers lui sans faire de bruit. Son pas est presque dansant, confiant, digne. Glorios l’admire, mais ne se fie pas. Il n’a jamais rien vu de pareil. « L’inconnu est d’abord un ennemi avant de le connaître et de l’accepter ». C’est une devise des siens. L’homme se place à deux mètres de lui. Juste à bonne distance pour que Glorios lui saute dessus avec une force létale. Il voit mieux les traits de son futur repas. Il est magnifique et semble très propre. Glorios aime que ses repas ne sentent pas déjà la charogne avant d’être mort. Il a dû se contenter de ces mets depuis trop longtemps pour ne pas savoir ce qui lui met l’eau à la bouche. Le futur mort s’accroupit. Glorios ne bouge toujours pas. La manœuvre de son vis-à-vis lui échappe. Il devient plus facile à chasser ainsi, ne le sait-il pas ?

 

-        Comment te nomme-t-on ?

 

La voix est tendre et chatoyante et le nuage autour de lui devient plus scintillant au point de donner une légère lueur à la cavité pierreuse. Glorios lui répond malgré lui. Que lui prend-il ?

 

-        Glantachosk…

-        « Vent de mort furtif »… Cela te va bien. Moi, c’est Ajmanalgaialu…

 

Glorios ne reconnaît pas le nom. Il sait qu’il y a d’autres êtres dans des terres, ailleurs. Il n’en connaît pas beaucoup. Avec le temps, il sait qu’il en trouvera d’autres. Ses pas le portent bien à travers les contrées pour qu’il le sache bien.

 

-        Comme je te disais, j’ai besoin de toi… m’accorderas-tu ta confiance et ton aide, Glantachosk ?

 

Ce que dit l’homme est étrange. Tout en lui est bizarre. Surtout ces yeux. Il n’a rien vu de semblable. On dirait qu’il y a plusieurs yeux en un ou tous les yeux de la création. Glorios ne sait pas, mais cela le fascine. Il lui répond encore. Quand est-il devenu si bavard ?

 

-        Je ne sais pas si je peux, Ajmanalgaialu…

-        Je crois pouvoir dire que tu le peux… il le faut, je ne peux plus attendre…

 

Ajmanalgaialu lui sourit avec gentillesse et en une fraction de seconde, Glorios sent que l’homme s’insinue en lui avec dextérité et y dépose la semence d’une vie. Glorios suffoque, il se raidit, mais il ne peut rien faire contre ce que Ajmanalgaialu lui fait. Il hurle de douleur, pas tant pour la douleur qui n’est pas très grande, il a connu pire, mais parce qu’il ne sait pas ce que son vis-à-vis lui fait. Il sent quelque chose s’adapter à sa nature, prendre un espace qu’il ne savait pas posséder et se mêler avec son bengaroush et ses autres essences. Le regard de l’homme ne le quitte à aucun moment. C’est la seule chose que Glorios maintient hors de lui comme une sécurité. Son cerveau procède à ces différences avec une rapidité foudroyante, son âme se cabre avant de hurler une libération. Glorios ferme les yeux. Lorsqu’il les ouvre une clarté diffuse est dans la grotte. L’aube est là, Glorios le sait. Il ne sait pas combien de temps il est resté inerte, comme mort. Il est seul. Il l’a su au moment d’ouvrir les yeux. Il lève son bras et constate que sa forme n’est pas celle qu’il a d’habitude. Il se sent fiévreux et glacé, aussi épuisé qu’un nouveau-né. Il ne sait pas qui il est, ni ce qu’il est, mais il sait qu’il n’est pas ce qu’il est d’habitude, ni sous sa forme humaine, ni sous sa forme bengaroush. Il sombre dans la nuit de son âme, puis revient à l’éveil du jour. Il tremble, jure et pleure. Il se sent abandonné, trahi et isolé comme jamais, sans savoir ce qu’il doit faire. Il délire et hurle « Ajmanalgaialu » dans son esprit et quelquefois de vive voix. La cavité lui renvoie le nom avec violence et ironie. Il ne sait rien des cycles des jours et des nuits qui traversent sa folie et sa souffrance, il sait juste qu’il est seul, totalement seul comme jamais.

            Un matin il a ouvert les yeux. L’aube était là. Il a senti le crépitement des gouttes d’eau ricocher sur tout avec frénésie. Il s’est traîné jusqu’à l’entrée. Il a reconnu ses mains d’humains affaiblis par les jours précédents. Il a sorti malhabilement son corps nu dehors, sa peau de bête est en lambeaux ensanglantés au fond de la cavité. Il reste prostré, laissant la violence des éléments liquides le noyer sous sa cadence. Il ouvre la bouche et boit le divin nectar. Un soupçon d’énergie sourd des pores de sa peau. Sa forme de bengaroush se déploie lentement. Sa gueule s’ouvre démesurément et il hurle durant plusieurs minutes avant de sombrer à nouveau dans les ténèbres.

 

 


10.

 

            Personne ne bouge. Nous avons tous vu ce que Glorios a vécu. Je sais que je pleure, mais silencieusement. C’est un peu trop téléphoné, je sais, mais je ne peux pas m’en empêcher. Son histoire, c’est un peu comme si une mère laissait un nouveau-né tout seul. Inadmissible ! Glorios n’a pas cessé de regarder Whouna. Je sais qu’entre eux quelque chose de fort est passé. Je me tourne vers Glorios et presse mon visage contre la paume de sa main.

 

-        Je… je suis désolée, Glo…tellement ! C’est… je peux imaginer ce que c’était, mais… peut-être Whouna a une explication…

 

Je sais ! Pathétique ! Toujours ce désir de jouer à l’avocat du diable, les intermédiaires, l’église au milieu du village, le modus vivendi parfait ! Choisissez le terme… Que voulez-vous que je vous dise ? Je n’arrive pas à sortir un flingue ou un couteau, enfin une arme et commencer à demander un semblant de paix dans un conflit comme ça ! Je ne peux pas ! Diplomate ? Ouais, c’est ça ! Et mes chaussettes savent danser la lambada toutes seules aussi peut-être ? Trois paires d’yeux me fixent du regard et je déglutis. OK ! Ce n’était pas très malin, mais je ziever à donf quand je stresse, plus fort que moi, sorry !

 

-        Désolée… je… vous vous souvenez de cette histoire, enfin je veux dire de cet acte, Whouna…

-        Oui. Si Glorios l’accepte, j’aimerais lui expliquer. Je devrais te présenter des excuses, mais cela ne ferait qu’attiser ton juste courroux, Glantachosk…

-        Glorios ! Mon nom est Glorios maintenant, ne l’oublie pas celui que l’on nomme Whouna ! M’as-tu menti aussi en te présentant sous le nom d Ajmanalgaialu ?

-        Non. C’est aussi mon nom. La difficulté de sa prononciation a donné lieu à cet autre nom, Whouna. J’en ai eu bien d’autres comme toi, Trasmioni,

 

Durant deux minutes, Whouna cite les patronymes de Glorios et ensuite de Mikaïl avec une tranquillité qui fout les j’tons ! Flippant ! Lorsqu’il termine la litanie, je suis vidée.

 

-        Finalement, Vera Lux, c’est court, mais bien suffisant. C’est dingue, ça ! Et vous vous souvenez de tous vos noms ou prénoms ou patronymes, enfin, de toutes vos appellations ?

-        Ma foi, mon aimée, maintenant que tu le dis, j’ai un peu de doute sur certains. Ce furent tant et tant d’époques différentes…

 

Glorios regarde toujours aussi fixement Whouna qui lui rend son regard. Puis d’un coup, Glorios laisse tomber les épaules et se passe une main sur le visage.

 

-        Pourquoi ?

 

Whouna regarde Glorios et je sens une vague de tendresse se diriger vers celui qui est en somme son fils.

 

-        Le yengo a été ma première création vivante. Nous avons eu des millions d’années de rapports. Lorsque la terre fut mise à feu et à sang, beaucoup d’eux périrent, comme tant d’autres espèces, natures et essences vivantes et également Outre-Vivant. Les…

 

Alors là, ne me demandez pas de transcrire, aucune idée de ce qu’il vient de dire. Je sais juste – et ne me demandez pas comment je le sais, j’en sais foutrement rien, merde ! – que c’est le nom de ce qu’est aussi Whouna, un Eternel.

 

-        … avons fait ce que nous pouvions, mais nul ne saurait détourner le cours de l’Univers à travers son enfant, la Nature. Nous avons pu sauver quelques espèces, mettre à l’abri certaines essences et natures. Nous savions que le temps remettrait la Terre en état de Vie et de Mort selon les cycles en vigueur. Cependant, le dernier yengo allait expirer et j’ai fait preuve d’arrogance. Tant d’espèces avaient disparues durant les cataclysmes que j’aurais dû en faire ma raison, je n’ai pas pu. J’ai erré durant plusieurs jours avant de te rencontrer, Glorios. J’ai su qui tu étais au moment où je t’ai perçu. J’ai compris que tu pourrais garder en toi celui qui fut mon premier enfant, le yengo. J’ai ajouté d’autres habiletés en toi et d’autres essences qui t’ont servi, je le crois, durant ton existence et avant durant ton laps de temps de vie.

-        Si c’était si important pour toi, pourquoi m’as-tu abandonné à un sort plus qu’improbable ?

-        Ta question est juste et je ne l’aurais pas fait en toute autre circonstance. Mais ma compagne a péri lors des ravages qui sévissaient sur notre lieu de naissance. Lorsque je t’ai quitté, la mort dans l’âme, je la savais mourante.

-        Mais vous êtes éternels ? Comment pouvez-vous mourir, alors ?

-        Rien ne reste éternellement, petite Vera. Si rien ne disparaît vraiment, la Mort est toujours présente à un moment ou à un autre.

-        Oh ! Je comprends maintenant quand tu m’as dit que tu faisais partie de la nature de la Vie et de la Mort. Je suis désolée pour votre compagne, Whouna. Je ne vais pas vous demander comment elle s’appelle, je crois que j’ai assez donné dans la comprenure des noms. Enfin, je veux dire, vous pouvez, mais si vous me pardonnez de ne pas m’en souvenir d’emblée, ni de le prononcer correctement.

-        Je le comprends. Son nom était Gaïna…

-        Oh ! C’est très beau et…

 

Je m’interromps. Glorios vient d’avoir cette attitude digne d’une statue. Il ne regarde rien en particulier durant de longues secondes où personne ne dit rien. Je blêmis horriblement et je me sens nauséeuse tout à coup. Un brouillon plus tard Mikaïl m’entraîne à sa suite dans la toilette la plus proche où je déverse le contenu de mon estomac. Ça m’apprendra à grignoter à pas d’heure, tiens !

 

 

11.

 

            Quelques minutes plus tard, je suis de retour dans mon hamac de l’autre véranda, après un lavage buccal au complet. Whouna m’a ausculté sans me toucher. Je sais ! C’est illogique, mais l’autre mot c’est me faire scanner et c’est encore plus bizarroïde, pourtant c’est bien la sensation. D’après lui, je vais bien. Alors ? Glorios s’est installé contre moi dans le large hamac. Je me retrouve bientôt sur lui totalement enveloppée de son grand corps et de sa tiédeur. Il me caresse partout fébrilement et je le sais très inquiet et aussi coupable. De quoi ? Ce n’est pas parce que je suis un peu patraque qu’il doit se sentir coupable. OK ! C’est un peu du grand n’importe quoi depuis des mois, mais je fais avec et puis, « Je ne regrette rien de ce que je vis, au contraire, alors stop du mea culpa versus Grand CV ! » J’entends un petit rire provenant de Mikaïl assis non loin de nous. Whouna est debout, les mains croisées devant lui et nous regarde avec un mélange d’affection et de flegme. Je ne dois pas oublier qu’il est… enfin, qu’il est… autrement. Glorios pousse un profond soupir et pose son visage contre mon cou. Il aspire profondément et mon corps réagit violemment. J’ai toujours tellement envie de lui. Davantage au fur et à mesure que le temps passe. C’est normal ?

 

-        Yamanahe…

 

Les mots glissent sur ma peau comme une caresse et j’en frémis toute entière.

 

-        Je suis désolé…

 

Je ne vois pas de quoi, mais admettons !

 

-        Tu ne comprends pas… ton malaise, c’est entièrement de ma faute.

 

Okido ! Le truc de la culpabilité, ça me gonfle à donf !

 

-        Ne dis pas de bêtise ! C’est juste le stress. Pas de quoi flipper, mon amour.

-        Non ! Ce n’est pas cela… je… lorsque je suis en colère, j’ai la capacité de rendre malade les personnes de mon entourage, surtout les vivants.

 

Comment ça ? Il peut programmer des séances de vomissement sur commande ? C’est une blague, non ?

 

-        Non, mayama. L’une de mes essences me permet de déclencher des malaises extrêmes…

-        Oh non !

 

Mikaïl s’est penché au-dessus de nous d’un mouvement si preste que je n’ai rien vu venir.

 

-        Sors de là, bougre d’imbécile ! J’avais entendu des échos sur cette habileté après la prise de pouvoir à la Cour d’Armouskan, mais je pensais que c’était encore une légende pour…

-        Non ! C’est vrai. Je me trouvais là-bas et tout est vrai.

 

Mikaïl agrippe Glorios et l’éjecte du transat. Il projette Glorios contre le double vitrage avec tellement de violence que celui-ci s’effrite et finit par se rompre dans un bruit assourdissant. Et merde ! Ils m’ont foutu en l’air la véranda ! Ça va chauffer dans les chaumières, là ! J’essaie de sortir lestement du lit mobile, mais je n’arrive qu’à m’empêtrer tant mon désir de m’en prendre à mes deux Grand CV est vivace ! Whouna m’aide à sortir. Je le remercie, mais au moment où je vais m’engager pour rejoindre l’espèce de mouvement abstrait qui se tient dans le jardin, il me retient doucement.

 

-        Non, petite Vera. Laisse-les. C’est un contentieux qui doit se vider de sa propre fureur.

-        Génial ! T’as vu c’qu’ils ont fait à MA véranda ! Je les ai prévenu gentiment qu’il ne pouvait pas toucher à ma maison, mais non ! Tu peux m’expliquer le truc de « la sagesse vient avec l’âge » ? Parce que franchement, vu leurs âges, c’est vraiment déplorable ! Et je te préviens, si jamais ils me saccagent le jardin, mettant à bas tout le boulot de mon cher voisin, Monsieur Gaston, une personne si gentille et si charmante, je te les écrabouille, je te les écrase, je te les distorsionné, je te les zigouille comme des vilains pas beaux cafards qu’ils sont!

 

Whouna a un rire bas. Je suis furibarde. CV de CV ! Je comprends mieux Anita Blake, mon héroïne préférée de la sublimissime Laurell K Hamilton, quand elle doit composer avec tous ces concentrés de testostérone en furie ! Quand je pense qu’on nous accuse, dès qu’on est un chouïa irritée, d’être dominée par nos règles, il y a de quoi se flinguer, merde !

 

-        Ne t’inquiète pas, petite Vera. Rien de tel ne t’affligera d’ici quelques heures. Vient te restaurer. Je crois que tu désires partir à ton travail à l’heure habituelle ?

-        Ben oui, mais avec les deux couillons se castagnant à vitesse supersonique, je me le demande.

-        Tu ne dois pas. Ils vont se calmer.

-        Ben t’es optimiste, toi alors et…

 

Je m’arrête de parler ! Merde ! Je tutoie un Eternel ! C’est quoi mon problème à la fin ?

 

-        Ma petite Vera, je t’en prie, ce serait un honneur pour moi que tu me tutoies. Voilà bien longtemps que je ne me sentais plus aussi bien.

-        Vivant ?

-        C’est sans doute la sensation. Oui, sans doute. Viens. Je vais te préparer ce qui te permettra de partir d’un bon pied vers ce lieu que tu affectionnes tant chaque mâtinée de la semaine… ouvrable ? Est-ce bien le terme ?

-        Oui, tout à fait. Tu as raison ! Qu’ils s’en mettent plein les trognes, après cela, ils seront plus calmes. Enfin… J’espère, quoi ! Ah j’t’jur’bien qu’des fois…

 

Whouna a encore un rire bas, alors qu’il me prend doucement le coude. J’ai remarqué qu’il avait souvent de ces petits gestes comme si me toucher lui transmettait quelque chose. Rien de sexuel, mais c’est comme si cela lui donnait un vrai moment de bonheur. Je ne suis pas contre. Mes grands-parents me touchaient souvent comme cela en me parlant, en passant près de moi, des petits gestes d’affection, une manière de tenir toujours vivant le lien qui nous unissait. Je souris et lui retire mon coude afin de passer mon bras sous le sien. Il s’arrête, manifestement surpris, puis me sourit. J’en reste la bouche ouverte. C’est tellement merveilleux ! Il est la perfection incarnée, sans l’être vraiment et c’est de toute beauté. Je rougis violemment en regardant par terre. Et c’est là que je les vois. Trois petites gouttes d’eau, la marque de Polinius, mon âme damnée, autrement dit, mon esprit attitré qui vient comme cela chez moi quand il veut et comme il veut ! Ces trois gouttes sont en quelque sorte sa carte de visite. Il a 1796 ans d’après ce que Ned m’a dit, mais je n’en sais pas beaucoup plus. Il ne me parle jamais, ni ne me fait sentir rien de ce qu’un autre esprit pourrait. C’est flippant ! Le pire : je ne sais jamais pourquoi il vient et ce qu’il attend de moi. Peut-être rien, mais bon, vous m’excuserez d’être hyper parano et sceptique ! Depuis que je « fréquente » les Outre-Vivant, il y a toujours eu une bonne raison, selon leurs critères, d’appliquer le « quelque chose pour quelque chose en retour ! »

            Lorsqu’on nous entrons dans la cuisine, celle-ci a peu de lampes allumées, suffisamment pour que je m’y repère et j’apprécie cela. Il y a une collation qui m’attend sur la table. Je suis à peine surprise. Whouna n’est pas du genre à se mettre aux fourneaux, même si avec lui tout est possible. Je m’assois devant les délicatesses qui me sont proposées et mon ventre grogne. Très sexy ! Je prends un petit sandwich au fromage blanc et déguste une petite bouchée. Divin, mon formage blanc préféré ! Je mastique lentement, avale ma bouchée.

 

-        Tu ne saurais pas par hasard le pourquoi du comment du différend de mes deux CV d’amour ?

-        Si fait, je connais l’histoire.

-        Ah ! Et tu serais partant pour m’éclairer ?

-        As-tu besoin de plus de lumière pour entendre l’histoire, petite Vera ?

-        Non ! Je veux dire… voudrais-tu me la raconter ?

-        Ah bien ! Avec grand plaisir. Je pense que mon point de vue plus neutre te permettra de mieux cerner ce qui a débouché sur cette querelle.

-        Merci… et… tu pourrais aussi me rendre un autre service ?

-        C’est comme si c’était fait, ma petite Vera.

-        Tu peux éviter que mes deux amours ne se tuent ? Je… ils m’énervent des fois, mais je ne veux pas qu’ils s’entretuent. J’ai besoin d’eux dans ma vie…

-        N’aies crainte, ils n’iront pas aussi loin. Ils s’aiment aussi, cela devrait les aider à ne pas aller trop loin. Mais je garde un œil sur eux, tu peux être rassurée.

 

Et je le suis. Il a vraiment un œil sur eux, c’est bizarre à dire, mais c’est la réalité. Je veux dire quelque chose, mais… c’est autre chose qui sort.

 

-         Tu connais Polinius ?

-        Nous avons eu une conversation intéressante.

-        Il parle ? Parce qu’avec moi, c’est motus et bouche cousue ! Enfin  pas que les esprits sont du genre à causer, mais je peux communiquer avec eux un peu… pas autant que Riley Jenson de Keri Arthur  ou la merveilleuse Charley Davidson de Darynda Jones qui arrive à parler avec les esprits des morts, mais j’arrive à percevoir certaines choses d’eux.

-        Je comprends. Polinius se plaît chez toi. Il s’est proclamé ton protecteur et celui de ta demeure.

-        Ah bon ! Une sorte d’alarme de l’Au-delà ?

-        J’imagine qu’il apprécierait cette appellation. 

-        Tant mieux alors ! Je ne voudrais pas le vexer. C’est pas un dieu lare, des fois ?

-        Nullement. Ceux-ci ne pratiquent plus depuis que les croyants ont disparus.

-        Ah ! C’est triste, je trouve. Mais… Pourquoi t’a-t-il parlé ?

-        Il me connaît et a cru bon de me présenter ses hommages.

-        Ah ! Je comprends.

 

Que dalle ! Mais on ne va pas en faire tout un fromage, hein !

 

-        Mange tranquillement, je vais te raconter l’histoire qui a débouché après tant de temps sur cette dispute…

-        Dis bagarre, c’est le terme ! Affligeant ! Vraiment pathétique ! Niveau pré-gardienne, même et encore !

 

Il me sourit et ne relève pas. Son repas est vraiment…

 

 

 

12.

 

            Whouna s’est installé près de la table et me regarde avec tendresse pendant que je m’empiffre. J’ai l’impression de sentir les kilos tomber à grande vitesse sur mes hanches et sur mes fesses, mais c’est tellement bon… Whouna se passe la main sur le menton et cela me fait penser au geste de mon grand-père quand il rassemblait ses pensées ou ses souvenirs. J’en souris. Curieux, mais depuis la photo jaunie donnée par Dan et son père, je ressens plus de félicité que de peine en pensant à mon grand-père, comme si cela me consolait vraiment de sa perte.

 

-        Armouskan… Le premier de sa lignée, si elle avait survécu. Cela s’est passé il y a deux milles sept cent septante-sept ans, dans une région proche de l’Inde actuelle. Celle-ci était prospère et Armouskan, en homme habile, charismatique et visionnaire, voulait créer une ville qui ne serait nullement pareille à celles d’alors. Il voulait une ville de paix, de prospérité où il ferait bon y vivre. Une ville d’accueil aussi pour tous ceux qui voulait une autre façon de vivre. Il lui a fallu vingt ans pour arriver à la réaliser, ce qui semble très court par les temps qui courent, mais pas alors où l’espérance de vie était très éphémère. La notoriété s’étendit très rapidement. Arrivant de toutes parts plusieurs personnes venaient pour visiter ou s’installer. Armouskan était fier de sa création. Pourtant… L’ambition d’Armouskan ne fit pas que des heureux comme tu peux t’en douter.

 

Je hoche la tête en savourant une couke au chocolat qui est un véritable pousse au crime. Je me retiens de gémir de plaisir, cela serait gênant. Pour moi surtout. Whouna en a vu des vertes et des pas mûres, ce qui doit l’avoir « curado de espantos » (guéri d’épouvantes), comme disait ma grand-mère.

 

-        Moui… j’imagine… tu ne veux vraiment pas manger un peu ? A moins que tu ne puisses pas compte-tenu de ta nature…

-        Je peux manger, mais voir manger les autres est presque toujours un réel plaisir.

-        Oh ! Alors, tu es comme Jean-Claude, l’amour d’Anita Blake, la série de Laurell K. Hamilton !

-        Si tu le penses…

 

Il a un rire dans les yeux et je succombe pleinement à son charme. Il est si époustouflant…

 

-        Désolée, continue ton histoire, c’est fascinant, je peux presque voir cette cité…

-        Tu le pourrais si je redeviens un « miroir »…

-        Oh non ! Maintenant que je te vois comme tu es…

-        Bien ! Je vais donc m’efforcer de te décrire ce bout d’Histoire au mieux… Les ennemis         d’Armouskan ne tardèrent pas à s’allier. Il était hors de question de laisser une telle société nouvelle s’installer, d’autant que ses richesses devinrent innombrables. Les logements étaient de véritables petits bijoux architecturaux et les jardins n’avaient de comparaison qu’avec ceux de Babylone, quoi que différents de ces derniers. Il avait réussi à donner à chaque coin et recoin de la ville un faste et une simplicité qui prenait à l’œil et au cœur. Chaque personne ne pouvait qu’être charmée. Les biens matériels se comptaient plus par ce faste si peu ostentatoire que par une grande capacité typique de ces lieux. On y trouvait des herbes et autres potions très rares qui permettaient santé et longévité. C’était là bien sûr leur plus grand atout et le plus convoité. Les ennemis ne tardèrent pas à l’envier et le désir de pouvoir peut oblitérer toute pensée intelligente. La ville n’était pas démunie, peu s’en faut ! Armouskan en homme sage, en vraie tacticien et de surcroît d’une intelligence sagace, subtile et pleine d’anticipation, avait créé une milice à la mesure de son ambition et de sa ville. Celle-ci bien entraînée était redoutable et cela se savait aussi. Mais la soif de suprématie peut plus et bientôt une armée fut levée pour aller sus à Armouskan. C’est à ce moment-là, alors que les temps sont incertains et les menaces claires et moins claires confinant à la paranoïa, que Glorios décida de venir dans la ville pour aider Armouskan. Hélas, alors que la cité accueillait toujours avec bienveillance les visiteurs, Glorios ne bénéficia pas de celle-ci. Grâce à un composé létal pour un vivant, mais semble-t-il efficace pour les existants, ils réussirent à immobiliser durant quelques minutes Glorios et l’entravèrent avec des chaînes qui pouvaient retenir les plus féroces animaux. Lorsque Glorios reprit conscience, il n’eut aucun mal à briser ses chaînes, mais sa colère fut telle qu’il libéra une de ses essences les plus surprenantes.

-        Rendre les autres malades…

-        Oui. Il peut le faire pour tout vivant à un kilomètre à la ronde à peu près. Il s’ensuivit que les membres de la milice et bien d’autres furent pris d’horribles nausées et… je te passe les détails les plus scabreux, ma petite Vera… juste te dire que cela fut une tragédie. L’armée levée par Drastakan, le pire ennemi d’Armouskan, arriva alors et… ce fut un massacre. Lorsque Glorios en prit conscience il changeât de nature, il prit celle d’un Mortaskolias…

-        Pas le yengo ?

-        Non. Comme tu le sais, les Outre-Vivant drainent l’énergie de ceux de leur nature lorsqu’ils se transforment, ce qui n’est pas un problème lorsqu’une nature est composée d’une grande communauté. Le yengo ne pouvait drainer que très peu d’énergie compte-tenu du petit nombre que compte sa communauté, ce qui l’aurait affaibli et tué sans nul doute à cette époque. Le Mortaskolias était  une nature très répandue alors…

-        Plus maintenant ?

-        Oui. Il en reste un assez grand nombre de par le monde, quoi que bien moindre qu’à l’époque.

-        Glorios les connaît ?

-        Oui, si on peut dire. Disons qu’ils se maintiennent en contact…

-        A quoi cela ressemble-t-il ?

-        Prends ma main.

 

Je la lui tends et il s’en empare avec douceur. Aussitôt je vois dans mon esprit une image d’un… être extraordinairement splendide et terrifiant. Il doit mesurer dans les trois mètres d’envergure, un poil ras de couleur cendré, un visage plutôt humanoïde, des yeux d’un vert d’eau presque translucide et des muscles puissants qui roulent sous la peau. Il se tient sur deux pattes, mais aussi sur quatre selon la situation rencontrée. Il est attirant et effrayant. Le genre à ne jamais rencontrer ni au calme ni surtout furieux !

 

-        Je vois. Plutôt… Wouh !

-        Comme tu dis. Glorios a fait ce qu’il pouvait, mais il était submergé par la masse. Alors il a décidé de sauver ceux qu’ils pouvaient. Une des caractéristiques du Mortaskolias est de pouvoir mettre à l’abri les personnes ou les animaux en les faisant passer dans une sorte de plan de réalité intermédiaire, le temps de revenir dans la réalité terrestre ailleurs. Il réussit à sauver près de sept cents septante des deux milles septante-sept personnes que comptait la cité. La balance entre tués et survivants semblent très inégale, mais il ne pouvait pas faire mieux, d’autant que Drastakan ne voulait pas faire de prisonniers comme c’est souvent le cas, ne fut-ce que pour ramener comme butin de guerre de futurs esclaves pour sa ville. Il désirait annihiler la cité d’Armouskan afin d’en faire un exemple. Et ce le fut sans nul doute. L’autre but de ce tyran était de faire main basse sur les plantes et autres remèdes, mais Glorios lui coupa l’herbe sous les pieds en s’emparant de tout ce qu’il pouvait de la Maison de la Vie, comme il nommait le lieu où ils concoctaient leurs potions.

-        Et les survivants ?

-        Glorios les emmena dans une plaine fertile et il passa une vingtaine d’années à les aider à édifier un village. Il les mena là où le pouvoir de Drastakan ne pouvait arriver. On ne voyageait pas si aisément qu’aujourd’hui, sans parler que la terre n’était pas si peuplée que cela. Les moyens de véhiculer les nouvelles n’étaient pas non plus si efficaces. Quoi qu’il en soit, les survivants ne tenaient pas à parler de leurs origines. Ils s’attelèrent à recommencer à vivre. Et ils y réussirent.

-        Ils existent toujours… je veux dire le village et les descendants…

-        Oui. D’ailleurs une de leur légende les plus archaïques et les plus narrées encore aujourd’hui, est celle d’un merveilleux mécène qui les aida à bâtir la ville, les protégeât et réussit à la faire très rapidement prospérer.

-        Waouh ! Laisse-moi deviner… ils parlent de Glorios !

-        Oui.

-        Check m’en cinq, Whouna !

 

Je lui présente la paume en avant. Il la regarde. Je fais venir une image de deux paumes qui se tapent dessus sans trop de force. Il sourit amplement et nous « chéquons » en riant. Il regarde sa main. Il semble perplexe.

 

-        Tu ne connaissais pas ça ?

-        Non.

 

J’ai tout à coup un autre flash.

 

-        Ce n’est pas seulement la perte de ta mémoire, mais c’est la difficulté que tu rencontres à emmagasiner de nouvelles informations, à cause de la vitesse à laquelle les choses changent formellement à tous les niveaux, n’est-ce pas.

-        Oui. Aussi étrange que cela paraisse, ma capacité à « emmagasiner » semble s’essouffler et cela devient préoccupant.

-        Mais comment fais-tu pour acquérir des infos, des connaissances ?

-        J’absorbe l’air du temps.

-        C’est possible ça ?

-        Oui. Du moins jusqu’à maintenant. Les vivants le font naturellement. Seule votre précarité temporelle et votre de fin de vie stoppe cette accumulation de connaissances.

-        Et pour les Outre-Vivant ?

-        C’est un peu différent. L’adaptation est pour les Outre-Vivant le moteur principal de rester dans le « vent ». Est-ce bien le terme ?

-        Oui. Tu peux dire « in » aussi !

-        In… Bien !

-        Et… Ce n’est pas le cas pour toi ?

-        Non.

-        Je ne suis pas certaine de bien saisir ce que tu me dis, Whouna…

 

Il me sourit et c’est comme une aube boréale, le matin du monde. Je déglutis fortement. Il a beau être quelques millions de fois plus vieux que Mathusalem, il reste à mes yeux aussi jeune et vulnérable qu’un tout petit enfant. Je lui serre les deux mains fortement en le regardant bien en face.

 

-        T’inquiètes pas, Whouna, on trouvera une solution. Il n’y a que la mort qui n’en a pas. Et à ce niveau-là, tu n’as aucune inquiétude à avoir, alors, on trouvera.

 

Nous restons à nous fixer du regard un temps indéfinis. Maintenant je sais que je ferai tout pour l’aider. Il a beau être d’une nature indéterminée, pour moi, c’est devenu un des miens et je veille toujours sur chacun d’eux.

 

-        Alors pourquoi Mikaïl est si furieux ?

-        Il était en chemin pour aider la ville à résister à Drastakan. Il pensait arriver plus tôt aussi. Il a toujours été très intéressé par les plantes et les remèdes qui se sont concoctés au fil des siècles et des civilisations. Il est sans doute l’un de ceux qui a le plus parcouru le monde pour cette connaissance.

-        Plus que Mana ?

-        Non. Mana est le plus grand connaisseur à ce niveau-là, inégalé en connaissances, savoir et, cela, de tous temps. Mikaïl est arrivé peu après le départ des troupes de Drastakan. Il a trouvé une cité détruite et des cadavres par centaines. Il a aussi su ce qui était arrivé et…

-        … il a senti la nature de Glorios…

-        Non.

-        Mais, normalement, dans les livres que je lis, un vampire peut sentir si un autre vampire…

-        Mana aurait pu, mais pas Mikaïl. L’odeur du sang et d’autres senteurs ne lui permettaient pas de percevoir sa nature à travers celle qu’il avait prise. Il l’a appris d’un blessé qu’il a tenté de sauvé, mais il n’a pas pu. Cependant, Mikaïl a pu se faire une idée en sondant l’esprit du malheureux et d’après ses dires, de ce qui s’était passé. Ce n’est que plus tard, lorsque les rumeurs ont commencé à circuler sur cette boucherie, qu’il en est venu à soupçonner Glorios, d’autant qu’il connaissait sa nature de Mortaskolias. Ce n’est qu’aujourd’hui qu’il a fait le lien…

-        Mana connaît toute l’histoire ?

-        Oui. Il a aidé Glorios dans sa tâche et il a pu aussi se munir d’une partie de ce savoir avec lui.

-        Et Mikaïl n’en a jamais rien su ?

-        Il semblerait que non…

-        Oh ! Je comprends. Mais dommage que Mikaïl n’a jamais su ce que Glorios a fait. C’est tout de même un héros et c’est plutôt un malentendu au départ qu’une action délibérée qui a donné lieu à…

-        Qui est un héros, mon aimée ?

 

Je me retourne d’un bloc. Mikaïl arrive en coiffant ses merveilleux cheveux en arrière.

 

 

13.

 

            Je le regarde bouche bée. Il est magnifique et apparemment indemne. Je soupire discrètement. Il semble avoir pris une douche. Je sens mon corps s’éveiller à sa vue. Mon désir de lui plus serein n’en est pas moins aussi intense et puissant que celui que j’ai pour Glorios. Il a un bref sourire. Mon bassin se contracte violemment. Pas maintenant. Où est Glorios ? Il ne l’a pas…

 

-        Non, mayama, je suis là…

 

Il arrive, les cheveux emmêlés et le torse encore humide sous la fine chemise en lin. Mes amours gardent des effets personnels chez moi. C’est plus pratique. Apparemment ils ont réussi à ne pas s’entre tuer. Glorios sourit en me clignant de l’œil, insolent et magnifique. CV total, va ! Mikaïl m’embrasse tendrement et un brouillon plus tard, je suis assise sur les genoux de Glorios qui m’embrasse à pleine bouche. Comment font-ils un truc pareil ? Mikaïl est assis près de moi et sa main caresse nonchalamment ma cuisse. Le niveau de chaleur augmente dans mon corps. Comment arrive-t-il à m’allumer comme cela ? NON ! Je ne veux pas le savoir, juste en profiter à donf !

 

-        Donc, mayama, qui est un héros ?

-        Comme si tu ne le savais pas, Glo ! D’ailleurs c’est bien pour cela que vous ne vous êtes pas étripé à mort, hein ?

-        Je ne comprends pas bien, ma douce aimée. Nous avons décidé d’arrêter notre dispute, parce que ces évènements se sont passés voilà bien longtemps et que cela en devenait absurde…

-        Oh ! Je vois… Donc, Mi ne sait pas…

-        Si tu me le permets, ma petite Vera, des images animées seront plus parlantes…

-        Oh… D’accord !

 

En une fraction de seconde, le miroir est là remplaçant Whouna version humanoïde. Wouh ! Flippant à donf ! Mon regard se vrille sur la surface et la mer primordiale est là. Je m’approche d’elle comme une somnambule, totalement envoûtée, émerveillée. Je me sens m’intégrer en elle complètement, de la manière la plus étrange qui soit, comme si tout mon être et mon âme la reconnaissaient et revenaient en son sein. Le bonheur devient plus que chair, il est total, complet, juste. Je ferme les yeux et je dérive au gré des flots. Chaque onde est un lien qui me renvoie à moi-même tout en me gardant consciente de l’instant même, de ma vie même, de ce qui fait et de ce qui est moi. Mon corps m’apparait si solide et si évanescent que je me sens présente et absente, absorbée dans la perfection, dans la simplicité, dans ce qui est. Un rire muet s’insinue dans chaque cellule de ce que je suis. J’aime et suis aimée, je suis tout et rien. La mer primordiale devient ma mère de droit. Je suis ivre d’un instant magique. J’ouvre les yeux. Glorios est dans le même état que moi. Il est debout devant le miroir et je le vois se balancer doucement en un tempo interne qu’il est seul à entendre. Dans un kaléidoscope impalpable et brumeux, plusieurs de ses natures et essences apparaissent et disparaissent, se diluant en un patchwork étrange et magnifique. Seul Mikaïl semble souffrir. Il est aussi devant le miroir et sur son beau visage aux traits classiques se disputent mille émotions diverses et confuses. J’aimerais le prendre contre moi pour lui éviter tant de chagrin et ce regret vaguement coupable qui l’enveloppe peu à peu, mais ce serait malvenu de ma part. Il doit passer cet instant seul, face à face. Je ne serai qu’un témoin gênant et les témoins peuvent être comme les messagers ou les émissaires, très mal perçus et toujours peu acceptés, voire haïs, honnis ou carrément exterminés. Merci bien ! Je passe mon tour. Je tourne mon regard vers la mer primordiale et lentement la salue avec révérence et amour. Une sorte de halètement joyeux me répond. J’éclate de rire. Nous sommes connectées, je le sais et cela me rend à moi-même plus sûrement que tout le reste. J’ai un bref pincement de cœur en le pensant, mais c’est ce que je ressens et cela n’exclut en rien mes amours, mes indispensables, essentiels et irremplaçables compagnons de vie.

            Glorios s’est stabilisé et « solidifié ». Il me prend par la taille. Je me fonds dans son étreinte. Il m’embrasse le haut du crâne. Il  y a en lui une sérénité qui rejoint la mienne. Mikaïl se passe les mains sur le visage et je vois des traces rosâtres sur ses joues blêmes. Il se tourne vers nous et je sais ce qu’il s’apprête à faire.

 

-        Non !

 

Glorios a eu la même idée que moi et un brouillon plus tard, il soutient Mikaïl contre lui. Je n’ai rien vu du mouvement jusqu’à ce qu’ils soient là devant moi, enlacés fortement, Mikaïl essayant de fuir à nouveau, sans pouvoir. Je m’approche d’eux lentement, pas très sûre de moi.

 

-        S’il te plaît, Mikaïl, mon amour, ne pars pas. Pas comme cela… je ne peux pas l’encaisser, là…

 

Mikaïl me regarde, puis tends la main. Je la prends. Il me hale doucement contre lui, contre Glorios. Nous nous étreignons avec tendresse et inquiétude. Quelques minutes plus tard, nous sommes assis sur le fauteuil de la salle de séjour. Le silence est paisible. Un feu de bois brûle gaiement dans la cheminée et je ne me souviens pas de l’avoir allumé. Pourquoi demander ou me préoccuper ? Mikaïl se tourne vers Glorios. Mes yeux sont focalisés sur les flammes qui exercent sur moi le même pouvoir qu’une danse lancinante.

 

-        Il semble que je t’ai mal jugé, Matahi (l’aîné) et que je te doive des…

-        Non ! Nullement ! Tu dois ce que je te dois dans ce cas. Tu oublies également que ce massacre n’aurait jamais eu lieu si je n’avais pas laissé cette capacité essentielle avoir libre cours.

 

Je tourne mon visage vers Glorios en fronçant les sourcils.

 

-        M’enfin, Glo, ce n’était pas délibéré, un malheureux concours de circonstance et excuses-moi, mais tu as su rectifier le tir de manière très habile et incroyable… d’ailleurs Mana le savait et il a su faire bon usage des plantes sauvées, non ?

 

Un silence mortel me glace jusqu’aux os. Merde ! J’ai encore raté l’occasion de me taire.

 

-        Est-ce vrai, Matahi, Mana le savait depuis tout ce temps ?

-        Mana sait tout, tu le sais. Je n’aurais pas pu cacher cela…

-        Mais à moi, bien !

-        Je te rappelle que nous n’avons jamais été amis, ni même « copains » avant les derniers deux cent septante sept ans ! Et avant… ça n’a jamais été très brillant…

 

Mikaïl soupire profondément. Il se passe une main lasse sur le visage.

 

-        Oui. Tu as raison, mais… c’est dur à accepter…

-        Je comprends Koshka, crois-moi… Et comprends aussi que tous nous avons des zones d’ombres dans lesquelles nous sommes seuls à voyager. Tout visiteur en ces lieux est forcément un intrus.

 

Mikaïl sourit. Il sait manifestement de quoi parle Glorios. Et moi ? Est-ce si différent pour moi, simple mortelle ? D’ailleurs, on a tous un côté obscure, c’est mieux connu depuis la Saga Star Wars, non ? Whouna sous sa forme extraordinaire d’humanoïde revient, auréolé de cette aura brillante et surprenante qui m’éblouit.

 

-        Nous avons deux visiteurs qui s’apprêtent à frapper à la porte.

-        Je… comment le sais-tu ?

 

Whouna me sourit et je suis mystifiée. OK ! Au temps pour moi et mes questions débiles !

 

 

 

 

14.

 

           

Dès l’entrée des visiteurs et durant plusieurs minutes de confusion amicale, ce ne sont qu’étreintes effusives, exclamations et commentaires exprimés en même temps et bonheur des retrouvailles qui sont aussi émotives que joyeuses. Je suis si heureuse de revoir Ranita et Crisold. Elle est radieuse et j’ai hâte de parler avec elle de choses et d’autres, surtout si les « autres » sont des nouvelles de sa vie en général et de son amour en particulier. Crisold m’a embrassé avec tendresse, m’étreignant fortement contre lui. Il est toujours cet ami lumineux et presque frère que j’ai trouvé en lui dès notre première rencontre. Il m’a caressé les joues et baisé le front en me disant pleins de trucs supers gentils… Wouh ! Pour un peu j’en aurais versé des larmes, mais je ne suis pas comme cela ! Ou… si peu ! Lorsque nous entrons dans la véranda, une sorte de projectile vibrant nous dépasse et file vers Whouna. Dans un réflexe que je n’ai même pas senti venir, je me suis déportée pour me placer devant Mikaïl et Glorios en nous englobant dans une sorte de vague d’énergie ondulante qui, je le sais intuitivement, nous préservera de tous dangers potentiels. Mes deux hommes me regardent avec effarement. Quoi ? Personne ne touche aux miens ! Un grand silence règne dans la pièce et tous me fixent du regard. Quoi encore ? L’espèce de couverture énergétique se dissolve dans l’air et Mikaïl me prend contre lui.

 

-        Milaya, mon amour… ton geste est…

 

Mikaïl reste sans voix ! Je ne vois pas où est le problème ! J’ai cru qu’il y avait du danger et j’ai fait le geste habituel, protéger les miens. Glorios se joint à l’étreinte et je le sens tremblé autour de moi. Il pleure ? Non ! En fait, le Grand CV est mort de rire ! Je lui lance un coup de coude dans le sternum. Il n’arrête pas de rire pour autant.

 

-        Bon ! C’est fini, là ! Tu peux m’expliquer pourquoi tu te marres, CV !

 

Crisold tient Ranita contre lui et me regarde avec des yeux écarquillés. Ranita me sourit amplement et lève un pouce !

 

-        Flippant, Extralucide, mais génial ! Wonder Woman peut aller se rhabiller !

-        N’exagère pas ! Je n’ai rien fait…

-        Rien fait, petite fille ?

 

Crisold semble sur le point d’exploser et je ne comprends toujours pas pourquoi.

 

-        Te rends-tu compte que tu possèdes la faculté de « Gremium » (Protection), une des essences les moins communes parmi les chamanes et tu appelles ça rien ?

 

Durant plusieurs minutes, c’est à nouveau le chaos. Tout le monde parle en même temps, c’est cacophonie et compagnie et je ne comprends toujours rien ! Tout à coup on entend un sifflement aigu. La « chose » a émis ce son et c’est alors que je me rappelle pourquoi j’ai fait le Gremium, même si je ne savais pas que je pouvais faire le Gremium qui est une chose dont je n’ai encore aucune idée ! Nous nous tournons tous vers la « chose » qui est en fait une sorte de calepin d’une drôle de matière qui semble « vivante » ou quelque chose comme ça !

 

-        Euh ! C’est comme un livre dans Harry Potter qui est très agressif ou bien c’est…

-        Oh non ! Ragiskwalawa n’est pas agressif, il est juste… imprévisible, des fois…

-        Tu connais cette « chose », Cri ?

-        Appelle-le par son nom, Ragiskwalawa…

-        Mais c’est un livre !

-        Et alors, la Bible est aussi un livre et tu ne l’appellerais pas « chose » pour autant…

-        Touché ! Alors, pourquoi est-il arrivé comme cela et que fait-il ici ?

 

Crisold s’est avancé comme un somnambule vers le bouquin que Whouna tient entre ses mains avec infiniment de… tendresse. Et on dirait même…

 

-        Ils communiquent…

-        Oui, c’est ce que fait Ragiskwalawa, petite fille…

-        Ah !

 

Ranita se tient près de moi, alors que Mikaïl est derrière moi, me tenant contre son torse. Je me laisse aller contre lui. Je sens qu’on va encore se marrer ! Glorios s’éloigne aussi en direction du livre dans un état aussi somnambule que Crisold. Il a quoi de particulier ce… Ra-machin-chose ? Crisold met un genou en terre devant Whouna et une longue litanie, dans une langue inconnue, sort de ses lèvres. Il a la tête penchée vers le sol en signe de respect ou un truc du genre…

 

-        Qu’est-ce qu’il fait ? Un signe d’allégeance ? On doit chercher une épée ou un truc pareil ?

-        Non, milaya… je n’en sais pas plus que toi, mais je reconnais ce que fait Crisold et c’est un acte que je n’ai plus vu faire depuis bien longtemps !

-        C’est normal alors ?

-        C’est une déférence particulière que l’on offre à quelqu’un qui nous a sauvé la vie plusieurs fois ou qui a commis une action extraordinaire vis-à-vis de soi.

-        Oh ! Très… médiéval…

-        Crois-moi, cette pratique a eu lieu bien avant cette période !

 

Je suis fascinée par cette scène, magnifique au demeurant. Ranita a la bouche ouverte et elle flippe à donf ! Je comprends. Je deviens comme elle lorsque je vois Glorios prendre Ra-machin-chose entre ses mains et dans un grand rire se mettre à parler dans un langage inconnu en le faisant tournoyer. Le pire, le bouquin semble lui répondre dans une série de sons discordants allant du soufflement, au crissement, au gémissant jusqu’au cri aigu, puis grave. Glorios arrête de le secouer quand il lit quelque chose sur une des pages. D’ailleurs les pages semblent bouger toutes seules et se remplir de mots inconnus à mon regard attentif. Encore un langage qui doit être lettre morte depuis longtemps, mais pas ici ! Whouna, étranger à ce qui se passe autour de lui, relève doucement Crisold du sol. Crisold lève la tête. Il pleure. Je… Ranita se secoue et file en avant. Elle enlace Crisold en le soustrayant à Whouna. Mon regard croise un bref instant celui si particulier et si surprenant de Whouna. J’y vois moult émotions passés en un kaléidoscope étrange. Ranita berce Crisold. Le bouquin sort des mains de Glorios et vient se plaquer dans le dos de Crisold entre les mains caressantes de Ranita. Le livre semble émettre une sorte de rayonnement. Je déglutis fortement. Mikaïl m’embrasse le haut du crâne.

 

-        Tu sais ce qui se passe…

-        J’aimerais bien, mais je n’en sais pas plus que toi.

 

Cela me rassure un peu. Qu’un grand gaillard comme lui, d’un âge certain, en sache autant que moi est finalement vachement réconfortant ! Après d’autres minutes de confusion et une table pleine de bonnes choses à manger, nous sommes assis dans la salle-à-manger. Je suis un peu… abasourdie et j’ai l’impression que ma journée géniale au bureau est vachement compromise. Il est huit heures cinquante-sept minutes et… je suis déjà épuisée…Vu le temps extérieur, je peux arguer d’une grosse trachéite. Après tout ce n’est pas comme si mon boulot était urgent et…

 

-        Tu veux une tasse de thé ou tu préfères du café ?

-        Hein ? Euh, une tisane, plutôt… et un coup de massue, peut-être aussi…

-        Comment dis-tu, milaya ?

-        Rien ! Me fais pas attention, Mi, mais je… c’est un peu… laisse tomber !

 

Mikaïl m’embrasse sur les lèvres et une seconde plus tard il n’est plus là. Wouh !

 

-        Pour ton travail, j’ai appelé ta chef de service pour lui dire que tu n’allais pas bien, un gros rhume, yamanahe. Elle était profondément désolée et m’a chargée de te transmettre ses plus sincères vœux de rétablissement…

 

Je regarde Glorios ! C’est quoi son secret ? Ce n’est pas que ma boss soit une vraie plaie, mais bon… la sympathie n’est pas son point fort. Glorios a un petit sourire canaille et me prends contre lui. Je m’y love avec un gros soupir. Une minute plus tard, j’ai une tasse de tisane fumante à portée de main. Crisold et Ranita chuchotent en se tenant par les mains. Il ne faut pas que j’oublie de lui parler de son nouveau boulot, même si elle ne sait pas encore qu’elle en a un. Il lui reste une semaine de vacances. Whouna est debout dans cette pose si particulière qu’il affectionne. Il est toujours aussi sublime et son halo est d’une étrange luminescence. Je lui souris en me calant plus profondément contre Glorios. Mikaïl vient s’asseoir près de moi et frotte doucement mon dos. Une journée de maladie soignée par mes deux vampires préférés… Mm ! Pourquoi pas… Je tends la main et prend le mug. Je le porte à mes lèvres. J’aime boire chaud, presque bouillant. Je le fais toujours, j’adore cette sensation de chaleur extrême… même s’il paraît que ce n’est pas bon pour l’organisme.

 

-        Bien ! Je crois que nous vous devons une explication…

 

Crisold sourit à Ranita qui lui rend la pareille.

 

-        Umdayanda, que vous appelez tous Whouna, m’a sauvé plusieurs fois d’une mort imminente, voilà très longtemps. Je… je n’ai jamais cru le revoir un jour et je me sens très honoré qu’il soit parmi nous…

-        L’honneur est mien, Pounam…

 

Les deux hommes se saluent. On se croirait à une sorte de réunion informelle d’une ONU d’Outre-Vivant ! Mes deux CV ont un petit rire. Crisold fronce le sourcil en me regardant fixement et je déglutis ! Merde ! J’oublie toujours qu’il peut m’entendre puisqu’il fait partie des miens.

 

-        Désolée…

 

Crisold soupire en se passant une main sur le visage. Il a vraiment l’air crevé et… Les vampires peuvent être crevés ?

 

-        Non ! C’est moi ! Disons que nous avons eu quelques contretemps dernièrement et cela a entamé, dirait-on, mon sens de l’humour ! Sens-toi libre d’émettre toutes les pensées qui te passeront par la tête, petite fille…

-        Merci beaucoup de ton obligeance,  grand frère!

-        Décidément, je n’en rate pas une aujourd’hui, petite fille.

-        Non, c’est moi ! On recommence depuis le début et on efface l’ardoise ?

 

Un brouillon plus tard, Crisold m’embrasse tendrement sur le front et regagne sa place aussi vite en reprenant Ranita sur ses genoux. Whouna a un petit sourire amusé aux lèvres. Je suppose qu’à son âge, tout doit lui paraître vaguement amusant, quand pas irritant quelques fois…

 

-        Plutôt un sentiment de bienveillance, petite Vera…

-        Ah ! Tu sais lire dans mon cerveau aussi, j’oublie toujours…

-        Je n’en abuserai point, petite Vera…

 

Il me fait une sorte de salut protocolaire, puis reprend sa pose.

 

-        Je voudrais aussi vous présenter Ragiskwalawa…

 

Un petit bruissement se fait entendre et le calepin est sur la table, ouvert en son milieu. En grosse lettre on peut lire sur une de ses pages.

 

-        Bonjour ! Moi être dans la peine d’avoir fait peur à vous tous… Moi voulais saluer tous et un…

 

Une sorte de pictogramme apparaît. Whouna a un petit rire qui me recouvre de chair de poule tant il irradie de jovialité.  Il s’avance et pose la main sur la page d’en face. Le livre se gondole doucement comme s’il appréciait et une sorte de gloussement étrange émane du volume. Flippant ! Whouna rit encore. Nous le regardons tous avec fascination. Il retire sa main et le livre clape bruyamment plusieurs fois en se fermant et en se rouvrant. Wouh ! Whouna vient prendre place autour de la table et le livre s’ouvre à nouveau calmement. Je le regarde avec méfiance. Quand on dit qu’un livre est parlant, on faisait référence à Ra-machin-chose ? Crisold a un petit rire et passe une main caressante sur le livre.

 

-        Ragiskwalawa était un ami que j’ai rencontré voilà très longtemps. Nous avons fait un bout de chemin ensemble. Il était le dernier de sa tribu. Une de leur croyance était que si on prenait un bout de peau et qu’on le tannait pour le garder, on préservait à jamais le souvenir de cette personne. Aujourd’hui, on parlerait d’âme. J’ai donc procédé à cette opération après sa mort. Ce que je ne savais pas c’est que Glorios le connaissait aussi…

-        Oui. Nous avons passé quelques années ensemble. J’ai connu sa tribu et sa famille. J’étais trop éloigné lorsque j’ai su pour la catastrophe naturelle qui a anéanti le clan. J’ai cru que tous avait péri et j’ai longtemps pleuré leur perte, d’autant que je connaissais leur croyance.

-        Je comprends mieux. Il m’avait parlé d’un certain « Youmanapouna » et je n’ai jamais très bien su qui c’était.

-        Je ne suis pas obligée de retenir ce nom, hein, Glo ?

-        Peut-être, ma félidée… tu es si habile dans le maniement des langues…

 

Je lui flanque un coup de coude bien placé qu’il ressent à peine, j’en suis certaine. Il éclate de rire en faisant mine de se couvrir de mes attaques. Grand CV, va !  Tous rient aussi. Je retrouve l’intimité que j’ai ressentie avec ces amis si étranges, mais si indispensables maintenant dans ma vie. Crisold reprend la parole.

 

-        Ce nom signifie « celui qui protège et nourrit le clan ». Je comprends mieux…

 

Un long regard passe entre Glorios et Crisold. Voilà un secret qui ne me sera pas révélé. Je peux le comprendre. Crisold hoche la tête.

 

-        Cela faisait un certain temps que je voyageais lorsque j’ai rencontré Umdayanda. Ou du moins lorsqu’il m’a trouvé. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais les temps d’alors étaient très incertains et les dangers naturels multiples.

-        C’est ça le danger lorsqu’on voyage sans assurance tous risques dans des pays lointains !

 

Crisold me regarde fixement, puis éclate d’un rire dithyrambique. Il se roulerait au sol que cela ne m’étonnerait pas ! Moi, j’ai encore raté une occasion de me taire. Ranita me regarde, puis éclate de rire à son tour. Au bout de deux minutes on rit tous comme des bitus. Génial ! Le calme revenu, Crisold renoue ses explications et moi je décide de mettre une sourdine.

 

-        Umdayanda est resté auprès de moi quelques temps. Il m’a soigné de mes blessures, ce qui a fortifié mes essences et ma nature. Un cadeau inestimable. Nous avons beaucoup communiqué et échangé des choses primordiales. Il s’est intéressé à Ragiskwalawa. Je lui ai raconté l’histoire et il a transformé la peau tannée en ce livre où j’ai pu depuis le début écrire son histoire et celle des siens, mais aussi toutes les histoires que j’ai voulu garder en mémoire durant des millions d’années. En le transformant de cette manière, il a rendu en quelque sorte mon ami immortel…

-        Tu es sûr, Whouna que tu ne connais pas Dumbledore ou alors Gandalf ? Harry Potter ? Non ? Merlin l’enchanteur, alors…

-        Ce dernier me semble familier, mais il avait alors un autre nom…

-        Il a réellement existé ?

-        Disons qu’une personne a…

-        Attends voir, un… Fée ? Peut-être ?

 

C’est peut-être un coup pour rien, mais je me pose encore la question de la nature de Dan, sa famille et Whouna, éventuellement.

 

-        Oui, petite Vera… Il a donné naissance à ce personnage de roman…

-        Je peux le connaître aussi…

 

Un brouillon plus tard, mes deux vampires m’encerclent fermement et Crisold entoure Ranita de la même façon. Quoi encore ? C’était juste une suggestion… Whouna a un petit rire et son halo devient plus puissant, vibrant et lumineux. On dirait même qu’il grandit…

 

-        Mais quoi à la fin ? Et lâchez-moi vous m’étouffez ! D’ailleurs, je plaisantais…

-        Jamais avec les Faes…

-        Mais c’est Whouna et pas…

-        Whouna est le créateur des Faes. L’un des pères…

-        Oh !

 

Je le savais ! C’est comme Dieu, quoi, mais version Outre-Vivant ! Tout le monde se relâche. Whouna redevient Whouna.

 

-        Petite Vera… il n’est pas prudent d’émettre ce genre de désir… celui que tu nommes Merlin n’est pas un être fréquentable et il n’en est pas à une exaction près.

-        D’accord ! Exit machin ! Je promets de plus en parler… C’est bon là ?

 

Je commence à m’énerver ! On me demande de venir jouer dans la cour des grands sans me donner le mode d’emploi et on espère que je ne vais pas faire de faux pas ? Dans leurs rêves, oui ! Me calmer surtout, être relax, resté zen, ne pas péter un câble… J’exhale lentement mon souffle et je le reprends. Wouh ! Je me lâche un peu… Je plisse un peu le front… Vite ! Une idée…

 

-        Donc si je comprends bien, Ra… enfin ton ami, est devenu une sorte de journal intime ou alors un de ces calepins qu’avaient toujours sur lui Léonard de Vinci…

-        Tu me flattes et le flatte en nous comparant à ce génie de l’humanité… mais l’analogie peut être vraie…

-        Mm ! Mais alors… Comment peux-tu m’expliquer que tu as « écris »  tes souvenirs et tes mémoires à des époques où l’écriture n’existait même pas ?

-        Par audition, au départ et cela restait gravé dans les pages…

-        Comme les sillons d’un disque ?

-        Assez juste aussi.

-        En fait, si je comprends bien… ton ami est comme une mémoire vive…

-        On peut le dire comme cela.

-        Wouh ! Tu imagines ce que ce serait pour des archéos d’avoir ton ami comme… ami?

-        Non ! Cela n’aura jamais lieu… certains ont tenté, mais je puis t’assurer que Ragiskwalawa a de la répartie…

-        J’ai cru comprendre…

 

Crisold a un petit rire et le livre émet une série de couinements aigus qui pourraient passer pour des ricanements ! Flippant ! Crisold se relève avec cette grâce merveilleuse. Je vois Ranita dodeliner de la tête contre son épaule. D’un mouvement fluide, il la soulève dans ses bras.

 

-        Bien… je pense que nous avons dit l’essentiel… Petite fille, si tu nous offres l’hospitalité…

-        Cela va de soi, hermano… Mi casa es vuestra casa. Ma vieille baraque ne manque pas de chambres. Choisissez ! Tu connais la maison…

-        Oui !

 

Ranita ouvre des yeux avec un regard glauque et bafouille à mon intention.

 

-        On parlera plus tard… des tas d’chos’ à t’dir’…

-        Oui… on f’ra ça… repose-toi…

 

 Ils sortent en un brouillon véloce. Mes amours saluent Whouna et un brouillon plus tard je suis dans notre chambre. Il est à peine dix heures du matin, mais je suis vannée !

 

 

 

15.

 

 

            Je me réveille à… Eh bé ! Quinze heures ! Génial ! Mes deux amours sont partis. Ils n’ont guère besoin de dormir, mais courtoisie de leur part et amour pour moi, ils restent auprès de moi après notre… Mais bon ! Rien que d’y penser, j’ai le corps qui frémi de désir et…. Ce n’est pas le moment ! D’autant que nous avons eu… Stop ! Carré blanc ! Je m’étire et prends mon temps pour sortir du lit. Une demi-heure plus tard, je descends les escaliers. Je fronce les sourcils. Il y a du grabuge quelque part… Véranda ? Non ! Bureau de Mikaïl ? Probable ! Je m’y dirige. Lui comme Glorios a aménagé une pièce à leur usage exclusif lorsqu’ils viennent vivre avec moi. La seule fois que j’ai été chez Glorios, j’ai eu le choc de ma vie. Il habite à Bruxelles, mais dans un building qui normalement ne loue pas d’appartement pour des particuliers. Pourtant il a réussi à s’y faire aménager un énorme penthouse où personne, à part lui ou ses proches, n’a accès. Je ne veux pas savoir comment il a réussi ce prodige, mais rien que de savoir que j’étais juchée au 34ième étage m’a donné un vertige tellement grand que j’ai non seulement hyper-ventilé, mais que j’étais au bord de l’évanouissement. Glorios était si inquiet qu’il a voulu vendre cet endroit qu’il adore. J’ai eu toutes les peines du monde à l’en dissuader, arguant que je finirais par me faire à l’idée et c’est ce que je compte faire. Il m’en avait parlé avec tellement de passion ! Il disait qu’il se sentait plus proche des étoiles, du ciel, du soleil. Que du haut, il avait le sentiment d’être partout et nulle part, comme en apesanteur. J’ai trouvé cela si romantique que je n’ai pensé qu’à cela pendant que nous allions chez lui et jusqu’à ce que je sois dans son appart. Wouh ! L’angoisse totale ! Un vertige de tous les diables ! C’est ça le pire ! Tant que je ne suis pas en situation de « hauteur », face au vide, je ne pense pas au vertige. Mais si je suis là, alors c’est… vertigineux ! Du coup Glorios est pratiquement toujours ici dans ma maison.  J’essaie bien de compenser ma lâcheté, mais… Essayer donc de raisonner le vertige ! Des fois… j’aimerais être plus… héroïne, comme dans toutes ces séries où elles sont sans peur, prête à sauver un monde ou même plusieurs, mais je sais que ce n’est pas mon truc. Je reste une femme de quarante balais et quelques qui vit des choses pas vraiment habituelles.

            Je pile net lorsque j’entends un rugissement sortir de la pièce où est Mikaïl ! Et merde ! Un Lycos est à la maison ? Manquait plus que ça… J’ouvre la porte intempestivement pour trouver Mikaïl dans une rage indescriptible, les veines saillantes, les crocs dénudés et les yeux injectés de sang. Il se tient debout dans une pose belliqueuse. Je reste paralysée. Il a l’air d’un… vampire. Jusque-là… ils sont si peu conformes à ce que la littérature a écrit sur eux que j’en étais venue à me dire qu’ils étaient aussi normaux que n’importe quel humain lambda, avec juste quelques habiletés particulières en plus. Mais là… Je déglutis fortement. Mikaïl tourne son visage vers moi. Glorios se place à mes côtés en une fraction de seconde. Mikaïl pousse un autre rugissement. Il est aussi Lycos ?

 

-        Ne bouge pas, yamanahe. Sa nature métalycos n’est pas stable.

-        Il est Lycos ? Comme John ?

-        Pas tout à fait. Il est en partie Lycos et métamorphe, un hybride. Il est le dernier de cette espèce. Les autres ont disparus voilà très longtemps. Ils étaient d’une violence extrême et ont causé d’innombrables tueries. Ils ont été décimés et beaucoup se sont donné la mort. Mikaïl a réussi grâce à Mana et Timoti à se sauver de ce que beaucoup ont considérés comme une abomination et une malédiction. Les autres natures de Mikaïl lui permettent de dominer celle-ci, mais… nous avons tous nos limites et…

-        Je comprends. Que s’est-il passé ?

 

Je regarde autour de moi. Glorios m’a introduit lentement dans la pièce, puis a refermé la porte. Crisold est debout, le visage tourné vers Mikaïl. Un homme que je ne connais pas se tient près de lui dans une pose apparemment nonchalante. Ranita n’est pas là. Je suppose qu’elle se repose encore. D’après le peu qu’elle m’a dit, les vacances n’ont pas été de tout repos, quoi qu’elle ne regrette rien, que du contraire. Je revois encore la mine mi-figue, mi-raisin de ma SCTC&P (Secrétaire-confidente-tête chercheuse et pensante).

 

-        C’était de l’orgasme à certains moments avec de l’adrénaline à donf, même si à certains moments, c’était vraiment craignos !

 

Va-t’en déduire quelque chose de ça ! L’homme tourne son visage vers moi. Il est blême, mais si beau. Il ressemble tout à fait à l’idée que je me fais d’un héros antique grec, sans la barbe. Il est splendide, un corps d’athlète, mais naturellement musclé, les cheveux bouclés d’un brun chaud et chatoyant, un visage classique et des yeux de miel. Il a une taille élevée, un peu plus bas que Crisold qui est déjà au-dessus de la moyenne comme mes deux amours. Je sursaute soudain. Mikaïl a fait un mouvement oscillant et bientôt, je le retrouve comme d’habitude, mais avec un bord menaçant. Sa rage est loin d’être éteinte. Je ne bouge pas. Glorios me flanque au plus près, mais je le sais surtout attentif à Mikaïl. Je connais la rapidité de Glorios et je ne veux pas qu’il se transforme. Crisold est resté immobile comme seuls savent le faire les vampires, mais il bouge imperceptiblement en se tournant vers moi.

 

-        Petite fille… je suis heureuse de te voir et j’aimerais te présenter mes plus sincères excuses pour avoir introduit Christos, mon fils, sans t’en demander la permission.

-        Mi casa es tu casa, Crisold et si c’est ton fils, cela va de soi qu’elle l’est également pour lui. Je suis heureuse de l’y accueillir et de faire sa connaissance.

 

Christos s’approche de moi doucement. Il se déplace comme un athlète, avec grâce et souplesse. Il me prend doucement la main et la porte à ses lèvres. Ses yeux ne me quittent pas. Je sens Glorios attentif, mais pas contraire. Que se passe-t-il ?

 

-        Vera Lux… Votre nom est une référence dans notre monde…

-        Il paraît, mais ne croyez pas tout ce qu’on vous dira ! Je suis certaine que c’est très exagéré.

-        Votre gentillesse ne l’est pas. Je suis honoré de votre courtoisie…

-        Vous êtes le fils de Crisold, je ne peux pas faire moins…

 

Une sorte de ricanement éclate dans la pièce. Mikaïl se rassied derrière son bureau, un authentique bureau du XVIIIème siècle d’après ce que m’a dit Glorios qui s’y connait vraisemblablement. J’ai dit que Mikaïl avait un côté aristo snob et un brin coincé, des fois ? Ça me plait assez en fait, même si des fois c’est lourdingue à accepter ! Crisold a un petit rire qu’il déguise en toux, Glorios éclate franchement de rire et même Christos sourit jovialement. Merde ! Il peut aussi lire dans mes pensées.

 

-        Partiellement. Je suis connecté à Crisold, ce qui me donne partiellement accès à vos pensées, chère Vera Lux.

-        Ah ! Je suis vachement rassurée, là !

 

Un autre ricanement de Mikaïl. OK ! C’est de mauvais goût, mais quand il est comme ça, essayer de le raisonner pour voir ! Dire que je suis chez moi depuis une semaine à peine et c’est déjà le foutoir complet ! Alors, hein… Faut pas pousser bobonne dans les orties non plus ! Quatre paires d’yeux me regardent en fronçant les sourcils !

 

-        C’est une expression qui veut dire… Laissez tomber !

-        Laissez tomber, petite fille ?

-        Non ! Je veux dire que c’est pas important de le savoir ! Dîtes-moi plutôt pourquoi Mikaïl avait la tête d’un vrai vampire ?

 

Les hommes me regardent fixement, puis partent d’un énorme éclat de rire. Il n’y a pas quelque part un manuel d’explications sur le fonctionnement des vampires, parce que franchement je suis complètement à la masse !

 

 

            Quelques minutes plus tard, nous sommes assis dans la cuisine. L’idée vient de Mikaïl qui a décidé de nous cuisiner quelque chose. Je sais ! Bizarre, mais Mikaïl a ses raisons que ma raison ne connaît pas ! Je ne sais toujours pas ce qui se passe et ça commence à me courir gravos !

 

-        Petite fille… je vais t’expliquer la situation autant que je le peux…

 

Crisold me regarde avec cette douceur qu’il me réserve. J’ai une affection toute particulière pour cet homme qui semble si jeune, mais qui a dans le regard le poids de tant d’années vécues que cela me donne quelques fois le vertige. Il me sourit tendrement en me passant un doigt sur la joue.

 

-        Christos a été accusé d’actes qu’il n’a pas commis. Ceux qui ont intérêt à le mener devant la justice du Conseils des Anciens…

-        … le clan Vasilief…

-        Oui, c’est cela même. D’où tiens-tu cette information ?

-        La première fois que nous nous sommes rencontrés chez Mikaïl vous avez parlé de cela, mais je ne me souviens pas bien… avec tous ce qui s’est passé depuis…

-        Oui. Cela est compréhensible. Les preuves de Vasilief sont très probantes, mais nous savons que cela n’est que mensonge. Nous n’avons pas encore trouvé de contre preuves, mais c’est une question de temps !

-        Oui ! De temps, Crisold ! Te rends-tu compte de ce que tu as fait ! Vasilief n’a jamais eu de doute au moment de tuer un humain ou même un vampire si cela arrange ses affaires !

-        Je suis conscient que ce n’était pas des plus judicieux, Mikaïl, mais il tient tes demeures sous étroites surveillances ainsi que celles de Glorios. Ici, il ne peut pas grâce aux sécurités que vous avez placées et surtout grâce à la présence d’Umdayanda…

-        Whouna ? Qu’a-t-il à voir avec cette affaire, Crisold ?

-        Rien directement, petite fille.

-        J’aime mieux cela. Je ne voudrais pas que l’on blesse Whouna !

 

Les hommes me regardent fixement. Ils ne disent rien. Tant mieux ! Whouna est très important pour moi et je ne laisserais rien ni personne lui faire du mal ! Les hommes évitent mon regard, vaut mieux pour eux !

 

-        La présence de celui que tu nommes Whouna empêchera Vasilief et son clan de venir. Ils savent qu’ils n’auraient aucune chance.

 

Les hommes hochent la tête ! Ils sont toujours si arrogants ! De plus grandes forteresses ont été abattues ! Quelle arrogance !

 

-        Quoi qu’il en soit, Christos ne risque rien et lorsque nous partirons d’ici, il sera en sécurité également.

-        Je ne comprends toujours pas pourquoi Mi a piqué cette colère ?

-        Pour le danger potentiel que la présence de Christos signifie en soi et vis-à-vis de toi, mais aussi parce qu’il n’a pas été avisé plus tôt de ma décision…

-        Ah ! Je comprends ! Toujours ce besoin de tout organiser ! Comment tu faisais, Mi, quand il n’y avait pas d’agenda électronique pour scander ton existence ?

-        J’usais de ma mémoire, milaya !

-        Ah oui, j’oubliais que tu es une vraie mémoire ambulante ! Désolée !

 

Je me relève et le rejoint rapidement. Je me cogne à son dos. Je n’ai pas encore maîtrisé totalement la rapidité de mes mouvements. Ça viendra ! Il se tourne et je me glisse contre son corps.

 

-        Tu n’es plus en colère ?

-        Non ! Et moins maintenant que je te tiens contre moi…

 

Nous nous étreignons fortement et nous embrassons à pleine bouche. Un brouillon plus tard, je suis assise à la même place. Mikaïl se tourne vers Crisold et Christos assis dans une pose indolente frisant l’insolence et les yeux mi-clos.

 

-        C’est d’accord ! Je réunis le Conseil dans le sous-sol de ma demeure. Clayton fera le nécessaire. Nous y serons en sécurité, d’autant que Timoti sera également là.

-        Qui est Timoti ?

-        Un des meilleurs amis de Mana. A défaut de trouver un terme plus adéquat. C’est également un Gardien des nôtres. Il te plaira, j’en suis certain, petite félidée. Il est du genre énigmatique et tu raffoles de ce genre de personne.

-        Ah, ah ! Très drôle, Glo !

-        Du calme, les enfants !

 

Mikaïl apporte ce qu’il a cuisiné, un breakfast anglais dans toute sa gloire. J’en ai l’eau à la bouche !

 

-        Je vais également interféré selon tes suggestions, Crisold. Cette fois-ci, je ne laisserais pas Vasilief s’en sortir! Il a outrepassé les limites !

-        Les temps sont autres.

-        Peut-être, mais Traperna est bel et bien disparu !

-        Oui. Et je le regrette vraiment. Tous nous le faisons.

-        Je le sais.

 

Mikaïl se passe la main sur ses cheveux en bataille. Il semble si triste.

 

-        C’était ton ami ?

-        Un de mes fils.

-        Oh !

 

Je ne dis plus rien. J’imagine que cela doit… La porte s’ouvre.

 

-        Ah ! Il me semblait bien avoir senti la bonne odeur d’un petit quelque chose cuisiné par tonton Mikaïl !

-        Je savais que cela te ferait arriver dare-dare, petite nièce…

-        Et me voici !

 

Ranita entre. Mikaïl l’étreint tendrement. Les minutes qui suivent se passent dans la bonne humeur et les rires. J’aime cela. Je désire cela.

 

 

            Finalement, je n’ai pas pu avoir cette conversation tant désirée avec Ranita. Des affaires plus urgentes les appelaient ailleurs, dont mettre Christos à l’abri, si j’ai bien tout saisi. On ne tardera pas à tous se revoir. Mikaïl les a accompagnés. Cependant, j’ai bien l’intention de parler avec mon amie de choses et d’autres qui nous tiennent à cœur et surtout de ce poste que j’aimerais qu’elle accepte. Glorios doit déléguer ou du moins avoir un bras droit. Ranita est vraiment très pro dans son domaine et elle serait parfaite dans ce rôle, d’autant qu’avec sa nouvelle relation avec Crisold et son entrée officielle dans le monde des Outre-Vivant, elle ne pourra pas garder longtemps le boulot qu’elle a actuellement. Elle le sait. On en a un peu parlé, pas trop, mais je sais qu’elle y pense. Ranita amoureuse ! Qui l’eut-cru ! J’ai bien vu comme elle le regarde quand elle se croît à l’abri des regards extérieurs. Si ce n’est pas de l’amour, alors moi je n’y comprends plus rien. Et sans à-propos…

Où est Whouna ? Je pensais qu’il se joindrait à notre déjeuner impromptu, mais ce n’est pas le cas. Je ne peux pas m’empêcher de m’inquiéter pour lui. Je sais ! C’est complètement naze, mais à partir du moment où il a pris une forme humanoïde, j’ai commencé à le considérer comme un des miens, autrement dit, une personne qui va compter pour moi, pour laquelle je vais m’inquiéter et m’intéresser. Inutile de me seriner qu’il est parfaitement capable, depuis le temps, de s’occuper de lui-même. OK ! Mais tout le monde a besoin qu’on se préoccupe pour lui, éternel ou pas !

 Je passe rapidement dans les pièces pour finalement le retrouver dans la véranda, mais sous sa forme de miroir. Je sais que Crisold a eu un très long entretien avec lui. Il en a dit quelques mots à table, sans s’étendre davantage. Je l’ai senti ému et aussi très heureux. J’imagine mal ce qu’il peut ressentir. Retrouver un vieil ami après tant de temps... Curieux que Whouna soit redevenu un miroir. Peut-être a-t-il besoin de redevenir un miroir de temps en temps ?

            Je me place devant la surface polie et la même sérénité m’inonde. Je regarde les vagues ondoyer, former des figures et des arabesques étranges qui se vrillent dans chaque cellule de mon corps comme autant de particule de félicité. Le son est si mélodieux que je me sens en harmonie avec lui comme si tout mon corps en était un réceptacle, un instrument d’une musique improbable, mais éternelle. Un soupir naît en moi et s’épand doucement, s’exhalant par mes lèvres entrouvertes. J’étends le bras, pose le bout de mes doigts sur la surface mouvante et à la fois statique et… retire précipitamment ma main ! Pour un peu je voyais ma main passer au travers. Je fais un pas en arrière, horrifiée. Mon souffle devient rauque. Un corps musclé et solide se ceint au mien.

 

-        Chuuut ! Je te tiens, yamanahe.

-        Je peux passer à travers le miroir…

-        Oui, tu le peux, mais pas tant que tu te sentiras prête. En temps et en heure, tu le feras…

-        Je… Whouna me l’avait dit, à moins que ce ne soit Dan… Je ne sais plus ! Je…

 

Un brouillon plus tard, Glorios et moi sommes dans le hamac que je n’utilise pas souvent y qui se trouve dans l’autre véranda donnant sur un côté de la maison. Il me berce contre lui et le calme revient en moi.

 

-        Je ne savais plus… Pourquoi est-il en forme de miroir ? Je m’inquiétais pour lui et…

-        Chuuut ! Respire… Whouna est relié à tous ceux qui font partie des siens, ce qui est un nombre considérable. Sa forme de miroir lui permet d’avoir un accès à tous ceux-ci, quoi que de manière très légère, afin de ne pas être une intrusion ou une immiscions chez chacun d’eux.  Il est également une source de connaissances pour beaucoup de personnes. Sous sa forme de « miroir », comme tu le nommes, il est disponible pour ceux qui le nécessitent.

-        Pas sous sa forme humanoïde ?

-        Oui, mais en moindre mesure.

-        C’est comme s’il était un genre de Facebook ou Twitter ? Ou Wikipédia ou d’autres encyclopédies universelles ?

 

Glorios me regarde en fronçant les sourcils. Je sais qu’il suit de près ce genre de mouvement virtuel, même s’il n’ouvre aucun compte.

 

-        Ce n’est pas faux… Dans le temps, le Whouna se nommait aussi « source primordiale de toutes choses ». Abanatakana.

-        Je vois.

 

Rien en réalité, mais pourquoi le souligner… Je soupire. Je comprends Whouna et son rôle. Je crois. Il est… le père de toute une nature et diverses essences et de… Je ne peux même pas l’envisager ! L’univers ? Une partie ? Wouh !

 

-        Je ne veux pas l’écarter de ses responsabilités…

-        Tu ne le fais guère, ma félidée. Whouna a des facultés qui dépassent l’entendement de tout le monde. Il peut se trouver sous une forme ou sous une autre, cela ne changera rien à ses responsabilités. Il peut d’ailleurs prendre n’importe quelle forme…

-        Ah oui, j’oubliais, un métamorphe complet…

-        Oui. En quelque sorte. Mais le miroir est la forme qui lui plaît le plus.

-        Sa forme primordiale ?

-        Sans doute, mais personne ne peut l’affirmer.

-        Au moins ce n’est pas un miroir aux alouettes comme dans ce plan de réalité où Ned ne voulait pas pénétrer.

-        Tu peux lui en parler, cela l’amusera sûrement !

-        Wep ! Je ne pensais qu’à cela, amuser un être éternel avec une remarque débile !

 

Il ne le dit pas, mais il le pense si fort que je l’entends presque. OK ! Je n’ai jamais besoin de quelque chose ou de quelqu’un pour déblatérer une connerie, ça vient tout seul, mais ce n’est pas une raison !

Il a un petit rire étouffé. Il nous berce de manière lancinante. Je me laisse aller. Le calme me calme. Une sieste, cela fait si longtemps que je… Black-Out !

 

 

16.

 

            J’étais super fâchée avec Glo ! Enfin, pas tout à fait en colère, mais presque. Le motif ? Euh… en y repensant, c’est un peu infantile, mais… Imaginez ! J’adore la série de Lilith Saintcrow avec Jill Kismet dont je n’ai lu que les deux volumes traduits en français. Il y a quatre autres romans en anglais qui seront, peut-être, un jour, traduit en français. Dire que je n’attends que ça serait mentir, j’attends d’autres choses dans ma vie, mais… Ben, figurez-vous que Glo les a lus. Les quatre !!!! C’est, c’est… enfin ! Quand on est accro, un truc pareil c’est pire que de la provoc ! Glo n’a pas bronché, alors que je pétais un câble. Mi ne s’en est pas mêlé, mais je sentais bien qu’il était mort de rire intérieurement. Tout cela a eu lieu il y a deux jours et j’ai eu le temps de me calmer, reprendre ce qui me tient lieu d’esprit et me réconcilier avec Glo d’une manière… Stop ! Carré giga-géant blanc !

Lorsque je suis revenue de mon merveilleux boulot, ce mi-temps dans mon extraordinaire bureau avec tous ces dossiers si intéressants… bref… Glo est dans la cuisine. Il prend un café avec Mi. J’ai toujours un peu de mal à voir mes deux V prendre un café. Wouh ! Mi me sert une tasse comme je l’aime et s’assoit près de moi en me caressant des yeux. Je rougis furieusement. Il me donne envie de… Wouh ! Glo dépose une farde devant moi format A4. Je la regarde fixement. Le paquet semble très épais. Un manuscrit ? Glo est-il écrivain ? M’a-t-il apporté un vieux grimoire qui me servira dans mes prochaines missions de sauvetage de l’un ou l’autre spécimen Outre-Vivant ? Glo rit doucement. Il tapote le dessus de la farde rythmiquement en me souriant, énigmatique.

 

-        C’est un cadeau pour toi… le premier des suivants…

-        Ah…

 

J’ai ouvert le dossier, pris la première page et… Non ! Waouh ! Sur la page de garde il y a écrit :

 

« Redemption Alley » - Lilith Saintcrow – traduction libre sans accès à la vente et à usage strictement personnel de Glorios Crosstichto. »

 

J’ouvre la bouche et… Je regarde Glo et je ne peux rien dire. Je suis estomaquée. Je me relève et lui  saute dessus avec impétuosité. J’entends vaguement Mi dire quelque chose, genre : « le déjeuner sera pour plus tard, je suppose ». Un brouillon plus tard Glo et moi sommes dans le lit et c’est… waouh ! Sa bouche, nos mains, son corps, l’éclat de son regard qui tourbillonne et scintille. Mes jambes qui s’élèvent pour mieux l’encercler, m’approcher de la jouissance à venir, nos sexes qui s’empalent, notre désir de jouir de plus en plus vite et fort pour mieux nous unir, nous lier, ses crocs qui perforent mon cou, « un magasin… un tic-tac d’horloge… deux femmes qui le regardent passer… une alcôve aux tentures ivoires et pourpres… un corps alangui… une tasse en fine porcelaine de Limoges qui s’échappe de mains soignées… un bras ensanglanté tenant un fleuret… une auber naissante, le hurlement d’un fauve… le son de la mer claquant contre une coque de bateau… deux femmes qui s’embrassent, les mains… » Quoi ? L’image s’évanouit,le sang qu’il aspire avec désir s’écoule dans son être, le cri étouffé d’un plaisir sauvage contre ma gorge, mon orgasme qui explose, mon corps qui se fragmente, ses mains qui me retiennent, me caressent, me ramènent au centre de notre union, sa langue qui cautérise les deux petites perforations, l’énergie qui ramène un pan entier de sérénité en moi, le regard intense de Glorios, ses joues roses, sa chaleur intensifiée… Je pousse un dernier râle, mon sexe palpite, nos bouches se cherchent et se dévorent, mon regard rejoint le sien, nous sachant davantage plus proche. Nous nous laissons aller contre les oreillers. Glo m’attire contre lui, mon visage sur son corps alangui et ferme. Ses lèvres musardent sur mon front moite. Sa main caresse lentement mon dos, mes épaules. J’ai chaud. Je suis bien. Je soupire doucement. Je n’ai jamais assez de lui, d’eux. Ma fringale sexuelle ne semble plus avoir de limite, mais ce qui m’inquiète le plus, c’est la nécessité que j’ai d’être avec eux aussi souvent. Je sais que je ne peux plus vivre sans eux. Je tire un voile sur ces dernières pensées avant d’obliger mon amour à me révéler des choses sur nous deux que je ne suis pas encore prête à entendre. Je ne peux pas maintenant. Ou je ne veux pas ?

 

-        Comment ça t’est venu ? Je veux dire la traduction…

-        J’ai été scribe dans une autre existence et les techniques dans le domaine de l’écriture ont beaucoup évolué…

-        Oui. Mais plus de trois cents pages…

-        Trois cent septante-sept pages…

-        Ben voilà…

-        J’aime beaucoup traduire. C’est un exercice qui me comble…

 

Le ton qu’il emploie est si… Je lui resaute dessus et notre corps à corps passe de jouissance à plaisir. Mon cœur bat la chamade. J’aurais cru que la première ronde, ben non ! Quelques minutes plus tard, je sombre dans une certaine léthargie, les membres gourds pressés contre mon homme qui est toujours en pleine forme. Black-out !

 

Une heure plus tard, j’entrouvre un œil égaré. Je commence à avoir faim et ce n’est pas le rugissement très peu glamour de mon ventre qui pourrait dire le contraire. Je pose un œil glauque autour de moi.

 

-        Prends ta douche, yamanahe…

-        Mm ?

-        La douche…

-        On la prend ensemble ?

-        Pas si nous voulons déjeuner… Et Mi aime que nous arrivions en temps et heure.

-        Wep ! Je sais. OK ! J’y vais !

 

Je m’extirpe du lit. Je me sens si délicieusement… Je pousse un cri involontaire. Un brouillon plus tard, Glo me tient serrée derrière son large dos luisant. L’envoûteur est apparu juste devant moi, alors que je m’apprêtais à entrer dans la salle de bain. Il écarquille les yeux.

 

-        Je suis infiniment désolé… il me semble que j’ai mal calculé mon coup…

-        C’est l’évidence même, « charmeur » !

 

Je regarde avec anxiété les vêtements sur le sol. Si je pouvais atteindre au moins la robe qui est à moins d’un mètre de moi pour me couvrir, ce serait.... Le vêtement se soulève du sol et vient se nicher dans mes mains. J’ouvre la bouche, totalement ahurie ! Merde ! Je suis aussi télé kinésiste ? Et depuis quand ?

 

-        Je vous rassure, vous ne l’êtes pas, Dame Vera. Du moins pas à un tel niveau…

-        Dommage ! Ce serait génial ! Me trouver dans une pièce assise, penser à quelque chose et que ladite chose arrive jusqu’à moi sans que je me bouge les… euh… Waouh ! Ce serait super pratique, sauf qu’à la longue, je deviendrais une sorte de mastodonte poussif et obèse !

-        Tu ne pourrais jamais l’être, ma félidée. Ce « don » que tu admires tant chez ce « charmeur » n’est pas si reluisant !

-        Pourquoi ?

-        Parce qu’il leur sert à voler !

-        Oh ! Comme Aisling Grey de Katie MacAlister ?

 

L’envoûteur cligne des paupières pendant que je lisse ma robe sur mes hanches et me place devant mon homme.

 

-        Qui est Aisling Grey ? Et Katie MacAlister ?

-        C’est une héroïne de l’auteure Katie MacAlister. Elle est mariée avec un homme qui est dragon par nature et les dragons sont des voleurs, parce qu’ils aiment les choses de valeur, or, diamants etc… Vous n’êtes pas des dragons ?

-        Non…

 

Il me regarde avec circonspection.

 

-        C’est juste des romans… Vous êtes des voleurs de quoi ?

-        Nous avons une certaine habileté et disons que notre histoire compte quelques personnes qui ont dérobés certaines choses…

-        Des voleurs, « charmeur », restent des voleurs !

 

Le ton de Glo est totalement insultant. Pour ma part, j’aimerais mieux que l’on parle ailleurs qu’ici… Surtout après… Un brouillon plus tard, nous sommes dans le séjour, moi sur les genoux de Glo toujours aussi nu. L’envoûteur entre dans la pièce et reste debout, les mains dans le dos. Je suppose qu’il n’ose plus utiliser ses dons de « télé transporteur » ! Mikaïl se poste près de nous dans une attitude défensive. Je déglutis.

 

-        Je… vous êtes plutôt remonté...

-        Ils le sont et je ne peux les en blâmer, Dame Vera.

-        Pourquoi ?

-        Ceux de son espèce sont également des voleurs d’énergie, yamanahe.

-        Des voleurs d’énergie ?

-        Ils ont la capacité de s’emparer de l’énergie des vampires.

-        C’est possible ça ?

-        Cela l’est, milaya. Durant très longtemps nous avons pourchassé ces « charmeurs » !

-        Vous n’êtes pas en reste dans ce domaine, gentlemen !

 

La voix harmonieuse de Dan est montée de plusieurs octaves avec un bord aussi létal qu’une lame de cimeterre. En un bond, je saute sur mes pieds et je me place devant mes hommes. Voler de l’énergie, autrement dit, les tuer ? Non !

 

-        Je vous préviens amicalement, Monsieur Miangel, si vous touchez à un seul cheveu de mes compagnons ou de ceux qui sont mes amis, ceux que je considère les miens, je n’hésiterai pas à vous détruire !

-        Je n’en doute pas, Dame Vera. De tous temps les Felidae avec des capacités chamaniques ont la capacité de nous anéantir. Ceci est un autre gage de ma bonne foi, sans parler que j’ai besoin de vous, Dame Vera.

 

Je regarde mes deux vampires.

 

-        Vous le saviez ?

-        Une légende le disait, mais cela n’a jamais été prouvé, milaya

 

J’ai un léger doute, mais cela attendra. Les conspirations, genre mes deux amours sont avec moi par intérêt, c’est trop flippant. Dan Miangel est sorti précipitamment de la chambre. Mikaïl le suit. Il le mènera jusqu’à Whouna, puisque c’est lui qu’il venait voir. Glorios me tend la main. J’ai déjà remarqué qu’il a besoin d’un contact physique quand quelque chose semble dérapé dans notre relation. Je la lui tends. Grand bêta ! Mes doutes sont toujours raisonnables. Il me sourit. Je sens mon sexe s’agiter légèrement. Glorios a un effet sur moi… Wouh !

 

-        Descendons !

 

 

            Whouna est sous sa forme d’homme. Dan Miangel le regarde, totalement abasourdi. Apparemment, il ne l’a jamais connu sous cette forme. Sous d’autres ? Sans doute pas. Pourquoi le fait-il avec moi ? Manifestement il ne sait pas sur quel pied danser.

 

-        Ah ! Vous êtes là… Asseyez-vous donc, Dan…

 

Dan hoche la tête et se laisse tomber dans un siège qui apparaît miraculeusement près de lui. Il a le teint cireux et ses yeux ont acquis une brillance des plus suspectes. Il ne va pas se la jouer Superman au regard laser, hein ? Mikaïl arrive avec un plateau de boissons et autres denrées exquises. Nous prenons tous place autour de la table de jardin ovale en tek clair que j’aime particulièrement. Personne ne dit rien. Je prends  une couque au chocolat. Faut bien que je me retape un peu ! Whouna prend place aussi. Il a un semblant de sourire qui erre sur son visage indescriptible, mais d’une beauté radieuse. L’espèce d’aura impalpable qui l’entoure est toujours là, mais d’une teinte plus soutenue. Une sorte de bleu très pâle, céruléen.

 

-        Euh… vous vouliez me voir, Dan ?

 

Il se tourne vers moi. 

 

-        Je… oui. Je venais prendre de vos nouvelles et voir si tout allait bien avec Whouna…

-        Comme vous voyez, ça gaze un max !

-        Ça gaze ? Y a-t-il eu un problème avec l’installation de…

-        Non ! Ça veut dire que tout est au top !

-        Ah oui ! Je vois…

 

Sûrement autant que moi dans des situations similaires. C’est curieux comme il a l’air jeune et vulnérable! Je regarde mes deux hommes qui ne quittent pas des yeux Dan. Surprenant de voir comment ils acceptent bien Whouna, qui pourrait s’avérer très dangereux et combien ils restent méfiants et défiants vis-à-vis de Dan. D’accord ! Leur histoire commune explique cela, mais…             Whouna regarde Dan. Un instant sa main se pose sur celle de Dan. Une sorte de halo blanchâtre entoure leurs mains. Mes deux amours ne semblent pas voir ce que je vois. Le halo se propage autour de Dan qui se relâche légèrement et reprend cette attitude de confiance qu’il a abhorrée depuis notre première rencontre. Il a ce drôle de petit sourire, aussi. Il hoche la tête. Whouna retire sa main. J’ai la sensation qu’ils ont échangé des mots durant ce geste. Whouna se tourne vers moi, ainsi que Dan. Quoi ?

 

-        Dame Vera… je suis venu vous voir ainsi que Whouna afin de vous transmettre un message de gratitude de la part de mon père. Il désire vous faire parvenir un « Libratom » qui vous aidera dans la résolution de notre problème.

 

J’entends une sorte de glapissement étouffé qui semble émaner simultanément de Glorios et de Mikaïl, Quoi encore ? Glorios regarde fixement Dan et Mikaïl fait de même. Je me crispe. Ça ne va pas tourner au pugilat, hein ?

 

-        C’est quoi un libratom ?

 

Mikaïl se tourne vers moi un instant avant de reporter son regard halluciné vers Dan.

 

-        C’est le plus grand insigne d’honneur d’un Fae. Un Libratom est un manuscrit millénaire qui n’est dévolu qu’aux Faes, mais pas à tous. Ils sont réservés à des personnes qui sont considérées comme exceptionnelles. Ils sont connus comme étant mythiques et beaucoup croient aujourd’hui qu’ils n’existent que dans les légendes.

-        Et pourquoi tu ne crois pas cela… et Glorios non plus, mon amour ?

-        Parce que Mana en a reçu un voilà très longtemps.

-        Oh ! Bien sûr ! J’aurais dû y penser. Et pourquoi le remettre à moi ? Je ne suis pas fée, ni même Outre-Vivant…

-        Non, petite Vera, mais tu es celle qui saura m’apporter la juste mesure. Le Libratom t’aidera à supporter ce qui adviendra et te protègera tour à tour. C’est une sorte de puissant talisman.

-        Oh ! Parfait ! Pas de tatoo ou de marque, alors ?

-        Non. Tu as en toi suffisamment de marques et de tatoo. Mon aura s’est mêlée à la tienne et est suffisante pour te préserver des obstacles et autres difficultés.

-        Ah ! Comme une assurance tous risques…

 

Whouna reste pensif quelque seconde, puis sourit de manière si éclatante que je me sens illuminée.

 

-        C’est en effet une bonne analogie. Mais je ne peux te préserver de ce que tu es, ni ce que tu sens et encore moins de ce que ta vie et ton existence sont.

-        Je le comprends parfaitement, Whouna.

 

Dan fait un geste de la main et une sorte de livre pas très grand ni très épais lévite dans les airs avant d’atterrir devant moi. Je ne suis pas très impressionnée par l’artefact, sauf que tout à coup je le vois vraiment et il est… magique, splendide, époustouflant et… indescriptible. C’est comme la quintessence d’un livre. Son apparence anodine cache la perfection d’un orfèvre, d’un enlumineur, d’un incunable, d’un… Oh ! Je ne peux même pas trouver une référence valable, il n’y en a tout simplement pas ! Je tends la main pour le toucher, mais me ravise aussitôt.

 

-        Prend-le entre tes mains. Le Libratom est une présence qui nécessite le contact avec son protecteur.

-        Son protecteur ?

-        C’est le nom donné à celui ou celle qui obtient le Libratom.

-        Ah ! D’accord !

 

Je le prends et tout à coup, c’est le foutoir intégral ! A tel point que je… tombe dans les pommes ! Bonjour Madame aux Camélias !

 

 

17.

 

            Dans un état d’apesanteur totale, je me sens vaseuse, mais consciente. Mon essence de chamane m’a mise « sous vide », le temps que mes « interférences » entre mes marques et autres tatoo stoppent le bug physiologique et cutané. En prenant le Libratom tous mes tatoo ont commencé à se la jouer sonnette d’alarme et c’est franchement désagréable. En un maelström étourdissant je sens toutes mes marques vibrer et c’est pire qu’hallucinant !  La marque de Mana avec ces cercles ocre et noirs sur ma hanche tourbillonnent sans fin, se mêlant avec l’ankh de pureté ocre et brun avec sa plume stylisée, un côté blanc et un autre noir sur le haut de mon sein gauche, cadeau de Manoya, fille de Mana, décédée voilà longtemps et me reconnaissant comme Matriarca, autrement dit, sa mère spirituelle. Elle est aussi gardienne d’un artefact très important pour les vampires, un sceptre, gardien des Prescients, les âmes des anciens. La spirale onirique sous mon bras gauche interne, la marque des « marcheurs de rêves » et talisman offert par Crisold fourmille en se liant à la patte stylisée de loup dessinée par John autour de mon nombril, GPS à l’occasion pour les Mondes parallèles et autre Espace Astral où je pourrais me perdre. John… Le serpent qui se mord la queue en ocre brillant siffle sur ma hanche, cadeau étrange du Dévoreur, cette entité sinistre qui sut me faire une peur d’enfer ! La griffe de Flidais au coude m’arrache un gémissement inaudible, quand la griffe du loup instillé sur le haut de la main gauche par Jostard, marque honorifique du Clan des Garous et signe de ma fonction de Vachtaracho Cosanta, autrement dit, Suprême Protectrice des Clans, s’élance en un battement sourd et vif. La marque virtuelle imprégnée à mon âme autour de mon aura par Leanna m’enveloppe toute, essayant en vain de calmer la folie des marques. Le Bâton du Pèlerin stylisée avec son sceau cabalistique sur un large pommeau encré sur mon pouce, protection du pouvoir des Fées, marque de Dan Miangel, s’élance pour batailler avec la griffe de Flidais. Je vois mon corps combattre avec les marques sans que je ne puisse rien faire. Mon esprit est au-delà. Soudain je vois apparaître près de moi chacun de ceux qui m’ont fait un tatoo ou une marque. Enfin, quand je dis que je les vois apparaître, ils sont dans cet espace de no man’s land dans lequel je flotte depuis je ne sais combien de temps. Flidais, toujours aussi merveilleuse et fascinante me regarde le visage convulsé, puis révise tout mon corps.

 

-        Eh bien, petite vivante ! Qu’avons-nous là ? Peux-tu m’expliquer une telle… anomalie ?

-        Je… non… enfin…

-        Matriarca…

 

Je vois Manoya se tenir près de moi et caresser sa marque. Aussitôt celle-ci s’apaise et redevient un simple tatoo. Flidais fronce un sourcil, la moue railleuse. Un tourbillon plus tard An-heh, alias Anubis, se présente devant moi. Son aura de Dévoreur des âmes me congèle sur place. Il tourne son regard sombre vers Flidais.

 

-        Flidais… Es-tu responsable de cette ignominie ?

-        Toujours aussi arrogant mon pauvre An-heh ! Crois-tu que je perdrais du temps aux petits jeux insignifiants des petits humains ? Mon temps est valeureux et autrement utile ailleurs !

-        Toujours aussi garce, ma pauvre !

 

Crisold sous sa forme animique me rejoint. Il se tient de l’autre côté de moi. Manoya me tient la main.

 

-        Vieilles querelles entre Dieux déchus ! N’y prête aucune attention, Matriarca…

-        Je… oui, je vais essayer, mais ils sont flippants…

 

Je sens mon âme trembloter. Leanna en profite pour apparaître comme une nuée apaisante et je sans mes tatoo se calmer un peu. Mana arrive jusqu’à moi, alors que Crisold touche sa marque qui détient son lancinant fourmillement. Je lui adresse un sourire de gratitude.

 

-        Petite fille… tu tiendras le coup ?

-        Il faut espérer…

-        Lumineuse… voilà… les cercles de vie et de mort ne te gêneront plus…

 

Il se tourne vers Manoya qui me tient toujours la main avec tendresse.

 

-        Manoya, fille chérie… je suis heureux de te voir quoi que les circonstances…

-        Oui, père, le sentiment est réciproque…

 

Ils se serrent dans les bras. J’entends de manière confuse la bagarre d’An-heh et de Flidais et je n’arrive pas à détacher mes yeux de ce couple surprenant.

 

-        Eh bien, grand dévoreur des âmes, on se languit de son ancienne gloire ?

-        Qui parle, là ! Mon effigie est plus reconnue et vue que tu ne le seras jamais, déesse de la chasse et détrônée par une Diane Chasseresse…

-        Jamais ! Comment oses-tu comparer une pâle copie gringalet avec ce que j’ai été durant des millénaires ? Tu as toujours été une langue de vipère, mon pauvre…

 

Les insultes s’échangent en boucles, alors que leurs marques continuent à me vriller le corps et en partie déjà l’aura et l’âme. J’entends une mélopée et je sais que c’est Leanna qui l’a entamée.

 

-        Lumineuse, je dois rejoindre Leanna…

-        Je me dois de te quitter aussi, petite fille… j’étais, disons, tourné vers d’autres affaires en compagnie de Ranita…

-        Oh !

 

Je rougis violemment. OK ! Génial ! Un loup gigantesque et magnifique apparaît et se détient devant moi. Je sais que c’est John.

 

-        Eh bien, petite féline, je te perds de vue quelques jours et c’est déjà la catastrophe. Heureusement que j’arrive bientôt.

-        Pfff ! Si tu crois que je t’ai attendu pour savoir me débrouiller seule…

-        Je vois cela ! Deux déidés furibondes qui s’écharpent en paroles et des marques en folie qui te dévastent le corps et l’aura sont très significatifs de ton ingéniosité à te débrouiller seule !

-        Ne me fais pas le coup de l’Alfa, j’ai horreur de cela ! Du reste, je n’y suis pour rien… C’est lorsque j’ai eu entre les mains le Libratom que…

-        Le Libratom ?

 

John fait un bond en avant et je vois dans cet étrange regard si humain et si lumineux passer une série de sentiments et d’émotions que je n’arrive pas à décoder.

 

-       Oui… Le Libratom. Quoi ?

-       Ah merde ! Je retire tout ce que j’ai dit. Tu n’aurais rien pu faire… mais…

 

Flidais est nez contre nez avec An-heh et ils sont à deux doigts de s’écharper. Mon souffle devient hiératique, même sous ma forme animique. Je commence à me sentir vraiment mal. John se coule contre moi et je me retrouve juchée sur son corps, alors que Manoya me frotte les mains. Je suis sur le point de m’évanouir et je sais que c’est plutôt mal barré. Un brouillard apparaît au coin de mon œil. Whouna. Je reprends souffle et espoir. An-heh est le premier à se tourner vers Whouna qui m’apparaît dans toute sa splendeur, plus brillant que jamais. Son aura est si intense, si lumineuse, si formidable que j’en suis éblouie. Flidais pousse un petit cri en regardant Whouna avec une lueur de passion désinhibée dans le regard.

 

-        Whouna ! Par Thor ! Tu n’as jamais été aussi beau…

-        Flidais, déesse chasseresse, guerrière des sens… tu es toujours aussi splendide.

 

Il se tourne vers An-heh qui a repris contenance.

 

-        An-heh, vieil ami… les circonstances sont étrange, je te l’accorde… mais je me réjouis de te revoir…

-        Moi de même, Rêponum…

-        Voilà bien longtemps que ce nom n’avait été prononcé en ma présence, An-heh…

-        Il a même disparu des mémoires…

-        Ainsi va le temps ! J’ai été un des premiers Dieu au tout début de votre culture, An-heh…

-        Je m’en souviens… Es-tu responsable de cette sottise, vieil ami ?

-        Indirectement…

 

Je pousse un hoquet et Whouna est devant moi. Il pose sa main sur moi et les marques de Flidais et d’An-heh cessent de me torturer. Je ressens un soulagement imminent et aussi une grande lassitude. An-heh me regarde, le sourcil froncé.

 

-        Eh bien… je te reconnais, petite vivante… tu m’as sauvé, il y a peu de temps…

 

Je hoche la tête, trop épuisée pour dire un mot, outre le fait qu’il me fout une trouille démente ! Flidais se penche sur moi. Elle pose un doigt sur la griffe et celle-ci se rétracte m’envoyant une douleur aiguë dans le coude. Whouna la regarde fixement. John grogne.

 

-        Oh, petit loup… de la lignée de mon cher Cosanta… tu défends ce qui est tien… Bien !

 

Elle pose sa main sur la tête de John qui ne bouge plus. Son regard est féroce, mais je le sens entravé.

 

-        Allons ! Je ne ferai rien à ta douce compagne… mais… mieux vaut qu’elle ne me dérange plus de cette manière. Je poursuis une proie succulente et si je me vois dans cette pénible situation une nouvelle fois, tu deviendras mon jouet préféré…

 

Elle se tourne vers Whouna. Elle s’approche de lui et lui… lui roule une pelle tout en posant sa main sur son entrejambe ? Wouh ! Je reste la bouche ouverte. Une seconde plus tard elle disparaît avec panache. John grogne de plus belle. Whouna l’apaise en lui susurrant quelques mots dans un langage inconnu. John se calme. Il me laisse glisser au sol, puis pose sa truffe contre mon cou. Je tremble légèrement. Manoya se penche et m’embrasse sur le front.

 

-        Matriarca… je suis là pour toi… n’aies crainte, tout ira bien…

 

Elle se tourne vers Whouna qui la prend contre lui. En une fraction de secondes, elle disparaît absorbée par son corps. Je plisse les yeux en déglutissant. Wouh !

 

-        Bien ! Puisque la fête est finie, je m’en vais aussi…

 

An-heh se penche vers moi. Je me recroqueville instinctivement. John ne bouge pas, mais je le sens en alerte.

 

-        Loup ! Tu es splendide et tu as l’étoffe d’un Dieu… ne laisse pas cette garce de Flidais t’atteindre ! Elle se croît plus forte qu’elle n’est en réalité! Tu as la protection de cette magnifique femme humaine… elle saura te protéger…

 

John baisse les yeux et penche la tête. An-heh pose sa main éthérée sur la tête de ce dernier. Un éclair sourd des doigts et se répand sur le corps de John. Il pousse un bref couinement. Une seconde après, An-heh disparaît à son tour. Je pose mes bras autour de John.

 

-        John… John… tu vas bien ? Il t’a fait mal ?

-       Non. Il m’a fait don d’une protection animique… c’est un grand hommage…

-       Mais tu trembles…

-       Oui. An-heh est craint parmi les miens.

-       Je veux bien te croire !

-       Ne t’inquiète pas… Il me faut te quitter, ma féline, mais je ne tarderai pas à te rejoindre et… je compte sur ta bienvenue…

-       Tu le peux…

 

Je le regarde dans les yeux. J’ai pris ma décision, mais je ne peux encore rien lui dire. Il s’évanouit hors de cet espace. Whouna s’approche de moi.

 

-        Petite Vera… Tout ceci est désolant. Je vais y remédier. Il nous faut rentrer.

 

Ses bras et son corps sont si solides contre mon corps épuisé. Je me laisse aller complètement.

 

-        Oui. Allons-y ! Mes deux amours doivent être…

-        Ne t’inquiète pas. Glorios a pu se contenir. Nous savions que tu n’étais pas en danger…

-        Tu as fait ton tour de magie par le miroir…

-        Tu as de moi une vision si juste, ma petite Vera…

Je soupire. Black-out !

 

 

18.

 

            La véhémence des mots échangés me réveille en sursaut. En fait… je ne me souviens pas de m’être endormie et… en une fraction de secondes, je me rappelle tout. Les marques, les tatoo en folie, ma présence dans l’Outre-Monde et… Wouh ! Tout ! Je suis toujours au même endroit… enfin, mon corps est au même endroit avant de partir sans lui ailleurs, mais… Whouna m’a ramené dans ses bras et… bref ! J’ai un peu de mal avec le côté matériel dans l’immatériel et le côté immatériel dans le matériel ! Mais il va falloir m’y faire sans comprendre, en attendant de comprendre quelque chose, même si je comprends que je n’y comprendrais jamais rien ou à peine. Je regarde vers le bas. Finalement, je suis ailleurs… dans le hamac… donc on m’a déplacé, parce que je…

 

-        Mon aimée… tu as recouvré conscience…

 

Une seconde plus tard, je suis dans les bras de Mikaïl et le hamac se balance à peine. Quelle agilité ! Flippant ! Je me love avec délectation contre son grand corps tiède. Il me tient serrée. Son souffle balaie mes cheveux. Je sens son cœur battre la chamade. Je sais qu’il a eu peur, qu’il a été effrayé pire que la mort. Je décrypte chaque souffle, chaque frémissement de son corps et je suis désolée d’une telle frayeur…

 

-        Je suis désolée, mon ange, mon aimée…

-        De quoi ? D’accepter d’aider des êtres dont tu ne soupçonnais même pas l’existence pour des affaires qui te dépassent complètement ?

-        Oui. De tout cœur, ma si belle, ma tendre…

 

Sa voix est enrouée. Je déglutis fortement et me serre contre lui avec ferveur et passion. Je veux m’excuser pour le rendre vulnérable à moi, à ce qui peut m’arriver. Je me sais plus forte, plus aguerrie, mais jamais autant que lui, ni personne dans la… Un rugissement retentit non loin de moi. Mikaïl m’enserre de plus belle.

 

-        Bon sang, Mi ! C’était quoi, ça ?

-        Je ne peux pas l’affirmer, mais je crois que c’est Glorios !

-        Oh non ! En yengo ?

-        Non ! Whouna ne l’aurait pas permis. Tu sais combien cela le débilite ! Etant trop peu de son espèce et possédant une telle puissance, les autres sont ses descendants et ne peuvent guère l’appuyer énergétiquement comme il se doit lorsqu’il se transforme en yengo. De plus sa nature vampirique ne peut l’aider, elle reste annihilée par sa nature yenguiste. C’est une des raretés de nos multi-natures et essences. D’ordinaire, elles s’annihilent les unes, les autres lorsqu’une émerge, pour l’appuyer ou la rendre plus performante, mais pas dans le cas du yengo.

-        Oui, mais… Glorios est…

-        … toujours un peu soupe au lait. Je gagerais plutôt pour sa transformation en Wunungè.

-        En quoi ?

-        C’est en quelque sorte l’ancêtre du loup, enfin des canidés en général, sauf que beaucoup plus puissant, grand et prédateur. Il a aussi la capacité de résister à la magie Fae, voire la détruire. Je gagerais que c’est après Dan Miangel qu’il en a…

-        Mais… il ne peut pas détruire Dan Miangel ! Il n’a pas fait exprès, enfin je veux dire, qu’il ne pouvait pas prévoir ce qui allait m’arriver ! C’est comme si j’avais une allergie à quelque chose sans le savoir et que tu me donnes à manger un aliment pourvu de cet élément hautement nocif pour moi ! Je ne peux pas te rendre responsable de cela, ce serait méchant, mesquin, injuste et idiot !

-        Glorios ne s’arrête jamais à ce genre de considération.

-        Oui, bon, d’accord, mais je refuse de voir un de mes invités bouffer par un wu-machin-chose ! J’ai toujours mis un point d’honneur à m’occuper au mieux de mes invités ! Lâche-moi, Mi ! Je dois aller…

-        Whouna ne laissera pas se produire l’inévitable…

-        Whouna est un invité de marque, je te l’accorde, mais ce n’est pas à lui de régler les problèmes de ma maison !

 

Mikaïl me soutient toujours. Je sens un tremblement suspect et inaudible agiter son corps. Non ! Il est mort de rire. CV, va ! J’arrive à me dépêtrer de sa prise avec l’agilité d’une grabataire, pas du tout aidé par l’âne bâté que j’aime de tout mon être,  mais j’y arrive. A mesure que je m’approche de la salle à manger, les sons sont plus aigus. Oh bon sang ! Pourquoi tous ceux qui se transforment doivent toujours faire autant de boucan ? Et la pollution auditive, ils connaissent ? Je ne peux pas me balader avec des boules Quiès ou des écouteurs tout le temps, non ? Mikaïl continue à rire derrière moi. Mais quel CV alors !

J’entre dans la pièce. Dan Miangel est collé contre le mur entre la grosse armoire en noyer de Tatie Evelyne, décédée depuis bien longtemps et la montre avec pendule, inutilisable depuis trente ans, de Tonton Herbert, tout aussi mort depuis le temps ! Une sorte de loup version XXXL, en partie accroupi en position pour sauter, rugit sous le nez d’un Dan Miangel qui n’en mène pas large. Il est statufié et presque vert. Et merde ! Whouna se tient près de la bête, une de ses grandes mains aux doigts effilés et élégants reposant sur l’énorme tête poilue d’un gris bleuté de toute beauté. La bête tourne sa gueule vers moi et je reconnais le regard de Glorios, même si deux autres cercles concentriques tournent autour de l’iris. C’est curieux, mais peu importe la transformation que prend Glorios, je reconnais toujours son regard. Les yeux ne mentent pas ? Ce serait la parfaite illustration ! Whouna me lance un sourire éclatant. Son aura a légèrement changé dans une teinte que je n’arrive pas à déterminer. Je sais juste qu’il contient la bête. Génial ! Un apprivoiseur de bêtes exotiques !  

Je m’approche du trio infernal en soupirant. Je me hausse sur la pointe des pieds pour avoir les yeux de Glorios en face des miens. La stature du bestiau doit bien être aussi formidable que celle d’une vache et demie. Je dois sans doute me sentir heureuse de ne pas devoir nourrir une telle bestiole. Je doute même qu’il y ait des croquettes pour wu-machin-chose… Mais bon ! Il faut arrêter le massacre ! Et c’est qui, qui doit s’y coller ? Bibi, bien sûr !

 

-        Glo…. Même si je suis toujours heureuse de rencontrer tes « moi » profonds et intérieurs, j’apprécierais que tu ne le fasses pas pour effrayer mes invités ! C’est très désagréable et totalement inconvenant. Pire, c’est le contraire de ce que je veux pour mes invités. Donc, tu reprends tes esprits et le reste et tu te comportes comme un bon amphytrion !

 

Les yeux de Glorios me fixent longuement. Puis il lâche une sorte de grondement vaguement méprisant et insolent. Lentement je le vois changer de forme jusqu’à redevenir Glorios dans toute sa gloire dénudée ! Merveilleux ! Mikaïl est quelque part derrière moi, écroulé de rire ! Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle ! C’est même franchement navrant une telle attitude.

 

-        Bien ! Merci ! Je crois que tu devrais aller t’habiller. Pendant ce temps, je vais m’occuper de Monsieur Miangel…

-        Dan…

 

La voix est fluette et je la reconnais à peine. Je regarde le visage statique de cet homme étrange que j’ai du mal à cerner. Glorios m’embrasse avant de disparaître en un clin d’œil. Waouh ! Je reprends contenance. J’en étais où ? Ah oui !

 

-        Oui, bien sûr, Dan…

 

Je me tourne vers Whouna.

 

-        Merci, Whouna. Décidément tu ne t’attendais sûrement pas à tout ce foutoir.

-        Ma petite Vera… ceci est divertissant, je te l’assure.

-        Oui. Je commence à me dire que c’est une des raisons qui ont fait que les Outre-Vivant ne nous ont pas achevés depuis le temps ! Vous trouvez les humains divertissants ! Quelle merveilleuse chance que nous avons là! Oh, la la la !

 

Whouna fronce les sourcils, puis me sourit. J’en suis totalement éblouie. Avec tout ça… Où sont Leanna et Mana ?

 

 

19.

 

Leanna entre dans la pièce, suivi par Mana. Elle sait pour l’entrée inopinée et impromptue de Dan dans la maison et elle a compris que je n’avais mis aucunes protections à la demeure. Elle va donc faire le nécessaire pour remédier à la situation et je lui suis reconnaissante. Je ne sais pas en quoi cela consiste. Je sais juste que dans presque tous les auteurs de Bit-lit et même de fantastique ou de science-fiction ou d’heroic-fantasie, on en parle. Je suppose donc que ça doit être de l’ordre de sonnettes d’alarmes surnaturelles. Bon ! Si ça peut aider, moi je ne suis pas contre. L’expression « entrer comme dans un moulin » est parfaite considérant ce qui se passe avec mon cerveau, autant qu’on ne l’applique pas aussi à mon foyer. J’ai bien quelques doutes sur l’efficacité des protections, mais je suis partante !

Leanna me regarde longuement. Une sorte de lien puissant nous unit, étant toutes deux d’essence Felidae et chamane, d’après ce que j’ai compris. Elle pose sa main sur mon épaule.

 

-        Je vais faire le nécessaire pour protéger ton foyer. Nous parlerons à un autre moment… Je te laisse entre de bonnes mains.

-        Merci. Désolée pour le turbin improvisé, mais personne ne m’a prévenu à l’avance…

-        Les invitations sur rendez-vous ne sont pas le fort des Outre-Vivant.

-        ¡Y que lo diga, mi alma!

 

Elle lance un regard de connivence chargé d’amour à Mana, puis sort avec un petit rire après m’avoir serré dans ses bras avec tendresse. Je soupire profondément. Je suis épuisée. Mana est assis en face de moi dans le profond siège. J’aime tellement cette pièce, mon séjour. Je regarde le transat que l’autre jour j’ai acquis sur un coup de tête. Il est si léger... Je me dis que je vais l’utiliser très bientôt ! Quel futur bonheur ! J’en ai vachement besoin et compte-tenu du dernier évènement… Mana fronce les sourcils.

 

-        Qu’est-ce qui te préoccupe, hene ?

-        Tant de choses, mais tu n’as pas envie que j’approfondisse, cher Mana, surtout que vous êtes à peine revenu de votre petit voyage en amoureux.

 

Mana a ce sourire si vital, si éclatant que je m’en sens toute auréolée. J’inspire profondément.

 

-        C’est un bon moment, justement, hene, pour me parler de ce qui te préoccupe.

-        Oui. Comment sais-tu que ce n’est pas Whouna et la clique qui me pose problème ?

-        Je te connais, ma hene… bien que la situation ne soit pas des plus simples à mener, tu t’en sors très bien. J’irais même jusqu’à dire que cela te… booste ? Est-ce le terme approprié utilisé actuellement ?

-        Wouh, Mana ! Si toi aussi tu t’y mets, où va le monde ?

 

Mana a un rire si chaud, si joyeux que je ris aussi. Les rires font place à un sourire complice. Il ne dit rien, se contentant d’attendre mon bon vouloir. Je soupire, pas du tout certaine de ce que je vais dire, ni comment, ni si c’est important que je le raconte… Je me lance !

 

-        J’ai eu un cauchemar… enfin, pas vraiment. Je ne sais pas bien comment le définir.

-        Prend ton temps…

 

Je revois ce qui s’est passé comme dans un film muet. Normalement, je ne devrais plus m’inquiéter de celui-ci, il a eu lieu voilà trois jours, mais il revient perpétuellement dans mes souvenirs et cela m’inquiète toujours autant. J’inspire profondément.

 

-        Je dormais… tard. Très tard. Je… tu sais combien c’est difficile pour moi de dormir la nuit, avec les âmes qui rôdent et tout le saint frusquin…

-        Oui…

-        Alors, je me suis endormie et tout à coup, je me suis réveillée en sursaut, le cœur au bord des lèvres. Je ne sais pas ce que je rêvais ou si même je rêvais, mais au moment où j’ai émergé du sommeil, j’ai eu la sensation que quelque chose m’enrobait comme une sorte de toile noire épaisse ou encore un corps obscur et inconsistant qui se cernait à moi pour… je ne sais pas ! C’est cela qui me ronge. J’ai la sensation d’avoir échappé à un danger, mais je ne sais pas de qui ou de quoi ! C’est tellement flippant et… j’ai eu le sentiment que c’est mon réveil qui a empêché que je ne sois « prise » par cette chose noire. Etait-ce une tentative de possession, Mana ? Je suis… possédée et cela est-il possible ?

 

Un brouillon plus tard, Mana est assis près de moi et me tient contre lui, mon visage sur son épaule. Je me sens tout de suite en sécurité. Son tatoo se met à vibrer à l’unisson du mien et je sais qu’il m’octroie un peu de sa force et de son énergie par ce lien. Le froid et la terreur refluent comme une déferlante cassée.

 

-        Tu n’es pas possédée et ce n’est pas un cas… démoniaque, loin s’en faut ! C’est plus probablement une âme qui désirait s’accrocher à toi. Une âme qui vient de mourir et qui a « vu » ta luminance. Beaucoup d’êtres refusent la mort et tentent d’y échapper, même lorsqu’ils sont déjà morts.

-        Je comprends… théoriquement, mais cela ne me rassure pas.

-        Je le conçois. Où était Ned ?

-        Il était là lorsque je me suis calmé. Il m’a enjoint de me rendormir et je l’ai fait tout de suite. J’ai dormi profondément. Ce n’est qu’à mon réveil que la peur est réapparue.

 

Je serre tellement mes mains l’une contre l’autre que j’ai l’impression qu’elles finiront par se rompre. Mana me prend les mains et doucement me les caresse. Je détache mes paumes. Mana enlace l’une des siennes à une des miennes. Le tatoo de l’envoûteur me picote. Mana le sent aussi, mais il a un rire bas ironique et amusé.

 

-        Dan Miangel…

-        Tu le connais?

-        Oui. Nous aborderons ce sujet plus tard. Dis-moi ce qui te préoccupe vraiment, hene.

 

Si perspicace ! Je suppose qu’on n’arrive pas à cet âge sans en savoir plus que la moyenne sur tout et n’importe quoi.

 

-        Ne t’y fies pas, lumineuse. Le nombre d’années ne détermine pas le degré de sagesse, de la même manière que la capacité de raisonnement ne dépend pas de la nature de la personne, mais bien de sa capacité à comprendre faits et gens. Crois-moi, j’ai connu bon nombre de personnes d’un âge « jeune » comparé à celui que j’affiche au « compteur », comme vous dîtes, qui a forcé mon admiration par leur sagesse et leur grand savoir. Il aurait pu nous en remontrer sans aucune difficulté sur bien des sujets !

-        Un vieux con est d’abord un jeune con ?

-        Résumé ainsi, c’est sommaire, mais assez juste.

-        Donc on nait sage en quelque sorte…

-        L’âge ne nous apprend rien de plus qu’une plus efficace capacité à vivre et à exister quelles que soient les évènements et circonstances. Cette habileté est à la fois innée et acquise. Pour le reste, c’est comparatif aux capacités intellectuelles de chacun. Certains excellent en des matières plus théoriques, d’autres dans le manuel, la plupart du temps les personnes combinent plusieurs choses. Tout n’est pas si compartimenté. La compatibilité usuelle des capacités s’additionnent, ne se rejettent que rarement, ni ne se soustraient.

 

Je comprends ce qu’il dit, mais c’est bien trop élaboré pour mon petit cerveau.

 

-        Ne te sous-estime jamais, hene. Dis-moi la nature de ton angoisse…

-        Je… j’ai eu la sensation, non, plutôt la certitude, quoi que cela reste encore très confus, que ce n’était pas la première fois que quelque chose voulait m’envelopper comme cela.

 

Mana me serre contre lui. Mes tremblements irrépressibles se sont arrêtés. Je suis bien, sereine et apaisée.

 

-        C’est probable. Tu es « attirante » pour les âmes. Mais, crois-moi, tu as prouvé que tu savais gérer la situation. Ton réveil en urgence le prouve sans nul doute. Le fait que Ned ait été là aussi. N’en veut pas à ces âmes. La peur de la mort est atavique.

-        Pour vous aussi?

-        Tout être doué de vie ou d’existence, comme le sont les Outre-Vivant, a cette peur ancrée en lui. Cela fait partie d’un instinct puissant et sûr.

-        Sûr?

-        Oui. Cela tient en éveil le désir de vie ou d’existence que nous avons en nous de façon innée, mais qui doit augmenter par des acquis actifs. Sans lui nul être doué de vie ou d’existence ne ferait de distinguo et ne pourrait pas apprécier leur vie ou leur existence. Sans la mort, la vie ne serait pas ce qu’elle est, inestimable et délectable. Sans la vie, la mort ne serait pas non plus. L’une et l’autre sont liées intrinsèquement, mais indépendantes l’une de l’autre, elles interagissent cependant toujours au mieux pour tout être. Elles sont totalement compatibles, comme vous diriez.

 

Je n’y avais jamais pensé. Ça se tient pourtant ! Curieusement, je n’ai pas peur de mourir, même pas de vieillir. Je suis trop occupée à passer mon temps à vivre…

 

-        C’est la loi cardinale. Vivre. Exister. C’est le principal. La mort n’est que la finalité d’un temps de vie ou d’existence, sans plus, mais c’est simplement assez. La mort est autre chose qui est en nous déjà et toujours, mais qui ne se manifeste qu’à certains moments pour aboutir à sa finalité ou pas.

-        Amen !

 

Glorios se tient contre le chambranle de la porte vitrée donnant sur la véranda couverte qui prolonge le séjour. Sa pose est une mise en scène qui me fait un effet bœuf ! Il fait si… mauvais garçon ! J’adore !

 

-        Mikaïl m’envoie vous chercher. Il a préparé des gaufres et des crêpes pour un régiment.

-        Génial. Encore des kilos aux hanches. C’est heureux que vous venez d’un temps où les femmes avaient des hanches et que vous aimez ça, parce que du contraire…

 

Un brouillon plus tard, entre des rires quasi inaudibles, distorsion du mouvement je suppose, je me retrouve assise devant une assiette garnie de fruits frais présentés artistement et de la bonne odeur de gaufres prêtes à être dégustée. Mouais !

 

 

20.

 

Je regarde le monceau de délices caloriques qui garnit mon assiette et j’en ai l’eau à la bouche. Je me sens coupable, mais cela ne va pas stopper mon coup de fourchette. Mikaïl s’approche de moi et me serre contre lui, embrassant mes cheveux.

 

-        Ça va, mon aimée ?

-        Oui.

-        J’aurais dû rester cette nuit-là…

-        Mi… ne recommences pas avec ça ! Nous en avons déjà discuté. Nous sommes ensemble, mais pas comme des frères siamois. Je… je ne peux pas être dépendante de vous deux et je ne le désire pas. Ni vous non plus. J’ai besoin… d’espace, de distance… raisonnable, mais c’est vital…

 

Mikaïl soupire. Glorios grogne en me fixant de ses yeux si particuliers, si attirants. J’ai toujours un désir irrépressible de lui niché entre mes jambes.

 

-        C’est valable pour toi aussi, Glo.

-        Je sais, je sais… Mangeons !

 

Il se sert aussitôt. Mana entre suivi de Leanna qui vient s’asseoir à la table après m’avoir pressé l’épaule affectueusement. Elle me sourit en se calant confortablement dans le siège.

 

-        Pour le moment, j’ai protégé ta maison au plus juste. J’établirai un système plus élaboré la prochaine fois. Et lorsque nous le pourrons, ma chère Vera, je t’aiderai à trouver quelques parades pour tes dons.

-        Quand tu veux, Leanna. Cette situation est assez flippante !

-        J’imagine.

 

Mana regarde Leanna avec des yeux brillants d’amour. Ils forment un couple tellement harmonieux et splendide. Mana me fait un petit salut de la tête et Leanna a un petit rire plein de séduction. Merde ! J’oublie toujours que mon esprit est une vraie passoire. Va falloir travailler à colmater les fissures !

 

-        C’est prévue, mon aimée…

-        Parfait !

 

Durant quelques minutes nous dégustons ce quatre heures bienvenu. Nos silences disent plus de notre amitié et de notre complicité que tous nos dialogues réunis. Je fronce les sourcils.

 

-        La magie existe vraiment ? Je veux dire, y a-t-il des gens qui ont vraiment ces sortes d’habiletés exceptionnelles ?

 

Quatre paires d’yeux relèvent la tête et me regardent fixement. Mana a un bref sourire. C’est toujours si surprenant. Cela me fait penser à une étoile filante. Il me porte chance, je le sais.

 

-        Dan Miangel, par exemple…

-        Oui. Enfin, je pensais à lui, mais pas vraiment. C’est juste qu’avec ce que j’ai vécu les derniers mois, j’en viens à me poser ce genre de questions…

-        Ce qui est tout à fait légitime, ma félidée.

-        Merci, Glo. Alors?

-        Pas autant qu’il n’y paraît, hene. Certains sont très habiles, mais les temps ont fait leurs épreuves et leurs preuves. Ceux qui avaient des capacités surnaturelles ne vivaient pas très longtemps. Aujourd’hui encore il serait dangereux pour quiconque d’afficher de trop grandes aptitudes de ce genre.

-        Mais pourquoi ? On ne pratique plus la chasse aux sorcières !

-        En es-tu si certaine, hene ? Je pense que les mêmes qui, au nom de quelque chose ou par pure méchanceté ou encore indifférence et toujours de manière inconsidérée, n’hésiterait pas à détruire et à tuer tout ce qui leur paraît étrange ou étranger, si cela leur est possible et loisible. Ne te fie pas aux apparences. Ce qui sort de l’ordinaire, hier comme aujourd’hui et sans doute demain, sera toujours systématiquement annihiler pour le bien de…et au nom de… Choisis le terme qui te convient, il n’en manque jamais, même si au final, cela reste le même ostracisme et la, toujours d’actualité, prise de pouvoir de certains sur d’autres.

 

Je sais de quoi il parle. J’ai quelques notions d’Histoire et ce n’est pas toujours très jojo ! La parole est d’argent, le silence d’or. Un dicton indémodable, semble-t-il. Ou encore : « Pour vivre heureux, vivons cachés » ou quelque chose comme cela. Wouh ! Qui dit mieux ? J’approuve instinctivement. La liberté d’expression est-elle réellement aussi libre de s’exprimer qu’il y paraît ?

 

-        La liberté d’expression est un autre débat qui reste d’actualité, hene. Pour en revenir à la magie… elle existe, mais pas de la manière dont elle a toujours été décrit, voire montré. Elle est une conséquence directe de plusieurs natures et essences.

-        Mais, vivre éternellement, c’est de la magie, non ?

-        Non. Pas à proprement parler ou alors il faut considérer que la Vie – et l’existence fait partie de ce que l’on nomme Vie – est d’essence magique.

-        C’est quelquefois ce que l’on dit…

-        Et sans doute n’a-t-on pas tout à fait tort. Quant aux habiletés magiques, il y en a, mais autrement. Pour en revenir à Dan Miangel… sa parole d’honneur est fiable et le tatoo qu’il a gravé sur ta paume à ce précis endroit prouve indéniablement son sérieux et sa bonne foi.

-        C’est un mage?

-        Pas à proprement parlé. Pour comprendre sa nature et son espèce, il faut en remonter à très loin…

-        Ce n’est pas un ange, tout de même ?

-        Non. C’est un Fae.

-        Fé comme la fée clochette ?

-        Plutôt comme le monde de la Faerie.

-        Tu veux dire comme Flidais ou Morrigan…

-        Oui. Entre autres.

-        Ça me rappelle…

-        Merry Gentry…

 

Je regarde Glo qui prend une mine détachée. En moins d’une seconde, je le tiens serré contre moi en l’embrassant à pleine bouche. Sept secondes plus tard, je suis revenue à ma place. Tout le monde, Glo le premier, me regarde avec stupeur. Mikaïl et Mana échangent un regard. Quoi ?

 

-        Tes aptitudes sont devenues plus performantes, hene.

-        Et c’est mauvais ?

-        Non. Seulement très surprenant. Tu as acquis des capacités que d’autres mettraient trois fois plus de temps à assimiler.

-        Et ce n’est pas grave ?

-        Non. Juste inusuel. Si cela n’était pas «bon », je le saurais. Or tu es en pleine forme, je te rassure.

-        Il faudra, mon aimée, que tu apprennes à canaliser celles-ci plus efficacement.

-        Oh ! Bien sûr ! Je n’avais pas envisagé… ce serait bizarre que les gens me voient bouger comme Diane Prince.

-        Diana Prince?

-        Wonder Woman…

 

Quatre paires d’yeux me regardent avec stupeur.

 

-        C’est une série américaine que je voyais quand j’étais petite… c’est un peu comme Clark Kent.

-        Clark Kent?

-        Superman. Un autre super héros qui va plus vite que son ombre comme Lucky Luke tire plus vite que son ombre.

 

La même immobilité chez mes convives. OK ! Faudra leur faire une petite éducation télévisée et de BD.

 

-        Laisse béton ! Donc, Dan Miangel est finalement un Fée ? Je le savais !

-        Pas vraiment, hene. Il est un descendant direct. Son… ancêtre était un Fae. Tianalampa Trujando. Il était fils de la Reine d’Hiver. Son père était supposé être Le Roi de l’Eté, mais cela n’a jamais été confirmé. Une des lois de ces cours en particulier est qu’il ne fallait pas établir de relation suivie avec une humaine ou un humain. 

-        Ben, Morrigan et Flidais…

-        J’entends par là un « mariage ». Il est évident que les Faes ont maintenus des relations avec les humains, mais cela ne pouvait pas devenir permanent, ni sérieux pour ainsi le définir. Tianalampa Trujando a enfreint cette loi cardinale. Il est tombé éperdument amoureux d’une femme et il a eu la bêtise de croire qu’il pourrait, grâce à son amour sincère, détruire des millénaires de coutumes et de lois.

-        Roméo et Juliette version fée ?

-        L’analogie est assez juste. Il est évident qu’il fut sanctionné. Etant le fils de deux rois, on lui accorda le choix de faire cesser cette « idylle » comme il le jugerait bon. Tianalampa Trujando n’était pas idiot. Il comprit tout de suite son erreur et l’ampleur de la situation dans laquelle il s’était fourvoyé. Ulcéré par son fourvoiement, il fit mine de ployer l’échine. Mais il n’était pas seulement fils de rois, il était aussi très érudit et un grand stratège militaire. Il passa un certain temps à envisager la situation sous divers angles et pris les mesures qui s’imposaient pour assurer non seulement ses arrières, mais aussi l’existence qu’il voulait pour lui.

-        L’amour a donc triomphé ? Ne me dit pas que c’est lui l’image d’Epinal du prince charmant ?

-        Charmant il l’était, mais ce n’est pas lui le modèle du conte de Perrault.

-        Ah ! Ben, dommage ! Désolée ! Continue… je t’interromps trop souvent…

-        Tes commentaires sont toujours le bienvenu, hene… Quand tout fut prêt, il envoya un message à ses géniteurs qu’il avait besoin de quelques temps pour arranger les choses du côté des humains. On le lui accorda sans problème, d’autant que tout le monde voulait que les choses s’arrangent au mieux. De retour dans le plan humain, il ne perdit pas de temps. Il trouva une chamane et un garou très puissant pour mettre autant de protections que nécessaire autour de sa bien-aimée et les siens. Il fit aussi le nécessaire pour effacer ses traces, à tel point qu’un autre Fae qui avait été envoyé à ses trousses, en vue de l’aider dans son choix, revint à la cour de la Reine d’Hiver en témoignant de la grande tragédie que fut la mort du prince. Vous vous doutez que l’on fit moult vérifications et autres tests pour valider l’affirmation du messager. Au bout de quelques temps, on en arriva à conclure que le prince était bel et bien mort.

-        Mais… au bout du temps, la vérité finit toujours par éclater…

-        Pour tout autre que Tianalampa Trujando, je pourrais dire que tu as parfaitement raison, mais il est l’exception qui confirme la règle.

 

Je fronce les sourcils.

 

-        C’est pour cela qu’on les appelle des envoûteurs ?

-        Oui. Un des dons du prince était la capacité d’effacer la vérité et de la remplacer par une qui lui agrée le plus. Ce don lui servit si bien qu’aujourd’hui encore personne ne peut croire qu’il n’est pas réellement mort en ces temps si anciens.

-        Mais… comment connais-tu cette histoire ?

-        Tianalampa Trujando me l’a raconté personnellement.

-        Quand ? Comment ? Oh, attends. C’était toi le chamane…

-        Oui.

-        Mais… vous êtes vulnérables aux envoûteurs.

-        Oui. Mais je suis, disons, l’exception qui confirme la règle. De plus, un Fae ne peut nous dérober l’énergie que dans certaines circonstances particulières.

-        Il existe encore?

-        Oh oui. C’est un être très intéressant.

-        Et son épouse?

-        Idem. Ils forment un couple exceptionnel.

-        Waouh ! Le « s’unirent pour toujours » est vrai dans leur cas…

-        On peut l’exprimer ainsi. Ils s’aiment tout simplement.

-        Wep ! Vas dire ça aux 7/10 divorcés actuels !

 

Tout le monde rit. Pas moi. Ça m’en bouche un coin !

 

-        Donc, Dan Miangel est un descendant de fée…

-        Pas exactement. C’est un hybride…

-        Oh, comme un dhampir… Dorina Basarab, qui est la fille de Mircea un vampire, la mère était humaine et Mircea est l’amant et le « mari »  de Cassandra Palmer qui est… Euh, bon… c’est une série de Karen Chance, enfin deux en fait, celle de…

 

Glorios pousse un énorme soupir. Merde ! J’avais pas pensé…

 

-        Ne t’inquiètes pas, yamanahe, je viens d’acquérir une librairie… cela me sera plus facile pour me mettre au diapason…

-        Euh… tu pouvais aussi essayer via les ebooks…

-        Je te remercie de la suggestion, mais je ne pense pas être encore arrivé à un tel modernisme.

-        Je comprends cela… tenir un bouquin en main, tourner les pages… je comprends vraiment…

 

Nous nous sourions et je n’ai qu’un désir… Glups ! Je crois que je vire nympho ! Glo a un rire bas et vicieux. CV, va !

 

-        Donc, euh… tu parlais d’hybride…

-        C’est cela. Ils sont dotés des dons de leurs pères…

-        Attends… tu veux dire que Dan Miangel est le fils direct de… du prince et de sa… princesse…

-        Oui.

-        Il a donc…

-        Un certain âge.

-        Un âge certain, tu veux dire ! Wouh !  Il est donc très puissant…

-        Assez. Il est tout à fait humain, dans le sens où un examen scientifique simple ne verrait aucune anomalie en lui…

-        Parce qu’il envoûterait les résultats…

-        C’est une conclusion logique, mais ce n’est pas le cas ici. Ils sont physiologiquement conformes à un humain normal, mais avec les dons, capacités, essences et natures de leur père Fae, plus les habiletés qu’ils peuvent adjoindre au reste au fil du temps et des expériences.

-        Combien sont-ils ?

-        Septante-sept fils et filles.

-        Tous nés de la… princesse ?

-        Oui.

-        Ben, j’espère qu’elle a utilisé une péridurale pour les accouchements ! Moi avec une grossesse et un accouchement, j’étais plutôt over… Et bonjour les vergetures ! J’espère qu’il a une potion magique pour cela…

-        Ton inquiétude t’honore, mais pour une compagne d’Outre-Vivant, les choses ne sont pas similaires à celles d’une humaine.

-        Tu veux dire qu’elles n’ont pas les mêmes problèmes et/ou inconvénients que les femmes enceintes humaines ?

-        Précisément !

 

Attendez là… C’est-à-dire que je… Je regarde fixement Mana, puis mes deux amours.

 

-        Ça veut dire que techniquement je peux tomber enceinte de Glorios ou de Mikaïl, voire des deux ?

-        Techniquement est le mot adéquat. Mais dans ces sortes de décisions, il en va de la volonté de chacun des partenaires. S’il y a violation de la volonté, la procréation ne pourra s’entamer.

-        Une sorte d’anti-conceptif naturel, en quelque sorte…

-        C’est l’idée.

-        Ah ! Ben, cela me rassure. D’autant que… bref… dans le feu de l’action…

 

Mana a un sourire discret et je sens Mikaïl sur le point d’éclater de rire, alors que je deviens rouge aubergine ! CV de mes deux ovaires, va !

 

-        Donc… euh… Dan Miangel est donc super fort et très vieux et donc fiable…

-        Oui. C’est pour cela que Leanna s’est assurée de protéger la maison, ce qui l’empêchera d’entrer à son gré. Je te conseille de faire de même dans les endroits où tu te trouves habituellement. Mikaïl peut s’en charger. Pour le reste, tu peux te fier à lui.

 

 

 

21.

 

            Mana, Leanna et Timoti sont repartis. Je n’ai pas vraiment eu le temps de me faire une idée sur le grand Timoti, sauf qu’il a des yeux surprenants, d’un vert si clair qu’il semble translucide. Il est splendide, comme Mana, d’une beauté à couper le souffle, alors que si on les regarde vraiment ils ne le sont pas, placés sous les boisseaux des canons de beautés officiels. Ils semblent irradier de beauté, ce serait plus juste de le dire comme cela. Glorios a raison. Timoti est une énigme ambulante. Oh, il a été parfait, un vrai gentleman et sa douceur m’a touché. Mais il est aussi tellement puissant et secret que je n’ai pas su comment faire. Il a vacillé un long moment lorsqu’il a vu Whouna. Mais même là il est resté de marbre. Mana est resté près de lui tout ce long moment comme s’il craignait une réaction spécifique de Timoti. Ce qu’ils ne m’ont pas dit, mais qui m’a sauté à le vue, est leur amour à tous trois. Qui l’eut dit ? Leanna et deux amours ? Comme moi et mes deux V ? Génial ! Quoi que… il y a John aussi, mais c’est moins clair, alors… Mais maintenant que Leanna vit une histoire d’amour tripartite, je ne me sens plus si bizarre que cela, quoi que… Mikaïl et Glorios sont devenus dans ma vie deux évidences, deux nécessités, deux êtres qui font partie de moi. Je n’ai pas pensé, pas trop du moins, ils sont arrivés et je les ai acceptés, comme si je savais qu’ils étaient mes amours. C’est difficile à expliquer quand les choses deviennent d’une simplicité parfaite. On a tendance à se perdre dans des longues palabres, alors que la simplicité se passe de trop de mots. Le reste… le quotidien, la banalité, le jour au jour… bien que là, avec eux et leur entourage, c’est tous les jours Indiana Jones !

            Je suis dans mon bureau pendant ma petite pause. Je suis si heureuse d’être dans ce burlingue. Il est si merveilleux, un havre, une borne kilométrique… Quoi encore ? Normalement à dix heures quarante-sept minutes, personne ne frappe à ma porte ! Alors ?

 

-        Oui ? Entrez…

 

Whouna entre dans le bureau. Je suis tellement estomaquée que le morceau de ma couque au chocolat s’effondre dans ma grande tasse de café et coule à pic. J’aime les tasses de café version XXXL.  

 

-        Je peux entrer ?

 

Je me suis levée machinalement. Pourquoi ? Mystère. Fuir, peut-être, mais pour aller où ?

 

-        Je… Ça va ? Il y a un souci ? Je dois aller à la maison…

-        Non, non, petite Vera… Je… il m’apert que je n’ai pas réfléchi à mon acte et que ce n’était pas le plus judicieux à faire que de venir ici…

-        Non ! Je veux dire, c’est très bien… je suis heureuse de te voir, seulement, je ne m’y attendais pas. Entre ! Je faisais une pause. Tu… Tout va bien à la maison ?

-        Oui. Mikaïl et Glorios sont chez Mikaïl pour le problème du fils de Crisold. Je pense qu’ils en auront pour la journée entière. J’ai offert mon aide afin que tout se déroule au mieux.

-        Merci ! Cela me rassure ! D’après ce que j’ai compris, Vasilief et sa bande ne sont pas très fiables.

-        Ce n’est que la triste réalité, mais les choses devraient se passer au mieux compte-tenu des circonstances.

-        Tu n’es pas là sur la suggestion de mes deux CV, Whouna ?

 

Whouna s’assoit, ce qui semble une manœuvre pour gagner du temps. Wep ! Je me disais aussi !

 

-        Eh bien, ma foi, nul ne saurait être trop prudent. Cependant, ma curiosité a primé sur le reste.

-        Curiosité ?

-        Je voulais voir où tu passes une partie de ton temps. C’est un centre d’informations ?

-        On peut le dire comme cela. Je suppose que vu ta nature, ce lieu t’intéresse ?

-        Comme tout ce qui est d’un certain intérêt. Il est vrai que je me sens attiré par les lieux comme celui-ci. Même s’il semble que la majorité des informations sont toutes similaires.

-        Le propre des administrations ! Cependant, le fait qu’il s’agisse de personnes différentes donne un autre point de vue ! Heureusement. Le systémique peut être tuant.

 

Je termine machinalement ma couque et bois mon café tout en pensant à Whouna. J’ai encore des tas de questions à lui poser. Pourquoi pas maintenant ? Ces derniers jours la maison est devenue un vrai moulin. Whouna regarde mon environnement spartiate. Son intérêt pour tout fait plaisir à voir. Je suppose qu’être aussi vieux que le temps doit comporter le risque, à n’importe quel moment, de sombrer dans un ennui mortel.

 

-        Je… comme tu es là et moi aussi… je peux te poser des questions ?

-        J’en serai ravi, ma petite Vera.

 

Je m’agite sur ma chaise, termine mon café froid agrémenté de morceaux de couque au chocolat. Beurk ! Je regarde à gauche, à droite… Whouna s’est assis sagement sur la chaise réservé à d’éventuels visiteurs. Mon poste d’ « archiviste » - même si ce n’est pas le titre mis sur mon contrat de travail, un de ces titres ronflants qui ne veulent rien dire, mais qui débouche sur n’importe quel type de boulot – n’attire pas grand monde. Le fait de passer des dossiers papiers à des dossiers virtuels ne fait pas de mon bureau un endroit très fréquenté, ce qui me ravit positivement. Mon bureau est un havre de paix, un Eden sans serpent, un Nirvana sans l’état civil de morte. Whouna me sourit et j’en suis éblouie. Je sais qu’il peut entendre mes cogitations mentales, mais cela ne me dérange pas. D’une manière ou d’une autre, Whouna me rassérène. Où en étais-je ? Ah oui, les questions ! C’est fou comme celles-ci fichent le camp dès qu’on est sur le point de les poser.

 

-        Euh… en fait… j’en ai qu’une pour l’instant… j’ai oublié les autre… enfin pas vraiment, mais je ne m’en souviens plus… ce qui fait blanc bonnet et bonnet blanc…

 

Whouna a un petit rire qui le transfigure un peu plus. Il est si magnifique, si resplendissant. Cette espèce de nébuleuse ou d’aura qui le ceint de partout est un constant émerveillement.

 

-        Tu es né d’une aurore boréale ?

-        J’aimerais te répondre oui, mais ce n’est pas le cas. L’aurore boréale n’est qu’une conséquence née de facteurs naturels.

-        Je sais… l’aurore boréale ou australe est « un phénomène lumineux caractérisé par des sortes de voiles extrêmement colorés dans le ciel nocturne, le vert étant prédominant.  Elles sont provoquées par l'interaction entre les particules chargées du vent solaire et la haute atmosphère. » dixit Wikipédia…

-        Wikipédia ? Qui est cette personne qui semble avoir de si grandes connaissances ?

-        Pas qui, mais quoi. Enfin, presque… tu sais ce qu’est un ordinateur ?

-        J’en ai déjà vu un certain nombre depuis leur création…

-        Ben, c’est une encyclopédie virtuelle créé dans les ordinateurs. Une base de données, si tu préfères.

-        Je vois.

-        Je vais te laisser mon portable. Plus le temps de m’en servir avec tous ces allées et venues… Il y a la connexion ADSL, tu peux surfer à donf sans problème.

-        Je vois…

-        Tu vas devoir t’y faire, mon vieux… le langage est ce qui évolue le plus rapidement ces temps-ci !

-        Je ne puis qu’être d’accord.

-        Donc ! Tu n’es pas né d’une aurore boréale… alors de qui ?

-        Je suis issu d’un couple de parent à l’égale des êtres vivants, mais ceux-ci ne l’étaient déjà pas à ma naissance. Disons que je suis devenu éternel par la nature des miens et par l’Art du Temps.

-        L’art du temps ?

-        C’est une magie universelle qui a court constamment, mais ne se manifeste que très peu fréquemment.

-        Ah ! Inutile de m’expliquer, je fais l’impasse maintenant avant de faire un bug mental total ! Donc, t’es un éternel. OK !

 

Je me mordille les commissures des lèvres. Je sais ! C’est agaçant, mais c’est machinal. Puis, trop vieille pour me refaire !

 

-        En fait… ce qui me chiffonne le plus, c’est pourquoi moi ? Enfin, je veux dire pourquoi une vivante ? Même s’il semble que j’ai des natures et des essences extras, je suis toujours une humaine et vivante. Alors ?  Parce que tu ne vas pas me dire que je suis hyper douée ou je ne sais trop quoi à la mord-moi le nœud de « salvatrice » super-héroïne, hein ? J’y crois pas ! De plus, tu as toujours choisi des fées jusqu’à maintenant, même Dan…

-        Dan est à part. Il est une sorte de factotum parmi les siens. Ce rôle lui déchoit en partie par filiation.

-        Tu veux dire par les liens familiaux…

-        Oui. Chaque Maison Fae a une personne qui devient mon factotum durant un certain temps. C’est une mesure de précaution.

-        Donc, demain, ça peut être quelqu’un d’autre.

-        Oui. Sauf que ce demain est daté dans dix-mille ans.

-        Parfait ! Au moins on a le temps de voir venir. Donc, pourquoi moi ?

-        De par ta nature humaine, tes capacités essentielles et parce que tu me fais rire.

 

J’arrête de martyriser mon Bic pour le regarder fixement. Il plaisante, là, non ? Il a l’air mortellement sérieux.

 

-        Je… tu m’fais une blague, hein ?

-        Pas du tout. Tu as attiré mon attention par ta capacité à faire rire.

-        Tu pourrais aussi bien prendre une ou un humoriste, tu as plus que le choix.

-        Cette faculté débouche de ton désir de mettre à l’aise l’autre. Cela m’attire plus encore.

 

Je ne réponds rien. C’est un compliment, non ?

 

-        Et à part ça… tu crois vraiment que je suis la personne idoine pour te venir en aide ?

-        Parfaitement.

-        Dakodac ! Au moins un qui est sûr, c’est déjà ça.

 

Il a un autre petit rire. Je ris aussi. Je ne suis plus à une aberration près. Je regarde mes mains. Le rire comme argument majeur pour devenir une gardienne d’un Eternel ? Monsieur Louis de Funès, vous y croyez vous à ça ? Je le regarde. Il me sourit avec infiniment de tendresse. Je soupire profondément. Pourquoi pas, après tout !

 

-        Tout se passe bien ?

 

Whouna ne répond pas à la question. Il hoche la tête. Je lui fais confiance. En fait… j’ai aussi un eu les chocottes, mais bon, sûr que je vais m’refaire pour faire c’qu’il faut faire !

 

 

 

22.

 

            Mikaïl a découvert chez Glorios des aptitudes d’organisateur dont il n’avait aucune idée. Ce qui fait de lui, assurément, un piètre stratège. Il aurait dû savoir que Glorios est plus que cet Adonis play-boy qui a l’air de ne se préoccuper de rien et d’enchaîner voyage sur voyage entrecoupé d’aventures casse-habitudes ! Voilà qu’il se met à penser comme Vera. Cela a dû bon ! Il tourne un regard attentif sur la grande pièce qui a été aménagé par son fidèle Clayton, « majordome » de son état selon son propre désir, mais pour lui surtout un ami et un complice. Clayton connaît très bien Vasilief pour avoir été « sbire » à ses ordres durant plus de deux cents septante-sept ans. Il n’est pas resté longtemps auprès de ce dernier. Les vampires ne sont pas très sociables. Ils fonctionnent mieux en restant en petit comité ou carrément seuls.

 La pièce est disposée avec un art et une efficacité qui en disent long sur les qualités de Clayton. Il a placé une lourde table au centre, devant il a mis trois sièges, les sièges pour lui, Mana et Crisold. Devant il y a plusieurs chaises contre le mur. Là se tiendront les cinq membres de la bande de Vasilief. Ce dernier s’assoira sur une chaise sur un des côtés de la table, celui le plus éloigné des deux portes. Aux portes se tiendront à l’extérieur deux membres de sa propre famille, spécialement entraînés pour ce genre de situation. Mana a également prévu des protections dans le cas, probable, ou Vasilief voudrait truquer la pièce ou eux-mêmes. Vasilief a compté bon nombre de grands chamanes dans ce qu’il appelle «  Cour ». Il ne faut ni le sous-estimé, ni le surestimé. Il est intelligent et surtout très malin. Il le faut pour venir à bout d’un nombre appréciable de vampires d’âge très ancien et de puissance extraordinaire. Christos n’apparaîtra que le plus tard possible, de préférence à la fin de ce simulacre de procès. Timoti est l’atout majeur. Il a été surpris de voir combien sa puissance s’est décuplée. Il semble d’égale force avec Mana avec quelque chose en plus. Il sait de ses essences et natures diverses et de ses fonctions multiples au sein de la Communauté Vampire, toutes requises pleinement. Mais jamais il n’a pensé que cela pourrait influencer sa nature basique. On en apprend à tous âges ! Timoti se tiendra derrière Vasilief dans un renfoncement qu’il y a dans le mur. A première vue, personne ne peut le détecter. Le propos n’est pas là, il est dans le fait que Timoti restera occulté, mais suffisamment visible comme présence, mais Vasilief ne pourra pas savoir qui est là. La profonde transformation de Timoti confondra les sens exacerbés de Vasilief. Glorios se tiendra en lieu et place de Christos, autrement dit, sur une unique chaise face à eux trois. Il sera en quelque sorte le représentant de Christos. Si Vasilief craint quelqu’un, c’est bien Glorios. Il ne sait pas ce qui s’est passé entre ces deux-là, mais le fait est patent pour tout le monde. Ils ont eu soin, surtout Vasilief, de mettre plusieurs milliers de kms entre eux, mais ce n’est qu’une distance prudente, rien de plus. Ils savent tous les deux que si Glorios voulait l’achever, il le pourrait très facilement.

Glorios reste un être redoutable et surtout énigmatique. Il semble que seul Whouna et Mana sachent exactement qui il est dans toutes ses facettes. Quant à lui, il en sait suffisamment sur son compagnon. Le reste… Si Glorios veut lui en faire part, il sera toute ouï, mais il ne fera rien pour s’informer du reste. D’autant qu’il commence à vraiment le considérer comme son compagnon à part entière. Pourquoi tourner autour du pot ? Il aime Glorios et c’est cela le plus important. Depuis quand est-il devenu si timoré et si politiquement correct, selon l’expression usuelle actuelle ? Voilà qui est navrant ! Il vaut mieux que cela et surtout il le doit tant à sa femme qu’à son homme.

Mikaïl fait un dernier tour dans la salle et s’assoit à sa place. Mana et Crisold prennent place à ses côtés. Timoti est déjà là, si immobile qu’il semble se fondre dans le mur. Glorios prend place dans le siège devant eux. Il jette un regard circulaire et siffle entre ses dents.

 

-        Mazette, Koshka, quand tu fais les choses, ce n’est pas à moitié. Clayton est vraiment un type formidable. Je suis presque tenté de le débaucher !

-        Merci pour lui et tu peux toujours le tenter…

-        Je sais ! Hélas, j’ai déjà essayé, mais j’en ai été pour mes frais !

 

Crisold et Mana éclatent de rire. Mikaïl soupire profondément. Glorios ne peut pas s’en empêcher, c’est d’un irritant ! Clayton apparaît à la porte.

 

-        Messire Vasilief de Montsourritch et ses Vassaux.

 

Glorios pousse un soupir en secouant la tête.

 

-        Il est tellement pompeux ! Je suis étonné qu’il n’éclate pas comme une grenade en étant si vaniteux…

 

Mikaïl le fusille du regard. Glorios lève les mains en signe de reddition. Vasilief entre habillé comme un Tsar russe. Les cinq acolytes sont chamarrés dans des uniformes cosaques qu’on ne voit que dans les reproductions d’époque ou encore dans des films. Les cinq hommes vont s’assoir sur les chaises dans un état d’alerte maximale. Vasilief leur fait un salut profond avant de se tourner vers Glorios. Il hésite une fraction de seconde. Il sait ce que son vieil ennemi vient faire. Son vacillement tient plus dans le fait de savoir s’il doit ou non le saluer. Etant exagérément protocolaire, le doute le perturbe.

 

-        Vasilief, je ne savais pas que c’était Carnaval… Tu arrives de Venise, alors ?

 

Glorios sourit pleinement en se laissant aller plus encore sur le siège dans une pose résolument insolente et indolente. Vasilief pousse un petit rugissement de mépris et décide de prendre place avec toute la pompe qui le caractérise. La porte se referme doucement derrière Clayton. Mikaïl prend la parole.

 

-        Bien. Puisque nous sommes là et que chacun a pris connaissance des griefs, je propose que nous laissions Vasilief dire ce qu’il est venu dire.

 

Vasilief tire sur les manchettes de sa chemise blanche à vastes manches.

 

-        Il me semble que les preuves parlent d’elles-mêmes. Si je me suis déplacé, c’est par courtoisie et aussi dans le souci que justice me soit rendue. Je ne sais trop combien Christos est protégé par vous trois, suffisamment pour qu’il ne paie jamais pour son crime !

-        Nous accuserais-tu de complicité criminelle ?

-        Non ! Mais il est le fils de Crisold et vous êtes tous deux, toi et Glorios, les fils de Mana.

-        Tu doutes de notre probité ?

-        Jamais ! Ce serait malvenu, mais je doute que je puisse avoir réparation si je ne suis pas ici en personne.

 

Vasilief se détend sur son siège. Il est trop à l’aise, ce qui donne à penser qu’il a un plan B qui n’est pas tout à fait réglo. A vrai dire, cela aurait déçu Mikaïl que Vasilief ne fonctionne pas comme il est. Un fat, un pleutre et un manipulateur d’une rare cruauté !

 

-        Glorios, en substitution et mandaté par Christos, qu’as-tu à ajouter aux chefs d’accusations exposés préalablement contre ce dernier ?

-        Christos a apporté ses preuves auxquelles j’ajouterai certaines des miennes !

 

Tous regardent fixement Glorios.

 

-        Explique-toi ?

-        Si fait !

 

Glorios se redresse avec majesté, tire sur les poignets de son polo et fait claquer sa langue, tout en prenant un air inspiré.

 

-        Lorsque Vasilief a porté sa plainte au Conseil, j’ai été très surpris. Il ne m’avait pas habitué à des pratiques aussi procédurières, si vous me permettez l’expression ! J’ai pensé alors que mon cher petit Vasiliefou était devenu le brave garçon que dans les tréfonds de son âme il n’a jamais cessé d’être. Mais Prudence est mère de toutes les vertus et j’ai voulu en avoir le cœur net. J’ai donc pris connaissance de ses griefs, des faits… mais les griefs chez quelqu’un comme mon cher petit Vasiliefou sont toujours plus significatifs. Dès que j’ai bien compris ce qui animait ce brave petit Vasiliefou, j’ai décidé de jouer les détectives. Je rappelle à l’Auguste Assemblée que j’ai été instigateur avec d’autres des Bow Runners de Londres qui sont depuis devenus Scotland Yard et à Paris j’ai également été ami avec ce cher Vidocq. Bref ! Dans toutes choses, il convient de soigner les détails. Je suis un expert en cette matière. Et les détails se sont avérés très parlants. Voici un document de deux personnes qui étaient là, lorsque l’un des sbires de Vasilief s’est attaqué à Bronski dans sa demeure. Il va de soi que ces deux personnes sont de toute confiance. J’ai pris soin de m’en assurer. Elles sont à disposition du Conseil, si vous désirez les entendre personnellement. J’ai apporté ces documents qu’ils ont signés avec la marque du sang.

 

Un murmure parcourt la salle. La marque de sang est une signature bien plus fiable que celle des vivants, puisqu’elle n’est pas reproductible, ni copiable. En outre si une telle signature est requise, cela signifie que les personnes s’engagent sur leur existence dans ce qu’elles entreprennent de dire ou de faire. Cette règle cardinale est une des rares choses que la Communauté Vampirique, quel que soit leurs opinions ou leurs idées et obédiences, respecte au pied de la lettre. Nul n’oserait douter de celle-ci, sous peine de se mettre lui-même dans une situation d’exclusion, voire de disparition.

 

-        J’ajouterai que ces personnes connaissaient intimement Christos. Si, dans un premier temps, elles ont pensé que c’était bien Christos qui assassinait leur protecteur, elles se sont rendues compte très rapidement que la ressemblance n’était pas parfaite, même dans l’obscurité qui régnait alors.

 

Vasilief pousse un bref claquement de langue méprisant. Glorios tourne son visage vers lui. Vasilief se statufie sur son siège.

 

-        J’ai continué mes investigations. J’ai pris toutes les précautions nécessaires et je pense que vous allez apprécier la preuve vivante que je vous ai apportée.

 

La porte s’ouvre et Clayton entre, tenant un individu habillé de manière somptueuse et entravé par des liens invisibles. Clayton a un peu de sang Fae dans les veines, ce qui lui permet de faire un certain nombre de choses comme celle d’emprisonner un individu de cette façon. L’homme tourne des yeux affolés autour de lui. Lorsqu’il voit Crisold, ses yeux deviennent aussi fluorescents qu’un chat, totalement pris dans une sorte de fanatisme rageur. Clayton dépose le triste sire sur une chaise apparue là mystérieusement. L’homme s’affale. En un bref clignement d’yeux, Crisold est devant le personnage.

 

-        Clayton… aurais-tu l’amabilité de lui rendre la liberté. Ici, il ne risque pas de s’enfuir et j’ai besoin de… réponses.

-        Bien, Maître Crisold.

 

Il claque des doigts et l’homme s’affale dans le siège. Il reprend très vite contenance et regarde toutes les personnes présentes dans la salle avec insolence et mépris.

 

-        Je vois que nous sommes dans un tribunal… Parfait ! L’endroit idéal pour que je dépose plainte contre le traitement abusif qui m’a été imposé.

-        Commencez par décliner vos noms !

 

La voix de Mikaïl est coupante et glaciale.

 

-        Je suis Alban de la Crésonne.

 

Glorios a un petit rire moqueur.

 

-        Oui, bon ! Je crois que je vais continuer mon histoire, vu la grotesque enflure qui est assise ici !

-        Monsieur, je ne vous permets pas de…

-        La ferme !

 

Il regarde l’homme qui s’est adressé à lui de cette façon si irrévérencieuse, mais en voyant son regard il se convainc de la fermer.

 

-        Bien ! Donc, ce couard est un membre les moins reluisants de la famille des Khitov, Ludovich Sergueï Khitov…

-        KHITOV ?

 

Un rugissement arrive du côté de Vasilief. Les cinq gardes russes se lèvent d’un bond et…

 

 

23.

 

-        QUOI ? Qu’y a-t-il Whouna ? Mes deux amours sont en danger ? Dis-moi ! Il faut que j’y aille, je sais que…

-        Ma petite Vera, ce ne serait pas censé, disons que le procès a pris un tour des plus violents et…

-        JE M’EN FOUS ! Si Glo et Mi sont en danger je dois être avec eux pour les aider ! Il le faut ! Tu peux comprendre ça ! Je ne pourrais pas continuer à vivre, à respirer, à… TOUT, s’il leurs arrivaient quelque chose et que je n’étais pas là pour…

 

Je me suis jetée contre Whouna et le tient par sa chemise immaculée et vaguement étincelante. L’aura qui est toujours autour de lui crépite autour de moi en m’enveloppant d’une manière étrange et chaude. Je n’y prête pas trop attention, je suis seulement concentrée sur mes hommes. De plus, ces grands CV ont bloqué leur esprit, aussi, je ne peux rien sentir venant d’eux ! Maudits CV ! Ma respiration est de plus en plus agitée et je me sens si démunie, si terrifiée, si…

 

-        Je comprends, ma petite Vera. Pose tes mains sur mes épaules. Bien. Ferme les yeux. Je te protègerai, ma mie…

 

Je sens une sorte de déflagration comme un « pop » d’un bouchon de champagne et je me retrouve en enfer. Un enfer vampirique. Whouna me tient contre lui. Je sais que rien ne peux m’arriver. Son aura et sa puissance me parviennent en grandes vagues ondulantes et enveloppantes qui me tiennent en sécurité complètement.

 

-        Reste près de moi… Pour le moment, ils ne peuvent nous voir, ma petite Vera, mais cela ne durera pas.

 

J’hoche la tête, trop fascinée par ce que je vois. Glorios et Mikaïl, dos à dos, se tiennent entre six hommes habillés d’égale manière - les gardes de Vasilief – et un homme de taille moyenne, mais taillé en athlète et vêtu d’une manière très particulière, clairement russe. Un homme est debout, soutenu par Clayton, ce cher Clayton. Vu d’ici, on dirait que l’homme est enveloppé dans une sorte de réseau impalpable qui le maintienne immobile et à l’abri de tout le reste. Bizarre… Vasilief a sorti une lame recourbée de son dos. Il hurle dans sa langue et Glorios lui répond d’égale manière. Mikaïl a deux grandes dagues ouvragées entre les mains et tient en respect les cinq gardes qui ont sorti des sortes d’épées courtes à doubles lames. La violence des attitudes et des paroles échangées me font trembler. Vasilief continue à parler et Glorios reste sur sa position. Mana est resté assis, mais je le sais attentif et prêt à intervenir à n’importe quel moment. Je vois du coin de l’œil un mouvement dans un renfoncement de mur, comme s’il s’agissait d’un rideau qui bouge imperceptiblement par un petit courant d’air. Timoti ! Ça doit être lui. Je ne le connais pas encore très bien, même si Leanna m’en a parlé un peu, succinctement et en rougissant profusément. Etrange ! Quelqu’un qui est capable de déstabiliser une femme aussi flamboyante que Leanna mérite le détour. Mon regard se reporte sur le drame qui se joue lorsque, à la rapidité de l’éclair, les cinq gardes se ruent vers Mikaïl alors que Vasilief se lance avec un hurlement effrayant contre Glorios. Mon sang ne fait qu’un tour.

 

-        NOOOOOOOONNNNNNN !

 

Je sors de la bulle protectrice dans laquelle je me trouvais avec Whouna et me jette en avant. Personne ! Personne ne touchera à mes amours où il lui en cuira ! Durant une fraction de seconde, tout se détient. Je me vois m’élancer à grande vélocité vers mes amours, alors que Mana saute de son siège, que Timoti sort de son renfoncement et que les gardes, Vasilief et mes deux amours restent figés, les armes en l’air, totalement statufiés. Mana arrive jusqu’à moi en même temps que Timoti, mais c’est Glorios qui est le plus rapide. Il me soulève doucement et me soutient contre le plafond. Tout le monde regarde en haut, les visages totalement ahuris. Je déglutis fortement. Personne ne bouge. Je déglutis à nouveau.

 

-        Euh… désolée, mais… personne ne touche à mes amours ! Personne !

 

Dix minutes plus tard et des explications légères et superficielles données, chacun a repris sa place. Glorios a été le premier à se remettre. Il a même eu le culot de me faire un clin d’œil appuyé avant de me « redescendre » du plafond, puis de me sauter dessus en m’embrassant à pleine bouche et… Waouh ! J’ai failli moi aussi lui sauter dessus, mais pour me le faire ! Il m’a soufflé avant de s’assoir :

 

-        J’adore ton entrée ! Très idiote, mais j’adore !

 

Mikaïl m’a prise contre lui. Il m’a embrassé sur les lèvres et sur le front en me serrant très fort.

 

-        Tu finiras par me faire des cheveux blancs à ce rythme-là !

 

Il m’a laissée près d’une chaise et m’y a assise avec douceur. Clayton m’a fait une petite révérence digne et respectueuse sans lâcher le prévenu. Mana a eu un petit sourire en coin. Sa voix m’est parvenue dans mon esprit. Il semble que si quelqu’un peut passer outre les protections et autres systèmes mis en place pour éviter les échanges mentaux, c’est bien lui.

 

-       Hene… je n’en attendais pas moins de toi ! Tu as su, sans le vouloir, dénouer une situation qui aurait pu finir dans un bain de sang.

-       Je suis désolée, Mana… à mon âge, je devrais pouvoir me contenir, mais si on touche à Glorios ou à Mikaïl, je vois rouge !

-       Ne t’excuse jamais d’aimer de cette façon, petite hene. Jamais ! Nous parlerons plus tard. Ta présence avec Whouna est un honneur, ne croît jamais le contraire !

-       Merci ! Je vais cependant m’excuser auprès de Glo et Mi, plus tard.

-       Tu le feras et ils ne l’accepteront pas. Ils n’ont jamais connu personne qui les défend ainsi. Il était temps, ma hene, plus que temps !

 

Je ne sais quoi lui répondre, aussi je me tais. Je sens une caresse sur la joue et sur le front. Je sais que cela vient de lui. Mana est comme un père, mieux qu’un père. C’est « LE » père par excellence. Crisold m’a serrée contre lui en riant doucement. Il ne dit rien, mais son sourire est tellement merveilleux que je vois tout de suite ce que Ranita lui trouve. Il me serre la main et reprend sa place. Timoti ne m’a rien dit. Aussitôt que le moment d’arrêt sur image a terminé sa fonction, il est reparti dans son renfoncement. Il m’a juste fait un petit salut de la tête en me souriant légèrement. Il est si époustouflant que je commence à comprendre le trouble de Leanna.

Whouna est à mes côtés. Il a salué chacun avec son habituelle amabilité et sérénité. Je suppose qu’arriver à son âge, peu de chose ou de personne le surprend encore. Quoi que…  Vasilief me regarde fixement depuis qu’il s’est assis. Il semble ne pas trop savoir que penser de moi. Il ne m’a pas salué et je préfère. Ce que j’ai entendu dire de lui me donne l’envie de ne pas entrer en contact avec lui. Donc, son attitude me convient parfaitement. Les cinq sbires ont repris leur place. On dirait des statues de chair. Le procès suit son dernier cours. Tout le monde semble avoir repris ses esprits. Je regarde Mikaïl. Je sais que c’est lui qui donnera la sentence finale et qui l’exécutera. Ils se sont manifestement concertés pour qu’une seule personne intervienne à ce sujet.

 

-        Ludovich Sergueï Khitov, lève-toi !

 

L’homme flanqué de Clayton se relève lentement. Il est blême et semble avoir perdu de sa superbe.

-        J’ai eu le temps de voir les preuves amener par Glorios Crosstichto ! Nous t’avons laissé le temps de nous faire part de ta défense…

-        Je n’en désire aucune. Si je devais refaire ce que j’ai fait, je le referais. Christos méritait ce qui lui est arrivé. J’ai attendu longtemps pour le voir dans cet état, en disgrâce, fuyant, devant se cacher comme un mendiant… Je ne regrette rien ! Finissons-en avec cette pantomime !

 

Il se laisse aller dans son siège avec désinvolture. Crisold a serré les dents. J’ai mal pour lui. J’ai vu comment il regardait Christos. Je suis heureuse qu’il aille bien. J’envoie des ondes de tendresse vers lui, mais je pense que ce n’est pas suffisant. Mikaïl lance un regard d’avertissement à Vasilief qui vient d’émettre un grondement sourd. Quel bestiau désagréable et grossier!

 

-        Ma sentence est la suivante. Compte-tenu du crime perpétré, de la préméditation, des dommages créés à une tierce personne et de votre attitude méprisante au sein de ce Tribunal, je décrète que vous serez remis séance tenante entre les mains d’Alexey Branotovich Vasilief pour qu’il émette son propre jugement et sa sentence. Je déclare la séance close !

 

 

24.

 

            Nous nous retrouvons dans la salle à manger. Mana a décrété que nous resterions ici jusqu’à ce que Vasilief et compagnie soit suffisamment loin de nous tous. Personne n’a dit le contraire. Le souper s’achève. Clayton a fait un véritable festin sous forme de buffet, avec des chaises et des tables disséminées partout de sorte que chacun s’est réuni avec qui il voulait. Un choix judicieux après la raideur du procès et son foutoir évité de justesse. Wouh ! Christos semble soulagé et je le comprends. Le repas est un véritable palais de plaisirs sensitifs. Plaisirs de bouches, plaisir d’être ensemble, plaisir d’avoir accompli une mission périlleuse sans problème. Je me mordille les lèvres.

 

-        Eh… Extralucide…

-        Eh, Ranita…

-        Ça va ? Tu n’as pas dit grand-chose…

-        Depuis un bon moment ? Reposant non ?

 

Je pousse un profond soupir. J’ai un peu l’esprit et le reste en berne, mais bon… Ce n’est pas comme si tout autour de moi et en moi étaient très « normal » ! Quoi que…

 

-        Je… je me sens un peu honteuse…

-        Ah non, pas de cela, Lisette ! Tu as au contraire sauvé la situation…

-        Wouais ! Sûr…

-        Ranita n’a pas tort, Vera.

 

Je me tourne vers Timoti qui sirote un alcool fort. Je suis surprise de le voir boire un alcool, mais je le comprends. J’en ferais bien de même si les alcools n’avaient pas la fâcheuse tendance de me rendre malade. Il prend un siège près de nous et croise élégamment ses longues et musclées jambes. Il a une telle splendeur en lui et une telle harmonie, malgré son gabarit, que je suis éblouie.

 

-        L’élément de surprise est très utile dans certaines situations conflictuelles. Cela permet souvent de faire pencher la balance dans un sens favorable.

-        Je ne connais rien en stratégie, Timoti. Désolée de te décevoir. C’est juste que… dès qu’on fait mine de toucher à mes deux amours, je vois rouge.

 

Timoti a un sourire en prenant une gorgée qu’il savoure sensuellement.

 

-        Cela semble évident.

 

Nous ne disons rien pendant un moment. Ranita me regarde, puis éclate de rire.

 

-        Vera… j’aurais aimé te voir à l’œuvre. Je suppose que personne n’a filmé ce moment…

-        Je peux vous le faire revivre, Mademoiselle Ranita.

 

Whouna se tient près de moi. Il est toujours aussi aurore boréale, mais qu’est-ce que je suis contente de l’avoir avec moi ! Chacun s’est tourné vers Whouna avec des expressions d’intérêt et de jubilation.

 

-        C’est vrai ? Je peux le voir ! Tu veux bien Vera, dis ?

-        Je…

 

Chacun nous rejoint. Je mordille mes lèvres plus fortes. Sale habitude ! Un seconde plus tard, je suis dans le giron de Glorios. Je devrais l’engueuler pour me faire paraître encore plus infantile, mais j’ai tellement besoin de lui et de Mikaïl. Les lèvres de ce dernier effleurent les miennes. Un picotement me révèle qu’il a soigné les légères lacérations que je me suis auto-infligées. Je regarde les visages de ceux qui sont ma famille. Si je dis « non » personne ne m’en voudra, mais je sens combien ils sont désireux que je dise « oui ». Crisold a pris Ranita sur ses genoux où elle se love avec des mines de chatte heureuse et repue. Je souris de son air innocent. Ma chère Ranita. Mana tient Leanna contre lui alors que Timoti les rejoint. Leanna se love entre eux et ils sont si majestueux que mon regard s’attarde un peu plus que nécessaire. Christos ne dit rien, mais son regard intelligent et si sexy révèle une grande curiosité. Clayton reste compassé, mais je le sens attentif. Il me fait un clin d’œil. Eh bé ! Si je m’y attendais ! Whouna reste impassible. Il s’est fondu dans notre réunion familiale comme un membre de plus. Je l’envie de cette fluidité, de cette simplicité à être bien partout.

 

-        D’accord !

 

Ranita fait un « YES » tonitruant et Whouna se transforme en miroir, puis en écran de télé géant. Waouh ! Durant les minutes suivantes nous revoyons ce qui se passe. Whouna m’avait raconté ce qui se passait pendant le procès. Il n’a jamais dit qu’il pouvait me faire assister au procès par ce truchement. Voulait-il que je sois présente ?

 

-       Ma petite Vera… Tu me prêtes des intentions que je n’ai pas. La seule que je pouvais avoir alors était celle de te faire sentir bien. Tu n’aurais jamais supporté, ni accepté que tes amours ou quiconque des tiens ne soient blessés, voire pire, alors que tu n’étais pas présente, mais pouvant assister à ce qui se passait. Le sentiment d’impuissance aurait été une savante et inacceptable torture.

-       Désolée ! Tu as raison… Je suis un peu confuse.

-       Je m’en doute. Prends des forces cette nuit et profite-en bien. Les choses suivent leur cours.

 

Whouna est capable de faire plusieurs choses en même temps. Une nature féminine outre les autres ? Waouh ! C’est sexiste à donf ou je ne m’y connais pas ! Mais bon… j’ai jamais dit que je serais tout le temps politiquement correcte, si ? De toute façon… Je suis très impressionnée par lui, le surprenant c’est que c’est réciproque et c’est là que je perds le peu de latin dont je me souviens de mes études !  Ceci dit…Nous sommes vraiment connectés l’un à l’autre et en plus j’aime ça, alors que de l’avoir été en permanence avec tout le monde en Irlande a été un vrai cauchemar. Je suppose que cela tient à Whouna. Mes deux amours me tiennent entre eux. Je regarde sans vraiment voir. Tout me paraît un film de guerre, genre Akira Kurosawa. Je n’y comprends que dalle.

 

Glorios et Mikaïl m’entourent dans le grand lit à baldaquin. Après le visionnage du « film » dans Whouna versus miroir, tout le monde y a été de son petit commentaire. Mais finalement nous avons tous bien ri. Whouna est redevenu corporel et il s’est joint à nous. Timoti le regardait souvent. Je crois que Whouna le fascine et qui, pas ? Je sais que Leanna, lui et Mana vont rester quelques heures avec lui. C’était patent au moment où nous avons décidé d’aller dormir. Clayton et deux personnes sortis de je ne sais où ont accompagné chacun jusqu’à sa chambre. Et maintenant me voilà enlacée par mes deux hommes.

Nous avons fait l’amour longuement et doucement. Nous n’avons pas émis un seul mot, juste nos mains, nos corps, notre jouissance. Les lèvres de Glorios sur mes seins, la bouche de Mikaïl sur mon sexe, j’ai ondulé comme une vague prise de folie. La chaleur de ma passion m’a amené au paroxysme, lorsque le sexe de Mikaïl s’est inséré dans mon vagin, long, palpitant, si doux. Glorios a étouffé mes râles en m’embrassant fortement, puis il a glissé sa verge entre mes lèvres où je l’ai sucé avec tellement de désir que j’en avais les larmes aux yeux. Mikaïl me pénètre en longues estocades fermes. La jouissance vient lentement. Mikaïl titille mon clitoris. Mon orgasme m’éparpille une fois, deux fois. Lorsque Glorios cesse son va et vient entre mes lèvres, je sens Mikaïl sur le point de jouir. Lorsqu’il s’approche du climax, Glorios reprend sa danse et tous les trois nous jouissons. Glorios se penche sur mon cou et prend de mon sang. « Un long bras de mer vu d’un pont de navire… une aurore boréale… des cris d’angoisse… une lampe qui s’ouvre dans un labyrinthe… un long couloir dans une grotte… des sons de pluie diluvienne… une ascension en parapente… plusieurs huskys courant dans la neige, le sifflement d’un coup de fouet et la voix de Glorios… un couple enlacé qui se prend sauvagement… un visage de femme qui sourit doucement, les rides marquant sa peau comme autant de sillons de vie… un cimetière quelque part… » Mikaïl prend mon poignet et s’abreuve à celui-ci. « un vent d’orage, éclairs inclus… un bébé qui nait entre les cuisses ensanglantée d’une femme qui hurle et d’autres qui crient… un procès dans un salle obscure, des hommes en noir… une fête endiablée sous une musique furieuse et des corps en débandade… un corps de femme qui ondule prise dans le plaisir… un corps qui s’affaisse sous une rafale de balles… deux enfants qui se tiennent par la main, soudain sont élevés dans les bras de quelqu’un qui se met à courir… une orgie dans un lieu peu éclairé… une charge militaire dans un grand champ enfumé sous la mitraille et les hurlements sauvages… un visage poudré souriant avec malice… un couple d’ancien à la peau cuivré humble et serein… des masaïs près à partir en guerre… un bureau… une cellule affolante, le bruit de chaine, de cris et de gémissement, d’autres bruits assourdissants, l’obscurité parsemé de brèves lueurs de flammes de bougies… une main fine et élégante s’approchant des lèvres… »  Une autre vague de jouissance me lance au firmament. Black-out !

 

Je me serre entre mes deux amours, revenue du pays des orgasmes. Mon cerveau est un galimatias d’émotions et de sentiments.

 

-        Dis-nous, mon aimée…

-        Quoi ?

-        Ce qui te dérange, mayama.

-        Je ne sais pas. Ou plutôt, rien ne me dérange. Enfin si, un peu… je suis désolée d’être entré en trombe dans la pièce, je n’en avais pas l’intention…

-        Chut, ma félidée ! C’est la chose la plus merveilleuse que j’ai jamais vu…

-        Glorios a raison, mon amante. Ne regrette pas ce geste. Nous ne t’en aimons que plus…

-        Mikaïl vient de parler par ma bouche !

 

Glorios a un petit rire et Mikaïl soupire. Ces deux-là sont devenus amants, mais cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas envie de se taper dessus ou de se molester de temps à autre. Je suppose que passer des siècles à se mépriser l’un l’autre ne s’efface pas en un jour.

 

-        John arrive demain.

-        C’est cela qui t’inquiète, ma toute belle ?

-        Non. Oui. Peut-être…

-        Tu as le choix, ma félidée…

-        Je sais. C’est seulement que… je me sens à l’aise avec vous deux à mesure que le temps nous lie et notre amour, mais… si je n’arrive pas à aimer John de la même façon ? Enfin, pas de la même façon, mais avec autant d’intensité que je vous aime ? S’il m’importait moins que vous ne m’importez ? Je ne veux pas lui faire de mal, mais… je ne pense pas pouvoir le laisser loin de moi. Je… je sais, j’ai senti que j’avais besoin de lui, qu’il me…

-        T’excitait ?

-        Oui.

 

J’enterre mon visage contre le torse de Mikaïl. Je sais, débile après nos séances de sexe exacerbé et nos plaisirs partagés, mais parler de sexe si ouvertement… Education oblige, je suppose ! Glorios a un petit rire coquin. C’est bien de lui de casser mes discours avec deux mots pour… mettre le doigt sur ce qui me perturbe le plus.

 

-        Je trouve cela de bon aloi qu’il t’excite, mon aimée…

 

Je relève la tête. Quoi ?

 

-        Oui. C’est un bon début. Qu’est-ce qui t’inquiète vraiment ? Tu n’es pas obligée de l’admettre dans notre couche tout de suite. Nous n’avons pas été amant tous les trois de suite. Nous avons pris le temps de nous connaître, de nous plaire, de nous aimer. Du reste, tu peux choisir de vivre ton histoire d’amour avec John à part, sans que nous n’interférions, si c’est cela qui vous convient le mieux. Les lycanthropes sont assez exclusifs. Tout est négociable, ma belle aimée.

-        Entièrement d’accord, Koshka, à la condition que nous soyons toujours amants !

-        Cela va de soi. Vous êtes mes amours et cela rien ni personne ne peut le changer !

 

Mes deux hommes me serrent contre eux. Je me sens si bien entre eux, protégée, mais surtout en harmonie, comme si j’étais là où je devais être. Je baille à m’en décrocher la mâchoire. La faiblesse qui s’insinue dans tout mon être est plaisante et suave et… Black-out !

 

 

 

25.

 

John doit arriver tôt ce matin. Après ma nuit avec mes deux amours et notre conversation, je me sens aussi brumeuse qu’un jour d’Irlande, mais plus sûre de moi. Le réveil s’est fait lentement. J’avais le corps qui palpitait doucement, repu, heureux, plein de notre amour à tous trois. Je me suis longuement étirée, savourant la tiédeur des draps avec sa bordure de tissu froid, si mes pieds ou mes mains s’aventurent trop loin sur le matelas. C’est délicieux et… je me sens particulièrement relax ! C’est déjà cela. Mes deux amours m’ont quitté à un moment ou à un autre dans le courant de la nuit. Et maintenant que j’y songe… suis-je toujours chez Mikaïl ou chez… Je regarde en l’air. Lit à baldaquin ! OK ! C’est plus clair. Il est encore tôt. Hier après-midi, j’ai appelé ma chef pour lui dire que j’avais dû m’absenter in extrémis. Elle l’a pris très bien ! Le plus curieux, aucune mention à ma veste et mon sac. De fait… maintenant que j’y songe… ils étaient dans l’entrée lorsque mes amants m’ont transporté à l’étage. Cette manie de me véhiculer partout comme ça ! Quand je leurs fais remarquer que je peux marcher, ils me font remarquer qu’ils aiment me tenir, me toucher, que je fais partie d’eux. Et de fait, surtout Glorios, ils en profitent pour me faire des fouilles corporelles complètes. Des fois, il me fait honte, mais dans le fond… j’adore ! Mikaïl est plus discret, sauf qu’il me dit des mots… « des mots d’amour, des mots de tous les jours… » Edith Piaf, la génialissime ! Mais ce que Mikaïl me dit est tellement… tellement… tellement… je me crispe tout d’un coup et je fais une sorte d’arrêt sur image, tous mes sens aux aguets ! Il y a quelqu’un dans la chambre ! Merde ! Je pensais qu’ici les âmes perdues, égarées ou je ne sais pas trop comment les appeler, ne pourraient pas m’atteindre ! Grossière erreur ! Sans corps, ils peuvent aller où ils veulent. Je tourne doucement la tête de côté. J’y vois que dalle ! Une petite lampe s’allume près de la porte avec un déplacement d’air ! Et merde ! Un Poltergeist ! Je commence à mieux voir et je le vois… J’aurais dû m’en douter. Il est là, accroupi près du chevet, le regard brillant et… Wouh ! Mon corps s’éveille et moi de même !

 

-        Tu es là depuis longtemps ?

 

Bravo ! Belle entrée en matière ! De plus, je dois sentir le…

 

-        L’amour, tu sens l’amour et le plaisir !

 

Je rougis furieusement. John n’a jamais eu sa langue dans sa poche. J’apprécie et cela me met dans un état…

 

-        Qui t’a ouvert ? Mikaïl ? Glorios ?

-        Whouna !

-        Whouna ? Pourquoi pas Clayton ?

-        Non ! La menace de Vasilief et sbires n’est pas à prendre avec des pincettes. Nul vampire ne doit ouvrir la porte, même à des personnes qu’il connaît ! Ils sont trop vulnérables.

-        Et pas Whouna ?

-        Et pas Whouna. J’ai pris plaisir à le revoir.

-        Tu le connaissais ? Je veux dire avant mon incursion dans…

-        Oui. Whouna a passé quelques temps avec les garous. Il a toujours été un grand voyageur. Il est aussi la Mémoire.

-        Oui, c’est ce que j’ai compris.

 

Je ramène un peu l’édredon sur mon torse. D’ailleurs depuis que j’ai pris conscience qu’il était là, je me sens un peu à l’étroit sous l’édredon, comme si j’avais le désir de m’exhiber nue devant lui et... Wouh ! La honte totale!

 

-        Ne le sois pas, ma féline. La nudité et la tienne en particulier serait un plaisir et un régal pour moi…

 

Je pousse un long soupir.

 

-        OK! Ça commence bien…

-        Je l’espère. Pour toi. Pour moi et pour…

-        Non ! Ne dis encore rien ! Je… je suis une femme normale, banale et… Ne fais pas cette tête ! Je n’ai jamais rien fait d’extraordinaire dans ma vie. Juste les machins habituels d’un quidam normal !

-        Et il faut « faire quelque chose d’extraordinaire dans sa vie » pour démontrer qu’on est quelqu’un plus que « normal » ou extraordinaire ?  Faut-il l’être pour que d’autres te considèrent extraordinaire et merveilleuse, exceptionnelle ?

-        Sans doute pas, mais cela ne change rien. Tout ceci me dépasse. Je n’ai jamais aspiré à devenir autre chose que ce que je suis.

-        Et tu es cette personne. Le seul fait d’être toi fait de toi pour moi un être extraordinaire. Laisse-moi me coucher près de toi, ma féline. Tu peux rester dessous l’édredon et moi dessus, mais j’ai besoin de te sentir plus proche. S’il te plaît…

 

Son regard me vrille le cœur. Ses mots sont si… J’acquiesce de la tête et me glisse sur le côté. Il se couche près de moi.

 

-        Merci ! Laisse-moi te tenir. Juste un peu. Je ne ferai rien d’autre. Mais cela m’a paru une éternité…Tu m’as tant manqué…  Si tu savais !

 

Il se tend comme une corde avant de reprendre son attitude nonchalante. Je me colle à lui.

 

-        Oui. Viens contre moi… serre-moi…

 

Tout bas, je souffle « tu m’as manqué ». Il me serre contre lui. Je sais. Il est déjà dans ma vie de couple,  dans ma vie en général. Bravo ! Je viens de rendre mon existence un peu plus complexe, mais bon ! Tant que j’y suis…  Les minutes passent et je me relâche un peu, puis totalement.

 

-        Viens sous l’édredon.

-        Tu es sûre ?

-        Non, mais je ne veux rien entre toi et moi.

 

Quelques secondes plus tard, il est sous l’édredon. Nu ? Quand s’est-il dénudé ? Ils sont si rapides que Speedy Gonzales se choperait une dépression nerveuse en les voyant se bouger ! Il a un petit rire étouffé et me hale tout contre lui. Il me fait un effet terrible. Mon attirance est toujours aussi forte. Il me renifle longuement. Il s’imprègne de moi et je fais de même d’une autre manière. J’enterre mon visage dans son torse. J’ai envie de lui, mais je ne crois pas que j’accepterais cette union. Pas maintenant, pas encore. Il me serre plus fort. Je sens qu’il sait. Il embrasse le haut de mon crâne.

 

-        Reste là… j’attendrai que tu sois prête. T’avoir contre moi est déjà plus que je ne pensais avoir…

 

Le ton savamment plat avec lequel il me dit cela m’en dit plus sur l’angoisse par laquelle il est passé. J’aurais aimé ne pas…

 

-        Chut ! Peu importe le temps que ça a pris, le temps que cela prendra. Si je suis avec toi, mo cuishle, c’est le principal…

 

Je relève mon visage pour le regarder. Il n’est pas aussi beau et fascinant que mes deux amours, mais il est si viril, si sexy qu’il le devient tout autant que Mikaïl et Glorios.

 

-        Tu peux juste m’embrasser… un peu…

 

Ses lèvres empêchent d’autres mots inutiles de s’exhaler. Les mots sont toujours trop surévalués ! Dixit moi, mais bon, d’accord, je ne suis peut-être pas la mieux placée pour le dire, si ?

26.

 

            Nous avons quitté la demeure de Mikaïl après un repas plantureux. Nous avons parlé de choses et d’autres. Je suis encore perplexe quant à la sentence. Certes, il semble juste que le criminel soit remis entre les mains de Vasilief, mais même sans savoir qui est ce triste sire j’ai senti combien ce dernier est pervers et malfaisant. Cependant, je ne connais pas suffisamment bien les règles de la Communauté des Vampires - et ce ne sont pas Charlaine Haris et ma chère Anita Blake, héroïne de Laurell K. Hamilton qui peuvent me venir en aide, hélas ! Je sais déjà comment les choses se déroulent pour leur disparition et avec les Prescient Primordiaux, qui sont les « morts » des vampires et qui assurent aussi, en quelque sorte, la pérennité de leur nature. Et encore, je ne suis même pas sûre d’avoir tout compris ! Quant au reste… Il ne semble pas y avoir de suzeraine ou de suzerain, ni de Déesse ou de Dieu dans leur communauté… Ils semblent fonctionner comme des Fédérations libres qui auraient certaines « Administrations » en commun, comme l’a démontré le Tribunal.

            Clayton s’est comporté avec son urbanité habituelle. Il est adorable et si « majordome ». S’il n’était pas attaché au protocole et à son rôle, je le débaucherais bien. Enfin… en tout bien, tout honneur… De plus, comment le pourrais-je ? Il a quelques siècles d’avance sur moi !

 

-        Clayton ? Vraiment, mon aimée. Voilà qui me surprend venant de ta part…

-        Oh, tu sais ce que je veux dire ! Il a une attitude si engoncée, si hiératique que ça me donne envie de le décoincer un brin, sauf que je me doute que s’il veut se « décoincer », il n’a pas besoin de moi. C’est juste… tentant !

-        Ma félidée… crois-moi, Clayton a été un joyeux luron en d’autres temps. Il n’a revêtu cette attitude que depuis qu’il a décidé d’entrer au service de Mikaïl ! Et l’un déteignant sur l’autre…

-        Merci, Glorios. Il est toujours réconfortant de savoir le fin fond de l’opinion qu’une personne a de nous-même !

 

Glorios me regarde significativement, genre : « tu vois ce que je veux dire ! »

 

-        De rien, Koshka ! Un amant et ami se doit d’être sincère et honnête avec son compagnon !

 

Le ton de Glo est si manifestement flagorneur que j’éclate de rire ! Mikaïl soupire ostensiblement en manœuvrant pour entrer dans l’allée de ma maison. Notre foyer. Je jette un coup d’œil derrière moi et je vois le grand 4X4 de John se parquer derrière nous. Whouna l’accompagne. Même d’ici, j’arrive à voir l’aura blanche qui fluctue autour de lui.

Après notre moment de tendresse de ce matin, John et Whouna se sont trouvés pas mal de points communs. Il semblerait que Whouna a une tendresse toute particulière pour les garous de toutes natures et pour l’Irlande qu’il a connu en diverses époques. Je n’ai rien compris à ce qu’ils disaient. Ils parlaient en gaélique. De temps en temps Glorios me traduisait quelque chose, mais cela ne me disait pas grand-chose. Christos m’a tenu compagnie pendant une heure et sa conversation m’a énormément divertie. C’est un conteur flamboyant et passionnant. Sa beauté classique rayonne encore plus et je me suis laissée séduite par son charme. Il devrait retrouver le bonheur bientôt, si tel est son bon plaisir. Je le lui souhaite de tout cœur. Cependant, j’ai senti en lui une terrible nostalgie, celle de sa Grèce, l’antique, lorsqu’elle était dans toute sa magnificence et sa gloire. Je le comprends. Mon grand-père avait cette nostalgie pour sa terre, l’Andalousie, même s’il ne regrettait pas ce qu’elle avait été. Guerre civile, après-guerre, dictature franquiste, immigration ne suscitaient en lui que rancœur, rage impuissante, mépris et surtout une peine immense. Seul le souvenir de sa terre, de sa langue, de sa culture lui redonnait cet air de plaisir intense, de fierté, d’amour illimité et aussi de nostalgie infinie. Je  n’ai pu échanger que quelques mots avec Ranita qui repartait avec Crisold je ne sais plus où. Crisold est resté avec moi un moment. Il m’a sondée comme il le fait toujours. Je ne m’en irrite plus, je sais qu’il ne le fait que pour savoir si je vais réellement bien. Il m’a souri. Il a vu mon dilemme. Je le sais. Il a regardé longuement John. Le sondant sans doute aussi. John lui a retourné un bref regard. Ils se connaissent. Pas aussi bien que Mi, Glo ou Mana, mais suffisamment, je suppose. Il m’est encore très difficile de comprendre les liens qui unissent les Outre-Vivant. Crisold s’est penché plus près de moi, après leur échange visuel.

 

-        Vous avez la même sorte d’inquiétude viscérale, ce qui est tout à votre honneur. Cela devrait asseoir plus rapidement l’amour vrai que vous vous portez !

-        Tu sembles si sûr de cela, Crisold.

-        Je ne puis que constater et voir ce qui est.

 

Je n’ai rien rétorqué. Il s’y entend très bien en usant des termes sibyllins. Disons que je l’ai cru sur paroles et qui vivra verra ! Mana et Leanna sont partis avec Timoti. Ils reviendront d’ici quelques jours. Mana pense pouvoir m’aider pour aider Whouna, même si je ne sais toujours pas ce qui se passe réellement. En fait, si j’étais un investigateur privé, je dirais que l’enquête piétine. Mais bon… N’ai-je pas soupiré après une bonne période de train-train quotidien ?

            Un timide soleil pointe entre une armada de nuages menaçants. Depuis quand l’Astre entre tous les astres doit se plier aux raclures nuageuses célestes ? Il n’y a plus de respect ni sur Terre, ni dans les Cieux! Tout se perd ! Un comble ! Mon voisin Monsieur Gaston est dans mon jardin pour arranger mes parterres ou d’autres choses. Il a un amour très grand pour mon jardin qui est merveilleux et ce n’est pas de mon fait. Je lève ma main pour le saluer, lorsque je me rends compte qu’il parle avec quelqu’un que je ne vois qu’à demi, mais que je reconnais tout de suite. Dan ! Merde ! Que fait-il là ? Je dépasse mes amours pour me rendre au jardin par le côté latéral de la maison, lorsque John m’intercepte.

 

-        Ouh là, ma féline, où cours-tu comme cela ?

 

Glorios, Mikaïl et Whouna nous rejoignent.

 

-        Monsieur Gaston… dans le jardin… Dan !

 

Mikaïl et Glorios regardent vers le jardin et voit Monsieur Gaston parler avec Dan. Je continue ma route aussi vite que je peux. Lorsque j’arrive Whouna est déjà là. Dan lui fait une profonde révérence. Whouna s’incline également. Monsieur Gaston me sourit amplement.

 

-        Aaaah, bonjour Vera ! Je suis content de vous voir… J’espère que je n’ai pas mal fait, mais ce monsieur était devant la porte et comme je devais terminer quelques p’tits choses dans le jardin, je lui ai dit de m’accompagner…

-        Vous avez bien fait Monsieur…

-        Ah non ! Pas monsieur, Monsieur, c’est mon père. Gaston, c’est parfait !

-        Oui.

 

Je souris au visage courroucé de Monsieur Gaston. C’est un si brave homme. Je le regarde fixement, essayant de déterminer s’il va bien sans…

 

-        Dame Vera…

 

Dan s’incline devant moi. Je sens mes trois hommes derrière moi, apparemment nonchalants. Monsieur Gaston leur parle avec enthousiasme.

 

-        Je suis navré de vous voir inquiète par ma faute, Dame Vera, ce n’était pas mon intention… et, je vous prie de croire que je ne nuirai pas à ceux qui vous sont proches…

 

Le visage de Dan est grave et blessé. Je rougis légèrement. J’ai agi avec trop d’empressement, mais je suis un chouïa sur les nerfs dernièrement ! Qui peut m’en blâmer ? Whouna est près de nous. Il a repris son attitude vigilante. Son aura est neutre, mais je le sais attentif à nous tous.

 

-        Je vous crois Dan, mais…

-        Je comprends, Dame Vera…

 

Monsieur Gaston qui parle avec Glorios en a fini de ses explications, quand soudain il s’écrie.

 

-        Ah ! Ma mauvaise tête… Je les ai reçus ce matin, Monsieur Glorios ! Vous m’avez fait là le meilleur des cadeaux ! Jamais je n’aurais trouvé ces semis. Pensez ! Dix ans que je les cherche… Ah, Monsieur Glorios, vous êtes un Dieu, je vous le dis !

 

Mikaïl et John se détournent précipitamment. J’aurais dû m’en douter ! Deux CV et maintenant un CF (Chien fou) ! Génial !

 

-        Je suis heureux de vous avoir rendu ce petit service, Gaston. Mais appelez-moi donc Glorios. Monsieur était mon père, assurément.

 

Monsieur Gaston sourit de plus belle. Mikaïl et John se détournent plus encore. Ils se bidonnent. J’vous jure bien des fois !

 

-        Ah… Maint’nant qu’vous êtes là… j’ai une p’tit surprise pour vous Vera…Si vous voulez bien m’accompagner…

 

Il file vers la partie du jardin qui est devant la véranda où je prends le plus de plaisir à me retrouver grâce à son hamac à deux places et son transat que j’ai installé là. Ça me rappelle que je n’en ai plus fait depuis longtemps ! Ça me manque ! Il s’arrête devant un parterre légèrement surélevé de manière à ce qu’il soit bien visible depuis la véranda. Au début, je ne vois rien de spécial, puis j’ouvre la bouche en grand. Il hoche la tête.

 

-        J’ai repensé à not’ conversation sur vot’ amour d’l’Andalousie. Vous m’aviez expliqué pour le drapeau andalou, comment il avait été fait, qui était mort… cette femme…

-        Maria Pineda…

-        Oui, celle-là, alors j’ai fait un rectangle avec des plantes blanches et des plantes vertes qui sont solides et resteront vivaces toute l’année ou presque. Vous voyez ?

 

Je le vois ! Vert et blanc, le drapeau andalou. J’en ai les larmes aux yeux. C’est mon grand-père qui aurait aimé cela. Je m’approche de Monsieur Gaston qui a un peu plus que ma taille et spontanément lui donne l’accolade. Il me tapote le dos. J’ai les larmes aux yeux. C’est si gentil à lui…

 

-        Eh, Vera… c’est un plaisir de l’avoir fait et plus que j’sais qu’vous allez bien en profiter…

 

Je m’écarte de lui. M’essuie les yeux discrètement.

 

-        Je vous remercie, cela me touche beaucoup…

-        Alors, c’est tant mieux ! Je vais vous laisser, je vais terminer c’qu’chui venu faire ! Vous avez d’la visite et c’est très bien ! Allez, bien le bonjour, Messieurs…

 

Monsieur Gaston file vers l’appentis pour chercher ce dont il a besoin. Les hommes regardent mon parterre. Je suis tellement émue et heureuse aussi. Mikaïl me prend contre lui et me berce doucement. Je me love dans sa tendresse et sa douceur avec reconnaissance. Il m’embrasse le haut du crâne et souffle doucement contre mon oreille.

 

-        Rentrons, maintenant, mon aimée. Je vais préparer une petite collation.

 

Je hoche la tête. Il a raison ! ET Mikaïl est vraiment une fée du logis… John a un petit rire qui me fait des « guilis, guilis » un peu ici et là. CF, va !

           

 

 

 

27.

 

 

            Whouna se poste près du mur dans cette attitude qu’il affectionne. Son aura est trouble et cela m’inquiète. La salle à manger est baignée dans une clarté intermittente due à l’incertitude du climat extérieur. La Belgique est vraiment le pays des entre-deux. Glorios est parti je ne sais pas où. Dan reste debout, les mains derrière le dos, le visage crispé. Aurait-il peur de John ?

 

-        Non, Dame Vera, même si sa nature n’est guère propice aux nôtres…

-        Je ne vous le fais pas dire, Dan !

-        Monsieur John… il y avait longtemps !

-        Pas suffisamment en ce qui me concerne !

-        Des excuses ont été formellement exprimées alors…

 

John pousse un grognement ! Et merde ! Il ne va pas se transformer au milieu de ma salle à manger ! Un peu de tenue, quoi ! Une seconde plus tard, John me tient sur ses genoux. J’avais oublié la rapidité de ses gestes.

 

-        Je ne vais pas me transformer…

-        Ah ! Je vois que l’ambiance est au beau fixe ! Heureusement, j’ai trouvé quelque chose qui va nous mettre du baume au cœur !

 

Glorios vient d’entrer avec dans les mains trois bouteilles de… Quoi ? Pas du champagne, tout de même…

 

-        Du cidre et du Bowmore 25 ans d’âge !

-        Glorios, tu es mon homme !

-        Pas encore, CF !

-        CF !

-        Euh… Je crois que vous devriez vous asseoir, Dan et toi aussi Whouna ! Si je connais bien Mikaïl il ne devrait plus tarder…

 

Aussitôt dit, aussitôt fait. Mikaïl entre avec un grand plateau. Glorios dépose les bouteilles sur la table hâtivement dressée. Rien à voir avec ce que Clayton sait faire ! Whouna s’assoit près de moi. Je gigote sur les genoux de John, mais celui-ci est bien décidé à me garder contre lui. Je ne vois pas d’inconvénient, sauf que… bon, je ne sais pas, mais… Dan s’assoit près de Whouna. Je le trouve pas mal coincé, là ! Pas qu’avant il m’ait paru franchement guilleret et désinhibé, mais là… Mikaïl s’assoit près de moi d’un côté et Glorios de l’autre. Il sirote le Bowmore avec plaisir. John fait autant. Les plats apportés par Mikaïl sont de ceux qui ouvrent l’appétit. Pas le mien ! Il y a quelque chose qui ne va pas. Je me tourne vers Dan qui boit une gorgée de cidre comme si c’était de la cigüe.

 

-        Je ne veux pas être désobligeante, ni grossière, mais je suis surprise de vous voir ici, Dan. Que se passe-t-il ?

 

Glorios étend ses longues jambes. Il tient à l’œil Dan.

 

-        Je suis venu aussi vite que je pouvais. Je… Il me semble que je ne suis pas très au fait des us et coutume qui régissent votre vie, Dame Vera, aussi je quémande votre indulgence. En d’autres circonstances, je me serai annoncé par un courrier formel, mais la situation est préoccupante…

-        Dan, fils… nous savons combien tu es soucieux de la bienséance et c’est tout à ton honneur, mais… viens-en au fait !

 

Whouna a parlé d’un ton plat, mais il y a un bord agacé. Je le regarde. Cela ne lui ressemble pas.

 

-        Jamelon Scribaton  et Yonala Grandon ont été retrouvé en état d’Intériorité Absorbée !

 

Whouna repousse sa chaise en arrière en se levant d’un bond.

 

-        QUI ?

 

Sa voix de stentor me ratatine entre les bras de John. Glorios et Mikaïl me cernent également, alors que Dan se replie sur lui-même.

 

-        Nous ne savons pas, Maître ! Nous sommes terriblement désorientés et inquiets. Cela n’était pas arrivé avant la Grande Engelure de la Seconde Guerre Pornalienne !

 

Whouna semble se figer, puis se transforme en miroir. Sa surface ondule furieusement. Je ne vois pas la mer primordiale, ni rien. Je regarde mes hommes.

 

-        Vous voyez quelque chose ?

-        Non.

-        Moi non plus.

-        C’est normal, Dame Vera. Whouna est en recherche. Cela ne devrait pas prendre beaucoup de temps.

 

Whouna reprend son apparence humanoïde. Son aura est épaisse et d’un noir opaque. Elle tourbillonne de façon menaçante. Un regard vers mes hommes me dit qu’ils ne la voient pas. Ce n’est pas le cas de Dan qui blêmit atrocement. Whouna reste debout face à Dan qui s’est également levé. Il se tient tellement rigide que je crains qu’il ne se rompe à n’importe quel moment.

 

-        Maître…

-        Cela est inadmissible ! Ils ont été mes gardiens fidèles durant sept mille ans chacun. Qui ?

-        Nous n’avons pas pu le déterminer. Il n’y a aucune trace. Tous deux sont extrêmement puissants. Ils étaient à même de se protéger contre cela et bien d’autres choses. Ils l’ont toujours fait.

-        Oui. Les mesures que vous avez prises sont correctes. Faites venir Claséandre.

-        Claséandre ? Mais il a disparu depuis dix-sept mille ans.

-        Non ! Il s’est écarté du monde. Je l’ai convoqué. Il devrait arriver à la Cour dans peu de temps !

-        Je ne peux pas…

-        Tu iras à la Cour ! J’ai fait le nécessaire pour que Herban, le Grand Chancellor de Cour t’accueille avec les égards qui te sont dus! Il n’est plus temps pour ces billevesées et autres salamalecs que les Cours affectionnent tant ! Vas-y sans crainte. Prends ceci.

 

Whouna lui remet un sceau en or massif d’une taille inhabituelle. Des marques étranges sont gravées sur le pourtour en une ellipse qui doit avoir un sens particulier. Dan ouvre la bouche, puis met un genou sur le sol – heureusement que je l’ai nettoyé avant-hier, sinon…- et ploie la nuque.

 

-        C’est un grand honneur, Maître.

 

Whouna soupire.

 

-        Relève-toi ! L’honneur n’a que faire dans ce cas-ci ! Ce sceau te protègera et te mettra à l’abri des comploteurs et autres racailles qui sévissent ici et là ! Il te fournira aussi tout le pouvoir d’action dont tu auras besoin. Ceux qui seront tes alliés seront détectés par le sceau. Ceux qui ne le sont pas aussi.

-        Ne pourriez-vous pas venir à…

-        Non ! Tu es bien jeune, Dan, mais ma présence ne fera que mettre le chaos dans les Cours ! Cependant, ma présence représentée par ce sceau sera bien suffisante. D’ores et déjà fies-toi à Dobleson Patrisian. C’est le plus loyal et le plus fidèle des alliés. Il t’aidera.

-        Dobleson Patrisian…

 

Dan semble ébloui. Qui est-ce ?

 

-       C’est un des Fae les plus anciens. Il est aimé et craint par tous. Personne ne sait exactement d’où il vient, ni de quelle nature, autre que celle de Fae, il est. Certaines légendes disent que c’est le fils direct de Whouna, d’autres pensent que c’est son frère. Bref ! Personne ne songerait à lui nuire.

-       Tu le connais ?

-       Mana l’a rencontré. Et j’ai rencontré Mana après. Il était transfiguré.

-       Il sait ce qu’il est ?

-       Tu connais Mana. Personne, à part lui, ne sait ce qu’il sait exactement.

-       Whouna ?

-       Je te conseillerai de ne pas poser cette question-là, ma félidée.

-       D’accord ! Mais je ne te promets rien.

-       J’y compte bien, mon aimée.

-       Oui, moi aussi, petite féline. Je ne regrette pas d’être venu. Vous avez des repas familiaux vraiment très mouvementés !

-       N’est-ce pas !

 

John a un rire bas qui me picore la peau en minivagues sensuelles. CF, va.

 

-        Il est temps de partir, fils. Je resterai vigilant.

 

Dan fait une profonde révérence à Whouna qui le relève et l’enserre dans une forte étreinte. Dan se crispe violemment, puis se détend. Wouh ! C’est flippant à donf, même si j’aime mieux ça que le genre courbettes et tout le saint frusquin ! Il se tourne vers moi et mes hommes qui me cernent toujours. On peut compter sur eux pour être sur moi à la moindre occasion !

 

-        Dame Vera, Messires… Je vous prie encore d’excuser mes intrusions…

-        Ne vous inquiétez pas de cela, Dan. Vous êtes le bienvenu chez moi quand vous le désirez.

 

Mes hommes se statufient autour de moi. Quoi ? Et le sens de l’hospitalité alors? J’te jure des fois !

 

-        Merci, Dame Vera. Je n’en abuserai pas !

-        Vous auriez du mal ! Chez moi, c’est chez moi, même si ça devient pour un temps le chez soi des autres !

-        Oui… Bien évidemment !

 

Il me fait une révérence et s’évanouit dans les airs. Je ne m’y ferai jamais ! Je ne sais pas quel genre de relation ils ont chez les fées, mais si à chaque dispute l’un du couple disparaît comme cela, ça doit être vachement énervant ! De plus, s’il y a pas de vis-à-vis comment ils font pour se disputer ? J’entends un petit rire de Glorios qui… Bon sang ! Whouna vient de s’écrouler sur la chaise. Je me relève rapidement.

 

-        Whouna ? Whouna ? Ça va ? Qu’y a-t-il ? Faut-il appelé une ambulance, un médecin, un guérisseur, un chamane, un gourou ?

 

Whouna a les yeux fermés. Son aura semble instable. Il est en train de s’évanouir. Il ouvre les yeux. Son regard est trouble. Je suis penchée sur lui, touchant son front, ses joues, son cœur, enfin là où il devrait se trouver.

 

-        Tout va bien. Petite Vera. Tout va bien ! Je vais prendre congé durant quelques heures. L’annonce de Dan a déclenché une baisse de tension dans le flux de mon être. Cela devrait passer d’ici quelques heures.

-        Je t’accompagne à ta chambre !

-        Cela ne sera pas nécessaire. Reste avec tes compagnons. Je te verrai plus tard. Nous parlerons…

 

Il disparaît d’un coup. Génial ! Je comprends mieux d’où les fées tiennent l’idée de s’éclipser comme ça!

 

 

28.

 

            Je tourne en rond dans ma chambre. Glorios a dû partir pour un problème d’ordre familial. Cela me fait toujours bizarre de l’entendre parler de famille. Quand on a l’âge qu’il a, probablement celle de la première vague d’humanoïde, autrement dit, aux environs de    sept millions d’années et contemporain d’un certain Toumaï qui était originaire du Tchad. Merci Wikipédia ! J’ai bien cherché à en savoir plus sur cette époque, mais il semble que ce n’est pas très clair dans la mémoire de Glorios. Je n’ai pas insisté. De toute façon, il me plaît nettement plus que ce Toumaï, du moins la représentation qu’on a faite de lui, se basant sur des théories scientifiques des plus pointues. Il mesurait un mètre, vous vous rendez compte ! C’est heureux que Glorios soit nettement plus grand que lui. D’ailleurs c’est une des choses qui m’a troublé lorsque j’ai su leurs âges. Comment sont-ils devenus ces hommes de si grandes tailles ? Mana me l’a expliqué le mieux qu’il pouvait. Bien sûr, ce ne sont que des spéculations de l’éternel observateur et studieux qu’est Mana. Il semblerait que l’organisme des vampires a la capacité de s’adapter au niveau de la structure moléculaire selon les changements d’époques. Quand il parle d’époques, il prend en compte les climats et tous les bouleversements dont la Terre se fait écho. Je n’ai pas tout compris, sauf que Glorios étant un des premiers humain ou humanoïde (d’après Mana il serait encore plus ancien que Toumaï de plusieurs millions d’années… j’ai comme un p’tit coup de vertige rien que d’y penser…). Donc si je dois conclure quelque chose au sujet de l’âge réel ou supposé, c’est que peu m’importe l’âge qu’a Glorios ! Après cinq zéro derrière un chiffre, je ne compte plus. Pour moi il a l’âge de notre amour, de sa présence, de ce qu’il est. Que les paléontologues se disputent avec le carbone 14 et les autres mesureurs de temporalité, moi je vais jouir à donf avec ce merveilleux miracle de la Nature qu’est Glorios !

            Mikaïl n’est pas resté. Il semble qu’il doive représenter un client au Tribunal Vampirique. J’espère qu’il ne devra pas exécuter le coupable. Je sais combien cela l’affecte. Et moi qui croyais que les vampires se moquaient bien qu’un autre vampire meure ! En fait, j’ai tout faux ! Depuis que je suis avec eux, je me rends compte qu’ils ont toute la palette des émotions et sentiments humains et cela me perturbe vachement. Je devrais dormir un peu, mais je ne peux pas. Whouna n’a pas donné signe de… ce que donnerait comme signe un Whouna… Je ne peux pas m’empêcher de me dire qu’il y a quelque chose qui cloche. Tout est si confus… Je devrais arrêter de tourner en rond, mais je n’arrive pas à me détendre. Je pourrais appeler Glorios et Mikaïl pour leur dire de venir me rassurer ou… Mais suis-je vraiment si pathétique et si égoïste ? Non et oui. Ces derniers mois je me suis retrouvée tellement entourée que je me rends compte ce soir que je ne sais plus comment être seule avec moi-même. Je stoppe devant le miroir en pied. J’ai changé depuis quelques mois. Mon corps s’est stylisé en quelques sortes. J’ai toujours des seins lourds, mais ils semblent plus toniques et le reste de mon corps n’est pas mince, loin s’en faut, mais il a pris des formes plus fines. Bref je me trouve plutôt pas mal. On frappe à la porte et je sursaute violemment. Vraiment à cran, là !

 

-        Oui ?

-        Je peux entrer…

 

La porte s’entrouvre et le visage de John apparaît entre le chambranle et le battant. Je le regarde et lui sourit spontanément. Nous avions convenus d’attendre un peu, mais… Je fronce les sourcils. Il y a un problème ?

 

-        Non. Pas de problème, mais je t’entends cogiter et t’agiter en tous sens et je suis passé voir si je peux t’être utile…

 

Je rougis violemment. Il me plaît tant, mais je suis tellement encore…

 

-        Nous pouvons parler, simplement…

-        Oui. Entre. Je crois que ce serait bien.

 

Il passe le seuil et ferme la porte derrière lui. Il ne me quitte pas des yeux. Je suis toujours près du miroir. Le lit géant, taille californien plus grand que le King Size est derrière moi. La chambre est grande. Elle est composée de deux chambres dont on a abattu un mur cloison. J’ai tout de suite apprécié cette chambre lorsque je suis venue m’installer ici. John ne bouge toujours pas et moi je soliloque. Pathétique !

 

-        Je… nous devrions nous asseoir…

-        Viens…

 

Il me tend la main en s’approchant de moi. Je tends la mienne et il la prend doucement. Il nous mène au lit et doucement me couche sur le divin matelas. Il prend place à mes côtés à une distance respectable.

 

-        Nous serons mieux pour parler. Tu peux me poser tes questions, si tu veux.

-        Je… Comment sais-tu que j’ai des questions à te poser ?

-        Mo stor… tu as toujours des questions à poser.

 

Je fais la moue. C’est vrai, mais c’est plus fort que moi !

 

-        Je… en fait, j’ai des questions sur les lycanthropes surtout, même si j’ai appris des choses quand j’étais chez toi, mais pas assez.

-        Pourquoi n’as-tu pas demandé à Aaron ? Il est notre « Historien » officiel !

-        Je… je ne pense pas que j’aurais pu lui poser toutes les questions…

-        Oh ! Je vois. Ces questions-là…

 

Je sens un sourire amusé derrière les mots. CF, va !

 

-        CF ? Tu ne m’as toujours pas dit…

-        Chien fou…

 

Et merde ! Je l’ai dit… Une seconde de plus et il est sur moi, se tenant sur ses avant-bras.

 

-        Chien fou ? Voyez-vous ça ! Tu ne doutes de rien !

-        Je… ce n’est pas une insulte, enfin si, mais des fois toi et mes deux amours, enfin je veux dire Glorios et Mikaïl vous me rendez chèvre alors…

-        CV !

-        Oui, CV !

-        Ils le savent ?

-        Euh oui, je suppose !

-        Admettons…

 

Il reprend sa place en un clignement d’yeux. Il est aussi rapide que des vampires.

 

-        Presque. Ils ont plus de rapidité que n’importe quel garou. Pose-moi tes questions, mo mhuirnín…

 

Je rassemble mes pensées. J’ai des questions, mais comment les formuler ?

 

-        Enonce-les comme tu le veux, je te comprendrai…

-        Mords-tu quand tu es dans l’acte de…  enfin quand tu fais l’amour…

-        Pas nécessairement. Pas plus que pour un acte sexuel normal. Cela dépend de l’intensité du moment.

-        Tu es territorial et moi je suis indépendante… je ne considère pas que je suis ta propriété ni celle de personne. J’aime Glorios et Mikaïl et je ne cesserais pas de les aimer, même si je… t’aime aussi.

 

Je sens son regard sur moi. Le lit à bouger. Il a dû se pencher sur le côté. Je regarde toujours le plafond.

 

-        Je sais que tu les aimes et je ne suis pas ici pour que tu choisisses. Il est vrai que les lycanthropes sont territoriaux, mais les vampires aussi et il me semble que la plupart des humains le sont également. Cela fait partie d’un instinct. Cependant, si par territorial tu parles du désir que j’aurais d’être avec toi, de te soigner, de te chérir et de t’aimer, alors je pense que je le suis définitivement. Tu l’es également, mo stor…

-        Mais dans le livre de…

-        Je ne critiquerai pas tes lectures, mais il me semble qu’elles ne parlent que d’un point de vue imaginaire.

-        Désolée ! Glorios dit toujours que je lis trop de livres !

-        Oui, dans certains cas, c’est sans doute vrai. Que crains-tu au juste ? Nos relations sexuelles ? La mise à pied de ta liberté en tant que femme, en tant que personne ?

-        Je suppose qu’un peu de chaque.

-        Il en va de même pour moi, ma féline. Sauf que tu transformes « la liberté en tant que femme », par « en tant qu’homme ». Ceci dit, je n’ai pas peur de nos rapports sexuels ou autres. Je sais que tu es arrivé à une certaine plénitude avec Glorios et Mikaïl. Notre attirance est indéniable. Nous irons à ton rythme. Quant à ta liberté… je la chéris autant que toi. Cela fait partie de ce que j’aime en toi et te l’ôter ou te la galvauder reviendrait à détruire notre amour. Je ne le permettrai pas et je doute que mes deux amis le consentent. Crois-moi, nul lycanthrope sain d’esprit désire se mettre à dos un vampire, qui plus est dans ce cas-ci, deux vampires.

 

Je ne dis rien. Je sais qu’il tient parole. Toujours ? Il me semble, mais ce n’est pas comme si je le connaissais aussi bien que cela ! Quoi que… Mon instinct n’a-t-il pas donné son accord alors que ma raison peine encore à se trouver de bonnes raisons d’avoir raison ? Je pousse un petit soupir.

 

-        Tu… les lycanthropes sont bisexuels ?

-        Autant que peuvent l’être un vampire ou un humain. Crois-moi, mo stor, lorsque tu as passé tant de temps à vivre ou à exister, les relations purement sexuelles deviennent réellement ennuyeuses. Il faut plus que cela, un attachement émotionnel devient une nécessité. Et comme dans toute relation amoureuse, nous tombons amoureux d’une personne, pas du sexe qu’il affiche. Ceci est évidemment à caution dans la mesure où chacun de nous est différent, mais nous ne sommes pas des obsédés sexuels qui couchons sans aucun frein, seulement préoccupé d’assouvir un penchant sexuel. C’est peut-être vrai lorsqu’un garou vient d’être transformé, mais cela ne dure guère. J’ai pour ma part toujours été sélectif.

-        Tu as déjà eu des rapports homosexuels ?

-        Oui. Je suppose que cela a quelque chose à voir avec tes deux amours ?

-        Oui.

 

C’est un tout petit oui. Glorios et Mikaïl ont un rapport entre eux, que je sois présente ou pas. J’aime savoir qu’ils s’apprécient et s’aiment aussi. Je n’aimerais pas qu’ils se sentent malheureux et…

 

-        J’ai eu des rapports avec Glorios voilà longtemps. En 1870. Nous nous sommes trouvés par hasard à Paris pour affaire, lorsque la guerre a surgi. Paris s’est barricadée et la situation a vite tourné à la tragédie. Nous aurions pu quitter Paris sans problème, mais voir ces personnes souffrir autant… Nous sommes restés pour aider autant que cela nous était possible. On pourrait penser qu’après tant d’années de vie ou d’existence et tant de situations autrement violentes et dramatiques vécues, nous serions immunisés, mais ce n’est pas le cas. Chaque période dévastatrice que nous avons vécu de près ou de loin n’a jamais permis de nous endurcir suffisamment pour passer outre les fois suivantes. Cela nous touche. On pourrait dire que c’est notre part d’humanité, si nous n’avions pas eu un large panel de ce que l’humanité est capable de faire en mal. Mais lorsqu’elle s’engage à faire le bien…

 

Il a un bref sourire. Je le regarde depuis qu’il a commencé à raconter. Il regarde le plafond, perdu dans ses souvenirs, sans doute.

 

-        Une nuit la situation est devenue telle à Paris que nous savions que cela ne pouvait plus durer. Et cela s’est arrêté peu après, Dieu merci ! Glorios était très agité cette nuit-là. Je le voyais avec inquiétude devenir de plus en plus instable et connaissant ses natures, je craignais le pire. Nous avions pris une chambre dans un hôtel pas trop loin des pires lieux de Paris, afin de garder un œil sur ce qui s’y passait. J’étais couché dans le lit. Il est venu au bord et m’a longuement regardé. Il était parfaitement immobile, telle une statue. Puis il s’est lentement penché et m’a dit : «  J’ai besoin de toi, John, maintenant. » Je n’ai pas très bien compris ce qu’il me demandait, mais j’ai acquiescé. Il a souri et a continué : «  Tu ne comprends pas, je le vois bien. Je vais être plus explicite. Je désire que nous fassions l’amour » J’avais déjà eu des rapports homosexuels, je n’étais donc pas novice, mais la demande était si étrange, même venant de Glorios que je me suis statufié à mon tour. Il ne m’a pas laissé cogiter trop longtemps. Une minute plus tard nous nous embrasions à perdre haleine. Je me suis rendu compte que j’avais besoin de cette étreinte.

 

John se tait. Je n’ose pas émettre une opinion. L’instinct de vie ou d’existence ? Je suis un peu perplexe, ne sachant trop comment le prendre, mais en même temps… J’aime l’idée et… cela me rassure aussi d’une certaine manière. Pourquoi est-ce toujours si compliqué de comprendre les choses ?

 

-        Tu n’as plus eu de rapport avec lui ?

 

Et merde ! Heureusement que je ne voulais rien dire…

 

-        Non. C’est resté comme une parenthèse importante d’un moment déterminé dans un lieu et un temps terrifiant.

-        Ah… je vois.

 

Rien en fait, mais ça se dit, non ?

 

-        Je… tant mieux alors…

 

Il me regarde en souriant.

 

-        Les choses se feront d’elles-mêmes, nous y veillerons, mo stor. J’y veillerai.

 

Il pose sa grande paume sur ma joue avec tendresse. Je ferme les yeux en soupirant. Je suis un chouïa stressée. Demain, retour au boulot ! Quel bonheur ! Je pense apporter une des plantes de Monsieur Gaston pour honorer un lieu si merveilleux, divinement banal et fonctionnel, si admirablement paisible, hors du temps, de tout en fait qui ne soit pas boulot. Quel ineffable bonheur ! Qui peut mésestimer ou mépriser un bureau d’une entreprise privée, statale ou parastatale ? John a un petit rire. CF, va ! Nous restons main dans la main, regardant le plafond. Je me détends lentement, mais sûrement. Un grand bruit éclate dans la maison. Merde ! Quoi encore ?

 

 

29.

 

            John est devant la porte encore fermée. Je me dépatouille vite fait de ma position couchée, mais à leurs côtés et vu leur manière de bouger, je suis vraiment une empotée ! Il se tourne vers moi alors qu’il s’apprête à ouvrir la porte. John se fige un instant, les sens aux aguets. Son corps ondule un instant, puis il pose ses yeux changeants sur moi.

 

-        Il vaut mieux que tu restes ici…

-        Non ! C’est ma maison et s’il y a du grabuge, je veux être sur place !

 

John ferme les paupières un bref instant, puis sourit comme un loup.

 

-        Bien, petite féline, mais tu restes derrière moi !

-        OK ! Bien, chef !

 

Il a un bref grognement et sort de la chambre, moi sur les talons. Il me plaque contre le mur au-dessus des marches de l’escalier. Il fait sombre et je ne vois rien, ce qui n’est pas le cas de John qui a les yeux presque phosphorescents. Je sens son énergie fluctuer autour de lui, prête à initier la transformation. J’essaie de déployer mes sens, mais vu ce que les vampires et les Outre-Vivant sont capables de faire, je suis vraiment à la masse !

            John se remet en marche et se dirige vers… la chambre de Whouna ? Je tends l’oreille, mais je n’entends rien, ce qui n’est pas le cas de John. A pas lents, nous arrivons devant la porte. John tourne la poignée et pousse sur le battant. La porte ne grince pas, j’ai passé un temps fou à huiler les gongs. J’ai déjà assez avec tout ce qui se passe dans ma vie sans avoir besoin de me faire des frayeurs genre films hollywoodien chtarbés ! John me tient derrière lui et je n’ai aucun mal à me serrer contre lui, non sans regarder en plus par-dessus son épaule. J’ai de brefs frissons d’inquiétude qui me hérissent la peau et d’autres qui me vrillent le bas-ventre. John me fait toujours un effet bœuf. A-t-il aussi une essence « succube » comme Glorios ? Du moins, c’est ce que Crisold pense et que je suis tentée de croire.

 

-       Pas tout à fait, ma féline. Ce sont nos essences, la mienne lycanthrope et la tienne Felidae qui nous rendent plus sensible l’un à l’autre…

-       Ah ! Je n’avais pas pensé à ça… Que vois-tu ?

-       Regarde par toi-même…

 

John s’écarte sur le côté et je frémis brutalement des pieds à la tête. Whouna est contre un mur et son aura voltige dans tous les sens. Son apparence humaine vacille comme si c’était un hologramme mal connecté, mais il y a pire… Il se transforme en plusieurs choses que je n’ai pas la capacité de voir dans des séquences extrêmement rapides en bougeant brutalement, puis en restant un bref instant dans une forme ou une posture, genre arrêt sur image, avant de redevenir un hologramme brouillé. J’ai mal pour lui rien que de le voir et je sais qu’il souffre. Je ne sais pas comment je le sais, mais je le sais. Depuis que je suis avec Mikaïl et Glorios mes sens sont plus aigus et me permettent de percevoir beaucoup plus venant des Outre-Vivant et plus spécifiquement s’il s’agit de vampire. J’arrive à les détecter assez facilement et, sans vouloir inquiéter, il y en a beaucoup plus autour de nous qu’il n’y paraît. Les Outre-Vivant me reconnaissent aussi en quelque sorte, mais mes marques multiples semblent les retenir de m’approcher. J’aime autant, je ne suis pas encore tout à fait certaine que les vampires n’aient pas envie de me vider de mon sang !

 

-       Tsssuuu, tssssuuu… Quelle vilaine pensée, yamanahe…

-       Glorios ?

-       Oui.

-       Il souffre ! Tu ne peux rien faire ?

-       Nous n’avons pas cette habileté, ma tendre aimée. Les vampires se sont toujours tenus éloignés des Faes et Whouna est le « Primordial »  des Faes. Il n’y a que…

 

Je regarde Whouna qui semble avoir un arrêt sur image plus pénible que les autres. Son aura est de plus en plus instable. Je m’élance vers lui. C’est insupportable. Je dois…

 

-        NON ! Ma petite Vera, ne t’approche pas. Le mal qui me ronge n’est pas encore clairement défini et je suis un danger potentiel pour quiconque y compris pour moi-même. Je vois que tes amours sont là… Bien ! Glorios, mon fils, tu vas devoir user de ta nature de yengo pour aider ta femme dans la tâche que je lui assigne et dont elle est la seule à pouvoir s’acquitter.

-        Whouna… ce que tu me demandes…

-        Je le sais… je ne te le demanderais pas si…

 

Il recommence à changer à une rapidité hallucinante, mais juste avant d’avoir ces « troubles », je sens une sorte de pierre plate s’insinuer entre mes mains. Je ne sais comment elle est arrivée là, mais je la tiens bien en main et elle me semble familière. Des images tournoient dans ma tête comme un film à cadence rapide. Une femme près d’un parterre de fleurs, elle élève sa main au-dessus de son front et la tourne vers le ciel en un angle elliptique, puis elle dit trois mot : « OL MUR GRADES ». Lorsqu’elle achève de les murmure avec une lenteur extrême tout en tournant sa paume dans une arabesque précise et étrangement raffinée, une sorte de déchirure se fait dans l’air et…

 

-        Viens avec moi, yamanahe.

 

Je reviens à moi de cette étrange vision pour me voir sortir de la chambre par Glorios. John et Mikaïl me sourient avec amour et sérénité, mais reportent leur regard sur Whouna qui a réussi à se transformer en miroir. Son aura s’est stabilisée et je sais que sous cette forme il arrive à se régénérer plus puissamment. En quelques secondes nous sommes dans un parterre de fleurs, celui que Monsieur Gaston vient de m’offrir voilà quelques heures.

 

-        Ce parterre nouvellement créé est plus fort et nous sécurisera mieux que les autres. Ouvre tes sens.

 

Glorios se tient contre moi et j’absorbe une sorte d’énergie latente émanant de lui. Je vois intérieurement mon essence Felidae se lier à celle du yengo et c’est tellement fascinant que je me sens irradier de bonheur. Mon corps adopte la posture de l’autre femme alors qu’une douce mélopée inonde mon esprit s’éparpillant dans toutes mes cellules. La forme de Glorios s’altère virtuellement prenant celle du yengo. Il ne se transforme pas, mais sa nature est bien présente. Glorios se penche sur mon cou et ses canines perforent ma gorge. Je sens à peine la morsure trop concentrée sur ce que je fais. J’exhale doucement les trois mots. Une vive lumière éclate à travers l’air devant moi. De cette ouverture, un être apparaît si beau qu’un instant je pense que c’est un ange. Je le regarde, fascinée, émerveillée. Glorios passe sa langue sur les petites perforations pour les cicatriser. Nous sommes toujours connectés par son essence et ses natures, mais cela s’estompe à mesure que la fissure reste ouverte et si formidablement éclairée. A-t-il des ailes ? Son visage est si… séraphique. Son corps aussi grand que celui de mes hommes est d’une beauté si exceptionnelle que je vacille.

 

-        Vous êtes l’ange qui va sauver Whouna ?

 

L’être se détache de la déchirure spatiale. Je le regarde fixement. Black-out !

 

 

30.

 

            Je sors de mon… endormissement ? Evanouissement ? Je ne sais pas très bien, sauf que j’émerge. Mes yeux restent fermés. D’abord il faut que je sache ce qui s’est passé. J’étais dans le jardin… Des mots tourbillonnent autour de moi. Je suis couchée, mais où ? C’est moelleux, doux… Mon hamac dans la véranda. J’ai ajouté un hamac taille XXXL à la véranda avec le transat. Encore des mots.

 

-        … pas question que je la laisse… s’il y a le moindre risque… la protéger contre…

 

Rien n’a de sens. Je veux juste savoir ce que je fais là et comment j’y suis arrivé… encore des mots…

 

-        … trois jours ne sont pas suffisants… Mana dit trouver un lien… Aaron n’a pas encore trouvé… Whouna n’est pas en état de… s’il lui arrive quoi que ce soit… vous savez très bien ce qui risque de…

 

Whouna ! Oui ! J’y suis…presque… c’est quelque chose avec Whouna… et aussi quelqu’un d’autre. Qui ? J’ouvre en grands les yeux. Il n’y a pas beaucoup de lumière et elle est indirecte, ce que j’apprécie, mes yeux ont du mal s’il y a trop de lumière. Je suis bien dans la véranda. Je tourne la tête sur un côté, roule un peu pour arriver au bord de la couche mobile et m’immobilise. Il est là.

 

-        Vous êtes toujours là… Vous avez des ailes, Monsieur l’ange ?

 

L’ange me sourit et j’en suis totalement éblouie. Il est si splendide, si éclatant, si mirifique, si… La couche oscille doucement. John vient me rejoindre. Je reconnais sa nature et sa flagrance. Mon corps réagit en se tendant vers lui, mais mon esprit est tourné vers l’ange qui est accroupi près de moi, son visage à hauteur du mien qui s’approche du sien lentement. Le corps de John me cerne doucement. Je m’y love sans quitter des yeux l’ange.

 

-        Douce Vera… vous ressemblez tant à votre grand-père. Sa mort m’a grandement peinée.

 

Mon grand-père ? Pourquoi me parle-t-il de mon grand-père ? Je sais ! Sans un bon kawa, mon cerveau à tendance à tourner à vide, genre hamster dans sa roue. Mais…

 

-        Je ne comprends pas. Vous avez connu… Oh !

 

Tout à coup, je me souviens de tout. Bien sûr ! Où ai-je la tête ? Des fois je me demande sincèrement où elle est…

 

-        Sur tes ravissantes épaules, ma féline…

 

Les mots sont soufflés dans mon oreille par cette voix rauque qui fait tressaillir de désir mon sexe et toutes les zones érogènes de mon corps. D’ailleurs.... Jusqu’à mes amours, je ne savais pas que j’avais tellement de zones sensibles dans le corps et hyper-réactives en plus ! Comme disait ma abuela : vivir para ver o ver para vivir. Vivre pour voir ou voir pour vivre!

 

-        Vous êtes donc…

-        Tianalampa Trujando, pour vous servir Gente Dame Vera !

 

Le grand fée me fait une révérence et sa luminescence est plus que jamais flamboyante. Je cligne des yeux. Il est si mirifique !

 

-        Vous êtes toujours aussi brillant ?

 

Tianalampa me regarde fixement, puis se tourne vers Whouna qui est dans cette attitude qu’il affectionne souvent, dans une espèce d’état de vigilance. Je le regarde fixement. Ça a l’air d’aller mieux, mais… Je m’en assurerai plus tard. Il est temps sans doute de faire quelque chose pour remédier à la situation. Quand est-il arrivé ? Ouche ! Et dire que je suis censé être la maîtresse de maison ! Sûr que c’est plus trop le cas depuis quelque temps. C’est toujours comme ça chez les Outre-Vivant ? Bonjour les antidépresseurs qu’ils doivent se choper pour gérer tous ces stuut ! Je regarde autour de moi. Merde ! J’ai encore raté l’occasion de penser un truc intelligent ! Tianalampa s’accroupit près de moi pour être à la hauteur de mon visage.

 

-        Je suis honoré de vous connaître, Nochtadh Vera Lux.

-        Nochtadh?

-        Cela peut se traduire par « Révélateur ». Tu as le don de me voir tel que je suis. C’est très rare.

-        Comme pour révélateur chimique ?

-        En quelque sorte. Tu peux révéler la nature des Outre-Vivant.

-        Mm ! Et ça fait de moi quoi ? Attendez…Vous ne voulez pas dire que j’ai aussi du sang fé ? M’enfin, j’ai eu quoi comme ancêtres, moi ? A ce compte-là, je suis une zinneke multi-facettes !

-        Zinneke ?

-        Hybride, si vous voulez ou quelque chose comme cela.

-        Ah ! Je vois… c’est assez juste.

 

Mikaïl et Glorios me regardent fixement, puis l’ange.

 

-        Nochtadh ?

 

Le ton de Mikaïl est celui de quelqu’un qui est effaré. Pourquoi ?

 

-        Vous en êtes sûr, Messire Trujando ?

-        Oui.

 

Mes deux hommes me regardent avec un drôle d’air.

 

-        Pourquoi vous faites cette tête ? C’est quoi le souci ?

-        Aucun, yamanahe…

-        Ben on ne dirait pas à vous voir…

-        Je comprends leur surprise et suis étonné qu’il n’ait pas su plus tôt cette aptitude particulière qui se couple avec votre nature de Felidae.

-        Pourquoi ?

-        Parce que les vampires ont toujours été très intéressés par des personnes ayant cette sorte de don rarissime.

-        Comment cela ?

-        Disons que les rapports entre les Fae et les Vampires n’ont pas toujours été de tout repos. Nous sommes en paix depuis quelques millénaires. Nous avons fait un pacte qui n’a pas été trahi, si mes informations sont bonnes.

-        Elles le sont certainement, Messire Trujando. Je peux vous le certifier au nom des miens en qualité d’Exécuteur !

 

Mikaïl et l’ange se toisent poliment des yeux. Wouh ! Encore une bataille de testostérones en lice ! Génial ! Donc je suis importante pour les vampires… Est-ce que quelqu’un d’autre le savait ? Et peut-être qu’eux aussi, mais ils n’ont rien dit parce que ça les arrangeait, mais… Un brouillon plus tard, Glorios est devant moi.

 

-        Non ! Nous ne le savions pas, ni personne qui t’aie côtoyé. Ni vois aucune manœuvre de manipulation ou de pouvoir sur toi, ce serait mal nous connaître ! Nous apprenons à nous connaître, yamanahe, tout n’est pas si simple dans ces circonstances-ci et cela peut oblitérer notre capacité à percevoir certaines choses de toi qui pourrait être évidente pour nous vis-à-vis d’autres personnes qui nous importent moins.

 

Je regarde Glorios, son regard si clair, si aimant. Comment puis-je douter de lui ? Le stress, sûrement et l’impression de marcher dans des sables mouvants ! Ce qui serait une performance… Merde ! Mais tout est tellement bizarre, étrange, c’est normal que je me défie un chouïa, non ? Essayez pour voir de vivre des trucs comme moi et vous venez me dire après comment vous vous sentez, tiens !  

Je regarde l’ange qui est toujours auprès de moi. Glorios est courageux de m’approcher en l’ayant si proche de moi. Enfin courageux, je dirais aimant et c’est peu de le dire. Glorios m’embrasse sur les lèvres et un brouillon de mouvement plus tard, il a repris sa place à bonne distance de l’ange. Je me tourne vers lui. Sa magnificence me torture. J’ai besoin de le toucher. John resserre son étreinte et mes deux amours se figent comme seul savent le faire les vampires. Quoi encore ? Je remue un peu. Je veux me lever. Je dois me lever et je veux le toucher ! Bon, OK ! Aux grands maux… etc.

 

-        Excusez-moi, Monsieur Tianalampamana

-        Tianalampa…

-        Désolée… je suis nulle avec les prénoms et les noms en général… Vous n’avez pas un surnom ou un petit nom ?

 

Il y a une sorte d’arrêt sur image autour de moi. C’est quoi le problème ?

 

-       Il ne faut jamais demander son nom à un Fae, ma félidée.

-       Ben, c’est râpé, alors ! Mais c’est mieux d’écorcher son nom alors ? Vous êtes d’un compliqué les Outre-Vivant ! Va falloir vous décontracter, là ! Relax, man !

 

J’entends un rire assourdi et vaguement lupin dans mon dos. Bien sûr ! J’aurais dû m’en douter, Monsieur Lobos est un joyeux drille ! L’ange me regarde en souriant. Son apparence est plus brillante que jamais ce qui me donne la sensation qu’il est plutôt heureux ! Tant mieux, ça en fait au moins deux ! Il me tend une main. John pousse un bref grognement et mes deux vampires s’élancent en avant, puis se figent à nouveau. J’admire ce regard si sublime qui me fixe avec une sorte d’affection et d’étonnement mêlés.

 

-        Vous allez me faire du mal si je vous touche ?

-        Cela n’entre pas dans mes intentions.

-        D’accord ! Alors vous êtes très aimable de m’aider. Je dois… bouger un peu et… j’aimerais vous toucher si je peux… en tout bien tout honneur, bien sûr, mais vous êtes si chatoyant, si brillant, si sublime, mais on a déjà dû vous le dire, allez, depuis le temps, mais pour moi, c’est, vous comprenez, tellement étrange…

 

Je pose ma main dans sa paume grande ouverte. Je pose mon autre main dans la sienne. John a encore se mains autour de mes hanches, mais il me laisse aller à contrecœur, tendu à l’extrême et prêt à intervenir, j’en suis certaine, à l’égal de Mikaïl et de Glorios. Lorsque l’ange me hale, je ressens une sorte de bienfait interne qui irradie sur tout mon être. C’est à la fois doux et serein, bouillonnant et excitant, apaisant et plaisant. Un mélange de… bien-être extrême. Des images se déversent dans mon esprit, auréolées de lumière, si vivantes, si vivifiantes que j’aspire à me rendre en de tels lieux. Les paysages et les êtres sont la quintessence des paysages et des êtres. Tout semble si flamboyants, si extraordinaires que mes sens ne peuvent tout apprécier, genre une overdose d’émotions ou une surcharge sensorielle. Tout est beau, magnifique, luxuriant et terriblement terrifiant comme si tellement de beauté était un danger en soi. Je m’y sens admise, mais rejetée aussi comme on l’est en étant un corps étranger. Les visions s’effacent lorsque l’ange lâche mes mains. Une aura de brillance m’entoure brièvement comme un lambeau de brume. Je lui souris. Il est temps d’en venir aux choses sérieuses.

 

 

31.

 

            Whouna est redevenu un miroir. Il semble se ressourcer plus facilement sous cette forme et je préfère. Son aura est trop oscillante et cela m’inquiète beaucoup, même si je ne devrais pas, mais… Il est devenu l’un des miens pour protéger, aimer, secourir et considérer avec respect. Tiana (il a accepté que j’écourte son prénom, tant mieux, parce que sinon j’ai un peu de mal…) a pris place sur une chaise devant la grande table de mon séjour. Glorios et Mikaïl se tiennent à l’autre bout. Je comprends. L’ange continue à irradier littéralement à mes yeux et cela m’émerveille toujours autant. John est assis près de moi, sa main sur ma cuisse et son regard fixé sur Tiana. Bonjour l’ambiance !

 

-        Bon ! Je ne sais pas vous, mais moi j’en ai un peu marre de voir Whouna buger comme ça, d’autant que je suis certaine qu’il souffre !

-        Buger, Gente Dame Vera…

-        Oui ! Enfin, c’est comme si son organisme ou lui avait des ratés…

-        Des ratés… Voilà qui est une manière étrange de formuler cela, mais il me semble que ce n’est pas entièrement faux.

-        Bien ! Maintenant que vous avez pigé… Qu’est-ce qu’on fait ?

-        La seule manière est de rencontrer Don Alonso Fernandez del Monte Claro.

-        Qui ?

 

Je me tourne vers Mikaïl qui ne s’est pas adressé à quelqu’un en particulier, mais à tous.

 

-        Un vampire, un de nos Anciens.

-        Ah ! Et, euh, vous l’appelez jamais autrement, je ne sais pas moi, Al, pour faire simple et court ?

 

Mes deux vampires d’amours, John et Tiana me regardent fixement, puis éclatent de rire. Whouna émet une série de petit claquement, je suppose que c’est sa manière de se gondoler sous sa forme de miroir. Wouh ! Ils s’arrêtent de rire avec quelques hoquets ici et là. Ça fait plaisir de voir comme ils ont finis par bien s’entendre ! Si la musique adoucit les mœurs, le rire réunit les gens ?

 

-        Mon aimée, nous ne rions point de toi, mais si tu connaissais notre ami, tu comprendrais que la familiarité n’est pas possible avec lui.

-        Ah bon ? C’est un snob ?

-        Un grand d’Espagne.

-        Ah !

 

Et ça veut dire quoi au juste ?

 

-        Qu’il n’a plus évolué depuis l’époque de Charles-Quint…

-        Eh bé ! Il est resté coincé dans son temps…

-        Pour le dire ainsi.

-        Et il pourrait nous aider ?

-        Oui. Malgré sa particularité, il est l’homme de la situation. Nous n’avons jamais compris comment il pouvait être au courant de tout.

-        C’est un super espion ?

-        Il le fut en son temps.

-        C’est donc sa spécialité ?

-        Non. Il a la capacité d’entrer partout.

-        Comment ça ?

-        Il peut s’introduire n’importe où.

-        Wouh ! S’il lui prenait l’envie de voler un trésor, il pourrait…

-        Non !

 

Le « non » est collectif avec la même expression d’horreur. OK ! Encore un cas particulier ! Après tout, plus il y a de fous, plus on rit, hein !

 

-        Il est aussi l’un des plus grand hacker de ce temps.

-        Tu veux dire programmateur –analyste…

-        Ça aussi, mayama, mais hacker est plus juste en ce qui le concerne.

 

Comment peut-on être un hacker à la pointe de la technologie et être resté coincé à l’époque de Charles-Quint.

 

-        Tu comprendras quand tu le verras, mon aimée.

 

Quelques minutes plus tard, nous nous préparons à partir voir ce… vampire. J’ai oublié son nom, mais vraiment y’a de quoi !

 

            Nous arrivons près de la Place Godefroid de Bouillon et du Palais Royal. Le mont des Arts est aussi désert à cette haute heure de la nuit qu’un… désert versus urbain La statue équestre est toujours aussi vert de gris que d’habitude. La luminosité orangée et blonde brillante des lampadaires donne la sensation d’être en plein jour tant l’éclairage est puissant. Mikaïl se gare sur un stationnement interdit. Je suppose que vu l’heure cela ne pose aucun problème. Nous descendons sans dire un mot. Nous débouchons sur la place avec ses pavés disjoints. Les rails du tram sont presqu’invisibles entre l’asphalte et la partie pavée. Au loin, le Palais de Justice, cette pièce montée monumentale en pleins travaux de rénovation érige sa puissance justicière au-dessus de la basse ville. Je soupire profondément. Est-ce vraiment une œuvre architecturale magistrale ? Mikaïl me prend par la taille.

 

-        La construction fut une véritable aventure qui se termina en apothéose, je puis te l’assurer, mon aimée.

-        Tu étais là ?

-        Oui. De passage et je fus très impressionné !

 

Glorios émet un petit son dédaigneux. Je me tourne vers lui. Mikaïl soupire bruyamment.

 

-        Ne fais pas attention ! Monsieur ici présent a été présent lors des constructions des Pyramides d’Egypte. Il était même présent auprès des architectes, des travailleurs et des pharaons. Après, il a pris goût à celles-ci puisqu’il a mis un point d’honneur à se trouver dans les endroits où on érigeait des pyramides.

-        Oh ! Amérique latine ?

-        Oui. Et d’autres lieux où celles-ci ont disparues littéralement, n’ayant pu supporter le pas corrosif des temps !

-        Le problème d’avoir mon âge, c’est de devoir supporter les béotiens de tous poils, calibres et espèces !

 

Je glisse un regard à Tiana qui sourit, amusé. Je suppose que lorsqu’on est à l’aube de tous les temps ici et ailleurs, ce genre de discussion doit bien le faire rire ! Tant mieux ! Des fois, je me demande qui est plus âgé, eux ou moi ! John apparaît soudain près de nous. Je sursaute. Il s’est éclipsé à un certain moment. Glorios m’a expliqué qu’il devait courir pour se dégourdir les jambes, d’autant que la pleine lune approche et que cela l’affecte légèrement encore malgré son âge. Mes yeux s’égarent irrépressiblement vers Tiana. La voix de Mikaïl me ramène à lui.

 

-        Alonso est le seul qui a la capacité d’altérer son apparence, voire sa morphologie, sans aucune altération de l’extérieur.

-        Il est métamorphe ?

-        Non. C’est une essence unique qui s’est adjointe à sa nature basique de vampire. Dans son cas c’est un atout étant donné l’époque où il a vécu parmi des fanatiques de tous genres. Il ne faisait pas bon vivre sous le joug de l’Inquisition Catholique Espagnole et Charles-Quint était une personne très versée dans la foi chrétienne, à l’exclusion de toutes les autres, cela va de soi !

-        Est-il aussi âgé que toi et Glorios ?

-        Il est un peu moins âgé que Mana qui est l’un de nos anciens. Alonso a été transformé par l’un de ceux qui font partie de nos Prescients Primordiaux.

-        Donc il a quoi… Quatre millions d’années ?

-        Un peu plus. Quatre million sept cent septante-sept ans.

-        Wouh ! C’est toujours aussi impressionnant ! C’est drôle toutes ces natures et essences que vous avez tous…

-        C’est la seule possibilité qu’à trouver la Nature de nous conserver. Les premiers milliers d’années après notre conversion en vampire, nous devions stabiliser notre physiologie. Etant mort, il y a toujours le risque de devenir un zombie ou une goule, ce qui ne nous donne pas beaucoup d’années d’existence. Aussi, notre survivance dépend de notre capacité à induire, en sus notre nature vampirique, d’autres natures et essences. Chaque vampire est unique et à des natures et essences uniques, ce qui est en soi une logique du processus vital ou existentiel, en ce qui nous concerne.

-        Tu en as combien.

-        Vingt-sept entre natures et essences.

-        Et toi, Glorios ?

-        Septante-sept, mais mon âge est plus élevé que celui de Mikaïl.

-        Et que celui de Mana ?

-        Oui. Cependant, Mana est celui qui a le plus de natures et d’essences de par son statut de Gardiens des Prescients Primordiaux. Il a dû s’induire de plusieurs de celles-ci, surtout celle qui était les plus rares. Il possède cent septante-sept.

-        Waouh ! Mais Mana est né vampire.

-        Oui. Mais le principe reste le même, puisqu’il a dû « mourir » en des temps immémoriaux et exister sous sa nature première avec les mêmes nécessités que chacun d’entre nous. Il s’agit d’adaptation, de survivance, le canevas est identique pour nous puisque nous faisons partie de la Nature et de ses cycles.

-        Mm !

 

Nous attendons près de l’Eglise Saint-Jacques-sur-Coudenberg, anciennement l’Abbaye de Coudenberg. Il règne un silence surnaturel. Pour un peu, je croirais voir des ombres circuler ici et là. C’est probablement le cas, mais avec un fé, deux vampires et un lycanthrope autour de moi, les ombres peuvent aller se faire voir ailleurs. Littéralement ! Je suis over ! Une voiture passe à grande vitesse et s’engouffre par le portique menant à la Porte de Namur, prenant par la Rue de Namur. Combien de fois ai-je passé par cet arc pierreux, le visage collé à la vitre de la voiture paternelle ? Des centaines de fois. Je n’aime pas Ixelles ! Hier comme aujourd’hui.  

John est reparti fureter. Il fait souvent cela, un travail de repérage, une mesure de précaution. L’instinct ? Super protecteur, le petit loup ! Il va avoir du mal avec moi. Je suis très indépendante et j’accepte mal qu’on m’entoure, qu’on me place dans un cocon. Mikaïl et Glorios observent attentivement les alentours de la statue équestre de Godefroid de Bouillon, le héros qui partit lors de la première croisade, prenant la ville le 15 juillet 1099 et celui qui agita l’étendard en criant «  Dieu le veut ! ». La mémoire est quelque chose de fabuleux ! L’attention que portent mes deux amours au monument me surprend. Tiana est immobile à l’ombre d’une colonnade de l’église. Aussi figé qu’une statue, il a les yeux fixés sur un point invisible à mes yeux. Je le sais relier à Whouna. Mon inquiétude pour cet être exceptionnel va s’accroissant. J’ai perçu tant de souffrance en lui… Cela me désespère. Il est temps de faire quelque chose. Je ne supporterai plus de le voir se désagréger de telle façon. Quoi que ce soit ou qui que ce soit, je ne tolèrerai plus ce mal qui le ronge.

Mikaïl m’entoure de son corps. Je m’y réfugie. Je ne comprends pas ce qui se passe. Rien de nouveau sous le soleil ou plutôt sous le ciel gris. Mikaïl resserre son étreinte.

 

-        Tout ira bien, mon aimée.

 

Glorios étend une onde de tendresse vers moi. Il est si… Une vague d’énergie éclos au centre de la place. Mikaïl se détache de moi tout en me plaçant derrière lui.

 

-        Il est là… Reste là. Alonso a toujours eu une force synergétique extrêmement puissante.

 

Je vois du coin de l’œil Tiana se fondre dans l’obscurité de la colonnade. Je le perçois, mais ne le vois pas. Wouh ! Flippant ! Glorios va à la rencontre d’Alonso. Le mouvement que je vois me paraît si incroyable que je le crois issu de mon imagination. Un homme de taille un peu plus haute que la moyenne et de corpulence musculeuse vient littéralement de sortir de la base de la statue équestre. Si je ne l’avais pas vu de mes yeux vus, je ne l’aurais pas cru. Et même comme cela…

 

 

32.

 

            Alonso s’arrête et s’immobilise, alors que Glorios s’approche à pas comptés de lui. Il semble que le silence alentour retienne son souffle et que l’espace se soit réduit à cette confrontation entre deux êtres d’une très grande puissance. Je frémis. Mikaïl m’enveloppe de sa présence, me tenant à l’écart. Glorios fait une profonde révérence à Alonso qui la lui rend avec pompe et distinction. Je ne peux pas le voir correctement, mais il semble entourer d’une sorte d’aura incroyablement brillante.

 

-        Je te salue Don Alonso Fernandez del Monte Claro.

-        Je te salue Messire Glorios Salvator del Povorino.

 

Les deux hommes ne bougent pas, se jaugeant. Je retiens mon souffle. Ils sont magnifiques et terrifiants !

 

-        Que me vaut ta présence en ces lieux, toi et les… tiens ?

-        Nous avons besoin de ton aide. Nous n’aurions pas profané ce lieu qui est de ton domaine et soins exclusifs si notre situation n’était pas des plus désespérées.

 

Alonso regarde intensément Glorios. Je vois passer une sorte de long filament translucide qui s’achemine avec décision vers le front de Glorios. Mon amour ne bouge pas, acceptant ce qui semble une incursion dans son esprit. Je suis fascinée et horrifiée. Je ne veux pas qu’il fasse du mal à Glorios. Le regard d’Alonso se cloisonne au mien durant une seconde, alors que la vrille invisible à l’œil nu se rétracte et revient à son maître.  

 

-        Mène-moi, hermano, à ceux qui sont tiens.

 

L’ordre courtois distille une telle autorité que je n’ai aucun mal à penser qu’il est grand d’Espagne. Wouh ! Je me demande ce qu’auraient dit ma « abuela » et mon « abuelo ». Ils n’avaient pas un très grand respect pour l’arrogance hispanique. Ils en avaient vu trop et subi trop en leur temps. Le règne des « Señoritos », espèce de seigneur, genre Moyen-Age, les ont marqués à tout jamais, orchestrant leurs idées, pensées, voire idéaux. Pour eux la domination catholique à remugle franquiste fut décidément too much ! Qui pourrait le leurs reprocher ? Suis-je moi-même conditionnée pour considérer Alonso comme suspect d’arrogance à tendance dictatoriale ? Oui. Le mot liberté a eu une connotation très réelle, particulière et vivante pour moi et cela, je le leurs dois. Donc… Alonso, je garde mon quant à moi, quoi qu’il arrive !

Glorios précède cérémonieusement Don Alonso jusqu’à nous. Mikaïl se met en position d’alerte tout en me protégeant de son esprit et de son corps. Glorios se place à mon côté, alors que Mikaïl fait une profonde révérence à Don Alonso qui l’a lui rend d’égale manière.

 

-        Don Alonso… un plaisir de te revoir.

-        Magister Mikaïl Versakari Antonius Petrovanoski, le plaisir est mien. Puis-je solliciter de votre part la permission de saluer votre Dame ?

 

Glorios et Mikaïl me prennent chacun une main et me font avancer d’un pas. Je suis devant Don Alonso et je ne sais pas ce que je dois faire. Une révérence ? Vraiment ? Attendez là… Arrêt sur image ! D’aucune manière ! Et encore quoi ! Don Alonso qui a un visage émacié, mais d’une étrange harmonie, les lèvres pulpeuses et sensuelles, des yeux d’un brun sombres brillants et un nez tout aristocratique sourit légèrement. Il porte une courte barbe de quelques millimètres, ce qui serait le cas s’il ne se rase pas durant dix jours ou quelque chose comme cela. Il est très attirant et… mystérieux. Il me salue profondément. Je reste pétrifiée, puis il tend sa main. Je ne bouge pas, mais gare à lui s’il me la joue supériorité de mâle hispanique ! Je n’ai connu que des « caballeros », je ne vais nullement accepter un connard d’aristo à la noix, tout vampire et autre qu’il soit ! Le respect ça se mérite aussi. Fff ! Plus que « na » et je suis dans le ton, genre mi- premier âge avancé ! Glorios lui remet la mienne totalement flasque et un chouïa tremblotante.

 

-        Voici notre compagne, Dame Vera Lux.

 

La voix de Mikaïl est soyeuse. Je m’accroche à sa main avec force. Il me caresse les doigts doucement pour me rassurer. C’est raté, je ne le suis aucunement ! Don Alonso me fait un baisemain des plus protocolaire, mais une vague insidieuse d’images s’insinuent avec violence dans mon esprit. Une Cour royale, une foule compacte habillée d’atours riches en brocarts et autres velours chamarrés. Une femme cachée derrière un éventail, des yeux brillants de ruse et de luxure, un froufrou insolent, des semelles qui claquent, un cri étouffé, des gémissements sourds. Un murmure continu, une sorte de scène élevée, un trône, un homme puissant, mais vieillissant, Don Alonso agenouillé, des mots qui s’énoncent clairement, l’assentiment et le ressentiment de Don Alonso. Le temps qui passe, les jours qui changent, les vêtures également, Don Alonso au même endroit de nuit, le visage plein de doutes, d’angoisse. Il regarde tout sans rien voir, des ombres passent. Un incendie, l’édifice qui flambe, le long cri d’agonie de Don Alonso. Son départ dans la nuit dans les airs, furieux, détruit, anxieux. Le désir d’en finir, la longue agonie de l’incertitude, de la désespérance. Une rencontre. Mikaïl ? Il est si différent… les cheveux, les moustaches, les rouflaquettes… Un duel au petit matin, Don Alonso furieux, rageur, plein de ire et de désespoir, ivre d’une vengeance inepte, puis le fond… un noir profond, un gouffre et un réveil dans un lit à baldaquin au fin  fond d’une pièce carrée et immense, vétuste aussi, des murs en pierre grossière… Un château ? Don Alonso dort profondément. Coma ? Mort ? Crisold regarde avec tristesse le corps alangui de Don Alonso. Le terrible chagrin. Le néant total…

Je reviens à moi, lorsque Don Alonso lâche ma main. Tout cela n’a duré que quelques secondes, mais cela m’a paru une éternité. Pourquoi ? Qu’était-ce ? Je tremble compulsivement. Mikaïl m’entoure de ses bras. Don Alonso met un genou en terre devant moi et ploie la nuque.

 

-        Ma Dame, je vous supplie de me pardonner. Je n’ai pas pris conscience de votre pouvoir, du contraire, je ne vous aurais pas infligé ces images de mon passé. J’aurais pris soin de me protéger l’esprit.

-        C’était vous… avant… vous étiez mort… le néant…

-        J’ai demandé que l’on m’inflige la déstructuration ou l’effacement, les deux termes sont utilisés.

-        L’effacement ?

-        C’est un rituel très ancien que nous appliquons dans certains cas et situations particulières. Crisold en est le gardien et l’exécuteur depuis des lustres, mon aimée. Il a pour but d’effacer la nature et l’essence vampirique d’une personne pour la laisser dans une sorte d’état léthargique. Un peu comme un lavage de cerveau, mais qui serait à la puissance maximale. La personne est consciente, mais elle n’a plus la possibilité d’être elle-même. La punition dure le temps que le décide le demandeur de la sentence, puis il reviendra à Crisold et à d’autres dûment mandatés pour cette tâche de redonner les facultés à la personne punie. C’est pour cela qu’on utilise ce terme de « déstructuration », car il travaille sur la structure-même de la nature et de l’essence vampirique, en « occluant », autrement dit en bouchant, en fermant celle-ci et les autres essences et natures. Le temps requis pour la punition dépend de l’acte commis et de ce que les parties impliquées décident.

-        C’est horrible ! Quel crime aviez-vous commis, Don Alonso ?

 

Mes préjugés s’effondrent littéralement lorsque je regarde cet homme. Je m’approche de lui et lui pose la main sur l’épaule, l’incitant à se relever. Il m’est pénible de voir cet homme d’honneur dans cette position. Il n’a rien fait et ni lui, ni moi ne savions ce qui allait se passer. J’en suis encore à découvrir des choses insolites sur moi-même, alors ceux de mon entourages et les autres… Don Alonso se relève et reste devant moi dans une pose humble et fière.

 

-        Aucun. Mon désespoir alors était si profond que j’ai sollicité cette mesure à titre exceptionnel. Mon excellent ami et protecteur Crisold m’a fait une faveur immense, à son corps défendant.

-        Je le reconnais bien là ! C’est tout lui, ça !

 

Il a un franc sourire et l’atmosphère se relâche un peu. Il est si touchant et si fort. Soudain il regarde par-dessus mon épaule. Je sens une vague extrêmement violente m’iriser la peau. Je me fige, mais avant qu’il ne se passe quelque chose de terrible, un immense loup apparaît. Il se place devant Don Alonso. Il est splendide. John. En quelques secondes, il recouvre sa forme humaine avec une facilité qui m’ébaubit toujours. Privilège de l’âge ? Sa nudité complète envoi un frémissement de pure luxure dans mon bas ventre. Wouh ! Il me le fait toujours autant ! Don Alonso se fige dans une attitude belliqueuse et prédatrice. John croise les bras sur son ample poitrine. Il semble plus grand encore comme cela.

 

-        Dominus Faoleire… Ote-toi de mon chemin ! Je ne tolèrerais pas la présence d’un Fae, tout Tianalampa Trujando exilé de la Cour d’Hiver qu’il soit.

-        Je respecte ta position, Don Alonso, pair de ma terre d’origine et protecteur des miens, mais si Tianalampa Trujando est ici présent, il ne l’est qu’en tant qu’ami de Whouna.

-        Whouna ? Whouna est ici ?

-        Oui.

 

Je contourne mon p’tit loup d’amour et me place devant Don Alonso.

 

-        Whouna se désagrège lentement par un mal qui le ronge et… Il faut faire quelque chose ! Je refuse de le voir disparaître. Si vous ne le faîte pas pour nous, faites-le pour lui, Don Alonso…

 

Le regard brun foncé est d’une brillance insoutenable. Son aura s’est agrandie et menace de m’engloutir tant elle est puissante et violente. Il s’apaise lentement, ce qui me rend moins crispée. Il me rega         rde fixement.

 

-        Menez-moi à lui.

 

 

33.

 

            Don Alonso a un genou en terre et l’échine courbé devant un Whouna en apparence impassible. Depuis que nous sommes revenus par les rues, avenues et boulevards assoupis de la capitale, je n’ai pas cessé d’être effarée. Don Alonso a été d’une telle cordialité, tellement gentilhomme que j’ai envie de le pincer pour voir s’il est réel ou sorti d’un livre d’Alexandre Dumas ! Exit définitivement mes préjugés à son encontre ! Nous sommes dans la véranda où Whouna se trouvait à notre arrivée. Don Alonso n’a rien dit durant le trajet, mais son aura était tellement intense que j’ai dû me cacher derrière Glorios afin de me préserver. Glo en a profité pour me… enfin… il a un chouïa les mains baladeuses et je ne peux pas dire que cela me déplaît ! De là à l’encourager… Quel CV, alors ! Whouna est dans un état précaire, je le vois bien et je ne suis pas la seule. Quel que soit le mal qui le ronge, je le débusquerai et ferai le nécessaire, foi de VL !

            Whouna regarde celui qui est l’un de ses fils avec un sentiment d’affection. J’ai découvert que Whouna était terriblement sensible. Est-ce étonnant ? Non ! Pas du tout. Etant de l’aube des temps, la sensibilité est primordiale, du contraire, il aurait déjà disparu de la surface de l’Univers, quel que soit la ou les dimensions dans lesquels il subsiste.

 

-        Hijo… cela fait bien longtemps…

-        Padre…

-        Relève-toi, s’il te plaît. L’heure n’est pas au protocole, j’ai trop besoin de t’avoir auprès de moi…

 

Don Alonso se relève lentement. Son aura s’intensifie comme celle de Whouna. Je porte une main à mes yeux que je fronce violemment. Glorios me remet sur le nez ses lunettes design et de marque qui doivent coûter un prix exorbitant. Bien mieux ! Whouna s’approche de Don Alonso et lui prend les mains. C’est à ce moment-là qu’un éclair fusionnel sourd de leurs deux corps rapprochés et qu’une sorte de sarabande en spirales lumineuses et intenses tournoie autour d’eux. Le mouvement est si magnifique que cela doit être similaire à une aurore boréale. Je pose mes mains sur les tempes. J’ai la tête qui tourne un peu, mais je suis incapable de détacher mon regard. Je pousse un gémissement. Ils deviennent presque phosphorescents. Des images surgissent de leur union comme un kaléidoscope. Un palais, des chemins de traverses, des rues étroites et sombres, des pas qui s’échappent, un cheval, une fuite dans la nuit, une salle d’apparat, un nombre impressionnant de personnes, une terre à perte d’horizon aux couleurs surprenantes, des êtres de toutes beautés qui restent extatiques, des sourires, des rires, des gémissements, des hurlements de souffrance, un bébé qui naît, des larmes, une souffrance insoutenable, un champs de sang et de boyaux éparpillés, des cris d’agonie, de désirs inassouvis, des plaintes de jouissance, des cris violents, des fracas métalliques, des explosions de mortier, des danses, une pavane, un menuet, un concert, des salutations, des bars, des tavernes, une main qui parcourt un torse de femme, des mots doux susurrés, l’explosion d’un cratère, une chambre noire, des instruments de torture, l’odeur de la terreur, la peur sans fard, des rires sans fin, des sourires qui deviennent des larmes, une masure, un palais, un château fort, une salle voûtée, des moines copistes, une salle de bibliothèque, un fumoir, un champ labouré, un champ calciné, le silence de la mort, un salle avec des lits et des personnes gémissants, un corps d’armée, un bureau, un personnage étrange, des femmes dévêtues, des fillettes exsangues, des viols, des terreurs cachées, des mains, des yeux, des paroles inaudibles, des dialectes, des villes… NON ! Je pose mes mains sur les oreilles, je ferme les yeux violemment, je me recroqueville sur moi-même. Je me sens vaciller. Une seconde plus tard, je suis couchée dans le transat à moitié affalé sur Mikaïl qui me soutient en m’insufflant une énergie inconnue. Glorios est là. Je suis incapable de me servir de mes sens, je suis épuisée, vidée et si pleine, si… J’ai l’impression d’irradier, d’exploser en des myriades de bulles de félicité et de douleur intense entremêlées. C’est comme une osmose, celle d’être emplie de vie, mais aussi comme d’être en… enfer ! Je souffle furieusement, j’ai tellement de mal à…

 

-        Mon amour… reviens à toi… mayama, s’il te plaît, reviens… tout va bien, respire, respire… voilà…

 

Il fusionne son énergie à ma conscience. Je sens qu’il répare ce qui semble s’être déstructuré durant quelques minutes ou plusieurs éternités. Je ne sais pas, plus… Black-out !

           

Je sors de mon sommeil et je me mets en alerte. Quelle heure est-il ? Où suis-je ? Qu’ai-je fait avant… Oh, merde ! Encore la Dame aux Camélias remanié genre pré troisième âge avancé ! Sûr que j’ai un manque en vitamines A B C D E F G, au moins ! Ce n’est pas normal de tomber dans les vapes comme ça… J’ouvre les yeux. Mikaïl me sourit et me passe une paume douce et caressante sur le visage.

 

-        Ça va, mon amour ?

-        Oui. Je crois.

 

Glorios s’approche ?

 

-        Yamanahe, tu vas bien ?

-        Oui.

 

Je lève une main et la pose sur son visage. Il est accroupi près de moi comme il le fait quelquefois, de cette manière étrange et… animale. Je me redresse légèrement et mes deux hommes m’aident. Où est John ?

 

-        Il arrive bientôt.

-        Mais… d’où ?

-        Il revient de suite. Ne crains rien. Un acte de sa part était requis. Il n’est pas en danger.

 

J’admire fixement ce regard fascinant. Je crois comprendre. Question de territorialité. Je n’y avais pas pensé. John est un des anciens et il doit marquer sa présence dans ce territoire comme ami, si pas comme « Chef » de clan. Je n’y comprendrais jamais rien. Mais j’essaie… J’observe un mouvement du coin de l’œil et j’aperçois Whouna debout dans cette pose qui n’appartient qu’à lui. Don Alonso est également là. Il est d’une pâleur… cadavérique ! J’éprouve tout de suite le besoin de le rassurer. Il traîne une telle aura de solitude et de désespérance. Il me touche si profondément.

 

-        Don Alonso…

 

Il relève la tête.

 

-        Vous n’y êtes pour rien.

-        Madame, vous êtes généreuse, mais je ne mérite guère votre indulgence.

-        Oh que si, d’autant que vous n’avez rien fait de mal, juste fusionner vos auras et vos énergies à un certain niveau et intensité comme vous l’avez sans doute fait déjà avant. Comment auriez pu savoir que j’y serais sensible ? Moi-même je ne le savais pas ! De fait… si vous me posez la question, au plus ça va, au moins j’en sais sur moi et c’est vraiment flippant !

 

Une seconde plus tard, Don Alonso se tient devant moi. Mikaïl qui me tient toujours dans son giron et Glorios près de moi se raidissent. Je ne bronche pas. Manque de fer, peut-être ? Il me regarde fixement. Je vois ce filament translucide s’approcher de mon front. Je me crispe instantanément.

 

-        Non ! Permettez-moi ce simple mouvement. Je vous promets de ne pas m’immiscer dans votre intimité, mais j’aimerais mieux cerner votre don. Vous êtes une Felidae ?

-        Oui. Enfin, il paraît.

 

Il hoche sa tête. Je sens sa présence légère et furtive dans mon esprit. Il parcourt celui-ci avec doigté, ne s’attardant que le juste nécessaire pour comprendre qui je suis. Je ne le sais pas avec certitude, mais je le sais aussi. Il me sourit et fait un pas en arrière.

 

-        Vous êtes celle qui l’aidera. Je vous aiderai à mon tour.

 

Tiana soupire profondément. Je me tourne vers lui. Jusqu’à présent je ne savais pas dans quel état d’inquiétude se trouvait le fée. Flippant ! John entre dans la pièce. J’embrasse profondément Glorios et Mikaïl. John me sourit et s’approche de moi. Je me relève. Il me hale contre lui. Sa présence me rassure.

 

 

34.

 

            La journée est pluvieuse, grise, pleine de nuages menaçants, mais j’apprécie infiniment d’être dans mon burea   u. J’ai eu un peu de mal à leur expliquer mon point de vue concernant la nécessité d’aller à mon boulot comme d’hab. Ils ne comprennent tout simplement pas que le fait de suivre durant quelques heures une routine bien routinière est la meilleure façon de me sentir à l’aise et de me remettre de mes émotions. C’est fondamental pour la petite humain remaniée lambda que je suis. Ils n’ont cependant émis aucune réflexion ni pour, ni contre, mais j’ai bien senti qu’ils ne comprenaient pas. Comment le pourraient-ils ? Trois vampires avec des tas de natures et essences adjointes, un lycanthrope avec probablement d’autres essences ajoutées, un fée qui s’est isolé des siens durant un temps éternel et enfin un… Whouna, autrement dit, un être qui est la quintessence de tous les êtres Outre-Vivant et sans doute vivants, si j’ai bien entravé le machin. Comprendre que je veuille passer plusieurs heures enfermées dans un bureau avec mon ordi et mes fichiers papiers semi-poussiéreux est évidement difficile à envisager. Je peux l’imaginer, mais je ne pourrais pas accepter qu’ils ne me laissent pas venir au burlingue. Ils ont bien compris cela et tant mieux ! J’ai bien travaillé et bientôt, je file à la maison pour faire une siesta. C’est pour cette nuit. Ne me demandez pas ce que je dois faire, je n’en sais rien ! Sauf que je dois le faire pour le bien de Whouna, le monde des fées et sans doute toutes les Communautés Outre-Vivant. Génial ! Moi qui rêvais de sauver le monde, je vais en sauver plusieurs !

Je clôture un fichier et le glisse dans le dossier virtuel. Voilà une bonne chose de faite ! Ma chef de service est venue me voir. Elle est satisfaite du travail déjà effectué et m’a dit que normalement une aide me serait donnée. Pas de refus ! Le boulot est titanesque ! L’heure est venue de rentrer at home ! Je jette un regard affectueux à mon merveilleux bureau si parfait, si simple, si merveilleux, si adorablement calmant, un véritable Eden urbain, la quintessence de ce qui se fait de mieux en bureaucratie ! Ce n’est qu’un au revoir !

 

            J’entre dans la maison. Le trajet a été chiant ! Toujours le cas quand il pleut ! Rien de nouveau sous la pluie ! Le trafic était au « râlage » mobile et c’est rien de le dire ! Une chose que je n’aime pas, circuler en ville. Notez, sans doute, que peu aime cela, quoi que… Il faut de tout pour faire un monde ! La maison est calme. Ce qui me fout le bourdon. Je ne sens la trace de personne. Enfin, je veux dire que… Glo et Mi sont sortis pour effectuer une de leur tâche. John est parti rendre visite à un lycanthrope. Visite de courtoisie, je suppose. Les garous sont assez territoriaux, d’après ce que j’ai compris. Tiana est… Je n’en sais fichtre rien ! D’ailleurs vous vous voyez demander à un fée où il compte aller, ce qu’il va faire, comment et avec qui ? Si vous répondez oui, alors vous n’avez jamais rencontré de fée ! Quant à Alonso… ici ou là, je suppose. J’ai bien compris qu’à leur âge, ils savaient vachement bien se débrouiller, ce qui est rassurant. Je suppose…

 J’entre dans la véranda avec une idée bien définie dans ma tête : hamac, « hamaquer », siesta, siester ! Je baille à m’en décrocher la mâchoire et c’est divin ! Whouna ! Maintenant que je le vois affaler sur une chaise, je me rends compte que je n’avais pas pensé à lui. Merde !  Il a l’air si mal… Je m’approche de lui avec vivacité. Il relève la tête et me sourit. Son aura est plus instable que jamais et j’ai soudain la sensation qu’il pourrait s’effacer comme une image virtuelle, alors que je le sais solide. Flippant !

 

-        Whouna ! Je…

-        Ne me touche pas, ma petite Vera…

 

Je m’accroupis devant lui, voulant le soulager. Il me sourit et c’est comme s’il posait sa main sur ma joue en une caresse de tendresse et d’affection.

 

-        Que puis-je faire pour toi ?

-        Te reposer. Tu auras besoin de force.

-        Mais tu souffres…

-        J’ai des ressources, ma chère petite Vera… Couche-toi dans le transat. T’avoir auprès de moi est un soulagement en soi.

 

J’hésite, mais son visage me dit que c’est ce qu’il désire vraiment. Je me relève. Son aura se stabilise un peu. Il semble que ma présence soit comme une ancre pour lui. Je me couche en soupirant de pur plaisir et me mets à l’aise. Comme le transat m’a manqué ! D’ailleurs personne ne sait ce qu’il manque en ne s’affalant jamais dans un transat. Essayer pour voir et vous venez m’en toucher un mot après !

 

-        Où est Alonso ?

-        Il médite.

-        Comme ceux qui font du yoga ?

-        Non. Comme ceux qui sont de fervents croyants.

-        Ah !

 

J’avais oublié. Il a servi la Cour d’Espagne sous un grand fanatique catho de la fin du Moyen-Âge. Je suppose que ça marque !

 

-        Sa méditation lui permet d’entrer en contact avec d’autres plans de réalités et de percevoir les natures et essences des Outres-Vivant.

-        Pourquoi faire ?

-        Pour réunir des informations. Si ce qui m’advient est le fait d’un Outre-Vivant, il le saura. Alonso est une espèce de… radar. Est-ce bien le terme ?

-        Oui. Je vois ce que tu veux dire. Il cape les autres et ce qu’ils font.

-        C’est cela. Nous le nommions « Le Sensitif ». Il a souvent été requis dans des procès ou d’autres affaires concernant les Outre-Vivant pour cette capacité.

-        Il devait être redoutable.

-        Il l’est toujours.

-        Wep ! Je suis vachement rassurée, là !

-        Tu peux l’être, Alonso t’a approuvé inconditionnellement et il ne revient jamais sur sa parole ou sur sa loyauté.

-        OK !

 

Je ferme les yeux. L’aura de Whouna est au repos et je soupire de soulagement. C’est autant cela de gagné. Black-Out !

 

 

            Le ressac ondule dans l’air tranquille de la mi-journée. Il ne fait ni clair, ni obscur, mais parfait ! Des mouettes tiennent conversation sur des affaires de poissons. La mer roule et caracole entre ses flots, son sable, ses cailloux et sa faune aquatique. Le hamac se balance lentement d’un côté et de l’autre, de gauche à droite, de droite à gauche, langoureusement. Mon corps se détend, conque douce de ce mouvement plaisant. Une voix tente de me transmettre des mots, je n’entends que le son de la voix. Je souris, gémis. Gauche à droite, droite à gauche, lentement, plaisir de se laisser porter. Mes yeux s’entrouvrent béatement sur… Glorios ? Mikaïl ? OK ! On rembobine, le balancement c’était eux ?

 

-        Mon aimée…

-        Ma félidée…

-        Mm ! J’étais sur une plage avec des mouettes et tout et là, c’est vous !

 

Mes deux CV d’amour se regardent, puis me regardent. D’un bond agile, ils se placent dans le hamac qui n’a pas le temps de bouger. Ils me serrent de près. Leurs lèvres envahissent les miennes tour à tour. Le désir m’envahit. Ils sont si… Un léger mouvement fait osciller le hamac. Je me tords le cou. John avec un sourire… de loup.

 

-        Euh… je crois qu’il n’y a pas assez de place pour toi dans le hamac…

-        Non ?

 

Le sourire s’amplifie, ce qui ne me dit rien qui vaille. Il fait un bond prodigieux et réussit, je ne sais pas très bien comment, à m’embrasser à pleine bouche, puis de retomber sur ses pieds. Je suis… flippée à donf !

 

-        Tu as raison, ma féline… Il faudra acheter un hamac plus grand.

-        Je ne sais pas si ça existe comme les lits Californien ou King Size.

-        Alors, on le fera faire sur mesure.

 

Bon sang ! Deux CV et un CF, c’est mon esprit qui va finir par disjoncter ! Whouna a une… vague de rire, je ne peux pas dire autrement et c’est… Wouh ! Merveilleux ! J’adore, en fait. Ça m’emplit de joie, de bonheur, de félicité. Trois paires d’yeux me sourient. OK ! Je dois afficher un de ces sourires niais dont j’ai le secret, mais c’est plus fort que moi, j’aime tout ce qui rit, sourit et respire la positivité. Je sais ! Débile, vu comment vont les mondes – vivants et Outre-Vivant – mais à mon âge on ne se refait plus. Sinon demander à l’une des vieilles peaux que j’ai la faiblesse d’aimer et ils vous expliqueront ! Un gigantesque rire secoue les trois amours de ma vie. Vraiment, je vous jure, des fois, c’est pénible ! Il paraît qu’avec l’âge vient la sagesse. Ben faut croire que c’est bon pour les vivants et pas pour les autres !

            Alonso entre en plein délire festif et il affiche un sourire un peu contraint et un peu surpris. Bon ! Voilà qui change ! Enfin un homme sérieux dans mon entourage ! Les rires redoublent !

« SORTEZ DE MES PENSEES, BANDE DE NAZES ! » Bon, voilà, c’est pensé, espérons qu’ils vont arrêter le cirque ! Tiana entre à son tour et rit. Oh non ! Si les fées s’y mettent aussi ! Les commissures des lèvres pleines et bien ourlées d’Alonso se tordent pour afficher un sourire qui annonce un rire. D’accord ! Gaudriole, quand tu nous tiens !

 

 

35.

 

-        Ce n’est pas l’un des nôtres !

-        Par les nôtres, Alonso, mon frère, tu parles des Communautés Outre-vivant ?

-        Oui, Magister Mikaïl.

-        La tâche se complique. Qui alors ?

-        L’un des vivants, hermano Glorios.

-        Que disent tes contacts, Don Alonso ?

-        Ils sont encore en pleine recherche, Dominus Faoleire. La spécificité de l’attaque permet certaines sélections parmi les coupables potentiels.

-        Heureusement ! Les vivants forment une multitude titanesque. Je ne me vois pas en venir à bout. Whouna ne le peut déjà pas et Tiana non plus, si je ne m’abuse ?

 

Glorios regarde Tiana. Je le sens sur ses gardes. Les fées ne lui plaisent décidemment pas.

 

-        Tu as raison, Glorios. Mes aptitudes n’ont pas permis, ni à moi, ni aux miens de savoir ce qu’il en était. Nous avons fait ce que nous pouvions, mais cela ne semble guère suffisant.

 

Le ton de Tiana est triste et désabusé. Je sens sa grande impuissance et si lui n’arrive pas, alors moi, c’est exclus ! Nous sommes assis dans le bureau de Mikaïl dans des sièges confortables avec des boissons à portée de main et quelques délicatesses qui me donnent l’eau à la bouche. Mikaïl sait toujours recevoir comme il convient, y’a pas à dire ! L’endroit est imposant, un mélange de meubles anciens et de meubles plus pratiques avec quelques appliques murales en formes de bras qui sont l’œuvre de Clayton, mon majordome préféré. En fait, le seul que je connaisse. Il a paru content de me voir, mais qui peut savoir. Quand on pratique le fair-play à un tel niveau, difficile de dire ce qu’une personne pense. Je me demande s’il était déjà comme cela où s’il s’est formé à l’ « Ecole des Majordomes », si une telle institution existe.

 

-       Avec votre permission, je me permets de répondre à votre question, Dame Vera… J’ai appris mon métier par d’autres majordomes et mon caractère se prête à une telle capacité.

-       Ah ! Ben, euh, merci, Clayton…

-       C’est toujours un immense plaisir de vous servir, Dame Vera…

 

Six paires d’yeux me fixent, mortellement sérieux ! Je déglutis. J’ai déjà dit que j’avais des absences prolongées durant ma scolarité ? Il paraît que j’avais un peu de mal à rester concentré pendant très longtemps. Un prof a même écrit dans mon journal de classe : « Grande aptitude à s’extraire de la réalité. Vera ira loin ! » Elle avait sûrement de l’intuition ou alors un grand sens de l’humour ! Je regarde ces personnes qui me sont chères et importantes, chacune de différente manière. Mikaïl, Glorios, John, Whouna et même Tiana et Alonso.

 

-        Désolée…

-        Ne le sois pas, ma petite Vera, nous aimons ta manière de penser.

-        N’empêche…

 

Je regarde Whouna qui est resté debout dans cette pose hiératique qu’il affectionne. Son aura est restée stable depuis cet après-midi. Tant mieux. Il me sourit. Il est si éblouissant. Sa luminosité me fascine toujours autant. Je m’approche de lui pour le toucher, lorsque son aura bascule et qu’il se transforme subitement en miroir. Je n’ai pas le temps de réagir que je suis absorbée par sa surface. Il me semble, avant de passer de l’autre côté du miroir, que Glorios et John hurlent en se jetant vers le miroir, mais celui-ci les rejettent. Je n’entends plus rien. En fait… je suis complètement subjuguée. L’espace où j’arrive est… Blanc ! Totalement, blanc. D’un blanc… plus blanc que blanc, mais  si lumineux, si époustouflant… si… Il semble vide, mais c’est faux, il est… parfait ! Je me transforme en girouette pour mieux regarder autour de moi, même s’il n’y a rien à voir, mais j’ai l’impression de voir tant et tant de choses. C’est comme si tout ce blanc était une surface gigantesque où tout était perceptible, mais à d’autres niveaux. Il n’y a pas de son, mais le silence est en soi un son magnifique et si plein, si… parfait ! J’ai déjà été dans un espace blanc, mais c’était comme un désert et il vibrait. Ce n’est pas le cas ici. Tout est concordance, harmonie, syntonie. C’est le point d’équilibre parfait en tout. Ou alors… Le Nirvana des Hindouiste, des Boudiste ? Le Paradis des Chrétiens? Les Champs-Elysées romains ? Le Shéol juif? Le Firdaws musulman ? Le Walhalla celtique? Les champs d’Ialou ? Le Yaxche des Mayas ? Le Tlalocan des Aztèques ? L’Hawaiiki des Maoris ? Le site sacré de l'aïeul des Arborigènes ? Olympe des grecs ? La montagne K’ouen-Louen de Chine ? Le Yomi des Japonais ? Le Domaine céleste des Inuits ? Le Kailasa de Shiva ? Le Vaikountha de Vishnou ? Le Atya-loka de Brahmâ ? Le Déva-loka, le paradi suprême de L’inde ? L’Ourdwa-Loka des Jaïnistes ?  Behescht des Perses ? Takama-no wara des Shintoïstes du Japon ? Le Jabmé-Aimo des Lapons ? Le Hanan-pacha des Incas ? L’Athuemapou des Puelches du Chili ? Le Bolotou des Tonga ?

STOP ! Mon cerveau est devenu une encyclopédie ou quoi ? Je ne veux pas savoir… je veux juste voir, me repaître, admirer, être subjuguée… Ma ronde semble infinie autour de moi-même pour tout appréhender, tout absorber. Puis, là, devant moi… Elle. La mer primordiale. Je ne vois aucun rivage, mais je sais que je peux l’atteindre, la toucher, m’immerger, me laisser porter et jouir éternellement d’elle dans un temps immobile et vivace. Je fais quelques pas légers vers elle, tendue, heureuse comme jamais. La gloire ? Suis-je dans l’état d’apesanteur de la félicité totale ? Arrivé près d’elle, mais encore si loin, une figure… un être est près de moi. Je détourne mon regard vers lui et…

 

-        Whouna ? Tu es si… si… merveilleux ! Tu es comme cela, en vrai ?

-        Je suis selon tes perceptions, ma petite Vera.

-        Alors elles se sont bien améliorées, m’est avis !

 

Whouna a un sourire qui pourrait donner des complexes au soleil lui-même.

 

-        Je… tu es plus jeune ici, même si c’est ridicule, mais… c’est l’idée…

-        Je suis d’une jeunesse éternelle, petite Vera.

-        Ah ! Bien sûr…

 

Je vais pour ajouter une platitude, mais la venue d’un… enfant ? Non, c’est un enfant, mais ce n’est pas un enfant… c’est juste pas un adulte ni un ado, c’est… bon on va dire que c’est un môme. En le regardant de plus près, j’ai l’impression de l’avoir déjà vu quelque part, sauf que je ne l’ai jamais vu nulle part. Je m’en souviendrais, je suis physionomiste. C’est seulement…

 

-        Tiana? Tu es Tiana, petit ?

-        Je suis Tianalampa Trujando ! Qui êtes-vous?

-        Vera Lux…

 

Je me tourne vers Whouna. Je ne comprends pas comment je peux me retrouver à l’époque de l’enfance de Tiana alors qu’il est dans ma réalité un adulte et en plus il ne sait pas qui je suis alors que Whouna bien, même s’il semble plus « jeune » ici ?

 

-        Pourquoi me reconnais-tu alors que nous sommes plus avant dans le temps présent dans lequel nous étions tous les trois et pas lui ?

-        Parce que je suis hors du temps.

 

Je fronce les sourcils. Hors du temps ? Il veut dire comme…

 

-        Tu veux dire que le temps n’a plus de prise sur toi comme les morts par exemple qui ne peuvent plus… avancés dans le temps ?

-        Pas exactement. Je n’ai jamais été dans le temps.

-        Tu veux dire comme… le point zéro avant que l’Univers ne s’épande ? Le point « Big Bang » ?

-        Pas exactement.

-        Je ne… Tu es Dieu ?

-        Non.

-        Parce que Dieu devrait se trouver hors du temps pour pouvoir créer la vie, si j’ai bien compris…

-        Vos théories foisonnent, mais je ne puis trancher dans le nœud gordien de la foi.

-        Paroles hautement politiquement correcte, Whouna !

-        Il faut bien exister avec son temps…

-        Très drôle ! Je ne comprends pas…

-        Sans aucun doute, ma petite Vera. Mais il y a plus urgent, si tu me permets…

-        Oh oui ! Désolée ! J’ai tendance à soliloquer et à discourir dès que je peux… Donc… Tania est là sous cette forme pour une raison particulière, je suppose.

-        Oui. A nous de le découvrir.

 

Le garçonnet est au bord de la mer et joue avec ce qui ressemble à des galets, mais qui n’en n’ont ni la forme, ni la texture.

 

-        Ce sont des opuscules maritimes.

-        Opuscules ?

-        Un nom curieux, mais ils sont disons, la quintessence de la texture de la mer primordiale comme tu la nommes.

-        Tu la nommes comment, toi ?

-        U.

-        Où ?

-        Oui. C’est la forme de sa fonction, celle où tout est en elle, mais peut partir ailleurs pour se créer et se constituer.

-        Ah !

 

Dire que nous parlons la même langue ! Qui le croirait, vu le peu de sens que les mots ont pour moi ! Je regarde Tiana et je file en courant vers lui.

 

-        Hé ! Où vas-tu comme ça, reviens ! Tu ne peux pas aller dans la mer comme ça, c’est dangereux !

 

Tiana me regarde par-dessus son épaule alors qu’il est déjà à mi- torse dans la mer. Je note qu’il n’est pas trempé, ce qui est encore plus bizarre. Une mer qui ne mouille pas ?

 

-        Vous n’êtes pas ma mère, aussi je ne suis pas tenu de vous obéir, ni de vous écouter.

 

Il tourne sa tête de manière altière et continue à avancer. Mes pieds sont déjà dans la mer et la sensation est étrange. C’est comme d’être baignée dans du liquide, mais sans être du liquide, ni de l’air, ni de… Bref, aucune « texture » qui me soit connue. Il a le menton dans l’eau. Petit morveux ! Il va finir par se noyer, le con ! Whouna est posté derrière moi. Ses pieds sont dans l’eau qui s’enroule autour de lui et trempe son pantalon noir à pince. Je fronce les sourcils.

 

-        Whouna ! Fais quelque chose, merde ! C’est un petit merdeux, mais il ne mérite pas la noyade…

-        Il ne se noiera pas.

-        Parce que ce n’est pas du liquide.

-        Cela l’est…

-        Bon, OK, on ne va pas débattre des propriétés physiques et chimiques de…Ça ! Maintenant il faut…

 

Tiana ressort de la mer, mais plus grand, plus… J’ai en face de moi, émergeant des « flots », un adolescent de toute beauté. Il vrille son regard sur moi, puis sur mes seins avec une lueur concupiscente dans l’œil… Je le sens intéressé. Génial ! Un ado en pleine crise hormonale ! Tout ce que je désirais en ce moment ! Je me tourne vers Whouna qui tient entre ses mains des « galets » ou des opuscules, comme il les nomme, et il les fait danser. Des volutes liquides se mêlent et trempent goutte à goutte chaque espace entre les opuscules et son entourage immédiat, autrement dit, moi et lui. Alors que sa chemise blanche en partie ouverte sur son torse musclé se mouille, rien de tel pour moi. J’ai la sensation d’être aspergé de « confettis » luminescents qui me procurent un sentiment de plaisir et de sérénité. Je fronce les sourcils. Tiana continue à me fixer des yeux, plus précisément la partie de mes seins. Je ressens une certaine irritation parmi les autres sensations plus mirifiques que me déparent ce lieu magique. Tiana rétrocède et longe un instant le rivage. Pendant qu’il revient, je le vois changer lentement et devenir de plus en plus le Tiana que j’ai connu, un homme trentenaire, bien conservé, splendide, d’un physique plus qu’agréable et tout en lui est à l’avenant. Je soupire profondément avant de me tourner entièrement vers Whouna, le liquide s’enroulant en arabesques sensuelles autour de mes pieds dénudés. Quand me suis-je déchaussé ? Je le regarde dans les yeux aux couleurs changeantes et lumineuses.

 

-        Tu peux m’expliquer ou je dois deviner ?

 

 

36.

 

Sitôt la question posée mon regard est irrémédiablement attiré vers Tiana qui longe le rivage d’un bout à l’autre, un pied dans la mer, un autre dehors, un étrange jeu de marelles dont il est le seul à posséder le règlement. Il lève les yeux et me regarde fixement. Mm ! Il ne m’inspire pas vraiment confiance, même s’il a connu mon grand-père. Il y a quelque chose en lui qui m’échappe. Enfin, façon de parler, parce que tout de lui m’est étranger. Il s’approche rapidement de là où je me trouve. J’arbore mon visage de fonctionnaire qui n’est pas ravi avec les documents dûment complétés d’un quidam. Pour ce que ça a l’air de lui faire ! Au temps pour moi. Il s’arrête devant moi. Il a un mince sourire, mais je suis un chouïa irritée. Je fais un rictus dédaigneux. Son sourire s’amplifie.

 

-        Vous avez la même moue têtue que votre grand-père, Gente Dame Vera !

 

J’ouvre la bouche, puis la referme.

 

-        Vous me reconnaissez ?

-        Oui.

-        Et vous vous rappelez de tout avant… maintenant ?

-        Pas entièrement. Mes pas ont effacé certains moments.

-        Ah !

 

Je me tourne vers Whouna qui a un sourire… affectueux pour Tiana. Eh bé ! Pas de doute, Whouna fait un merveilleux père.

 

-        Le rivage, c’est comme un parcours fléché, mais sans flèche et si on ne le suit pas totalement, on se perd en route ?

 

Whouna me regarde avec le même sourire et j’en suis éblouie. Il peut me regarder comme ça autant qu’il veut, ça me fait chaud au cœur !

 

-        Le rivage est le pendant de la ligne d’horizon où le futur reste plausible, sauf qu’il est le présent.

-        Et le présent s’efface pour devenir passé.

-        Oui.

-        Mais si Tiana est maintenant ici, il ne peut pas être là-bas aussi ou si ?

 

Je vois Tiana du coin de l’œil observer l’horizon et je me demande ce qu’il voit. Je n’arrive à percevoir qu’une surface resplendissante comme si un miroir recevait les pleins rayons du soleil.

 

-        C’est une question insidieuse, ma gentille Vera qui ne peut être répondue.

 

Je reporte mon regard sur lui. Il a l’air plus brillant qu’avant ou j’ai la berlue ?

 

-        Tu veux parler de l’ubiquité ? Comme Dieu…

-        Pas exactement.

-        Je ne comprends pas.

-        Certaines théories scientifiques ne sont guère prouvées, ni explicitées à ce jour et il ne m’appartient pas de vous les divulguer !

 

Pendant quelques longues secondes, je le regarde fixement. De quoi me parle-t-il ? La quatrième dimension ? Les trous noirs ?

 

-        Je ne comprends pas.

-        C’est ce qui se passe pour tous.

 

OK ! S’il veut jouer les hermétiques, je me rends !

 

-        Bien… Sans entrer dans le secret des Dieux… si Tiana est ici, il ne peut pas être là-bas et vice-et-versa ou je me trompe ? Ou plutôt je me trompe ? Ou alors il est virtuel, une version holographique comme dans Star Wars.

-        Star Wars ?

-        Oui. Je t’expliquerai. C’est une saga géniale ! Donc, il est là ou pas…

-        Il est ici, mais dans sa version essentielle.

-        Donc, pas sa nature, si j’ai bien compris.

-        Oui.

 

Sauf que je ne suis pas certaine de savoir ce que j’ai bien compris, mais passons.

 

-        Et s’il n’est pas vraiment tout à fait là, mais tout de même là essentiellement, c’est qu’on a besoin de lui pour… Quoi, exactement ?

-        Je puis répondre à cette question, Gente Dame Vera.

 

Je me tourne vers Tiana qui est juste à côté de moi. Je ne l’ai même pas senti ! Génial ! Des opuscules se mettent à léviter comme une vague liquide, mais sans être liquide. Elles forment des formes et des figures que je ne reconnais pas. Tout à coup, Whouna commence à se disloquer et j’ai la sensation d’être soumis à un tremblement de terre. Tiana s’avance rapidement vers Whouna et l’entoure de tout son corps. Durant une fraction de seconde, il semble se fondre en lui, puis il en ressort aussi vibrant et brillant qu’en plein soleil de midi. Whouna se stabilise. Je n’ai pas pu bouger, mais ce n’est pas étonnant. Une sorte de « muraille » d’opuscules m’entourent comme une armure. Je n’ai rien vu venir. Le rempart s’éloigne de moi et se transforme en arabesques virevoltantes. Je déglutis. Elles sont splendides et fascinantes.

 

-        Merci…

 

J’ai soufflé le mot. Je me devais de le faire. On dirait qu’elles comprennent. Elle forme une vague figure humaine et me salue avec un long son de ressac roulant des vagues sur un rivage. Le son m’est si familier et si serein. Je leur souris avec bonheur et gratitude. J’en avais besoin. Tiana est toujours auprès de Whouna qui reprend sa luminosité et sa splendeur primordiale. Je suppose qu’il s’agit encore d’une attaque de ce fumier de… Quoi ? Quand j’attraperais l’enfant de salaud qui fait du mal à mon Whouna, je ne vais pas le rater ! Non mais, on n’a pas idée de faire pareils dégâts ! Et si jamais il a des problèmes avec l’Administration, qu’il compte sur moi pour lui régler les bidons ! Whouna a un sourire resplendissant qui m’illumine toute. Je lui réponds. Tiana sourit aussi d’un air amusé et affectueux. C’est bien de la part d’un Fae ? Autre mœurs, je me méfie… un peu, pas trop, faut pas devenir trop parano, quoi que…

 

-        Pour répondre à ta question. Je suis le gardien de Whouna. L’une de mes facultés consiste à maintenir Whouna dans l’existence et la vie dans l’Univers. Sans entrer dans les détails, je suis un peu une sorte de factotum pour certaines tâches bien précises qu’il ne peut accomplir, d’une part, et un protecteur de son entité. Mon rôle a été « induxé » dans ma nature à la conception de mon être, selon une tradition Fae très ancienne. Ceux qui ont pris cette décision se sont basés sur ce que je suis à tous niveaux. Le reste fut question d’apprentissage comme on l’entend généralement. Je me dois d’être ici, surtout en ce moment où il se déstructure avec trop de puissance et manifestement de facilité. Je ne vous cache pas, Gente Dame Vera, que le temps presse. Jusqu’à présent, j’ai pu soutenir Whouna et il est loin d’être affaibli, mais cela ne saurait durer. Il y a…

-        Non !

 

La voix de Whouna réverbère dans l’immensité blanche qui nous entoure. Pourtant il n’a pas élevé le ton, mais ce simple mot est comme une énorme vague auditive. Je recule instinctivement. Whouna allonge la main, pour me soutenir et calmer ma soudaine angoisse. Il fixe des yeux Tiana qui semble rapetisser sur place.

 

-        Je sais ce que tu prétends, Tianalampa Trujando et il est hors de question de mettre ma protégée dans cette latitude spatiale.

-        Mais… nous aurions accès directement au…

-        Je ne tolèrerais pas que tu poursuives dans cette voie, mon ami. Le risque encouru ne mérite pas l’acte.

-        Que se passe-t-il, Whouna ? Si je comprends bien il y a un plan où je pourrais aller et qui t’aiderait ? Où ? comment ? Je peux le faire ! Mana m’a aidé à entrer et sortir des plans et puis avec toutes mes marques, je suis loin d’être démunie…

 

Whouna se tourne vers moi. Il me regarde longuement. Je ne vois pas ses émotions, mais je sens qu’il est ému par ma proposition. Waouh ! Je ne savais pas que c’était possible… il a l’air si peu humain, même s’il a l’air totalement humain, là. Difficile à expliquer, mais j’me comprends ! Il me prend doucement contre lui et j’entre dans le merveilleux. Alice n’a vraiment pas connu cela, c’est clair, mais c’est… inexprimable !

 

 

37.

 

            Nous sommes assis sur le rivage, le visage tourné vers une ligne d’horizon dansante. Cela me fait sourire. Ou alors, l’émerveillement que j’ai ressenti dans les bras de Whouna. Un peu des deux sans doute. Tiana regarde aussi, la mine tourmentée. Sa beauté fascinante est moindre un peu comme un masque qu’on abaisse pour découvrir une mine d’homme préoccupé et âgé. Whouna est impassible. Il joue avec les opuscules qui poussent des petits bruits perçants qui ressemblent à des gémissements de pierres. Flippant ! Ils semblent adorer être avec Whouna. Une grande orgie d’opuscules ? Wouh !

 

-        Donc… si vous m’expliquiez c’est quoi cet endroit si dangereux pour me laisser prendre librement une décision en tout état de cause ?

-        Je suppose que c’est le plus raisonnable…

-        Tu sais déjà comme je suis, Whouna. Je pourrais donner des cours à des ânes et à des mulets et encore, c’est moi qui serais toujours la plus têtue de tous…

-        Opiniâtre…

-        Et pas qu’un peu, j’veux mon n’veu ! Donc…

 

Whouna soupire longuement. Les opuscules « gémissent » et se regroupent autour de lui comme pour le soutenir moralement.

 

-        Il s’agit du ώ.

-        O ? Je ne vois pas très bien. Tu peux m’en dire plus ?

-        Il me serait difficile de t’expliquer ce qu’est ώ n’ayant pas de référant humain à t’opposer.

-        OK ! Mais c’est quoi ? Un lieu, un être, une dimension, un concept ?

-        C’est un cœur.

-        Père… Funambule Tertio est allé à ώ et il a bien failli réussir son projet. Et nous ne savons pas où se trouve ce renégat, ni même s’il est responsable de ce qui t’arrive…

-        Il ne l’est pas ! Sa démarche d’alors a laissé suffisamment de traces en ώ pour que je puisse le repérer s’il s’agissait de lui.

-        Il pourrait se cacher derrière un alias et vous atteindre par là…

-        Ce n’est guère probable. Tu oublies que Funambule Tertio est un des Primaires Fae et que ceux-ci ne peuvent s’approcher des vivants sans les éparpiller littéralement.

-        Il a eu largement le temps de trouver un remède à cette faculté ou même de la garder et de la contourner habilement ! Vous avez ordonné que nul n’essaie plus de s’approcher de ce vaurien tant il est dangereux.

-        ET je maintiens cet ordre, Tianalampa.

-        Que ne me dis-tu pas, père ?

-        Ce que tu ne désires pas savoir, petit. Laisse cette figure du passé là où elle a œuvré et concentrons-nous sur ce qui se passe actuellement !

 

Les deux hommes irradient de puissance et les opuscules s’agitent furieusement. Merde ! Ils peuvent devenir un tsunami et si oui, ça donnerait quoi dans le genre ? Whouna se tourne vers moi et me hale doucement contre lui en atténuant sa force.

 

-        Tu ne crains rien ici. Du contraire je ne t’aurais pas permis de venir.

-        Avais-tu seulement le choix, Whouna ? Il me semble que tu n’es pas toujours sous contrôle…

-        Suffisamment encore, ne t’inquiète pas. Fils ?

-        Père ?

-        Je ne te dirais rien de plus, sauf que Funambule Tertio ne peut nuire là où il se trouve.

-        La légende dit vrai alors…

-        La Faerie est un univers de légende, à laquelle fais-tu allusion, petit ?

 

Le ton sardonique est une excellente parade, mais si je vois clair, Tiana fera en sorte d’en savoir plus sur l’affaire. J’ai bien senti que s’il devenait un élève dans mon école pour opiniâtres en tous genres, il serait un vrai premier de classe avec mention archi très bien !

 

-        OK ! Ceci dit… Je n’en sais toujours pas plus sur o ? Des détails à ajouter à l’énorme inconnue qu’est cette équation, Whouna ?

-        Ώ se trouve en moi. Il est la part la plus profonde et primordiale…

-        OK ! Fallait le dire tout de suite ! C’est ton disque dur ! Ben, voilà, faut juste dire les mots, mon cerveau fait le reste !

 

Deux paires d’yeux luminescents me regardent fixement avec une sorte d’incrédulité. Les opuscules se mettent à danser autour de nous en une sarabande joyeuse et surprenante. Je ne sais pas ce que cela signifie, mais bon, si ça peut leur faire du bien ! Whouna a un sourire éclatant et la liesse autour de nous s’intensifie. Je ris à mon tour. Tiana secoue la tête tout en souriant et laissant sa main entourer certains opuscules comme s’il les caressait. Whouna se calme, mais son sourire reste lumineux et ample.

 

-        C’est assez juste.

-        Tant mieux. Mais je ne vois pas comment je peux y entrer.

-        C’est là que les problèmes peuvent surgir, Gente Dame Vera. Pour y parvenir vous devrez pénétrer dans l’espace α qui s’assimile souvent à un canyon. Cet espace est particulièrement périlleux et très protégé. Nul, à part Whouna, ne peut y pénétrer.

-        Mais… alors comment le pourrais-je ?

-        Vous avez la possibilité, parce que celui qui interfère dans l’énergie vitale de Whouna est humain.

-        Comme sept milliards d’individu sur Terre ou à peu de chose près ! Et si cet « humain » peut y entrer, c’est qu’il est super doué, chose que je ne suis pas.

-        Tu as un atout, moi et les nôtres, ma petite Vera.

 

Je regarde Whouna. Je ne sais pas qui il englobe dans les nôtres, mais cela me touche.

 

-        D’accord ! Je vais y aller, mais… Vous croyez que c’est un hacker ?

-        Un hacker, Gente Dame Vera ?

-        Oui… Je ne sais pas au juste ce que c’est, mais… si Whouna est comme une sorte de gigantesque ordinateur et s’il bugue de temps en temps, alors l’humain peut être quelqu’un qui sait manier l’ordinateur et la toile Internet d’une manière exceptionnelle.

-        Mais si mes informations sont bonnes, ma petite Vera, les ordinateurs sont pratiquement tous reliés les uns aux autres via Internet. Ce qui n’est pas mon cas…

 

J’ouvre la bouche !

 

-        Wep ! Tu as raison, Whouna ! Je n’avais pas pensé à cela. Mais alors, le mystère s’épaissit, comment a-t-il fait pour arriver jusqu’au noyau-même de toi-même si tu me dis que tu es le seul à pouvoir le faire et que la majorité meurt ou disparaît s’il tente de pénétrer là ?

-        C’est le quid de la question, Gente Dame Vera.

-        Mais, vous êtes certain que personne, depuis… enfin depuis le temps n’a pas pu vous… hacker d’une manière ou d’une autre ? Ou si vous préférez arriver jusqu’à vous ? Je veux dire une personne de confiance à qui vous auriez donné une clef de sécurité pour arriver jusqu’à vous si quelque chose arrivait.

-        Je ne vois pas le rapport, ma petite Vera. Je n’ai pas de « clef » qui m’ouvre…

-        En fait, je veux dire que souvent on donne une clef de sécurité de chez soi, au cas où on perdrait la sienne ou quelque chose comme ça. On la remet à une personne de confiance au cas où !

-        Etrange pratique, Gente Dame Vera.

-        J’imagine que vous n’avez pas de souci à entrer partout, les fées.

-        Nous avons certaines facilités, il est vrai.

-        Muoui, j’imagine bien… Alors ?

-        Je ne vois pas, quoi que l’idée ne soit pas mauvaise.

 

J’observe du coin de l’œil un mouvement au loin, le long du rivage. Je ne sais pas bien ce qui m’a attiré, sauf que j’ai l’impression de reconnaître la démarche, sinon la personne. Pourtant on ne peut pas dire que l’endroit respire la passivité. Il y a des mouvements partout, c’est un peu comme un gigantesque hall d’aéroport ou de gare avec tellement d’allées et de venues qu’on finit par ne plus rien voir. Et pourtant, c’est tellement serein et apaisant. C’est comme le fourmillement de la vie, mais sans sa frénésie et sa violence indisciplinée. Un mouvement de musique ? Oui. Peut-être est-ce cela aussi. La silhouette se rapproche et s’éloigne de nous presqu’en même temps. C’est… bizarre ! Et puis, je la reconnais.

 

-        Flidais ?

-        Oui.

-        Mais… que fait-elle ici ?

-        La même chose que beaucoup. Elle cherche.

-        Quoi ?

-        Quelque chose de primordial.

-        Pour elle ?

-        Non. Du moins, pas directement. Pour Lucifer.

-        Lucifer ?

-        Mais enfin, pourquoi ? Je veux dire… Une Déesse celte qui veut quelque chose pour un Ange déchu de la Chrétienté ? Et quoi ? Ils sont tellement… différents…

-        Elle veut l’aider.

-        A quoi ?

-        A redevenir lui-même.

-        Je ne comprends pas.

-        C’est le pourquoi de leur venue ici, ma petite Vera. Chaque être cherche et parfois trouve.

 

Je ne dis rien. Elle m’avait bien dit à notre dernière rencontre - j’aime autant ne pas m’en souvenir, merci ! – que Lucifer avait une dépression qui durait depuis deux mille ans. J’ai supposé que c’était une blague divine, mais… en la voyant ici, je me demande…

 

-        Les Dieux et autres déités, ainsi que les anges et autres ne font pas les clivages que vous faites. Ils coexistent, avec votre foi ou pas. Ils sont réels…

-        Je… Tu veux dire qu’à partir du moment où nous les avons évoqués et leurs avons donné une existence, une réalité, ils restent « vivants » ?

-        C’est une hypothèse qui confine à ce que toutes les hypothèses font, émettre une vérité ou un semblant de vérité.

-        Wep ! Tout ça me dépasse un peu…

 

Je regarde en plissant les yeux la superbe femme qui fait ce qu’elle doit faire et je commence à la trouver sympa ! Bon, je sais, ça craint un max, mais moi les mouvements solidaires, ça me branche pas mal ! Je reporte mon regard sur Whouna. Wouh ! Il a une sorte de spasme et je m’inquiète aussitôt. Un bugue, ici ? Nous ne sommes pas en sécurité ?

 

-        Nous le sommes. Ma sensibilité est plus accrue ici et je réagis plus violemment. Il est temps de rentrer.

-        Ça sonne comme une retraite ! Il y a le feu ?

-        Non, ma très chère Vera !

-        C’est juste une expression…

-        Je la connais. Disons qu’il convient que nous revenions. Mana semble avoir quelques soucis.

-        Ah ! Ça c’est mortellement flippant ! Si Mana ne s’en sort pas… Allons-y !

 

 

38.

 

            Le miroir vient de m’éjecter de la même façon qu’il m’a absorbé, sauf que le paysage dans lequel je me retrouve, c’est franchement Bagdad après le passage de l’armée américaine la première et la seconde fois. Bon sang ! Qui a foutu en l’air ma véranda ? Et mon hamac et… Je pousse un petit rugissement. Je sais ! Pas très féminin, mais Nom de Dieu ! C’est « ma » véranda ! John et Mikaïl me cernent de près.

 

-        Ça va, ma féline ?

-        Mon amour, comment te sens-tu ?

-        QUI A FOUTU EN L’AIR « MA »VERANDA ? JE VAIS TE L’ETRIPER, TE LE TORCHER, TE LE… Bougre de bachibouzouk !

 

Un grondement affolant résonne de telle manière que la maison tout entière frémit comme atteinte d’une crise d’épilepsie ! C’est quoi ça encore ? Si la chose continue comme ça, on va avoir l’armée en plus des policiers !

 

-        C’était quoi ça ? Il y a un tremblement de terre en Belgique ? C’est pas un peu étrange, ça ?

 

Un autre rugissement retombe dans l’espace et partout. Wouh ! Flippant !

 

-        C’est Glorios, ma très tendre…

-        Glo… oh, merde !

 

Je viens de comprendre. Il s’est transformé en yengo. Et merde !

 

-        Mais enfin… j’étais avec Whouna et Tiana et… puis on n’est pas parti si longtemps que ça, non ?

-        Sept heures et dix-sept minutes…

-        Oh, merde !

 

Je regarde la pièce dévastée, puis me tourne vers eux.

 

-        Vous allez bien ?

-        Oui.

-        Il faut qu’il arrête le boucan…

-        Mana a créé un champ de force énergétique qui isole la maison du reste des autres dans le quartier.

-        Ah !

-        Mais il ne va pas pouvoir tenir encore bien longtemps et nous n’avons pas la capacité de…

-        Moi oui !

 

Nous nous tournons vers Whouna qui est redevenu humanoïde. Tiana est près de lui.

 

-        Je peux également renforcer le champ. Mana et moi avons une synergie similaire.

-        Je… merci !

 

Je file vers le jardin, m’attendant au pire. Qu’est-ce que je vais dire à Monsieur… si le jardin est dans le même état que la véranda ? Il ne va jamais croire qu’un typhon est passé justement par mon jardin ce soir ? J’entends vaguement John et Mikaïl me dire de ne pas y aller, qu’ils s’économisent, j’irai où bon me semble et encore plus si c’est de Glorios qu’il s’agit ! Bon sang, il ne devrait pas se changer en yengo, ils ne sont pas autant que cela pour se le permettre et à chaque fois qu’il se transforme, l’énergie commune utilisée le débilite lui et les autres. Dans son cas, c’est encore pire, puisqu’il est le « père » d’eux tous, la base existentielle et animique du yengo. Dès que j’entre dans le jardin, j’ai le cœur en lambeaux. Je m’attendais à la dévastation, mais ce qui me détruit, c’est de voir mon Glorios dans un tel état. Il est totalement trempé de sueur, ce qui m’indique mieux que le reste qu’il est sous cette forme depuis trop longtemps.

 

-        Six heures dix-sept minutes !

-        Bon sang ! C’est inhumain ! Il faut qu’il change et vite.

 

Je vois Mana émettre dans une tonalité particulière une sorte de chant ritualiste. Whouna vient se placer dans un coin du jardin dévasté et pousse une série de filins énergétiques qui viennent recouvrir celui de Mana. Tiana vient se placer près de Mana et commence un rituel légèrement différent, mais qui s’harmonise directement avec celui de Mana. Glorios se tord de douleur en hurlant de plus en plus fort. Ses cris sont déchirants au point de me crever les tympans ! S’il y a une chose que je ne supporte pas ce sont les cris ! Ça me casse complètement la tête ! Ni une, ni deux, je fonce vers l’énorme bête dentue, poilue et splendide et m’arrête juste devant elle. Les yeux de mon amour virevoltent partout de manière elliptique et hystérique, ce qui ne doit pas l’aider à voir grand-chose alors qu’il a une acuité visuelle encore plus précise et ample que les garous et c’est peu de le dire !

 

-        Maintenant, ça suffit, Glo ! Je pars quelques heures et c’est tout ce que tu trouves à faire ! Merde, quoi ! Je ne peux pas vous laisser deux minutes seuls ou quoi ? Enfin ! A votre âge, vous devriez tout de même savoir vous tenir dans le monde ou non ? ET, regarde-moi quand je te parle ! Et tu arrêtes de crier, ça me fout la hargne !

 

L’immense bête de plus de trois mètre d’envergure vrille son regard incandescent sur moi. Il s’écroule à mes pieds en soufflant fortement. Ses yeux redeviennent ceux de Glorios, si bleus, si clairs, si lumineux avec des bords changeants qui sont envoûtants et magnifiques. Soudain, je perçois un silence étrange autour de moi. Tous me regardent fixement. Ben quoi ? C’est Glorios et il a merdé ! Normal que je l’engueule, non ? Glorios pousse une sorte de soupir qui soulève ma jupe à hauteur de mes cuisses. Espérons qu’il ne ventile pas, je vais y perdre mes vêtements à ce compte-là ! Subtilement, il recouvre peu à peu son envergure humaine. Le mouvement est élégant et semble facile. Je distingue plusieurs formes qui se superposent les unes aux autres dans le processus de changement. Je suppose qu’il s’agit de ses autres natures et essences. Bientôt, il est là, à mes pieds, nu, tremblant et trempé. Je m’accroupi pour être à sa hauteur. Je me laisse tomber ensuite et le prend contre moi.

 

-        Tu vas bien ? Je suis là. Tu peux pas m’faire à chaque fois le même coup, j’peux pas t’voir souffrir comme ça…

 

Il me serre contre lui et je nous berce doucement.

 

            Une demi-heure plus tard, nous sommes dans la salle à manger qui jouxte le jardin. Glorios aidé de John sont partis dans la chambre pour que Glorios se douche et s’habille. Mikaïl est parti nous chercher quelques rafraichissements et quelque chose à manger pour tous, un repas plus substantiel pour Glorios, bien qu’il ait besoin de sang frais pour se remettre complètement de sa transformation. Je tiens à le lui proportionner. Encore une discussion en cours, mais c’est peut-être pas le soir ! Je regarde le jardin dévasté et les parterres de fleurs et de plantes si amoureusement ouvragés par Monsieur Gaston. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui dire ? Tiana se tient près de moi. Je ne l’ai pas senti jusqu’à une seconde.

 

-        Si vous le voulez bien, je peux remettre en état votre jardin, Gente Dame Vera !

 

Je me tourne vers lui.

 

-        Vous pouvez ?

-        Je suis un Fae ! Nous sommes part de la Nature au plus stricte sens de la parole !

-        Ah oui ! Je sais un peu de cela… Mais si vous êtes de la Cour d’Hiver et que nous sommes pratiquement au printemps.

-        Mon statut fait de moi un Fae des quatre saisons…

-        Comme Vivaldi ?

-        J’aimerais avoir le talent et l’ingéniosité de ce Maître d’Art, mais merci de votre compliment. Ma capacité me permet d’interférer sur la Nature à certains degrés …

-        Ah ! Pour remédier à ce désastre ?

-        Oui.

-        Je… je serai votre débitrice ?

-        Je le suis de vous et le resterai compte-tenu ce que vous vous apprêtez à faire pour Whouna, mon père. Ceci n’est qu’un modeste présent pour me dédommager et je souhaite vivement que vous l’acceptiez.

 

Je plonge mon regard dans le sien. Il respire l’honnêteté et la franchise. Alea jacta est !

 

-        J’accepte…

 

 

39.

 

            Tiana reste parfaitement immobile. Il lève ses mains lentement. Son visage est fermé, verrouillé sur quelque chose qu’il est le seul à savoir. Un léger déplacement d’air me fait reporter mon regard sur le désastre des parterres et autres arbustes. Quelle pitié ! Doucement un léger halo luminescent entoure chaque végétation que j’ai sous les yeux. Les fleurs se redressent, les tiges se renouent, la terre redevient meuble si elle l’était avant, en friche autrement. Les arbustes reprennent forme et volume. J’ai l’impression d’entendre chaque soupir végétal comme une gratitude assourdie. Je me tourne vers Tiana qui est toujours aussi statique, sauf pour les mains qui sont entourées d’une lumière blanchâtre et chaude. J’ai la gorge nouée. Les parterres redeviennent comme ils étaient, mais plus beaux encore. Chaque brin de gazon est revitalisé, les trous de la terre rebouchés et égalisés. Le jardin de Monsieur Gaston reprend sa splendeur d’avant avec quelque chose en plus, un supplément d’âme. Je ne peux pas trouver meilleure expression. Les larmes me viennent aux yeux. J’ai le sentiment d’’assister à la création de la Nature, au début des temps, à la naissance absolue de la Vie. C’est si puissant que j’ai l’impression que c’est mon corps qui participe aussi de cette renaissance. On parle tant de destruction de la nature, de pollution, de choses si terribles et si monstrueuses et là… J’ai sous les yeux toute la magnificence de la Vie et… J’ai mal à la beauté ! C’est si bon et si… Trop ! Tiana unit ses mains et psalmodie une étrange mélopée sublime qui me déchire. Soudain des petits insectes apparaissent. Ce sont comme des papillons, mais si étranges…

 

-        Des fées clochettes ?

 

Tiana a fini son chant et se tourne vers moi. Il est si extraordinairement et « insoutenablement » magnifique que j’ai peur d’avoir une conjonctivite aigue tout à l’heure ! Il me sourit et je cligne des yeux rapidement. Définitivement le soleil ne peut être que jaloux de lui !

 

-        Ce sont des Faes de jardins.

-        Ça existe ?  Elles doivent connaître super bien Monsieur Gaston.

-        C’est probable.

 

Les fées tourbillonnent au-dessus des corolles de fleurs, sur le gazon, sur les arbustes et autres végétaux. Je m’attends à voir une petite poussière dorée s’échapper d’elles, mais en fait, je ne vois pas grand-chose, sauf cet étrange ballet et une certaine brillance dorée qui les entourent comme une aura subtile et pulsante.

 

-        Que font-elles ?

-        Elle dépose des baisers d’amour pour effacer la destruction dont elles ont été victime.

-        Ah ! C’est comme un engrais spécial revitalisation ?

-        Quelque chose comme cela…

 

Tiana a une brève lueur amusée dans les yeux ainsi qu’un sourire qui m’emplit de tendresse. Je rougis violemment avant de reporter rapidement mon regard sur la danse caracolant des fées. C’est tellement bizarre, mais magique que je comprends soudain ce que sont aussi des fées. Laurell K Hamilton dans sa série Merry Gentry, Patricia Briggs dans sa série Mercy Thompson et d’autres romans ont bien raison de parler d’eux comme elles le font, mais je sais, je sens que ce que je vois ici est une grand part de la nature des fées. Je ne sais pas quoi dire, sauf que…

 

-        Merci…

 

Une sorte d’arrêt sur images se fait dans la maison, preuve que tout le monde à l’oreille aux aguets. Je devrais y être habituée depuis le temps, ce n’est pas le cas. Dommage pour moi ! Mais tant pis ! Je le pense sincèrement. Tiana a mérité mon merci et encore plus, parce qu’il a fait quelque chose de merveilleux pour moi et pour Monsieur Gaston. Il aime tant les jardins, les plantes, tout ce qui a trait à la nature que je n’aurais pas pu supporter de le voir malheureux. Tiana se penche sur moi, ses yeux resplendissants me regardent longuement comme s’il essayait de voir au-delà de moi, dans mon âme-même. J’espère que c’est infaisable un machin pareil, je ne suis pas certaine d’apprécier vraiment. Je sens une certaine chaleur se diffuser en moi comme une brise caressante et bienfaisante.

 

-        Vous êtes une Felidas et une Gardienne des Etres Simples.

-        Des êtres simples ?

-        Nous appelons ainsi ceux qui aiment la terre, la nature pour elle-même et la travaille avec dextérité, respect et constance.

-        Et vous pensez que parce qu’ils sont des travailleurs manuels, ils sont des êtres simples ?

-     &

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Commentaires
C
J'adore toujours autant le personnage de Whouna, surtout le passage fantastique où tu le fais découvrir pour la première fois au lecteur. Et je suis toujours autant fascinée par la fertilité intarissable de ton imagination !
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