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De escritura à écriture
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28 mai 2021

Bonsoir, J'avais envie d'écrire une histoire

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Bonsoir,

J'avais envie d'écrire une histoire légère, agréable, avec des personnages aimables, une bleuette, en somme. Et c'est cela. Sur fond d'une lève-tôt, un mec super sympa malin et d'un environnement propice, l'intrigue se déroule avec facilité. Juste pour le plaisir d'écrire quelque chose qui ne mange pas de pain. J'espère que cela idem pour vous à la lecture! Donc... Bonne lecture! 

 

Le matin, je me lève                          

 

1.

            Je me lève toujours à l’avance. J’aime. Le matin, c’est un moment privilégié. Le jour se lève, nuageux ou pas. Il y a ce silence, cette solitude, ce souffle qui semble en stand-by et puis savoir qu’il y a devant soi une journée entière pour faire pleins de choses. J’ouvre la fenêtre, j’ai mis mon peignoir super doux et moelleux, comme une peluche vestimentaire et je vais sur la terrasse.  Il n’a pas plu cette nuit. Le sol est sec. J’aime marcher pied nu. Le sol est froid, mais pas suffisamment pour me convaincre de ne pas le faire. Je m’étire et mon peignoir s’ouvre. Je dors à demi nue. Juste un fin body qui me couvre les seins et le ventre et un shorty. J’aime être à l’aise. Avant je dormais nue, mais un jour, mon peignoir s’est ouvert et un vieux libidineux m’a vue à travers des jumelles. Je l’ai vu, parce qu’un rayon de soleil s’est miré dans les lentilles. Soleil délateur ! Le soleil est là et bientôt il me baigne de sa luminosité. J’adore. Je laisse qu’il me réchauffe et m’éveille à sa vitalité. Je ploie un peu le dos, je lève mon visage. Mon peignoir s’ouvre plus et j’entends un sifflement. Je redescends sur terre. Je regarde partout, mais je ne vois personne. Ça vaut la peine de vivre au sixième avec un second style penthouse où j’ai ma chambre pour encore avoir des voyeurs. Je rentre dans la chambre et pars à la salle-de-bain, autant aller au boulot. J’ai quelques dossiers à traiter. Je prends une blouse que j’ai achetée et l’enfile, mais je vois tout de suite que mes seins sont trop serrés, ce qui rend la chemise obscène comme cela. Je ne peux pas la porter et encore moins au travail, surtout avec Lerbert qui est libidineux et totalement obsédé par le sexe. Même vêtue de bure, il trouverait le moyen de se sentir émoustillé. J’ai toujours une furieuse envie de lui envoyer mon genou entre les jambes, histoire de réduire sa libido exacerbée. Je prends une autre blouse qui est passe-partout et me couvre parfaitement. Il réduit mes seins, ce qui est appréciable dans ces circonstances. J’ai une poitrine ronde et lourde et des vêtements trop près d’eux tend à rendre mon buste trop visible et limite vulgaire, ce que je déteste. Je me regarde dans le miroir, tire sur les pans de ma jupe, sur ma blouse. Parfait ! Heure de me rendre à mon turbin.

 

 

 

 

2.

 

            Je marche toujours d’un bon pas quand je suis dans l’entreprise. Je n’aime pas m’attarder dans les couloirs, d’autant qu’il y a toujours quelqu’un pour m’arrêter et me parler de choses qui ne m’intéressent pas vraiment. Je ne suis pas asociale, entendons-nous bien, mais je n’aime pas perdre mon temps avec des oisifs afférés qui pensent que m’entretenir de propos vide de sens me seraient agréable d’entendre. Je reste polie, leur donne quelques minutes, puis prend n’importe quel prétexte pour les quitter. Normalement à cette heure je ne risque pas de rencontrer ces fâcheux, ce qui est un bon encouragement pour venir si tôt, l’autre est que je suis du matin. J’adore ce moment où je peux me concentrer sans entendre les bruits que font immanquablement mes condisciples. J’arrive dans mon bureau. J’aime qu’il soit limite spartiate, même si j’ai placé quelques éléments persos comme deux cadres de photos que j’ai faites il y a longtemps. J’adore faire des photos, mais ces derniers mois, je n’ai pas le temps de flâner pour cela. Je me suis auto-proclame « chasseuse de photos ». Maintenant je devrais ajouter « en stand-by ». Ces deux photos sont des fragments de paysages qui ont attirés mon regard de par leur beauté naturelle et aussi l’éphémère moment puisqu’elles rayons de soleil leur donnait cet air un peu surnaturel aussi. Mon regard se centre sur elles quelquefois lorsque je suis en plein concentration d’un nouveau projet, c’est comme une encre, un pensum, quelque chose qui m’aide. Cela me détend à d’autres moments. Ou bien un talisman certaines fois. Elles sont nécessaires pour moi. Un jour une de mes collègues a pris une pour mieux la voir et la placer ailleurs que l’endroit où stratégiquement je les ai mis. Cela m’a agacé et dès qu’elle est partie je l’ai remis à sa place. Je déteste les gens qui ont si peu le sens de l’observation et qui n’ont aucune considération. Celle-là est un bel exemple, aussi je préfère me déplacer à son bureau que la laisser venir dans le mien, elle me pollue l’air.

            J’ouvre mon PC, accroche ma fine veste de demi-saison, puis me prépare un petit expresso. J’ai ma propre machine, ce qui m’évite d’aller en chercher ailleurs dans l’entreprise où au dehors. Je m’installe, met derrière mon épaule ma longue queue de cheval. Mes cheveux sont naturellement lisse, ce qui fait l’envie et l’admiration de certaines ; Pour moi, c’est du normal, naturel, habituel. Je bois une gorgée odorante. C’est absolument divin. J’aime boire de toute petites gorgées pour bien savourer ce nectar. La porte s’ouvre d’un coup, je sursaute et le café tombe sur ma blouse qui très vite s’imprègne du liquide déjà tiédi et rend le tissu un peu transparent.

 

-          Oups ! Désolé ! Je ne voulais pas…

-          Lerbert ! Avant d’entrer dans mon bureau, on frappe le battant et on attend que la personne invite à entrer.

-          Oui, je sais, mais je pensais qu’il n’y avait personne.

 

Mensonge ! Cette racaille postulent a dû me voir arriver et faire cette entrée fracassante.

 

-          Sortez ! Maintenant !

 

Il voit mon visage glacial et fermé et sort sans demander son reste ! Imbécile, crétinisé du bulbe ! Encore un dégât dû à cette enflure. Il va me payer le nettoyage, même si je le laverai chez moi. Il me le doit ! Je sors du bureau. Je vais essayer de réparer un peu les dégâts, puis mettrai une nouvelle blouse. J’ai toujours des vêtements de rechange, heureusement.

 

 

 

3.

 

            Je frotte la tache sur le chemisier, mais je n’ai pas l’impression que j’enlève quoi que ce soit. J’ai plus l’impression d’étaler la tâche. Ceci dit… il vaut mieux que je cesse de…

 

-          Ce genre de tache est tenace, vous devriez le donner au lavage à sec…

 

Je sursaute et réussi à étaler plus de savon et d’eau sur celle-ci et à ouvrir plusieurs boutons d’affilé, ce qui me laisse pratiquement les seins à l’air. Je laisse tomber le torchon et les mains mouillées, resserre les pans qui n’arrivent à rien. De ce fait, je mouille mon soutien qui devient transparent. L’homme que je ne connais pas regarde la manœuvre, ne perdant rien de mon buste. Je rougis furieusement. Il attrape quelques serviettes en papier placé là à notre disposition. L’entreprise n’aime guère les dispensateurs d’air pour se sécher les mains. J’avoue que je ne les aime pas. Je finis par couvrir tant bien que mal mes attributs et regarde l’homme que je ne connais pas. Je l’ai plutôt mauvaise.

 

-          Je suis désolé de vous avoir surpris…

-          Ne le soyez pas, il semble que cela soit le jour des surprises pour moi !

 

L’homme plisse les lèvres et me sourit document.

 

-          Je vais vous laisser et j’irai ailleurs…

 

Je ne dis rien, serrant les lèvres. L’idée de mettre des toilettes mixtes me semble le pire actuellement et je n’ai vraiment pas envie d’être ni sympa ni agréable. L’homme hoche la tête, regarde mes mains pressant mes seins et sort. Je ne sais pas qui c’est et vraiment je m’en fous, mais ce qui est vrai… c’est un très bel homme. Haute taille, corps en excellente forme d’après ce que laisse entrevoir son costume de bonne facture, un visage carré, mais avec deux fossettes aux joues, des yeux couleur chocolat tendre, des lèvres pleines et bien ourlées, de fines ridules aux yeux et aux coins des lèvres. Un bel homme, mais pour l’instant, il peut être le plus bel homme du monde, je m’en fous. Je suis très remontée et j’espère une chose, arriver à mon bureau et me changer. Quelle chienlit !

 

 

 

4.

 

            Un bref coup sur le battant et la porte s’ouvre. Marina, mon bras droit.

 

-          Oh ! Lerbert ?

-          Oui. Il est entré sans frapper et mon café m’a éclaboussé.

-          Tu ne vas pas la récupérer comme cela. Change-toi et je te la lave ce soir.

-          Si quelqu’un peut la récupérer, c’est bien toi ! Si tu n’y arrives pas, ne t’inquiètes pas. Ce n’est pas ne de mes préférés.

-          D’accord. Change-toi, je te prépare un autre café.

-          Quelle heure est-il ?

-          Ne t’inquiète pas, tu as le temps. Il te reste 35 minutes avant ton rendez-vous avec Jobert.

-          Bien ! J’aurais bien besoin d’une dose de caféine avance rendez-vous et pour me remettre de ma rencontre inespérée avec cet abruti !

-          Oui. Vas-y !

 

Je me dirige vers une petite armoire que j’ai ajouté dans mon bureau où je garde sous clef certains effets personnels. Je n’ai pas trop confiance en des individus comme Lerbert qui serait bien capable de me faire une de ces blagues qu’il trouve désopilante et qui sont surtout horripilantes. Je prends une nouvelle chemise, j’arrache l’étiquette. Très fonctionnel et passe-partout, mais elle fera l’affaire. Je me récompense le chignon lâche avant de reboutonner celle-ci. Quand je lève le regard, Marina me regarde en souriant. Elle est bisexuelle et je sais que si je voulais, elle serait partante pour une relation plus intime. Mais je ne suis pas intéressée par les femmes, pas contraire, je crois que l’on tombe amoureuse de quelqu’un pas d’un genre sexuel. Je n’ai jamais eu de ce type, je ne peux pas dire si je suis homosexuelle, bisexuelle ou autre. Je n’ai eu que des relations masculines et pas trop satisfaisantes. Pas du point de vue sexuel, d’ailleurs, mes amants étaient à la hauteur, mais comme personne, ce n’était pas le cas et je privilégie cela. Le sexe… je suis toujours ouverte à être plus… performante, si cela doit être le cas. Ce n’est pas un sport, même si quelquefois j’ai las sensation que c’est comme cela que les gens le considèrent. Un mélange des deux peut-il être satisfaisant ? Je n’ai pas le temps de penser à cela.

 

-          Un point sur les dossiers en cours les plus pressants ?

 

Je goute ce premier café du jour, il a la saveur du bonheur gustatif.  Marina me met au courant des points forts de ceux-ci. Je cale sur l’un d’eux.

 

-          Le dossier AloAction, je ne le sens pas.

-          J’ai vérifié, ils sont solides financièrement.

-          Sans doute, mais il y a quelque chose qui ne me convainc pas.

-          Jobert l’apprécie et est partant pour un partenariat.

-          Oui, c’est bien le problème. Tu as le dossier avec toi.

 

Elle le cherche parmi ceux qu’elle a sur ses genoux et me le passe.

 

-          Il y a une copie dans ton ordinateur, tu peux aussi le visionner par là.

 

Je le passe en revue rapidement. Ma mémoire photographique retient très facilement les points d’un dossier. Un bref regard sur ma montre de poignet me dit qu’il faut que je bouge chez Jobert, un des chefs de mon département et un des trois principaux actionnaires de l’entreprise. Je monte rapidement les deux étages. Je suis assez sportive et j’essaie toujours de me mouvoir. Sédentaire n’est pas quelque chose que j’apprécie particulièrement, de fait, souvent, je travaille en me promenant dans mon bureau, ce qui m’aide. Quand je n’ai pas l’inspiration, je pars dans la cage d’escaliers et je cogite tout en montant et descendant l’escalier. J’ai ma tablette avec et quand j’ai une idée, je l’écris assise sur les marches. Jusqu’à présent, à part Marina, personne ne sait de cette particularité. J’arrive devant la porte. Je hais Jobert, c’est un vieux beau fat et très imbu de lui-même. Il se prend pour un modèle, alors qu’il est répugnant. Je sais qu’il achète les attentions de certaines de ses stagiaires quand il en a. Il n’insiste jamais, du contraire, il m’aurait eu su le dos et j’aurais appuyé un procès contre un harcèlement sexuel. Il est malin et sait aller toujours jusqu’à une certaine limite. Un jeu dangereux, mais son épouse ferme les yeux, en fait, je crois que cela l’arrange qu’il aille voir ailleurs, ça lui permet de faire pareil, discrètement et de ne pas répondre à ses devoirs matrimoniaux. Si c’est bon pour eux et si ça se passe entre adultes consentants en grandes parties, je n’ai rien à dire sur la question. Je frappe sur le battant.

 

-          Entrez !

 

 

 

 

5.

 

            Jobert a le regard fixé continuellement sur mon buste. Il écoute attentivement ce que je dis. Au début, je pensais qu’il n’écoutait pas, trop subjugué par mes seins, mais je l’ai mis à l’épreuve en glissant abruptement dans la présentation du projet que je lui exposais ce jour-là une partie de ma liste d’achats. Il m’a regardé dans les yeux fixement et m’a dit :

 

-          Tu es certaine que ces éléments doivent faire partie du projet ?

 

J’ai donné n’importe quelle excuse et continuer comme si de rien n’était, mais je me le suis tenu pour dit.  J’achève d’exposer le projet que j’ai fini hier matin et attends le verdict. Il soupire profondément et à dure peine relève les yeux pour me regarder vaguement au visage. J’ai encore des doutes sur ce client, mais si Jobert l’aval, je n’ai plus rien à dire. J’ai déjà tenté avec d’autres clients et mal m’en a pris. Il semble que Jobert a ses propres informations ou ses propres objectifs par rapport à certains clients, indépendamment de l’étude exhaustive et précise que je fais toujours avant de monter un dossier sur eux.

 

-          Comme toujours parfait. Tu peux le remettre au service marketing pour qu’il mette sur pied la campagne. Toujours pas intéressée à un petit week-end dans ma villa du sud-est ?

-          Toujours pas.

-          Dommage. C’est vraiment une très belle villa.

-          J’en suis certaine et dès que tu me montreras une vidéo de celle-ci, j’en serais totalement convaincue.

-          Tu es dur.

-          Le monde des affaires m’a endurcie.

-          Foutu monde !

 

Je souris sans rien dire. La joute verbale est presqu’identique à chaque fois. Je me relève sans faire un geste pour baisser ma jupe, ni remettre mon chemisier dans un meilleur ordre. Cela ne fait qu’exacerber son regard et sa libidinosité. J’arrive à la porte, sentant son regard fixer sur mes fesses avec insistance. Un vrai porc ! Et mes plus plates excuses à ces derniers !

 

-          Oh…

 

Je me retourne, le battant déjà entrouvert.

 

-          Demain Jérôme Dormond travaillera avec toi. Il a un bureau près du tien. Vous serez deux sur les projets en cours et ceux qui viendront.

-          Et qui est ce monsieur ?

-          Un bon travailleur qui est un atout pour notre entreprise. Je sais que vous ferez du bon boulot ensemble. Il est très ponctuel et donc il arrivera dans ton bureau à 9 heures précises, heure à laquelle il commencera la journée. Pour le reste vous voyez ensemble.

 

Je hoche la tête. Voilà autre chose ! Inutile d’argumenter, la décision est prise, à moi de m’en accommoder. Répugnant pourceau !

 

 

           

 

6.

 

            Je regarde par la fenêtre de mon bureau. J’ai besoin de ce moment à voir la rue peu fréquentée et les maisons alentour. Un endroit tranquille et intéressant surtout parce que l’on peut se parquer. Cela semble un détail sans intérêt, sauf lorsqu’on est dans la capitale.

 

-          Ah, tu es là… ça va ?

 

Je me tourne vers mon bras droit.

 

-          Oui. J’ai juste besoin d’un moment.

-          Comme toujours…

 

Elle lève les yeux en l’air d’un air entendu.

 

-          Nous allons avoir un nouveau collègue.

-          Un nouveau collègue ?

-          Oui. Jérôme Dormond. D’après Jobert, il serait un bon travailleur et un atout pour l’entreprise.

-          Ah, si c’est un atout, alors bienvenue dans l’équipe.

 

Elle a ce sourire malin qui me dit qu’elle va investiguer ce Jérôme à fond. Elle a le flair d’un vrai limier et s’il s’agit d’un « protégé » de Jobert, plus encore. Elle appelle le Petit C. Je n’ai jamais su si c’était pour « con » ou « chef ». Il est l’un et l’autre, mais je ne suis pas prête à le dire à voix haute.

 

-          Il viendrait demain matin à 9 heures exactement. Il semble qu’il soit très ponctuel.

-          Un point commun.

-          Comment ?

-          Un point commun avec toi.

-          Oui et non, j’ai tendance à arriver en avance et même assez bien en avance.

-          Oui. Sauf si c’est important que tu sois strictement ponctuelle.

-          Oui. Il va falloir lui trouver un bureau.

-          Il n’y en a pas de libre, mais ton bureau est assez…

-          Non ! On peut installer un bureau dans notre salle commune.

 

Elle fait la moue. Il s’agit d’une pièce pas trop petite qui aurait pu être utiliser comme archives, mais que nous avons transformé en un espace de détente ou de salle à manger ou de déjeuner… bref de ces moments qui sont nécessaires à certains moments de la journée.

 

-          Vraiment de vrai ?

-          Oui. Demande au personnel de maintenance et celui d’informatique d’apporter le nécessaire au plus tôt. Merci.

 

Elle me fait un salut militaire. Elle fera le nécessaire et demain Jérôme Dormond aura son propre bureau. Pour le reste, je verrai avec lui. J’ai suffisamment de dossiers en cours pour qu’il soit un partenaire adéquat et utile. Jusque-là, je dois continuer avec le dossier présenté à Jobert pour le clôturer et le mettre sur pied. Tout un plaisir, d’autant que le client est vraiment désagréable et difficile, du style à donner des migraines après une réunion avec lui. Mais je m’en remettrai, d’autant que ce n’est pas le seul, ni le dernier avec lequel je vais devoir traiter.

7.

 

            L’aube est sur le point de poindre. Nous sommes encore en hiver, même si le printemps apparait déjà par touche. J’adore me lever et voir comme le ciel change, passant d’une obscurité assoupie à des éclaircissements de plus ne plus intense. Des fois il y a du soleil et ce lever est spectaculaire. Je reste fascinée à voir comme la boule incandescente s’élève dans le ciel bleu du matin. Quand il y a des nuages, surtout ces conglomérats grisâtres qui sont l’apanage du ciel belge presque toute l’année, c’est aussi très fascinant. Le gris change de teinte selon la clarté et prend toutes ces nuances que chante admirablement Jean-Jacques Goldman « Entre gris clair et gris foncé ». Puis de temps à autre, il y a des figures qui se dessinent, vaporeuse, dansantes, changeantes, s’étirant, s’effilant ou s’unissant pour faire un bloc compact et faussement solide. J’adore les matins, tous les matins et c’est un plaisir très particulier d’être là, seule face à cette immensité changeante et mouvante. Je prends ce premier café qui est comme un bonheur liquide. Je sens que je deviens la femme que je vais être toute la journée. Il est temps de me préparer. Je veux être là pour me préparer à recevoir ce collègue qui est « un atout pour l’entreprise ». 9a me stresse, mais je n’ai pas le choix. Autant en prendre mon parti et de voir ce que je peux sauver de cette situation imposée.

            J’arrive avec trois-quarts d’heure d’avance. Les bureaux sont vides, silencieux et j’aime ce moment où l’entreprise est en stand-by. Je respire ce qu’elle essaie d’être ne journée, alors sue là, c’est juste un grand espace aménagé en bureaux, open space et autres pour accueillir ce qui devrait être une famille allant dans le même sens, alors que nous ne sommes que des occupants qui s’occupent de gagner leur pain et aussi et surtout celui de ceux qui possèdent l’entreprise. Tout est comme il faut. Je crois. Je prends ce premier café ici et je le savoure regardant par la fenêtre de mon bureau qui donne sur une rue perpendiculaire à une grande avenue, avec un espace de parking assez conséquent et aussi des points de verdure. C’est un bel immeuble, pas très haut, mais assez large et très bien aménagé. Les bureaux sont amples, ce qui est un plus pour travailler plus sereinement. J’aime bien bosser ici et je crois que c’est le cas de tous les employés. Du moins c’est l’impression que j’ai. J’entends du remue-ménage, les gens commencent à arriver, s’installer, heure de commencer aussi, Les contrats ne manquent pas et puis il y a l’atout… La porte s’ouvre après un petit toc toc discret. Marina passe sa tête merveilleuse entre le battant et le chambranle.

 

-          Il est là ?

-          Pas encore. T’as dix minutes, s’il est vraiment très ponctuel.

-          Génial ! Je me sens déjà mieux.

-          Toujours contente de te rendre service. J’ai préparé les deux contrats que tu as besoin pour cet après-midi….

-          Tu es la meilleure…

-          Je sais.

 

Elle ferme le battant après un sourire suffisant.

                                                                                            

 

 

8.

 

            Je me perds dans ma tâche comme toujours. J’en oublie le temps et je me sens bien. Je clôture ainsi sept dossiers en mettant dans un petit calepin des notes qui me permettront plus tard de me rappeler mieux encore de ces dossiers et de ce qui me semble peu cohérent. La majorité des dossiers sont revus et corrigés par Jorbert et il ne tient que très peu en compte mes idées, mes suggestions et autres commentaires d’utilité. C’est comme s’il avait déjà décidé avant même que je ne révise le dossier. Ce que j’en pense est assez flou. Je ne veux pas croire qu’il magouille, ce qui serait très défavorable pour lui et l’entreprise, même s’il en est un des principaux propriétaires et par ailleurs actionnaires. Mon poste est important et je suis payée en conséquence. Je pourrais devenir actionnaire, mais quelque chose m’empêche de le devenir. Il y a quelque chose de pas net, même si je n’ai aucune preuve tangible de ce sentiment. Les notes que je prends sont comme un mémorandum de ce qui me semble peu orthodoxe. Un coup bref de à la porte se fait entendre. Neuf heures précises. Il est vraiment ponctuel. 

 

-          Entrez !

 

Jérôme Dormond entre en me souriant.  Marina ne m’a encore rien apporté d’informations sur lui. Mais elle le fera et ce sera un plus pour moi.

 

-          Bonjour. Jérôme Dormond.

 

Je me suis levée en le voyant entrer.

 

-          Bonjour. Elina Bronteur.

 

Nous nous serrons la main.

 

-          Je vous en prie…

-          Pouvons-nous nous tutoyer ?

 

Je le regarde. Rapide le monsieur, mais si nous devons travailler ensemble en étroite collaboration, j’aime autant.

 

-          Assieds-toi. Monsieur Jorbert m’a prévenu de ta collaboration avec moi au sein de l’entreprise. Je te propose de t’installer dans le bureau que nous avons préparé pour toi et que nous fassions un point sur ce que allons faire. Accompagnes-moi.

 

Je me lève, le précède et l’entraine dans ce qui était anciennement notre salle de repos. Ils l’ont aménagé très rapidement et parfaitement. Je leur enverrai un mail de remerciement pour leur travail. Même si Marina a déjà dû en envoyer un.

 

-          Voilà… n’hésite pas à demander ce qu’il te manque.  Je te laisse t’installer tranquillement. Voyons-nous dans mon bureau d’ici une heure.

-          Dix-heures quinze dans ce cas.

-          Oui.

 

Je lui souris et le quitte en refermant la porte. Marina est assise dans son bureau et me tourneboule les yeux en levant les pouces. Je lui dis sans son : Quoi ? Elle me réponde de la même façon en s’éventant : Waouh, sexy ! Je ris silencieusement. J’ai bien vu qu’il était plus que pas mal et très sexy effectivement, mais il va devenir mon collègue et je n’ai pas envie d’ennui. J’ai déjà vu comment ça se passait entre collègues et ça ne se termine pas forcément bien. Je lui fais les gros yeux et un geste lui signifiant qu’elle continue à travailler. Elle me fait un salut militaire très peu respectueux et je ris en entrant dans mon bureau. C’est pas tout ça, mais le travail n’attend pas.

 

 

 

 

9.

 

            Un coup frappé à la porte me fait lever la tête et regardé la montre que j’ai toujours sur ma table. Elle fait partie d’un cadeau que j’ai fait à une grand-tante. Cela fait légèrement tic-tac et j’ai fini par m’habituer à ce son ténu. Pile à l’heure.

 

-          Entrez.

 

Le visage de Jérôme apparait.

 

-          Viens t’asseoir… Si cela te tente j’ai l’habitude de prendre un café…

-          Cela me semble parfait.

-          Bien ! J’ai ma réserve personnelle. Après nous pouvons commencer, si cela te semble bien.

-          Parfait, même.

 

J’ouvre l’armoire que j’ai achetée spécialement pour y mettre tout mon attirail de café et lui propose un ensemble de capsule de cafés différents. Il en choisi une. Il a bon goût. Je pose les deux tasses sous les becs verseurs, m’enquérant de ce qu’il désire, fort, léger, moyen, avec lait, sucre, rien et prépare un petit plateau avec divers petits macarons qui sont un vrai délice. Ils sont légers et savoureux et surtout ils n’ont pas ce défaut des pâtisseries de vouloir en manger des tonnes avant d’être satisfait. Un atout à tous niveaux. Il suit attentivement chacun de mes gestes sans rien dire. Ce n’est pas dérangeant, car il ne scrute pas, il est simplement attentif. Nous entamons la petite collation et sans y touché de l’entretien de menus propos qui l’incitent à se livrer un peu. On ne se rend pas compte du nombre de choses que l’on dit de nous dans ce genre de propos anodins et impersonnels. Il se prête aimablement à cette conversation fourre-tout, mais une brève lueur au coin des yeux très beaux me laisse soupçonner qu’il n’est pas dupe, ce qui ne me surprend pas. Nous sommes dans le milieu financier, aussi nous connaissons et pratiquons les mêmes règles. Nous finissons de boire et de manger.

 

-          Je te propose de te faire visiter l’entreprise,… à moins que tu la connaisses déjà ?

-          Non. Ce serait un bon début.

-          De retour, nous pourrions voir ce qu’il en est par rapport aux dossiers en cours et ce que tu vas faire selon tes compétences.

-          Parfait !

 

Nous déambulons dans l’entreprise. Je lui présente certains collègues et chefs de service, alors que je lui montre les divers services. Il semble prendre note mentalement, ce qui me semble coton. Si c’est le cas, il a vraiment une mémoire phénoménale. Il est courtois, intéressé et il note tout. La visite dure près d’une heure puisque nous nous arrêtons très fréquemment et Jérôme pose des questions pertinentes. Au début cela m’a étonné, mais je crois que c’est son caractère qui le pousse à cela. Je n’y vois pas d’inconvénient, bien au contraire. Nous revenons à nos bureaux. Pendant que Jérôme entre dans mon bureau, Marina me fait signe en me montrant deux feuillets scribouillé. Il semble qu’elle ait pris des notes sur les recherches faites sur Jérôme. Du moins, c’est ce que je pense au vu de ses mimiques. Je lui fronce les sourcils en tournant les yeux. Je lui fais signe que « plus tard » et entre dans mon bureau où je m’assois dans ce magnifique siège ergonomique.

 

-          Nous commençons ?

-          Parfait.

 

 

 

 

10.

 

            Durant deux jours, ils travaillent à mes côtés et nous examinons les dossiers, quelquefois ensembles, d’autre fois chacun de son côté, puis nous réunissons notre labeur. Un coup bref sur le battant de la porte me fait lever la tête.

 

-          Chef… j’ai tout !

 

Marina entre précautionneusement dans mon bureau avec un air mystérieux affiché sur son visage. Elle s’assoit sur la chaise devant mon bureau et me passe un ensemble de feuilles dactylographiées.

 

-          J’ai trouvé plus et j’ai tout dactylographié pour que ce soit plus clair. Tu vas flipper à donf !

 

Marina affectionne le parler jeune, ce qui me surprend toujours. Elle prétend qu’elle doit être de tous les temps. Bonne chance avec ça ! Je prends les feuillets, deux en tout, et remarque la présentation. Elle a fait une marge où elle a placé une grande série d’émoticons pour me faire savoir ce que je devais penser de tout ça… Je ne les regarde pas, mais prends rapidement connaissance des informations. Elle a fait un beau boulot avec les renseignements sur Jérôme. J’arrive dans les trois dernières années de sa vie et je tique.

 

-          Trois ans à voyager… partout ? Mais… où a-t-il trouvé l’argent ?

-          On ne sait pas.

-          Tu n’as rien trouvé là-dessus ?

-          Non.

-          Son parcours laborieux n’est pourtant pas si important qu’il ait pu avoir tant d’argent. De plus… tu as noté qu’il passe du temps dans des hôtels ou des complexes hôteliers pas donné.

-          Il y travaillait peut-être…

-          Oui, peut-être… mais… c’est bizarre.

-          Je suis d’accord avec toi. Je vais chercher encore plus.

-          Oui, mais… il m’a l’air sérieux…

-          Et tu sais ça après deux jours ? T’es un vrai génie, chef !

 

Je fais la moue. Pourtant mon instinct ne m’avertit pas que c’est quelqu’un de dangereux ou de préjudiciable pour moi. Bien sûr,..  Il peut être très doué et après deux jours…

 

-          Bien, mais si tu ne trouves pas plus d’informations sur lui, laisse tomber. Nous l’aurons à l’œil et il finira bien par se trahir à un moment donné et nous serons là pour le dévoiler.

-          Hum ! Le dévoiler comme le déshabiller ?

-          Marina…

-          Chef, on peut toujours rêver, non…

 

J’ai un petit rire.

 

-          J’y vais chef. Il ne va pas garder à venir. C’est bien ce truc de la ponctualité au cordeau, ça aide pas mal.

-          Il semblerait…

 

 

 

 

11.

 

            Cela fait une semaine que nous travaillons, Jérôme et moi en bonne intelligence et cela me plait contre tout pronostique. J’apprécie son travail et son professionnalisme ainsi que son sens de l’humour subtil et léger. Cela me plaît plus que je ne veux l’avouer. Je reste sur mon quant à moi, trop beau pour être honnête reste une mesure de précautions que j’ai instauré vis-à-vis des autres. Un bref coup sur le battant avant qu’il ne s’ouvre. Marina me sourit légèrement, plus fortement à Jérôme et me donne une petite note. Jorbert. Il pourrait m’envoyer comme tout le monde le fait un message via mail ou WhatsApp et si pas à moi à Marina, mais il préfère envoyer des petites notes manuscrites via sa secrétaire. Une perte de temps, mais Jorbert trouve cela classe et élégant. Je dé »teste ce type. Un vrai con !

 

-          Un problème ?

 

Je scille un peu. Comme toujours, je suis resté scotchée sur cette putain de note, comme toujours. Ça m’agace tellement !

 

-          Oh non ! Monsieur Jorbert me fait parvenir une note. Elle te concerne. Il devait voir d’ici une heure un client, mais il ne peut pas le faire, aussi il veut que tu le reçoives et que je te supervise en quelque sorte.

-          Moi ? C’est pas un peu… hasardeux ?

-          Si Monsieur Jorbert pense que tu peux le faire, il doit avoir ses raisons.

-          Sans aucun doute.

 

Il reste silencieux et pensif.

 

-          Nous avons cinquante-cinq minutes pour étudier le dossier.

 

J’ai un petit rire. Qu’est-ce qui peut le déstabilisé ? Notez, s’il a tellement voyagé, il doit avoir des facilités pour vivre n’importe quelle situation.

 

-          Mettons-nous au travail. Je connais le dossier puisque je l’ai constitué, mais me rafraîchir la mémoire n’est pas de trop.

-          Tu peux aussi me donner les commentaires sur ce client et ce dossier qui sont… à côté.

-          Comment ça ?

-          Tu notes bien des commentaires sur chaque dossier et chaque client pour avoir une idée plus globale de la situation ?

-          Vraiment ?

-          Vraiment.

 

Je baisse un peu les yeux. C’est le moment de vérité et de confiance.

 

-          Bien vu, si c’est de l’ordre de l’observation.

-          Je n’ai pas l’habitude de fouiller dans les affaires des autres.

-          Désolée, je ne veux pas sous-entendre cela, c’est juste que… tu m’as surpris.

-          Désolé, ce n’était pas mon intention…

 

On éclate de rire. Toutes ces excuses.

 

-          Mettons-nous au travail.

-          Oui.

 

Durant les minutes qui suivent nous prenons connaissance des points importants du dossier, saupoudrant certains éléments de mes remarques personnelles. Lorsqu’il reste dix minutes avant l’heure concertée du rendez-vous, nous décidons de nous rendre dans la salle prévue. Nous dévissons un peu sur le trajet de choses et d’autres, moi plus pour me détendre. Il est calme comme toujours. Même pas inquiet. J’aimerais avoir ce genre d’assurance. Sauf si elle est de la poudre aux yeux. Nous nous installons, préparons les dossiers papiers et ceux que l’on enverra via Tablet ou ordinateur portable. Nous sommes fin prêts. La porte s’ouvre après un petit coup sur le battant. La secrétaire de Jorbert me fait un signe convenu. Le client est là. Que le spectacle commence !

 

 

 

 

12.

 

            Un homme d’une certaine prestance, quoiqu’avec un léger embonpoint, très bien habillé, quoique discrètement. Il est très correct toujours, mais son regard est sale. Jérôme est assis près du tableau qu’il peut utiliser pour mener la réunion, même si avec la Tablet et l’ordinateur cela serait suffisant. Mais il est ami intime de Jorbert et il n’apprécie guère les nouvelles technologies. Il me salue en me tenant la main un peu trop longtemps. Son visage est souriant doucement, mais son regard semble dévié vers mon décolleté, même si celui- ci est inexistant, mais j’ai une poitrine lourde et peu de vêtements arrivent à l’occulter. Il lache ma main et se dirige vers Jérôme qui le salue cordialement et froidement. Monsieur Portsand Leonard prend place au bout de la table, croise les jambes mettant le pli de son pantalon comme il faut et nous fait un geste pour commencer la réunion.

 

-          Monsieur Portsand. Mon collègue va vous présenter le dossier. Monsieur Jorbert y tenait et je partage bien évidement son point de vue.

-          Je me range dans ce cas à cet avis général.

 

Durant l’heure qui suit, Jérôme présente le dossier avec une maestria et une maîtrise qui me laissent pantoise. J’avais déjà compris qu’il a du talent dans le domaine et bien sûr il le prouve maintenant brillamment. Portsand boit du petit lait, d’autant que Jérôme a su utiliser mes commentaires afin de mettre à l’aise ce client. Il conclut tout aussi parfaitement et je suis tentée d’applaudir. Le silence s’installe alors que Portsand revoit les notes que j’ai eu soin de lui remettre.

 

-          Tout me semble parfait et selon les termes que j’ai souhaités.

 

Il sort un Mont-Blanc de sa poche intérieure et signe le contrat que j’ai également donné au début de la réunion. Ses traits son a       amples et péremptoires, marquant par là un caractère assez dominant si je crois ce que je sais de lui comme patron et personne. Il se lève, donne une poignée de main franche à Jérôme qui sourit discrètement.

 

-          Jorbert a eu raison, vous êtes un atout pour cette entreprise. Si vous désirez changer de travail, vous savez où me trouver, j’ai de quoi employer quelqu’un de votre compétence.

 

Jérôme sourit et ne dit rien. Il a vraiment du culot, mais cela ne m’étonne pas de cet énergumène. Nous le raccompagnons jusqu’à l’ascenseur et lorsque les portes se ferment, je soupire profondément. Nous revenons vers mon bureau. Je m’assois sur mon siège et lui sur celui devant mon bureau. Je regarde fixement Jérôme qui me rend un regard interrogateur.

 

-          Tu es doué. Je comprends ce que Jorbert te trouve. Je suis tentée de te laisser traiter avec les clients dorénavant, tu y excelles.  

-          D’après le nombre de contrats signés ces deux derniers mois, tu n’es pas en reste.

 

Je ris un peu. Il est doué, vraiment doué.

 

-          Je crois que je vais rentrer. Monsieur Portsand est un client particulier.

-          Un peu trop condescendant et macho.

-          Macho ?

-          Sa manière de te regarder est celui d’un prédateur qui pense que les hommes sont supérieurs aux femmes et qu’elles ne sont biens qu’à l’horizontal.

-          ET tu sais cela comment ?

-          J’ai déjà rencontré ce genre de type. Suave, apparemment politiquement correct, mais fourbe, dominant et vicieux.

-          Vicieux, c’est un peu fort…

-          Non. Tu serais étonnée de ce que ces costards coûteux et discrets cachent en réalité.

-          J’aime autant ne pas savoir.

-          Je ne peux pas te dire le contraire,  Tu as un bon instinct.

-          J’espère. Si tu veux y aller, vas-y.

-          Je vais terminer certaines choses.

-          Bien. Alors à demain.

 

 

 

 

 

13.

 

            Un bon bain, c’est un bonheur inégalable. Avec des sels de bains parfumés à la pomme, frais, serein, mieux encore. Je me laisse aller dans une détente de tout le cœur, de l’esprit et cela me fait un bien fou. Mes idées flottent comme des bulles, légères, incohérentes, plaisantes et drôles aussi. Tout se mêle et c’est vraiment délectable comme un cocktail divinement frais et légèrement alcoolisé. Je perds la notion du temps et lorsqu’une certaine obscurité s’installe dans la salle-de-bain, je me relève. Heure de sortir du bain et de manger quelque chose, je crève la dalle. Quelques minutes plus tard, un plateau délicieux sur lq petite table, je regarde un film sur Netflix. Une sorte de navet amoureux qui me convient parfaitement. Je déguste à petite bouchée gourmande les mets, tout en regardant d’un œil distrait le film. Je préfère lire, mais cela a du bon d’avoir la télé et ce genre de film qui ne mange pas de pain. J’adore aussi. Je sommeille dans le lit et je décide d’aller me coucher. Mine de rien, je suis vannée. Je me traine jusqu’à mon lit. Un ploc m’annonce que j’ai un nouveau message. Bien sûr, il n’est que 22 heures, mais tout de même… je n’ai pas de meilleure amie, des émis oui, mais aucun trop proches de moi. Ma famille est distante de moi depuis toujours. Se voir une fois par an leur suffit. Et quand je dis famille, je parle de mes parents, mon frère qui est baroudeur par vocation et mes trois cousins germains ainsi que mes oncles et tantes qui sont toujours très occupés. Bref, une famille qui ne risque pas d’être envahissante. Je tapote sur le petit écran et voit qu’il s’agit de Jérôme. Bizarre. Je réponds à son message qui me demande si je peux l’aider sur un point précis d’un dossier. Je ne lui demande même pas ce qu’il fait encore à travailler, j’aurais mauvaise grâce, puisque je suis moi-même assez insatiable dans le domaine. Il m’expose le problème et je vois tout de suite de quoi il s’agit. Je lui envoie les informations pertinentes et après quelques éclaircissements supplémentaires, il se dit satisfait, puis…

 

  - J’espère que tu ne dormais pas encore ou que je ne te dérangeais pas dans tes activités actuelles?

 

Je regarde mon écran. Direct, non ?

 

-          Non, pas encore.

-          J’aime mieux cela. Je n’aimerais pas interférer dans ta soirée. Je te remercie de ton aide. A demain donc. Bonsoir donc et bonne nuit.

 

Il m’envoie un émoticon de salutation et de bonne nuit que je lui renvoie. Bizarre. Il ne me semblait pas qu’il était de ce genre de personne qui voulait en savoir plus en loucedé. Je file au lit. Demain, nous nous voyons au bureau. Je ne devrais pas, c’est un collègue, mais il commence sérieusement à m’intriguer et je n’aime pas cela. J’ai pas envie de me retrouver dans une relation, même si elle peut m’être bénéfique ou du moins plaisante. Quant à aimer, à tomber amoureuse… bien sûr, on a pas trop le choix dans le domaine, étant donné que l’amour ne s’embarrasse pas de règles, de lois et de directives. Il n’en fait qu’à son cœur et son idée et on est compatible ou pas. Je n’ai plus trop le désir, ni la force de me laisser aller à cette ivresse, à ce besoin. Qui vivra verra. Quant à Jérôme…

 

 

 

 

14.

 

            Je suis devant ma terrasse à voir un spectacle toujours pareil, mais ce n’est qu’une illusion. Il y a toujours dans le ciel, dans l’air même quelque chose d’unique et de particulier. Il a plu cette nuit et le sol est brillant. Un timide soleil joue à cache-cache avec les nuages qui s’amusent à former des figures et des formes vaporeuses qui s’effacent devant des vents facétieux et monomaniaques. Je suis du regard un ciel qui ne cesse de m’émerveiller. Quand j’étais adolescente, nous partions avec mes parents dans « un coin de campagne », comme ils disaient, pour passer un long week-end. Entendez par là, de vendredi fin après-midi au dimanche fin d’après-midi. Long et ennuyeux, puisque mes parents jouaient aux parfaits petits campagnards, alors qu’ils sont des citadins dans l’âme et ailleurs. L’aventure pour eux consiste à aller dans des pays lointains enfermés dans des complexes hôteliers classe 4 ou 5, autrement dit, de véritables palaces. Après ils conviaient leurs amis aussi snobinards qu’eux et parlaient de leur aventure dans ces pays dangereux et improbables. Comme tous considère leurs séjours de vacances de la même manière, ils rivalisent alors de propos extravagants pour raconter ce qui s’est passé durant ces jours-là. Je les soupçonne tous d’avoir pratiqué le « piscine-golf-tennis-spa-visite guidée dans des endroits civilisés et sous haute protection-banquets-buffets-restaurants chics-randonnées boutiquières » et tout dans la même veine. Est-ce encore une aventure ?

            Je termine ce premier café de la journée. Il est comme je l’aime. Un bref éclat me fait signe que mon voisin habituel me tient à la point de ses jumelles. Un de mes plaisirs si je suis seule, c’est d’avoir peu de vêtements sur moi, mais avec un tel voyeur, la robe de chambre est de rigueur. J’en ai même acheté une très confortable, très foncée et très enveloppante, histoire de ne laisser aucune possibilité de voir plus que je ne suis prête à montrer. Le soleil fait une trouée et déploie ses rayons d’une manière si flamboyante que je suis tentée d’arriver en retard sur mon heure habituelle d’arrivée au bureau. Mais je suis trop bien drillée pour déroger à mes habitudes. Après un dernier long regard émerveillé à ce ciel bleu encadré de ses légions nuageuses et de ce soleil majestueux, je rentre. Un douche m’attend ainsi que mes vêtements prêts depuis hier soir afin d’être enfilés. Un quart-d’heure plus tard, je roule dans mon hybride, déjà mentalement prête à entamer ma journée laborieuse. Je me gare vingt-cinq minutes plus tard à ma place habituelle et entre dans l’édifice. Je salue le gardien. Nous en avons un depuis que l’entreprise a pris de l’ampleur, à l’égale du bâtiment depuis deux ans et cinq mois. J’arrive sans encombre dans mon bureau, faisant virtuellement les actes habituels de chaque matin. J’arrive devant le bureau de Marina qui n’est pas encore là. Elle m’a d’emblée lors de son engagement prévenu qu’elle ne viendrait jamais en avance, elle doit s’occuper de ces deux gamins et le soir, elle ne pourrait pas toujours être libre s’il y avait des heures sup à faire. J’ai accepté, compte-tenu de son CV, de son expérience et de mon instinct. J’ai un bon feeling pour savoir qui est qui et je ne me trompe que très rarement. Je me dirige vers ma porte quand j’entends du bruit venant du bureau de Jérôme. Je suis surprise. Jérôme est plutôt ponctuel, ce qui veut dire qu’il ne va pas venir plus tôt. Un voleur ? Un fouineur ? Ma bête damnée Lerbert ? Je reste sur le qui-vive. Si c’est un malfrat, je ne veux pas devenir une victime de lui et c’est ce qui arrive quand on tombe dans la gueule du loup en essayant de voir ce qui se passe. Je connais mes classiques. Je rétrograde et décide d’appeler le gardien. Ils ont deux normalement, un devant ses écrans, l’autre à l’entrée. Il, Daniel, peut donc venir avec moi, il saura que faire. Je commence à sortir de la pièce en tenant à l’œil le bureau de Jérôme quand la porte s’ouvre brutalement.

 

-          Jérôme ?

 

Il sort en tenant une boîte emplie de dossiers. On dirait qu’il s’agit d’archives, ce qui me semble étrange, mais passons.

 

-          Tu es arrivé tôt.

-          Je n’ai pas quitté le bureau plus tôt.

-          Tu as dormi ici ?

-          En partie.

-          Mais… pourquoi ?

-          J’ai du mal à ne pas achever ce que je commence.

-          Ah !

 

J’écarquille un peu les yeux.

 

-          J’ai demandé qu’on installe dans un coin un grand fauteuil qui peut devenir un lit d’appoint à l’occasion.

 

Je hoche la tête, pensant à la promotion canapé et je secoue mentalement la tête devant cette pensée encombrante.

 

-          Un petit café ?

-          C’est pas de refus…

-          Et tu rentres chez toi.

-          Je…

-          En tant que ta collègue te briefant, c’est un ordre.

-          Si c’est un ordre…

 

Il me sourit et je crois qu’il en a vraiment besoin.

 

 

 

 

15.

 

            Jerbert m’explique certains points de détails que je connais parfaitement, les yeux fixés sur ma poitrine. Etant donné que j’ai élaboré les dossiers et déjà fait un travail préalable de présentations aux clients de chacun d’eux, tout ceci n’a pour but de lui permettre de se rincer l’œil. Malgré un vêtement des plus discrets et permettant de rendre moins importants mes seins, on dirait qu’il a des rayons lasers. Je prends mon mal en patience, mais j’ai bien envie de lui labourer les joues avec mes ongles. Il finit son blabla et relève les yeux. Heureusement qu’il n’a pas posé de questions, je n’aurais rien pu répondre.

 

-          Comment va votre collaboration avec Monsieur Dormond ?

-          Très bien. C’est une aide appréciable.

-          Tant mieux. Tant mieux.

 

Il chipote sur son bureau comme il fait à chaque fois, une manière comme une autre de ne plus être attentif à ce qui se passe ou de gagner du temps. Je ne sais pas très bien. J’ai des fois l’impression qu’il n’est jamais vraiment attentif, qu’il joue son rôle de directeur général et actionnaire.

 

-          Bien, bien… je vous vois dans trois jours pour le dossier…

 

Il cherche dans ses documents qui semble un capharnaüm vu de mon côté, trouve ce qu’il cherche.

 

-          DruStist… Jeremy Stistson… Oui… C’est cela…

-          Oui. Je finalise le dossier et j’ai déjà pris contact avec Monsieur Stistson et lui ai envoyé une proposition.

-          Parfait. Vous me rapporterez les résultats vendredi.

 

Je sors enfin du bureau et j’inspire profondément pour me calmer dès que je suis dans la cage d’escaliers. Je dois descendre deux étages, mais j’en ai besoin, Il m’insupporte. Quel imbécile et quel sale type ! Je ne le supporte pas. Si ce n’était pour le salaire et parce que j’aime ce travail, vraiment, je chercherais ailleurs, Je n’aurais aucun problème à trouver ailleurs et mieux, mais je n’ai vraiment pas envie de changer. Pourtant… s’il fait en sorte que rien de vérifiable ne puisse se voir pour un procès pour harcèlement sexuel ou comportement libidineux, cela ne veut pas dire que je ne pourrais pas porter plainte un jour. Mais… entrer dans un procès n’est pas dans mes projets immédiats. Je trouverai un jour une parade, quelque chose qui me mettra à l’abri de cette enflure !

 

-          Un petit café ?

 

Je sursaute. Jérôme est assis sur uen  marche d’escaliers devant l’entrée qui donne au couloir de nos bureaux. Je fronce les sourcils.

 

-          J’ai remarqué que lorsque tu reviens de voir Jerbert, tu prends les escaliers et que tu prends toujours un café.

-          Et tu as su comment que j’arrivais ?

-          Jerbert a demandé un document que tu dois lui envoyer sur son mail, il part maintenant et il a laissé tomber que tu venais de quitter son bureau…

-          Oh… Bien sûr…

 

Il me tend mon mug préféré. L’odeur du café est un doux élixir pour moi, une récompense merveilleuse.

 

 

 

 

 

16.

 

            Je peste littéralement. Jeudi fin d’après-midi et Jerbert me demande de finaliser un projet pour demain donc, ma soirée va y passer. Je déteste quand il fait cela, mais pas moyen d’y déroger. Je fulmine de plus belle en claquant ma porte de bureau en y entrant, parce que, évidemment,  il m’a fait mander dans son bureau pour me dire de vive voix ce qu’il pouvait me dire par mail ou téléphone. Mais il aime voir comment je vais réagir, je crois que cela l’excite. Salopard ! Un coup bref et Marina entre.

 

-          Tu veux que je reste ?

-          Non. Tu as tes priorités et si tu commences à déroger à celles-ci, ça risque de se reproduire plus souvent que tu ne désires.

-          Un petit café ?

-          Deux même.

-          Tiens, j’ai mis tous les documents sur cette clef USB.

-          Merci, cela m’aidera.

-          J’ai aussi fait un brouillon du contrat. Tu peux le modifier facilement.

-          Tu es une fée, Marina. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi.

-          Tu assurerais autant, mais pas de façon si spectaculaire qu’avec moi !

 

Je ris un peu et commence à me détendre. Inutile de passer plus de temps à me casser le moral avec ce sagouin. Un bref coup sur le battant m’annonce Jérôme.

 

-          J’ai senti l’odeur du café et je me suis dit que tu venais de voir Jerbert.

-          Je ne bois pas du café seulement quand je rencontre Monsieur Jerbert.

-          Non, bien ^sur, mais tu le prends à heures plus ou moins fixes et cette heure-ci n’est pas vraiment dans tes habitudes.

J’écarquille les yeux. Il me surveille ou quoi ?

 

-          Bien observé ! Entre. Un petit café ?

-          Pas de refus.

 

Je nous prépare trois tasses alors que Jérôme jette un regard faussement distrait sur l’écran de mon ordinateur où se trouve le brouillon de contrat avec les informations personnelles de ce futur client et la date entérinée du jour où il devrait être signé. C’est toujours ce que veut Jerbert lorsqu’il me demande un tel travail avec si peu de temps d’avance. Je dépose une tasse devant Jérôme qui a plissé les yeux et regarde plus franchement mon écran.

 

-          Donc… tu en a pour la soirée avec ce dossier, non ?

-          Oui. Une demande de dernière minute de Monsieur Jerbert.

-          Tu peux l’appeler Jerbert. Il n’a de monsieur que sur papier.

 

Je le regarde en sourcillant légèrement. Il boit son café en petites gorgées qu’il savoure.

 

-          Je vais rester avec toi et ce sera plus rapidement fini.

-          Tu n’es pas obligé, mais c’est gentil de le proposer.

-          C’est bien parce que je ne suis pas obligé que j’insiste.

 

Marina me fait signe derrière lui d’accepter en pointant avec enthousiasme ses deux pouces en l’air et un ample sourire sur ses lèvres. Je réprime un sourire et hoche la tête affirmativement.

 

-          Merci, j’accepte.

-          Si nous nous mettons tout de suite, tu auras encore ta soirée.

-          Toi aussi.

-          Je n’avais rien prévu de spécial.

-          Moi non plus.

 

Il hoche la tête, finis son café, repose sa tasse sur la sous-tasse.

 

 Nous pourrions dîner ensemble après dans ce cas.

 

Je fronce les sourcils. Marina me fait les mêmes gestes frénétiquement. Je finis par sourire légèrement.

 

-          D’accord. Je crois que ce sera nécessaire.

-          Oui.

 

 

 

 

 

17.

 

 

            Nous travaillons épaule contre épaule. Il a fallu que nous prenions connaissance de tout ce qui concerne ce client et son entreprise, ce qui constitue un sacré paquet de documents. Nous travaillons vite et bien. Le temps vole, mais je ne le vois faire. Nous arrivons au bout de notre travail. J’étudie le contrat et ses clauses. Elles sont conformes aux informations dont j’ai pris connaissance.

 

-          Conforme pour toi ?

-          Oui. Je pense que nous avons terminé.

-          Non, pas tout à fait.

-          Comment ça ?

-          Tu n’as pas noté tes remarques personnelles sur le client et son entreprise.

-          Tu es très observateur.

-          Une seconde nature.

-          Vraiment impressionnant. Mais j’avoue que je ne trouve rien de particulier. Il me semble que tout est conforme.

-          Je crois que tu devrais lire ceci.

 

Il me tend une page de journal où on parle de cette entreprise. Tout tourne autour de la question de savoir si cette entreprise n’est pas polluante à l’excès sans pouvoir fournir des preuves et si le patron était aussi honnête qu’il n’y paraissait. Tout l’article repose sur des présomptions et des questions. Je relève la tête.

 

-          Où avez-vous trouvé cela ?

-          Disons que je suis de près les entreprises en général. C’est un peu mon domaine. Aussi, je garde les articles s’il y en a. Un peu comme tu fais avec vos recherches approfondies et tes estimations et autres remarques dans ton carnet.

-          Je crois que c’est un peu plus approfondi chez toi…

 

Il a ce sourire énigmatique. Nous finalisons le dossier et le contrat, gardons les copies sur la clef USB et dans mon ordinateur, ainsi que la copie papier dans un lieu sûr.

 

-          Nous avons fini…

-          Oui. Merci pour ton aide inestimable. Je n’aurais pas pu y arriver si vite.

 

Il hoche la tête en me souriant.

 

-          Nous y allons ? J’ai repéré un resto pas très loin d’ici où la nourriture est très bonne.

-          Un argument de poids.

 

 

 

 

18.

 

            Nous avons passé commande. Je ne connaissais pas ce restaurant, il ne paie pas de mine, mais il a cette atmosphère chaude et accueillante qui donne envie d’être ici et de se détendre. C’est aussi convivial, comme un foyer. Nous entamons nos plats avec appétit. J’ai un organisme qui brûle les calories très rapidement. Autant dire que je peux me permettre de manger beaucoup. Sauf que je n’aime pas me goinfrer et que mon appétit est plutôt mesuré. Jérôme mange lentement et délicatement, savoura     nt chaque bouchée. C’est assez fascinant. J’avais déjà observé qu’il éta            it perfectionniste et soigneux dans ses actes. Voir les autres manger révèle beaucoup de qui ils sont. J’ai toujours observé les autres manger et ils démontraient par là une part de leur nature profonde. Je termine mon plat. J’en ai demandé un deuxième. Je n’aime pas les entrées. Aussi je prends deux plats en demandant que les portions soient peu importantes. Le vin est délicieux. Je l’ai choisi. J’ai pris des cours d’œnologie par passion. Jérôme a eu la délicatesse de me laisser choisir. J’apprécie. Avec Lerbert et Jorbert, j’ai assez de machos autour de moi comme ça.

 

-          Jorbert est un patron assez exigeant.

 

Je regarde fixement Jérôme.

 

-          On peut dire ça comme ça.

-          Comment le dirais-tu ?

-          C’est un patron. Notre patron.

 

Il a un petit sourire, tout en terminant son assiette.

 

-          Il compte beaucoup sur les dossiers que tu montes.

-          C’est mon travail et maintenant en partie le tien.

 

Il s’essuie la bouche et bois une gorgée de vin en la savourant délicatement aussi. Il tourne le pied du verre entre ses doigts nerveux.

 

-          Il contrecarre souvent tes suggestions sur les clients potentiels.

-          C’est l’une de ses prorogatives.

 

Il prend une autre gorgée et me regarde en souriant.

 

-          Que veux-tu savoir exactement ?

-          Ce que tu pourras me dire sur lui.

-          Tu as sans doute pris connaissance de son CV.

-          Oui.

-          Donc, tu en sais autant que moi.

-          Pas de commentaires dans ton petit calepin ?

-          Non.

 

Je soutiens son regard et lui le mien. Il y a effectivement des notes, mais elles ne sont que pour moi. J’ai un dossier sur lui, mais il ne sortira que lorsqu’il sera conséquent et que je pourrais en faire quelque chose d’utile pour moi.

 

-          Bien sûr. Un dessert ?

 

Il a baissé son regard en prenant la carte des desserts que le serveur a mis sur un coin de la table.

 

-          Volontiers.

 

 

 

 

19.

 

            Depuis plusieurs jours, nous travaillons d’arrache-pied, Marina, Jérôme et moi. Je ne sais pas quel mouche pique exactement Jorbert, mais il a demandé que nous révisions douze contrats avec des clients assez important de l’entreprise et tout doit être fini dans deux semaines. Pas impossible, mais c’est le genre de pétition qui stresse terriblement.  J’ai un vague sentiment de malaise, mais ne même temps ce n’est pas comme si c’était quelque chose de surprenant. Nous avons finis trois dossiers assez lourds. Je sors du bureau du sagouin. Il a été plus répugnant que les fois précédentes. Son regard n’a pas quitté ma poitrine et il s’est même léché les lèvres d’un air libidineux. J’ai eu envie de partir en claquant la porte, mais ce n’est pas envisageable. Il faut que je le coince autrement. J’entre en coup de vent et claque la porte moins violemment que je le voudrais. Je vais à ma cafetière. Un double expresso. Sans doute, une nuit sans sommeil, mais tant pis. Un bref coup et Marina entre en fermant la porte.

 

-          Jorbert !

-          Oui.

-          Tu devrais porter plainte. J’ai vu son regard sur toi… c’est dégueulasse ! Il te harcèle.

-          Pas vraiment. Il ne m’a jamais fait de proposition graveleuse ni a porté à main sur moi ni me fait des compliments. Non, il a juste le regard –rivé sur ma poitrine et il se lèche les lèvres. Maintenant, il a fait ça tout le temps et s’est léché les lèvres tout le temps aussi. J’ai failli péter un câble, mais il n’attend que ça, bien sûr !

-          Oui. Mais… t’es pas obligé de subir ça…

-          Non. Tu n’as pas à subir ça.

 

Nous nous tournons vers la porte où se tient Jérôme.

 

-          J‘ai frappé, mais personne ne m’a répondu. J’ai pris sur moi d’entrer…

-          Et d’écouter…

-          Pas aux portes, je l’ai ouverte.

 

Je fais un rictus, appréciant cette petite note d’humour faite sans doute pour détendre l’atmosphère.  Il s’assoit sur le siège en face du bureau, Marina est trop nerveuse pour s’assoir. Elle fulmine toujours de la manière dont me traite ce pourceau.

 

-          Tu n’es pas obligée de supporter cette situation, Elina

-          Ah oui ? et comment tu vois ça ?

-          En allant avec toi chez Jorbert lorsqu’il te fait mander.

-          Sous quel prétexte tu viendrais.

-          Aucun prétexte. Il t’a bien demandé que tu travailles avec moi en étroite collaboration. Hors tu prends tes directives de ton patron direct qui est aussi le mien et si je veux être ton collaborateur à part entière, je dois assister à ces réunions.

 

Marina applaudit. Je lève les yeux au ciel.

 

-          Il a raison. Comment on n’a pas vu ça avant ! C’est la solution. Avec Jérôme dans la même pièce, il devra se tenir correctement.

 

J’ai un doute sur ça. Jorbert est un sombre crétin et il ne fait jamais autrement que ce qu’il veut.

 

-          Réfléchis, patronne ! Si ça se trouve il va commettre un faux pas, Jérôme présent et Clac ! Il est vu de la revue, tu peux le dénoncer !

 

Jérôme lui sourit avant de me regarder fixement.

 

-          Il n’osera pas, je te le promets, Elina.

 

Je hoche la tête et soupire. Oui. Ce sera moins stressant que d’y aller seule. Je ne peux plus l’encaisser.

 

-          Merci. Un café ?

-          Pas de refus.

-          Après on s’y remet. Ne donnons pas de prétextes à Jorbert de nous pourrir encore plus l’existence.

 

 

 

20.

 

            Durant deux jours nous avançons assez rapidement sur les contrats et aussi les dossiers puisque les uns ne vont pas avec les autres et il n’en reste que cinq qui sont les plus conséquents et que nous laissons pour la fin. Le téléphone sonne lorsque nous terminons le neuvième contrat et nous préparons à savourer un bon café  et nous détendre. Le reste peut attendre demain. Je prends le téléphone fixe qui n’affiche pas de nom ni de numéro de téléphone, mais je sais que c’est Jorbert.

 

-          Oui…

-          Elina… passez dans mon bureau maintenant, s’il vous plaît, merci.

 

Et il raccroche. Quand le maître siffle le chien accourt, non ? Sauf que je ne suis pas une chienne. Donc, il va bien attendre une bonne demi-heure. Je veux mon café d’abord. Ma dose de caféine, histoire de me requinquer avant le sale moment à passer.

 

-          Jorbert.

-          Pour ne rien te cacher. Mais d’abord notre petite récompense.

 

Il me sourit et va préparer deux tasses. Je fronce les sourcils. J’avoue que c’est un rituel que j’aime faire, mais se faire servir n’est pas désagréable, loin de là.

 

-          Assieds-toi ! Fais comme chez toi.

 

Je fronce les sourcils. Jérôme a raison.  Dès que ce crevard appelle, je me lève. Je ne supporte pas d’être assise, autrement dit, en état d’infériorité avec cette immondice.

 

-          Je vais avec toi.

 

Je le regarde.

 

-          Comment ?

-          Je t’accompagne. Tu ne seras plus seule avec lui, je m’en assurerai…

 

Je le regarde un peu troublée. J’ai tellement l’habitude de me dépêtrer de mes soucis toute seule que j’ai un peu de mal à envisager que quelqu’un d’autre puisse vouloir partager ceux-ci ou m’aider.

 

-          Merci…

 

Il hoche la tête et me sourit avec discrétion. Il me tend une tasse et je lui rends son sourire.

 

-          Prenons notre temps. Cela nous changera de Jorbert toujours pressé.

 

Jérôme sourit derrière sa tasse. Une petite pique revancharde ne fait jamais de mal.

 

            Nous sommes dans le bureau de Jorbert. Je suis entrée en premier et j’ai vu ce regard lubrique se fixer sur mes seins comme toujours, puis Jérôme est entré avec force dans le bureau faisant sursauter Jorbert qui pour le coup se lève, ce qui me semble bizarre. Je souris légèrement et discrètement. Jérôme l’a fait exprès sans me concerter. J’apprécie. Je le soupçonne d’être plus créatif qu’il ne le laisse voir. Il a des idées très… surprenantes, mais justes.

 

-          Monsieur Dormond…

-          J’accompagne Madame Bronteur dans le cadre de la collaboration que vous souhaitez.

-          Ah oui, bien sûr, bien sûr… Mais asseyons-nous…

 

Il se met à chipoter dans son fatras de dossiers. Il pourrait les avoir sur l’ordinateur, mais il ne veut que les anciens moyens. Ce qui n’aide pas vraiment. Il est déstabilisé et je savoure ce rare moment. Il ne me regarde plus du tout. Vive Jérôme !

 

-          Bien, bien… Je voulais savoir où vous ne étiez avec les douze contrats à revoir ? Vous serez à temps ou vous avez besoin d’un délai ?

 

Il me regarde furtivement, mais avec intensité. Quel crétin ! Il voulait quoi, que je le supplie pour un délai plus long ? C’est mal me connaître. A force de me sous-estimer, il finira par trébucher sur ses propres pieds. J’ouvre la bouche, mais Jérôme me devance.

 

-          Nous serons à temps et nous aurons aussi quelques suggestions et commentaires sur ces contrats.

 

Jorbert le regarde fixement, mais Jérôme est comme d’habitude, inaltérable et serein.

 

-          Ah bien. Très bien. Bon, parfait. Si tout va bien, je ne vous retiens plus.

 

Il retourne à ses dossiers mal rangés et Jérôme me fait passer devant lui, ce que j’apprécie aussi beaucoup, détestant son salle regard sur mes fesses quand je quitte son antre. Pour la première fois, je me sens bien après la désagréable confrontation avec cette immondice.

 

 

 

 

 

 

 

 

21.

 

 

            Sitôt la porte fermée de mon bureau, je m’affale dans mon fauteuil giratoire et soupire profondément. Jérôme nous prépare un café, il commence à connaître mes habitudes, ce qui n’est pas plus mal, je crois. Il pose mon mug sur la table devant moi, dépose le sien sur l’autre bout de table et s’assoit. Il reprend son mug et boit une gorgée en me tenant à l’œil. J’inspire longuement. J’y crois pas. C’est la première fois en deux ans et plus que je me sens…

 

-          Depuis combien de temps cette situation dure ?

 

Je prends ma tasse et me réchauffe les mains autour.

 

-          Depuis deux ans et quelques. Je ne peux pas être plus précise. Les premières semaines lorsque je suis entrée dans son service et qu’il est devenu mon patron direct, je n’ai rien remarqué. Il fallait restructurer tout le service et je passais plus de temps dans mon bureau et avec des collègues. Je ne crois pas avoir été seule avec lui dans le bureau et il sait se contenir quand il y a du monde, surtout de sexe masculin. Puis quand le service a pris sa vitesse de croisière, un rendez-vous hebdomadaire a été concerté pour faire le point. Ses regards sont devenus plus insistants au fur et à mesure que le temps passait. Mais jamais de geste déplacé, ni de paroles sexistes ou à connotation sexuelle, juste ce regard. Il y a un an, il a commencé à m’appeler dans son bureau pour n’importe quelle occasion et son regard est devenu de plus ne plus insistant, quasi lubrique. Mais toujours rien qui n’était assez probant pour le dénoncer en portant plainte.

 

IL hoche la tête pendant que je me perds dans le souvenir de tous ces moments pénibles. Marina a été d’un secours inestimable.

 

-          Depuis quand ne mets-tu pas de décolleté, ni de vêtements plus près du corps ?

 

Je le regarde fixement en haussant les sourcils.

 

-          Depuis deux ans, sans doute. Du moins pas au travail. Je ne suis pas une nonne.

-          Non, mais tu as dû te réfréner dans tes habitudes vestimentaires pour ne pas être involontairement et injustement une incitation au sexe.

 

J’écarquille les yeux. Vu comme cela.

 

-          C’est un premier pas dans la participation involontaire ou l’otage involontaire d’un pervers harceleur. Vous devez porter plainte, avant qu’il ne dépasse la limite.

-          Vaut mieux prévenir que guérir ?

-          C’est ce que l’on dit pour se rassurer, mais il n’y a qu’un acte significatif qui peut stopper vraiment une situation intolérable comme celle-ci.

-          Tu en parles comme si tu avais déjà vécu ou connu quelqu’un a avait vécu une situation similaire ?

-          Malheureusement, ce n’est pas aussi peu fréquent qu’il est politiquement correct de le croire.

-          Façon de le dire…

 

Je soupire.

 

-          J’aime mon boulot.

-          Pas à n’importe quel prix. C’est un prédateur et il passera à l’acte si tu ne l’arrêtes pas maintenant.

 

Je termine de boire mon café.

 

-          Tu as un dossier sur lui.

-          Quoi ?

-          Je commence à te connaître,  Elina. Je peux t’aider et…

-          Je serai virée, c’est ce qui arrive…

-          Pas maintenant. Les lois et les sanctions sont plus précises et plus contondantes depuis quelque temps. Je peux te mettre en contact avec une avocate qui gère ce genre de situation et crois-moi s’il y a eu d’autres plaintes ou présomptions ou quoi que ce soit de ce genre, elle trouvera. Elle a d’excellents enquêteurs. Fais-moi confiance.

-          Tu ferais cela pour moi ?

 

Il sourit.

 

-          D’accord.

-          Je l’appelle tout de suite.

-          Une amie à toi ?

-          Une cousine lointaine.

-          Ah ! Ça aide.

-          Ça peut, pas toujours, mais des fois oui.

 

Il appelle sur son portable. Deux minutes plus tard, un rendez-vous est pris pour le soir-même. Quand il dit qu’il m’aidera, c’est pas peu dire.

 

-          Merci.

 

Il sourit simplement et termine son café. Je me secoue mentalement.

 

-          Bion, c’est pas tout ça, mais il reste ces deux dossiers. On commence le premier et on continuera les jours prochains. Il nous reste…

-          Huit jours.

-          Largement le temps, si Jorbert ne nous donne pas plus de travail.

-          Il ne le fera pas.

-          Tu es bien sûr de toi.

-          Oui. Il n’y a pas d’autres dossiers qu’il peut nous fourrer dans les pattes, sans révéler une intention autre que celle du travail.

-          Tu es bien sûr de toi ?

-          Question de logique.

 

Je lui souris et nous nous mettons au travail.

 

 

 

 

22.

 

            Nous sortons du bureau de sa cousine, Jacinthe et je suis impressionnée. La procédure est lancée. Elle a une manière de travailler légèrement différente. Elle va d’abord constituer un dossier en béton, ensuite la plainte sera dûment enregistrée et tout commencera alors. Jérôme sera mon ombre littéralement parlant, ce qui revient à dire qu’a-à partir de maintenant, je ne serais plus jamais ni seule ni en contact direct avec Jorbert. Jérôme sera celui qui le verra et comme les prétextes sont faits pour s’en servir, ça tombe bien !

            Durant la semaine qui suit, je souffle enfin, me concentrant sur les dossiers ne cours en sus des deux derniers conséquents à réviser. Je note pas mal d’irrégularités, ce qui me surprends étant donné qu’il s’agit de clients très importants de l’entreprise. Il y a, entre autres, des vices de formes qui ne me disent rien de bon. Je note les erreurs et autres scories et rectifient comme il se doit. Jorbert a essayé de m’attirer dans son bureau, mais sans succès. Jérôme et moi avons bien ficeler nos actes pour ne rien laisser au hasard et cela m’a rassuré pas mal. Jérôme m’a aidé appuyé pas mal. Je relève la tête. Cela fait deux heures que nous finalisons le dernier dossier, Jérôme et moi et je commence à fatiguer.

 

-          Une pause ?

-          Pas de refus.

 

Il s’étire et son corps se dessine sous ses vêtements impeccable, du sur mesure. Il est vraiment en forme et cela remue un désir latent en moi. Il y a trop longtemps que je suis en abstinence. Il a fermé les yeux en s’étirant, ce qui me permet de le contempler en toute impunité. Plutôt agréable. Mais… je prépare deux mugs et des biscuits faits maison par ma voisine qui est une vraie goulue.

 

-          Jacinthe a constitué le dossier.

-          Oui, elle m’a téléphoné aussi.

-          Je vais après le travail pour qu’elle me dise ce qui suit.

-          Tu veux que je t’accompagne ?

 

J’hésite.

 

-          Elina…

 

Il se lève et me rejoint devant ma merveilleuse machine à café.

 

-          Quand je t’ai dit que je t’aiderais, c’est du début à la fin.

 

Je hoche la tête en souriant. Il prend son mug et se rassoit.

 

-          Oui, j’aimerais bien que tu m’accompagnes. Je n’ai pas de doute depuis le premier jour chez ta cousine et comment elle a amené le sujet. Mais j’appréhende un peu maintenant que nous sommes sur le point de… basculer dans la vraie procédure.

 

Il hoche la tête. Je me rassois dans mon siège. 

 

-          Il n’y en a plus pour longtemps.

 

Je hoche la tête. S’il le dit, je le crois vraiment.

 

            Nous sortons de chez Jacinthe. Le dossier de Jorbert est plus accablant que ce que je croyais. Il y a eu cinq plaintes toutes avortées pour faute de preuve contondante. Deux autres qui ont abouties, mais une compensation financière a permis de stopper les procédures judiciaires. Une a abouti et il s’en est sorti avec une grosse amende et une compensation financière vis-à-vis de de l’employée. Elle a quitté le pays. Là, il y a eu attouchements, agressions verbales et sexuelles, mais sans arriver au viol. Cela a suffi pour le faire inculper, mais il semble avoir des amis hauts placés et des appuis de même.

Je me sens vraiment tremblante et mal. Demain, j’irais porter plainte avant d’aller au travail, à la première heure. Ensuite, les choses vont sans doute dégénérer, mais je me découvre à la fois choquée, indignée et aussi en colère. Je veux me le faire et pas dans le bon sens.

 

-          Je reste avec toi cette nuit.

-          Pardon ?

-          Tu ne dois pas rester seul. Mais je te laisse le choix. Chez moi ou chez toi ?

-          Je…

 

Je le regarde fixement. Il a une petite lueur souriante au coin de l’œil.

 

-          En tout bien tout honneur, mais disons que ce que tu as appris est vraiment choquant et il vaut mieux que tu ne restes pas seule cette nuit.

-          Je ne savais pas que j’avais comme collègue un chevalier à la blanche armure.

-          Je suis plutôt un sauveur, genre Superman…

 

Je ris un peu.

 

-          Je préfère chez moi. J’ai une chambre d’ami et je serais mieux chez moi… si tu n’y vois pas d’inconvénient.

-          Aucun. Allons-y. nous pouvons commander un take away.

-          Chinois ?

-          Oui. Si tu veux. J’ai une bonne adresse.

-          Alors parfait.

 

 

 

 

23.

 

            Je prends du riz avec mes baguettes. J’aime beaucoup le riz chinois, la manière qu’ils ont de le préparer et bien d’autres préparations. Et je dois dire que ce traiteur est parfait. Je mange de bon appétit, je n’ai pas mangé grand-chose de toute la journée. Il manie les baguettes avec autant de dextérité que moi.

 

-          C’est exquis…

-          Oui. C’est par hasard que j’ai commandé chez eux et je suis devenu si pas leur meilleur client, l’un d’eux.

-          Un excellent hasard.

 

Nous finissons un excellent vin qu’il a commandé chez le même traiteur qui a une bonne cave, d’après ce que Jérôme m’a expliqué. Nous débarrassons et nous nous installons dans la partie véranda qui prolonge le salon. Toutes les pièces ont une véranda que j’ai fait aménager. J’aime avoir un pied à l’extérieur, même lorsque je suis à l’intérieur. Je regarde la nuit et les bâtiments flous assez loin pour que j’ai une vue assez dégagée. Je suis dans mon siège préféré, pas à bascule, ça me donne la nausée, mais assez large pour que je puisse m’y affaler et même m’assoir en tailleur si je veux. Je m’enroule dans le plaid qui est toujours sur le dossier ou l’accoudoir. Il prend un autre siège que je lui ai désigné et nous terminons notre vin.

 

-          Belle vue…

-          Oui. C’est pour cela que j’ai acheté l’endroit. Il y a ces vues et aussi, l’appartement est assez grand. J’aime mes aises. Il y a deux étages et cela aussi m’a plu.

 

Nous restons silencieux durant quelques minutes et c’est très détendant. J’aime avoir ce moment de tranquillité, surtout que mon travail, grâce à Jorbert me stresse assez souvent.

 

-          Tu n’as rien dit par rapport à ce que nous a dit ma cousine…

-          Non… Je ne sais que dire, mais c’est tellement… je n’ai pas pensé qu’il y avait un dossier comme celui-là…

-          Il ne va pas le rendre publique et il faut, disons, chercher un peu pour avoir ces infos… ma cousine a une excellente équipe et surtout, elle est prête pour l’inculper, cette fois-ci avec succès.

-          Elle a déjà essayé ?

-          Une de ses meilleures amies qui m’malheureusement a dû quitter son job et même le pays, parce que Jorbert a le bras long et qu’il a fait le nécessaire pour la discréditer. Ses rasons ne sont pas que professionnelles.

-          Je vois cela. Et je comprends, j’ai aussi envie de me le faire.

 

Je serre les lèvres. Il ne va pas s’en sortir. Deux ans de mal-être, d’harcèlement, de me sentir mal, de vouloir être partout ailleurs… il va payer.

 

-          Et ce sera le cas.

-          Tu as aussi un intérêt à cette situation ?

-          Pas vraiment, mais je n’aime pas l’injustice.

 

Je le regarde fixement et rien dans son visage et son maintien ne me laisse supposer qu’il ment, mais je sens qu’il y a autre chose. Je laisse filer. Je sais rencontrer un maître en occultation quand j’en vois un.

 

-          Je ne sais pas toi, mais je suis vannée. Si tu veux rester ici encore, fais comme chez toi.

-          Non, je vais aussi me coucher. La journée a été longue…

 

Nous nous dirigeons dans les escaliers. Il me laisse passer devant, galamment. Je me retrouve avant d’entamer les marches.

 

-          Merci. Sans toi, je ne crois pas que j’aurais pu le faire.

-          Tu aurais pu, mais cela aurait tardé plus longtemps.

-          Oui. Merci de toute façon, vraiment.

 

Il me sourit en biais en hochant la tête.

 

 

 

 

24.

 

            Je ne dors pas. Deux heures deux et je ne dors pas. Je me rends dans ma véranda, enroulée dans mon plaid super doux. Je suis dans un autre siège qui est très profond et où je peux m’enfouir. J’ai acheté tout un lot que j’ai mis dans toutes les pièces de la maison. J’adore pouvoir m’assoir à mon aise. J’ai ouvert la porte fenêtre, mais je ne sors pas dehors. Il risque de pleuvoir. C’est toujours la saison des pluies ici en Belgique. Le ciel est partiellement dégagé et des éclats scintillants saupoudrent l‘obscurité. Je les tiens à l’œil. Mes idées s’éparpillent et la détente arrive. Je vais essayer de ne pas m’endormir ici. C’est déjà arrivé.

 

-          Tu ne sais pas dormir ?

 

Je sursaute. Jérôme me regarde depuis son coin  de véranda, à l’extérieur.

 

-          Non… Et toi non plus ?

-          Oui.

-          Viens ici, si tu veux…

 

Il passe dans ma véranda, il n’y a pas de séparation, je l’ai fait abattre pour pouvoir faire un large auvent qui protègerait du vent ou de la pluie si on désire sortir malgré tout. Il prend un autre siège que j’ai là, moins commode, mais très bien aussi. Tous mes sièges sont agréables, vraiment.

 

-          Je ferme les portes fenêtres si tu as froid…

-          Non. C’est parfait… il ne fait pas si froid…

-          Tout de même…

-          Il fait frais. Je suis habitué.

 

Je souris. Je continue à regarder dehors. Le silence est comme une couverture de plus.

-          Tu veux que je dorme près de toi ?

 

Je le regarde en écarquillant des yeux. Comment a-t-il su que je dormirais mieux si quelqu’un est près de moi ? Ou alors il ne sait pas… depuis toute petite, une présence dans le lit quand j’étais mal me faisait plus de bien que n’importe quel remède chimique. Ma mère m’a acheté un doudou très doux et très grand qui faisait une vraie présence près de moi. Il m’a bien servi. Il est maintenant dans une boite dans le débarras. Je l’avais appelé « Sousou ». Je ne sais pas pourquoi. 

 

-          Vraiment ?

-          Oui. Si cela peut t’aider à dormir, je suis heureux de te donner cette aide.

-          Merci… je veux bien…

 

Je vais dans mon lit qui est un matelas 220x220, j’aime mes aises. Jérôme se couche près de moi. Il porte un boxer et un t-shirt. Je m’enfouis sous ma couette. Jérôme n’a pas beaucoup bougé.

 

-          Tu veux que je t’embrasse.

-          Comment ça ?

-          Une étreinte en tout bien tout honneur…

-          Oh, oui… cela m’aiderait.

-          Viens.

 

Je m’approche de lui. Il me prend contre lui. Je soupire. Lentement sans que je me rende compte je me détends et,,, Black-Out !

 

 

 

 

 

25.

 

           

-          Mademoiselle Bronteur, je vous attends dans mon bureau immédiatement !

 

Jorbert raccroche violemment. Je regarde Jérôme qui a tout entendu.

 

-          Il a dû recevoir la plainte que ma cousine a déposée pour toi.

-          C’est rapide.

-          Très, ma cousine est très performante. Je t’accompagne, plus que jamais maintenant. Si tout va bien, il sera entendu dans deux jours et toi aussi. D’ici la fin de la semaine le procès se fera devant un juge assigné et d’ici dix jours, la sentence sera rendue.

-          C’est vraiment rapide.

-          Oui. Mais la juge qui présidera l’audience a une dent vis-à-vis de Jorbert, d’autant qu’il a su s’en sortir à chaque fois. Pas cette fois-ci. Ma cousine a trouvé assez d’arguments qui vont aller contre lui et il n’aura pas le temps d’instruire un dossier suffisamment solide pour qu’un avocat circonvienne efficacement. C’est là-dessus que ma cousine comptait. Ne t’ »inquiète pas. Dans dix jours, tout sera fini.

-          J’aime mieux, je dois te dire franchement.

-          J’imagine bien. Et… nous ne parlerons plus tard, mais je crois que je ne vais pas te perdre de vue ces dix jours. Il y a eu déjà des menaces et une jeune fille qui avait entamé une procédure pour harcèlement a été sérieusement molestée et a décidé de tout laisser tomber et de quitter le pays.

-          Drastique.

-          Jorbert peut être dangereux. Il a, disons des relations qui ne sont pas toutes licites.

-          Mais… si on le sait, comment est-il toujours à la tête de cette entreprise ?

-          C’est toute la question.

Ils arrivent devant la porte du bureau de Jorbert. Je frappe un seul coup sec et contondant sur la battant. On m’enjoint à entrer. Jérôme me devance, ouvrant la porte et entre en me laissant passer devant lui sur le seuil.

 

-          J’ai dit Mademoiselle Bronteur, pas vous !

-          C’est regrettable, mais étant sous son proche collaborateur actuellement, je me dois d’être présent là où elle se rend.

 

Jorbert fume presque des narines et je vois cette violence latente affleurer à la surface comme une fine chape d’huile sur une étendue d’eau. Il serre les lèvres et reprends difficilement contenance.

 

-          Cette affaire ne vous regarde pas, mais exclusivement Mademoiselle Bronteur.

-          Rien de ce qui a lieu dans cette entreprise n’est en-dehors de ce que j’apprends à mon collaborateur ici présent !

 

Il ouvre la bouche, mais ne peut rien rétorquer, étant donné que ce que je dis est censé.

 

-          Bien ! Asseyez-vous !

 

Il me tend une lettre. Il s’agit bien de ce que nous avons parlé avant.

 

-          Si vous aviez des problèmes avec moi, vous auriez pu m’en parler directement sans avoir recours à une plainte pour harcèlement, d’autant que je ne vous a jamais touché, ni même tenu des propos grivois ou explicites.

 

Je ne rétorque rien, dé posant la terre sur son bureau. Conformément à ce que m’a expliqué la cousine de Jérôme, il vaut mieux que je ne dise rien, ni ait aucune conversation avec lui.

 

-          Je vois ! Bien ! Nous nous verrons devant le juge, mais sachez Mademoiselle Jorbert que je suis extrêmement déçu de votre comportement. J’avais de grands projets pour vous, mais sitôt la sentence rendue, je vous conseillerai de chercher un nouveau poste de travail ailleurs !

-          Est-ce une menace, Monsieur Jorbert ?

-          Nullement, juste un conseil.

 

Il me sourit d’un air pincé et c’est bien une menace. Je ne relève pas le gant. Pas maintenant. Il ne me connait pas, mais je veux me le faire.

 

-          Si vous n’avez plus rien à me dire, Monsieur Jorbert, nous avons du travail.

-          Oui. Et n’oubliez pas que j’attends les dossiers que je vous avais demandés pour demain matin.

-          Un coursier vous les apportera demain matin.

 

Je me lève et passe devant Jérôme qui se place juste derrière moi bloquant la vue de mon dos à ce pervers. Nous arrivons dans mon bureau. Marina voit ma tête et entre avec nous dans mon bureau. Je nous prépare un café à tous et Jérôme lui explique tout ce qui se passe. Marina applaudit et vient m’entourer de ses bras dans une accolade franche et amicale.

 

-          Je suis fière de toi, cheffe ! On va l’avoir ce salaud !

 

Jérôme a un petit rire et durant le quart-d’heure qui suit nous nous détendons avant de passer aux choses sérieuses. Après cela, nous aurons nous dossiers habituels que je dois compléter. La bonne nouvelle pour les prochains jours, je ne verrai plus Jorbert. Quel répit !

 

 

 

26.

 

            Nous avons terminé le dossier, près à partir demain matin à la première heure. Marina s’en chargera dès son arrivée et entre-temps les dossiers sont sous bonne garde. J’aime autant ne pas tenter le diable et Jorbert est une bonne représentation de cela. Nous sommes sur le point de partir de l’entreprise à une heure décente. J’apprécie. Je n’ai pas la tête aux heures sup actuellement.

 

-          Avant que nous ne partions… considérant la situation, je pense que le mieux est que je reste avec toi jusqu’à ce que le procès ait lieu et que tout rentre dans l’ordre.

-          Donc… tu suggères que…

-          … je continue à habiter chez toi.

 

Je fronce les yeux.

 

-          En tout bien, tout honneur… mais je ne lui fais pas confiance, il est du genre à s’accoquiner avec des gens pas fréquentables du tout… Si tu préfères que nous allions…

-          Dans ta chambre d’hôtel ?

-          Je n’y suis plus depuis hier matin. J’ai acquis une maison pas très loin d’où tu habites, mais elle n’est pas encore aménagée comme je le désire, même si le basique s’y trouve déjà.

-          Je préfère chez moi, j’ai mes habitudes et je ne suis pas en état de vivre ailleurs.

-          Ce ne sera que pour une dizaine de jours tout au plus, je te le promets.

-          Je ne veux pas de promesses, je préfère compter sur le jour au jour.

-          Moi également, mais je détesterai te presser ou te harceler…

-          Ce n’est pas le cas et si je suis totalement honnête et sincère, cela me rassure de t’avoir à mes côtés pour cette période.

-          Alors tout est conforme… Nous passerons à mon hôtel où je prends le reste de mes affaires, puis nous rentrons chez toi. Cela te convient ?

-          Parfaitement. Autre chose ?

-          Non.

-          Allons-y.

 

Nous sommes passés dans son hôtel où il a réglé sa note, pris ses affaires et nous sommes chez moi maintenant. Nous avons dîné légèrement. Il a insisté pour préparer un plat simple à base de pattes. Très simple, très savoureux. Il a du talent culinaire. J’aime cuisiner, un point en commun de plus. Je suis vannée, aussi je suis allée très rapidement dans ma chambre et deux heures plus tard, je ne dors toujours pas. C’est ce que je déteste le plus, épuisée et éveillée.  Je décide de prendre une tisane très efficace qui m’aide à dormir. Je ne la prends qu’en cas extrême, ce qui est le cas, je crois. Je me dirige vers ma cuisine et me prépare très rapidement une tasse. Je m’assois un instant à ma table. Je tourne la cuillère, les idées en vrac. Je ne sais même pas ce qui se passe, je n’ai pas peur, mais je n’envisage pas encore pleinement que le calvaire est pratiquement fini.

 

-          Tu ne dors pas ?

 

Je sursaute un peu et me trouve vers lui. Il a un pantalon de pyjama qui descend sur ses hanches fines et un débardeur échancré qui marque ses muscles finement sculptés.

 

-          Non. Je prends cette tisane qui est très efficace… Tu en veux une ? Sers-toi, l’eau est chaude…

-          Non, merci. Je n’aime pas trop les thés et autres tisanes…

 

Je lui souris. Il glisse un regard neutre et discret sur ma chemise de nuit assez légère, mais qui m’enveloppe entièrement.  Son regard ne me déplait pas et ne me fais pas peur. Je ne suis pas vraiment à l’aise cependant. J’imagine que je suis plus cassée que je ne le pense, mais c’est fini. Je veux vivre et aimer et deux ans sans relation est trop. Mais cela ne veut pas dire que je susi prête. Jérôme regarde ailleurs. Nous n’avons pas allumé la lumière, mais avec les lueurs extérieures des lampadaires de lumière qui éclairent de biais légèrement et une nuit claire baignée dans les rayons lunaires, c’est suffisant. Cela m’apaise d’être en pénombre.

 

-          Je crois que je vais dormir maintenant.

-          Bien. Je vais me coucher aussi.

 

Nous nous levons ne même temps et la distance entre nous est plus proche que je ne pensais. Je reste rigide sans bouger comme un lapin pris dans la lumière des phares d’une voiture. Il me sourit, se penche sur ma joue, l’embrasse et se recule lentement.

 

-          Bonne nuit, Elina.

-          Bonne nuit.

-           

Je ne bouge toujours pas. Il sent bon. Je m’ébroue mentalement, temps de dormir.

 

 

 

 

27.

 

            Deux jours ont passé et pas de nouvelles de Jorbert. Je ne m’en plains pas du tout. Nous avons bien avancé, les dossiers se constituent tranquillement, en temps et en heures. Jérôme continue à étudier des dossiers anciens. Je ne le lui ai pas demandé, mais il a insisté, arguant que c’est comme cela qu’on apprend à travailler efficacement dans une entreprise. Je n’ai pas d’opinion sur la question, d’autant que chacun apprends ce qu’il veut comme il veut. Il m’assiste très bien. La cohabitation avec lui est vraiment aisée. Nous nous retrouvons chez moi vers 22 heures. Avant, je suis occupée et comme il ne vit pas trop loin, je ne crains pas grand-chose. La nuit, nous sommes ensemble. Nous soupons et nous parlons de certains dossiers. Nous nous couchons tôt. C’est un lève tôt comme moi, aussi, nous essayons de ne pas dormir trop tard. J’ai fini par me détendre et je dors plus vite et mieux. Il est quinze heures et je m’étire. Jérôme est parti chercher quelques dossiers aux archives. Certains dossiers remontent à plus de trente ans et l’entreprise ne les a que sur papier. Beaucoup sont dans l’ordinateur, ce qui aide. Un coup sourd sur le battant et Marina entre. Elle referme la porte avec des airs de conspiratrice. Je souris légèrement. Marina adore déterrer des tas d’histoires. Elle s’assoit en face de moi.

 

-          Jérôme…

-          Oui ?

-          J’ai ratissé Internet et… il a passé les trois dernières années à parcourir le monde.

-          Oui ?

-          Et avant on ne sait pas ce qu’il faisait.

-          Tout le monde ne met pas sa vie dans les détails sur les réseaux sociaux et autres.

-          Non, mais si on sait où chercher on a un bon CV des gens, surtout que Jérôme n’est pas quelqu’un qui passe inaperçu.

-          Il faut croire que oui, puisque tu n’a rien sur lui avant les trois dernières années.

-          C’est vrai, mais je ne vais pas me rendre si vite. J’ai encore quelque tour de passe-passe.

-          Tu sais que tu peux l’interroger aussi. Normalement les gens répondent quand on leur pose des questions.

-          Pfff ! J’ai déjà essayé, plus hermétique que ça, c’est un plaqué serré ! Je te laisse le dossier que j’ai fait sur lui. J’ai mis sur clef USB aussi. Tu verras… il pourrait devenir guide ou alors écrire un livre, genre : « mon tour du monde en trois ans et un jour » !

 

Je ris. Marina est inégalable.

 

-          Un petit café, cheffe ?

-          Pas de refus. Tu as fini de rassembler les documents pour le dossier « Verbranste » ?

-          Oui. J’ai envoyé une copie sur ton PC. Tu veux une copie papier.

-          Non. Je vais réviser le tout et j’en ferai une moi-même en papier. Le rendez-vous avec lui est pour demain quinze heures. Il a téléphoné pour avancer le rendez-vous.

 

Un coup frappé sur le battant et la porte s’ouvre. Jorbert entre. Normalement, il ne vient jamais dans mon bureau. Je me lève et Marina aussi. Je ne lui fais pas confiance.

 

-          L’audience chez la juge est avancée.

 

Je ne dis rien. Cela me semble tellement improbable, mais cet homme a des alliés vraiment partout et je ne sais pas que penser de cela. De plus… il vient alors que Jérôme n’est pas là. Je ne crois pas au hasard, ni aux coïncidences. Je le regarde fixement sans sourire et pour une fois il me soutient le regard sans vagabonder sur mon anatomie. Jérôme arrive derrière lui silencieusement et je soupire discrètement, me rendant compte que je retenais un peu mon souffle et que je ne suis vraiment pas à l’aise.

 

-          Une information intéressante. Avez-vous averti le cabinet d’avocat de Madame Janssens qui s’occupe du dossier de Madame Bronteur ?

 

Jorbert sursaute et manque trébucher sur ses pieds. Jorbert fait un pas en arrière, mais Jérôme ne bouge pas, légèrement marchant dans l’espace privé de ce dernier. Il fait presque deux têts de plsu que Jorbert et cela me rassure.

 

-          Elle a déjà reçu la notification.

 

Jérôme hoche la tête.  Jorbert contourne mon assistant et sort. Je me laisse tomber sur le siège en me passant une main sur le visage. L’immonde crapule !

 

-          Un bon kawa, hein…

 

 

 

 

28.

 

 

            J’ai pris ma tisane spéciale dodo, sans aucun résultat probant. Je suis sortie finalement ; La nuit est claire et pas trop froide, mais peu importe, je me suis emmitouflée dans ma lourde couverture duveteuse. Elle est parfaite et me serre comme un cocon protecteur, sans parler qu’elle empêche le froid de m’atteindre. Je me relève, fait quelques pas, va jusqu’au final de ma véranda, regarde dans la nuit où aucunes lueurs de lumière ne se voit. Il doit être tard. Mais… je soupire. Je refais quelques pas, avant de reprendre ma place dans ce siège plus que commode. Le ciel est d’un blanc mat, des couches de nuages occultant tout, miroir sourd et improbable.

 

-          Tu n’arrives pas à dormir.

-          Non…

-          Veux-tu que nous nous couchions ensemble. Cela te rassurerait et te ferait dormir ?

-          Je ne sais pas… la situation me fait peur… je n’ai jamais vécu quelque chose comme ça avant. Stressée, angoissée, inquiète jusqu’à la moelle, mais là… j’ai foutrement peur !

 

Je serre les poings tant la situation me fait horreur. Jérôme s’accroupit devant moi. Je ne vois pas son visage, seul un pâle reflet de ses yeux fixés sur moi.

 

-          Viens… je ne peux pas faire grand-chose contre ta peur, mais je peux le tenter en étant près de toi cette nuit…

-          Oui… je veux bien… je suis épuisée e c’est encore pire de ne pas arriver à concilier le sommeil…

 

Il hoche la tête. Il me tend la main, je la lui serre fermement. Il m’attire doucement et quelques minutes plus tard, il est contre moi, un bras entourant mes épaules, alors que j’enterre mon visage dans son torse habillé d’un léger t-shirt à la texture très douce. Il sent toujours aussi bon. Je me laisse glisser vers une détente que j’aspire du fond de mon âme. Les doigts de Jérôme me caressent légèrement le cou et l’épaule d’un geste apaisant et continu.  Black-Out !

 

            J’ai passé une excellente petite nuit. Cela ne devrait pas devenir une habitude, mais la situation ne le sera certainement pas. Je sens des effluves délicieux arriver depuis la cuisine. Juste le temps d’une petite douche et de me rendre là-bas. Connaissant les habitudes matinales en matière de petit déjeuner de mon invité, j’ai le temps de m’apprêter. Sept minutes plus tard, je suis dans la cuisine, où Jérôme s’active aux fourneaux. Il aime les breakfasts et j’avoue que sa manière de le pré parer me lait assez. Moi qui ne déjeune jamais, me voilà appréciant ce rituel. Il est déjà habillé de pied en cape pour partir au boulot. Je m’assois et me sert une tasse de café.

 

-          J’ai un peu honte de te faire…

-          Nulle honte ! J’aime cuisiner et préparer ce premier repas de la journée. Je suis heureux de le faire…

-          Merci, alors…

-          A ton service…

 

Il me fait un salut avec la spatule. Deux minutes plus tard nous déjeunons.

 

-          Vendredi matin, ce sera le procès.

 

Il relève la tête et dépose sa fourchette.

 

-          Oui.

-          Mais… sommes-nous prêts pour celui-ci ?

-          Oui. Ma cousine a le dossier ficelé depuis le deuxième jour que tu as été la voir. Nous sommes plus que prêts. Et toi ?

-          Je ne sais pas. J’ai peur.

-          Je serais là pour ce que cela vaut.

-          Et c’est beaucoup. Je ne voulais pas t’entraîner dans cette histoire…

-          Je ne me laisse pas facilement entraîner dans quoi que ce soit.

 

Il y a un ton acéré dans ces mots et je veux bien le croire. Il regarde par la grande baie vitrée et tourne ensuite son regard sur moi comme s’il prenait une décision importante.

 

-          Je ne peux rien te dire de vraiment clair maintenant, mais crois-moi, Jorbert ne va pas s’en sortir. J’ai le nécessaire pour le faire tomber durablement.

-          Je…

-          Non. Pas encore. Mais je t’en dirai plus bientôt. Tu me fais confiance ?

-          J’aurais mauvaise grâce ne pas le faire avec toute ton aide et ton appui…

-          Merci. Je ne te demande que cela. Nous y allons ?

-          Oui.

 

 

 

 

 

 

 

29.

 

            Je touille mon café depuis deux minutes. L’aube est à peine visible, mais je ne peux plus rester dans le lit. Hier soir, je me suis quasiment assoupie sur mon assiette du souper. Résultat, je n’ai eu aucun mal à concilier le sommeil. Jérôme a pu dormir à son aise, je crois. Il a été si merveilleux ces trois derniers jours et les deux nuits. Il m’a aidé, soulagé, rassurée, je me suis sentie protégée et ça c’est quelque chose que je n’ai pas eu très souvent la sensation d’avoir avant. Ce matin dans presque trois heures, nous serons dans le bureau de la juge et dire que j’appréhende est un euphémisme. Jérôme s’assoit en face de moi, habillé pour partir au travail.

 

-          Il y a de l’eau chaude…

-          Je vais préparer le petit déjeuner.

-          Je n’ai pas très faim.

-          Moi non plus, mais cela nous fera du bien.

 

Durant une demi-heure, il s’active avec dextérité. Je suis d’un regard vague ce qu’il fait. Je suis comme anesthésiée par ma propre peur et angoisse. Il dépose tout sur la table.

 

-          Mangeons.

 

Je mange, sans rie »n sentir, mais cela me fait du bien en quelque sorte. Les habitudes ont du bon. Nous achevons de manger.

 

-          C’est un bon moment pour t’en dire plus.

-          A quel sujet ?

-          Su ce que je t’ai brièvement dit l’autre jour.

-          Ah oui.

-          Tu as peur et je comprends. Ce que je vais te dire, pourrais te rassurer ou pas.

 

Durant dix minutes, il m’explique ce qu’il en est et j’écarquille de plus ne plus les yeux. Il se tait.

 

-          Mais… tu es le patron de la boîte…

-          Oui.

-          Mais… tu n’as jamais été là…

-          Jamais… j’ai décidé de prendre du temps pour moi. Jorbert a été choisi par un de mes oncles qui est actuellement en prison pour malversations et également menaces à certains employés et pratiquement l’assassinat de l’un d’eux. Mon père est retiré des affaires, mais il a encore pas mal de poids dans le domaine et il connait pas mal de monde. Il a donc décidé de prendre les choses en main, Il y a dix mois, je suis revenu et pris connaissance de tous dans les détails. J’étais tenu au courant, mais mon père n’a pas souhaité que je revienne, se chargeant de tout. J’ai donc étudié à fond tout ce que nous avons découvert et cela fait maintenant trois mois que nous avons un dossier plus que solide pour le mettre à l’ombre pour un petit temps. Cependant Jorbert est vraiment très malin et il fallait absolument être discret afin de ne lui laisser aucunes échappatoires.

-          Mais alors… ta présence comme collaborateur, c’était…

-          Utile et nécessaire. Tu m’as grandement aidé, crois-moi. Cependant, ce que je n’ai pas prévu est que tu avais maille à partie avec lui. Cela n’ajoute qu’à son dossier déjà très lourd de conséquence.

-          Mais… tu pourrais le coincer…

-          Non. Tu m’as donné la solution parfaite pour l’appréhender en me permettant de l’inculper pour harcèlement avéré sur les lieux de travail.

-          Je ne suis qu’un alibi…

-          Non !

 

Il vient s’accroupir devant moi.

 

-          Pas du tout, tu es la meilleure chose qui soit arriver dans cette sinistre affaire. En allant tout à l’heure dans le bureau de la juge, tout est préparé pour qu’il ressorte menottes aux poignets et direction la prison.

-          Mais mon cas n’est pas suffisant pour…

-          Non, bien sûr, mais il a reçu à la première heure ce matin une convocation chez la même juge sur un dossier différent. Il a reçu les accusations qui lui sont imputées et donc après l’instruction de ton affaire, suivra la sienne. Il ne sortira pas de là. D’autant que l’avocat a reçu le dossier en temps et heures, mais disons qu’il n’a pas vraiment eu l’occasion de se réunir avec Jorbert qui a décidé de partir quelques jours pour d’autres affaires personnelles, comme il en a l’habitude. Cela a aussi arrangé nos affaires. L’avocat a pourtant insisté pour le mettre au courant de ces accusations, mais il a passé outre.

-          Comment le sais-tu ?

-          J’ai mes sources. Quoi qu’il en soit, il ne pourra faire appel à un vice de forme étant donné que tout est conforme aux procédures légales. La propre arrogance de Jorbert, qui veut que lorsqu’il délègue, cela sous-entend qu’il ne veut pas déroger à ses propres petites affaires, le perdra.

-          Il ne va pas se défiler.

-          Pas avec les deux anges gardiens que j’ai mis sur ses traces depuis quatre mois.

 

Je hoche la tête.

 

-          Si tu allais t’habiller, ce sera mieux d’arriver en avance.

-          Je me sens… trahie…

-          Je le sais…  et nous en reparlons plus tard. Sache que je suis désolé…

-          Je crois que je comprends, mais là…

 

Je sors pour me préparer. C’est un tourbillon d’idées dans ma tête. La seule pensée claire, Jorbert sera hors de ma vie aujourd’hui-même.

 

 

 

 

30.      

 

            Nous sommes dans une salle d’attente qui donne sur le bureau du juge. Jacinthe vient d’arriver avec deux épais dossiers sous le bras. Jérôme me tient la main depuis que nous sommes arrivés. Je n’ai pas dit grand-chose, mais intérieurement et un peu extérieurement je tremble.

 

-          Je suis là, il ne va pas s’en sortir. Tu peux vraiment la contre, Elina.

-          Je ne sais pas.

-          Moi, je sais. Tu ne vas pas lui donner un millimètre de ta peur.

-          Et si je n’arrive pas ?

-          Deux ans… quelques heures…

-          Vu comme cela…

 

Jacinthe relève la tête de son portable. Elle m’a salué en entrant, m’a souri chaleureusement et n’a rien dit. Je crois vraiment qu’elle va assurer. La porte du bureau de la juge s’ouvre et un policier nous demande d’entrer. Lorsque nous pénétrons dans le bureau, la juge n’est pas encore là, mais bien Jorbert avec son avocat, un type assez sournois que je n’ai jamais aimé. Il est l’avocat particulier de Jorbert, plus que de l’entreprise, même si dans certaines affaires, il est intervenu. Le policier nous dit de prendre place. Jorbert ne nous a pas adressé un seul regard. Il a l’air… furibond et aussi froid qu’un glacier. L’avocate se place u côté où se trouve l’avocat, moi au milieu et Jérôme à mes côtés. On annonce la juge. Nous nous levons tous et elle nous fait signe dès qu’elle prend place de nous rassoir.

Elle prend note d’un dossier ouvert devant elle, mais j’ai la sensation qu’elle sait déjà tout de celui-ci.

-          Madame la Juge…

-          Maitre Evrard ?

-          Nous sollicitons le départ de cette audience de Monsieur Dormond.

-          Votre requête est rejetée.

-          Mais dans l’affaire qui nous…

-          Je vous rappelle que la juge ici c’est moi et je n’ai pas à justifier mes décisions.

-          Oui, Madame la Juge.

 

Jorbert serre les lèvres et sa fureur augmente. Il la dissimule, mais pas assez. J’ai fini par bien le connaitre et mon dégoût pour lui est d’autant plus renforcé. Je sens une énergie nouvelle m’envahir, celle de ne plus me laisser manipuler par un tel maltraitant.        

 

-          Commençons.

 

Jacinthe expose les faits et introduit à chaque fois un document venant accréditer ses paroles. La juge le réceptionne et l’avale d’un hochement de tête. Lorsqu’elle a fini d’exposer les faits, la juge passe la parole à Maitre Evrard. Son dossier est bien ficelé, sauf que pas autant que celui de Jacinthe. Il se base tous sur le fait que je n’ai pas porté plainte avant et qu’il ne m’a jamais directement agressée physiquement ou verbalement. La juge prend note et avale les documents que lui remets l’homme. Jacinthe donne d’autres documents et bientôt la juge scille légèrement, alors que Jorbert commence à blêmir. Je ne sais pas comment elle a fait, mais elle a réussi à avoir des témoignages écrits certifiés conformes des autres victimes. La juge les lit en diagonale en les versants au dossier. Maitre Evrard s’insurge sur cela, à quoi rétorque Jacinthe qu’elle n’a pas pu le prévenir, les documents étant arrivés hier après-midi tard. La juge considère qu’ils sont admissibles à ce dossier. Je vois Jorbert bouillir littéralement, mais ils ne peuvent rien faire. La juge regarde Jorbert.

 

-          Monsieur Jorbert ; compte-tenu de la gravité des éléments portés à ma connaissance, je ne peux vous libérer. D’autant plus qu’un autre dossier m’a été soumis et qu’il me semble adéquat de le considérer maintenant sans plus tarder.

 

L’avocat s’insurge, mais la juge tient bon et lui rappelle que la décision en dernière instance lui revient. Jorbert est vert de rage. Il me lance un regard mauvais.

 

-          Chienne ! Je savais bien qu’une bonne femme avec un physique pareil ça ne pouvait qu’être une ^pute salope !

 

La juge frappe avec un maillet que je n’avais pas vu et un policier s’approche de Jorbert. Jérôme me bouche la vue et la juge décrète qu’elle me fera part de sa décision plus avant.

 

-          Nous reprendrons dans cinq minutes. Emmenez Monsieur Jorbert et Maitre Evrard dans la salle d’attente.

 

Le policier s’exécute alors que Jorbert est fou de rage. Jérôme me sort de la pièce et Jacinthe nous suit.

 

-          Ça va ?

 

Il m’assoit sur un banc et je tremble encore un peu.

 

-          C’est fini ?

-          Pour toi, oui, mais pas encore pour lui.

 

Jérôme me sourit et me caresse la joue doucement.

 

-          Vas-y avec elle, Jérôme. Je te rappelle que tu n’es pas ici officiellement comme le patron de la boîte. Je peux gérer le dossier toute seule.

-          Je sais. Merci beaucoup…

-          Oui, merci beaucoup…

-          Avec plaisir… Reposez-vous, Elima, tout finira très vite. Le rat est dans la boîte.

 

Ils se font un signe de connivence que je ne comprends pas et dans la demi-heure qui suit nous sommes chez moi. J’entre, me débarrasse, me laisse tomber dans mon siège favori.

 

-          Et maintenant ?

 

 

 

 

31.

 

-          Bois !

 

Nous sommes chez moi depuis je ne sais pas vraiment combien de temps, mais je suis étourdie. Je relève le visage vers Jérôme qui a déposé une tasse devant moi avec un café comme je l’aime et est accroupi devant moi.

 

-          Il te plaira…

-          Oui. Merci… je me sens comme anesthésiée. C’est vraiment fini ?

-          Pour toi, oui. Pas pour lui. Actuellement, il est sur la sellette. Ma cousine ne va pas le rater et son dossier est des plus solides. Jorbert a beaucoup de connections et de connaissances, d’appuis, mais il ne connait pas tout le monde.

-          Toi, si ?

-          Non, bien évidemment, mais mon père connait suffisamment de fiscalistes pour que le dossier soit inattaquable.

-          Et s’il y arrive.

-          Crois-moi les chefs d’accusations sont si nombreux qu’il sortira menottes aux poings pour aller à la prison directement. Son avocat est retors et très performant, mais il ne fait pas le poids par rapport aux investigations que j’ai menées personnellement parallèlement à celles que faisaient mon père et celles de ma cousine. Trois fiscalistes des plus prestigieux nous ont donnés leurs connaissances pour ficeler le dossier Jorbert comme il se doit.

-          Et… toi ?

 

Je le regarde fixement. Il se relève et s’assoit en face de sa propre tasse. Je prends la mienne et me réchauffe les mains autour. Il boit une gorgée et j’ai l’impression qu’il essaie de gagner du temps.

 

-          Je te dois des explications…

 

Je ne dis rien. Je me sens plutôt mal-à-l’aise avec la situation et… lui.

 

-          Je te dois aussi des excuses… je peux juste te dire que je n’ai jamais voulu te mentir ou profiter de toi…

-          Marina avait des soupçons…

 

Il a un petit rire et je le rejoins avec un des miens.

 

-          Oui. Je sais. Elle est un vrai atout pour l’entreprise et pour toi une alliée merveilleuse. Elle est très protectrice vis-à-vis de toi.

-          Oui, je sais, pourtant elle est plus jeune que moi, mais des fois, je me demande… et elle m’a servi de point d’appui ces deux derniers ans… je crois que j’aurais fini par démissionner si elle n’avait pas été à mes côtés…

-          J’en suis convaincu…

Je bois mon café presque d’un trait.

 

-          Encore un ?

-          Non, merci.

 

Il finit sa tasse aussi et la redépose lentement.

 

-          J’ai passé les trois dernières années à parcourir le monde. J’avais besoin de prendre des distances avec tout… ma vie ici. Mon père l’a compris.

-          Pour quelque chose de particulier ?

-          Non, rien de particulier, juste que j’avais besoin de savoir ce que je voulais faire de ma vie. J’avais un diplôme qui me permettait de reprendre l’entreprise de mon père et même d’en monter une. Je pouvais reprendre le flambeau… j’avais aussi une expérience pratique dans les deux entreprises de mes oncles… mais… je faisais n’importe quoi dans ma vie privée, avec moi-même et… je devais partir.

-          Mon père avant mon départ m’a parlé de ses soupçons par rapport à Jorbert… rien qui ne puisse être prouvé y compris vis-à-vis des harcèlements des employées… Il a donc décidé d’investiguer. J’ai fait de même un an plus tard… il le fallait vraiment...

 

Il se perd dans ses pensées et sans doute dans le film de son passé.

 

-          Puis j’ai senti que je devais revenir. Le dossier s’étoffait de plus en plus, mais il fallait que je trouve des preuves plus probantes…

-          Dans les dossiers…

-          Oui. Il y avait pas mal de preuves, même si à première vue, tout semblait correct et conforme. Mais chaque preuve couverte que je trouvais alourdissait et étoffait le dossier. Sans le savoir, tu m’as permis de faire un travail remarquable, tout en me donnant un alibi parfait.

-          J’ai vu cela.

-          Ce que je n’avais pas prévu est que tu serais une victime de plus de la perversité de ce porc !

 

Il serre les lèvres et son regard devient létal. J’ai la chair de poule. Mieux vaut l’avoir comme ami que comme ennemi.

 

-          J’ai changé ma stratégie pour que tu aies une aide et sorte de ce cercle vicieux qu’était ce harcèlement subtil.

-          Si je suis sincère je ne me sens pas vraiment trompée par la situation et je comprends, mais je suis un peu perdue et aussi, je t’en veux un peu…

 

Il hoche la tête, comprenant vraiment ce que je lui dis.

 

-          Tu es mon patron…

-          Oui, mais je vais encore te demander ta coopération pour les deux semaines prochaines. J’ai vraiment besoin de me mettre à la page avec l’entreprise et je ne veux pas encore que cela devienne officiel. C’est aussi le temps pour que Jorbert soit vraiment hors d’état de nuire.

-          Je comprends. D’accord… à une condition, Marina doit le savoir. Elle sera un atout et saura tenir sa langue…

-          Cela va de soi. Je t’invite à déjeuner.

-          Ça tombe bien, j’ai faim.

 

 

 

 

 

 

 

32.

 

-          Je le savais !

 

Marina a un sourire satisfait, alors que Jérôme semble déstabilisé.

 

-          Comment ça ?

-          Et bien que tu n’étais pas vraiment ce que tu prétendais être.

-          Tu savais que j’étais le patron ?

-          Bien sûr que non, mais il y avait trop de choses qui ne collaient pas… mais je n’avais pas assez d’infos pour le savoir vraiment. J’aime mieux ça !

-          Quoi ?

-          Ben que Jorbert soit plus là et que bientôt on aura un vrai patron à la tête de l’entreprise.

-          Belle confiance !

-          Oh, allez, patron, on voyait bien que vous avez l’autorité d’un chef !

-          Oh et tu vois ça comment ?

-          Simple ! Il suffit d’être avec toi pour sentir que vous avez de l’autorité. Hein, cheffe ?

 

Je regarde Marina et éclate de rire. Elle est tellement… elle. Jérôme a un petit rire.

 

-          Et maintenant ?

-          Oui ! Je fais comment avec vous, patron ?

-          Tu continues à me tutoyer comme tu le faisais jusqu’à maintenant et on ne change rien pendant les deux semaines qui suivent. Après, je mettrai toute l’entreprise au courant et aussi des nouvelles directives. C’est le temps dont j’ai besoin pour mettre les choses à leur place et sur pied.

-          Pas de souci ! C’est mieux, d’ailleurs. Je pourrais me mettre au diapason.

 

Jérôme sourit.

 

-          Bien ! Alors puisque rien n’a changé, je continue à être la cheffe de ce département et je décrète qu’il est temps de se mettre à l’œuvre.

-          Pour les dossiers que Jorbert nous avaient demandé de réviser pour hier ?

-          Ils sont révisés et peuvent attendre. Fais comme tu fais habituellement. D’après ce que j’ai compris, tu faisais pratiquement tout le travail qui revenait à Jorbert ?

-          Pas pratiquement, totalement, patron !

-          Marina…

-          Que faisons-nous en ce qui concerne les rendez-vous ?

-          Tu t’en chargeras… je sais que la majorité des clients passaient par toi, à part ceux qu’ils considéraient comme ses clients personnels. J’ai conscience de vous en demander beaucoup, mais c’est nécessaire. Le mieux est de ne rien changer aux habitudes de travail que vous avez depuis…

-          Deux ans et demi, presque…

-          Donc, vous êtes rôdée…

-          On peut dire ça comme ça !

-          Parfait… Et merci…

 

Il sort de la pièce et je vois bien qu’il est ému. Cela me semble si étrange venant de quelqu’un si hermétique et maîtrisé.

 

-          Eh bé… je suis contente, cheffe… et t’inquiète pas, nous allons bien le faire et mieux maintenant qu’on n’a pas l’autre raclure sur le dos… enfin sur ton dos…

-          Oui. Merci, Marina.

-          Et… on ne va pas se la jouer émotif… Tenez…

 

Elle me donne une petite feuille avec des indications, sa façon de me donner ma feuille de services. Un mémo perso. Ça fonctionne bien pour elle et pour moi. J’ai tendance à me perdre dans un dossier lorsque je veux le terminer et Marina sait me donner les bonnes indications pour que tout le travail se fasse en temps et heures.

 

 

 

 

33.

 

            Durant une semaine, on suit la routine. Le bon côté des circonstances, est que personne ne s’étonne de ne pas voir Jorbert dans l’entreprise. Il est coutumier du fait. Jérôme ne vient plus le soir et je me suis surprise à le regretter. Je me suis endormie deux fois dans le siège devant la terrasse sous mon plaid très doux et très chaud. Mais je dors mieux. Je suis soulagée, même si j’ai dû évacuer tout ce stress. Heureusement que j’ai acquis des techniques de relaxation qui fonctionne assez bien et ma tisane spéciale dodo refait de l’effet. Donc, je suis parée pour reprendre un sommeil plus normal, quoi que différent. Finalement, ces deux dernières années presque et demie m’ont mise à mal, même si j’ai assuré pour que ce ne soit pas trop néfaste pour moi. Maintenant, je vais avoir un sommeil plus conforme à ma nouvelle sérénité. Et je gage que les changements au boulot vont me plaire. Je crois. On verra bien. Un bref coup sur le battant et Marina ouvre la battant laissant passer un Jérôme charger de toute une dînette de luxe. Il dépose tout sur la table avec précaution. Je hausse les sourcils à Marina qui me roule des yeux. Me voilà bien avancée !

 

-          C’est quoi tout ça ?

 

Autant demander !

 

-          Ce qu’il faut pour fêter !

-          Fêter quoi ?

-          Jorbert écroué.

-          Mais il l’était déjà ?

-          En préventive, mais là il ne pourra sortir qu’à la fin du procès et il ne risque pas d’en sortir vu les nombreux chefs d’accusations et de ceux qui viennent s’adjoindre au dossier déjà très conséquent.

-          C’est… vrai ?

-          Oui.

 

Il s’approche de moi et pose ses mains sur le bureau pour être plus proche de moi.

 

-          Oui. Vrai de vrai. Ma cousine m’a appelé pour me le dire de vive voix, encore au palais et elle exultait. Son avocat a bien essayé de le sortir de là, essayant de mettre en avant des vices de forme, mais c’était peine perdue. Finalement, voyant la situation, la juge a émis la sentence qu’il soit mis en prison jusqu’à la fin du procès qui risque de durer longtemps. Quand l’avocat a émis des véhémentes récusations vis-à-vis de cette décision, la juge lui a dit qu’elle ne voulait pas que son client puisse quitter le pays et ne fasse pas face à ce procès. L’affaire était entendue et Jorbert va goutter enfin  ce qu’il mérite !

 

Je vois à nouveau passer cette lueur mortifère dans ses yeux clairs et ses traits ciselés et harmonieux. J’ai un bref frémissement.

 

-          Merci !

-          Merci à toi. A vous deux. Et maintenant, trinquons, ripaillons et réjouissons-nous !

 

Et c’est ce qu’on a fait. Heureusement qu’il n’y avait pas de rendez-vous avec un client, ni même de dossiers urgents à finir. Le champagne était vraiment excellent et tout ce qu’il a apporté pour manger délectable. Il n’a pas lésiné sur la quantité et la qualité des mets que je devine venant d’un traiteur de luxe. Nous discutons de tout et de rien, puis de Jorbert, du procès. Il en dit un peu plus, pas beaucoup plus, secret de l’instruction oblige. Mais à mesure que le temps passe, je sens quelque chose se dénouer en moi, les derniers liens d’inquiétude. Jérôme lève son verre vers moi et me sourit chaudement.

 

-          Et bien, patron… c’est quand que vous faite votre grande entrée ?

-          Lundi prochain.

-          Après demain vendredi et ce week-end ? C’est pas un peu scherp (vite)?

-          Non… en fait, tout est déjà préparé… j’ai désiré nous laisser encore cette semaine pour peaufiner les détails…

-          Non, dites plutôt pour vous laisser du temps, tiens !

-          On ne peut rien vous cacher, Marina.

 

Il lève son verre vers elle et elle montre son œil pour bien marquer son point de vue.

 

-          Trinquons encore et après, je vous invite au restaurant.

-          Avec tout ce qu’on a mangé…

-          Un léger apéritif ! Prenez votre temps pour vous préparer. D’ici une heure, retrouvons-nous…

 

Il cite un restaurant des plus prestigieux et cher de la capitale. Il sera alors treize heures, pile la bonne heure. Marina trépigne de joie et file. Jérôme me fait un clin d’œil.

 

-          A tout de suite.

 

Je hoche la tête.

 

 

 

 

34.

 

            Nous sommes dans mon bureau, dégustant un de mes cafés les plus prisés qui coûte une blinde, mais chaque centime vaut ce nectar. Je ne le sors que pour les grandes occasions et c’en est assurément une ! Je m’étire doucement dans mon siège, totalement détendue comme je ne l’ai jamais été dans l’entreprise ou alors je ne me souviens plus. Marina a le regard vague, ce qui ne lui ressemble pas quand à Jérôme il a les yeux fermés et a une pose détendue, allongé sur la chaise, les chevilles croisées et les mains soutenant son mug.

 

-          Donc… patron… on fait comment si on nous demande pourquoi vous étiez chez la cheffe comme simple collaborateur et employé ?

-          Vous êtes évasives et ne répondez rien. Lundi, une réunion est préparée dans la grande salle des réunions où j’expliquerai la situation succinctement et répondrai au mieux aux questions. Vous devriez échapper au chapelet des questions indiscrètes.

-          Moui, ça c’est parce que vous ne connaissez pas les secrétaires du service marketing. De vraies moulins à commères et pipelettes comme pas deux avec ça.

-          Pas encore, mais c’est une des tâches qui m’incombent dans les semaines à venir.

-          Bonne chance, patron ! Je sais pas vous, mais moi j’ai autant d’énergie qu’un spaghetti dépressif !

-          Moi aussi, Marina. Prends ton après-midi. Rien d’urgent ?

-          Non, cheffe.

-          Alors, vas-y.

-          Oui et prends ta matinée aussi.

-          Patron, c’est votre premier ordre comme patron ?

-          On peut dire ça comme ça ?

-          Vous allez déchirer, patron, vraiment. A demain alors… Et, cheffe…

-          Oui ?

-          Je suis vraiment heureuse pour vous.

-          Moi aussi, Marina,

 

Elle nous fait un signe de la main et sort.

 

-          Un phénomène…

-          Oui. Jorbert ne l’a jamais aimée et a presque tout fait pour essayer que j’ai une autre secrétaire, mais une de mes prérogatives mises par contrat est que je choisissais mes collaborateurs, mes partenaires d’affaire, ma secrétaire ou mon secrétaire.

-          Cela n’a pas dû te faire plaisir de me voir imposer par Jorbert ?

-          J’ai été assez furieuse au début, sachant combien il voulait même un employé à sa solde auprès de moi pour mieux me contrôler. Mais… je ne sais pas… quand je t’ai vu entrer, j’ai eu un bon feeling et après confirmé par ton attitude. De plus… tu m’as donné un sentiment de sécurité et ça c’était inusité et bienvenu.

-          Alors tant mieux/

 

Il se redresse souplement et saute sur ses pieds.

 

-          Je vais te donner le deuxième ordre en tant que patron, rentre chez toi et ne vient qu’en début d’après-midi.

-          Merci. Ce n’est pas de refus, je suis assez vannée.

-          J’imagine.

 

Je prends mes affaires rapidement et vais vers ma porte de bureau.

 

-          Je fermerai. Je veux encore étudier quelques dossiers.

-          N’en fais pas trop, patron !

 

Il a un petit rire sexy et je sors rapidement. Il me plaît de plus en plus.

 

 

 

35.

 

            L’entreprise en entier est dans la grande salle de réunion. Nous sommes 66 dans l’entreprise et la salle peut accueillir 110 personnes en agençant bien l’espace. On a prévu un buffet, du moins, Jérôme a prévu un buffet, chose dont je ne savais pas. Il a vraiment fait fort. Il semble que le traiteur soit plutôt onéreux. Il y a des boissons différentes, chaudes et froides et il y a même cinq personnes pour servir. Bien, bien ! Jérôme monte sur un petit tréteau qui n’est pas là habituellement. Marina me sourit en levant discrètement un pouce. Je lui renvois une grimace surprise. Je parie qu’elle a aidé à faire tout cela, la connaissant. Elle adore les mystères et autres choses du style. Le brouhaha est intense et je vois le service du Marketing qui affiche un air frustré qui me fait rire sous cape. Ils sont si friands de ragots et autres que ne rien savoir, ni même d’avoir soupçonné doit les mettre sur les dents. Jérôme s’est habillé avec un costume qui crie coûteux et il a un air de patron qu’il n’a pas eu durant notre collaboration. C’est subtil, mais perceptible. Les regards sont discrets, mais visibles. Trois personnes sont au côté de l’élévation. J’imagine que ce qu’il va dire les concerne plus particulièrement, comme quoi, il a bien préparé son coup. Je n’en attendais pas moins de lui. Il attends que le calme s’installe et regarde tout le monde, ses mains croisées légèrement devant lui et un sourire discret et chaleureux aux lèvres.  Un silence plein d’attente et interrogateur s’installe.

 

-          Bonjour. Merci d’être ici. Je m’appelle Jérôme Dormond…

 

Des murmures circulent ici et là. Certains étaient là lorsque son père était le patron de l’entreprise avant qu’il ne le laisse entre les mains de deux Directeur Généraux et actionnaires majoritaires. Jorbert et Lifton qui n’apparaît pratiquement jamais dans l’entreprise. Il semble qu’il laissait tout entre les mains vicieuses et avares de Jorbert. Et qui sait, il est peut-être aussi complice de ce dernier…

 

-          Je suis revenu afin de prendre la direction de l’entreprise. Pour cela, il me faut votre coopération. Je convoquerai chacun d’entre vous pour que vous m’aidiez prendre connaissance de votre service et de votre poste. D’ores et déjà mon bureau vous est accessible si vous désirez parler avec moi.

 

Un murmure plus soutenu parcourt l’assemblée. Jérôme attend que cela s’apaise en bon orateur et observateur.

 

-          Monsieur Jorbert est destitué de son poste et n’a plus accès à l’entreprise de quelque façon que ce soit.

 

Un bref gémissement est poussé près de moi, alors qu’une jeune employée que je ne connais pas sort précipitamment de la pièce. Marina la suit des yeux. Elle doit savoir qui c’est. Je lui fait un bref signe de la tête afin qu’elle aille avec lui. Encore une victime de Jorbert ? Marina me sourit et suit la femme. Jérôme a plissé les yeux et me lance un bref regard. Nul doute qu’il a tout enregistré.

 

-          Dorénavant, j’enjoins toute personne qui aurait un problème d’harcèlement ou autre à en faire part à un nouveau service qui est déjà mis sur pied avec une assistante sociale, Mademoiselle Friedman qui travaillera avec Madame Rarchard, notre responsable du Service des Salariés.

 

Elles lèvent leur main.

 

-          Monsieur Greyshuis ici présent sera chargé de la sécurité à l’entrée du bâtiment dorénavant.

 

Des murmures surpris courent partout. Voilà qui est bizarre, mais compte-tenu de ce que je sais de Jorbert, cela ne m’étonne pas trop. Jérôme attend que le calme revienne.

 

-          Je vous remercie de votre attention et de votre patience. Je vous invite maintenant à prendre une collation.

 

Des applaudissements surgissent spontanément. Je suis certaine que ça a tout à voir avec le fait de manger et de boire. Un bon moyen de se mettre dans sa poche les gens. Au début. Il descend du tréteau et plusieurs employés l’entourent. Il les accueille avec un sourire et les écoute attentivement. Je me tourne vers le buffet. Tout se passe au mieux. j’ai un soupir discret. Je sens quelqu’un se coller presqu’à moi. Lerbert. Je fais une volte-face brusque ce qui l’oblige à faire deux pas en arrière s’il ne veut pas tomber.

 

-          Lerbert ! A partir de maintenant, vous aurez soin de rester à quelques pas de distance de moi et de montrer du respect. Je ne veux plus de vos regards concupiscents sur ma personne. C’est bien compris ?

 

Ma voix est plus élevée que je ne voulais, mais la coupe est pleine et surtout je ne vais plus supporter ce genre de comportement. L’homme rougit violemment. en levant les paumes en avant en geste de défense. De petits applaudissements éclatent ici et là. je soupire profondément en me reprenant rapidement. Lerbert file rapidement. Je pense qu’il a compris. Si ce n’est pas le cas, ce sera le deuxième procès par harcèlement que je ferai. Après une heure de se sustenter, les employés commencent à quitter la salle. Dans la circulaire qu’ils ont reçu vendredi soir, il était stipulé que tout le personnel pouvait partir chez eux pour le reste de leur journée. Cadeau de la Direction. sûr que notre patron a gagné des points.

 

36.

 

            Je suis devant ma grande fenêtre dans mon bureau et je bois une petite tasse de café. Un merveilleux arôme d’un café tout aussi admirable. Je ne pense à rien, mais je me sens détendue et cela me rend perplexe. Cela fait si longtemps que je ne me sentais pas comme cela. Un bref coup au battant et la porte s’ouvre. Marina. Ah non…

 

-          Jérôme… encore là ? Je pensais que tu irais dans ton grand bureau de Directeur ou Patron Général…

-          Je ne peux y aller que dans deux jours après les nouveaux aménagements décoratifs et autres changements que je désire. Je vais devoir squatter ton bureau encore ces 48 heures prochaines.

-          Pas de problème, patron. Tu es chez toi partout…

-          Merci, très aimable.

 

Je plonge mon visage dans mon mug. Jérôme se prépare  un café. Je souris discrètement. Je sens que je vais regretter mon collaborateur. Il s’assoit et souffle sur le nectar obscure. Je me tourne et m’assoit dans mon siège ergonomique.

 

-          J’aurais aimé que tu me tiennes au courant…

-          De quoi ?

-          De la teneur de ton discours, par exemple… je me suis sentie exclue et aussi manipulée.

-          Tu voudrais des excuses…

-          Non ! Désolée, je ne voulais pas dire quelque chose qui… en fait… ces dernières semaines ont été particulières et notre collaboration a été… proche et…

-          Je comprends. Mais c’est surtout un manque de temps qui ne m’a pas permis de te mettre au courant.

-          Marina semble avoir été d’un grand secours…

-          Elle ne t’a rien dit sur ma demande… je voulais t’en parler, mais les circonstances se sont enchainées et le temps a manqué…

 

Il hausse ses larges épaules en me souriant. Je suis peut-être trop sensible.

 

-          Et maintenant ?

-          Tu as un poste de directrice maintenant.

-          Comment ça ?

-          Oui. Tu as fait tes preuves. Tu as fait le travail de Jorbert, aussi tu es celle qui doit reprendre son poste.

-          Sans son carnet d’adresses ?

-          Tu n’aimerais pas l’avoir. Tu as suffisamment de clients pour reprendre son poste et étoffer ton carnet au fur et à mesure. Tous les clients que j’ai contactés m’ont exprimé leur satisfaction de leur collaboration avec eux et le suivi de leur dossier. Ils ont confiance en toi. C’est une base très importante pour un tel poste.

-          Je garde Marina.

-          Je crois que Marina ne verrait pas les choses autrement et je ne voudrais pas me mettre à dos Marina.

 

J’ai un petit rire, voyant la grimace horrifié que fait Jérôme. Je le comprends, Marina peut être redoutable.

 

-          Si tu désires reprendre le bureau de Jorbert à l’étage de…

-          NON !

 

J’ai crié. Je souffle fortement.

 

-          Désolée, mais je ne tiens pas à travailler dans son bureau, il y a trop de souvenirs qui…

-          Je comprends. Tu peux choisir un autre bureau à l’étage des exécutifs, mais si tu préfères rester ici, cela n’a pas vraiment d’importance pour moi. Je privilégie le travail, pas les marques de fonction.

-          Bon à savoir. Je privilégie aussi le travail.

-          Alors, notre collaboration sera comme avant, efficace. Je reste à ta disposition, quel que soit la situation.

-          Bon à savoir.

 

Jérôme me regarde fixement en faisant tourner son mug entre ses grandes mains aux doigts fins et nerveux.

 

-          J’aimerais t’inviter au restaurant ce soir…

 

Je le regarde fixement aussi. Il me plaît de plus en plus, mais professionnel et privé ne font pas bon ménage. Mais…

 

-          Oui.

-          Je passe te chercher chez toi.

-          Oui.

-          Je connais un resto assez sympa.

-          D’accord.

-          Bien. Je te laisse, j’ai encore quelques petites choses à faire ici.

-          OK.

 

 

 

37.

 

            Nous sommes dans le restaurant qu’il a l’air vraiment très bien. Je ne connaissais pas, mais je ne peux pas connaitre tous les restos de la capitale. Nous avons commandé et nous buvons quelques gorgées de vin entre deux silences gênés.

 

-          Ça va faire bizarre de t’avoir comme patron.

-          Pourquoi ?

-          Parce que j’ai été ta patronne.

-          Oui, vu comme cela.

 

Les plats arrivent et nous mangeons. Nous terminons le repas et buvons du vin encore. Nous sommes comme deux miroirs se renvoyant une image similaire. Jérôme a un petit rire.

 

-          Je suis désolé… cela ne se déroule pas comme je l’avais pensé… nous sommes gênés et c’est la dernière chose que je veux entre nous.

-          De même. Je crois que je dois assimiler et toi aussi… Beaucoup de choses en peu de temps…

-          Oui. Veux-tu un dessert, un café ?

-          Non. C’était trop bon pour prendre un dessert par-dessus.

-          Puis-je t’inviter chez moi pour un dernier verre ?

 

J’écarquille les yeux et le regarde fixement.

 

-          J’aimerais te montrer où j’habite et te demander ton aide pour la décoration…  je n’ai pas trop l’habitude. Avant de parcourir le monde, je n’ai pas vraiment habité mon appartement d’alors. Je pense que ma mère s’est chargée de l’aménagement de ce dernier. Je suis un peu perdue et mes parents sont en lune de miel perpétuelle.

-          Je serais ravie de t’aider dans l’aménagement.

-          Je te devrai une fière chandelle.

-          Ton obligée…

-          Ne fais pas de promesse que tu n’es pas sûr de tenir…

-          Celle-ci je la tiendrai. Nous y allons ?

 

Le trajet nous prend un peu moins de temps qu’à l’aller à partir de chez moi. En fait son appartement se trouve à trois rues du mien. Nous entrons dans un hall très classe et dépuré. L’ascenseur est dans le même style, silencieux. Nous arrivons au dernier étage. Un penthouse ? Il ouvre et me fait signe de le pré céder. J’entre de plein pied dans un hall assez ample et à la fois aux bonnes dimensions. Une pièce, un salon a deux grands sièges en cuir qui a des coussins et des plaids dessus, preuve qu’il sert souvent de lit à l’occasion. Tout est ordonné, mais il y a de nombreuses boîtes en carton. Il m’invite à visiter le reste et je suis émerveillée. J’arrive devant une terrasse immense qui prend toute la grande chambre à coucher et les deux autres. La vue est spectaculaire, plus que la mienne. J’ouvre la grande verrière coulissante et me laisse hypnotiser par la vue. J’aime tant les terrasses et surtout comme celle-ci, amples, sûres et rassurantes. Il n’y a pas vraiment de vis-à-vis d’habitats. Les fenêtres des autres bâtiments sont assez éloignées par un grand par cet un petit bosquet. C’est magnifique. J’adore.

 

-          Cela te plaît.

-          Beaucoup. C’est encore plus beau que chez moi.

-          Différent, je dirais.

-          Tu veux un café ?

-          Oui. Je peux rester ici ?

-          Je t‘apporte un des sièges que j’ai acquis récemment. Il devrait te plaire.

 

Il me plait, c’est la copie conforme des miens. Je ris un peu et Jérôme sourit en me faisant un clin-d ‘œil. Je m’installe et je resserre mon châle autour de moi. Il a l’avantage de me tenir au chaud tout en étant très élégant. Jérôme revient avec un plateau sur une petite table. Il y a quelques douceurs accompagnants celui-ci, ce qui me fait sourire. Nous buvons notre café, je me laisse tenter par l’une de ces douceurs. Nous restons là à contempler la vue et je me détends, sentant que je suis vraiment là où je dois être. Il me plait, comme patron, je suis certaine, mais plus comme homme. Mais c’est sans doute trop tôt ou encore ce n’est pas possible.

 

-          J’aimerais que nous nous connaissions.

-          Nous nous connaissons.

-          Oui, mais comme couple.

-          Comme couple ?

 

Lit-il dans mes pensées ?

 

-          Tu me plais et je suis bien conscience de la situation, mais je ne veux pas seulement être ton patron, je ne le pourrais pas et je ne le veux même pas.

 

Je le regarde fixement. Je resserre plus encore le châle. Je lui tends la main et il me la serre.

 

-          Je voudrais aussi te connaître, je ne veux pas seulement être ton employée. Je voudrais te connaître comme personne.

-          Comme homme ?

-          Comme homme.

-          Alors on est sur la même longueur d’onde.

-          Oui. Mais pas encore maintenant.

-          Non, pas encore maintenant. Bientôt ?

-          Bientôt.

 

Il m’embrasse la paume.

 

-          Nous voyons pour l’aménagement ?

-          Oui.

 

 

 

 

38.

 

            Voilà dix jours que j’étais chez Jérôme à considérer comment devrait être sa décoration et son aménagement. Nous avons des goûts très similaires. Cependant, j’ai eu soin de lui dire que ce n’était que des suggestions et que je ne voulais pas l’influencer. Mais il m’a assuré à tout moment que c’était aussi comme ça qu’il voyait les choses. Finalement à une heure du matin, il m’a ramené chez moi. Nous étions tous les deux très heureux de la soirée. Au moment d’arriver devant ma porte, il y a eu cet instant de flottement. Il s’est juste penché en avant, m’a embrassé la bouche avec intensité, mais très bref. J’ai répondu et il est parti très rapidement à reculons jusqu’à se tourner et descendre les marches quatre à quatre. J’aurais pu me vexer de sa vélocité à me quitter, si je ne le savais pas mieux que cela. Nous avons trop envie l’une de l’autre, mais ce n’est pas le moment. Trop de choses entre nous, trop d’évènements. Jorbert n’est plus un problème direct pour moi, mais il n’est pas encore suffisamment loin de moi. Et puis le remaniement dans l’entreprise. Et dix jours plus tard, nous sommes en plein dedans. L’ensemble des employés ont très bien pris les changements et je m’en réjouis. Jérôme se montre comme le réel leader qu’il est et surtout il fait ce qu’il dit comme il le dit. Ce qui n’est pas mal.

Il a convoqué chacun des employés les uns après les autres. Et tous ont été ravis de cette rencontre y compris le service Marketing qui ne s’en laisse compter par personne. Ils sont coriaces et très critiques.

            Marina entre dans mon bureau après avoir frappé d’un coup bref le battant.

 

-          Cheffe… y’a le bureau du Directeur Général et Patron qui demande à ce que vous veniez dans son bureau pour la rencontre avec le big boss.

-          C’est une blague ?

-          Cheffe, voyons ! La secrétaire du Directeur Général et Patron n’est pas du genre à blaguer. Très sérieuse, très pro et très sévère aussi. Dois pas se marrer tout le jour le Grand Patron !

-          Tu veux dire comme avec toi,

-          Justement, tu captes toujours très bien ce que je veux dire, cheffe !

 

Marina me sourit à pleines dents. Je soupire.

 

-          Et pour quand est-ce cette rencontre au sommet ?

-          Dans cinq minutes, cheffe !

-          Cinq minutes ? Qu’est-ce que je fais encore ici ?

-          Ben, c’est aussi ce que je me disais et c’est pourquoi je suis venu vous prévenir. Il a envoyé ça sur votre portable, dans votre mail.

-          Pourquoi ?

-          J’imagine que c’est pour que ce soit moins froid et officiel.

-          C’est réussi ! Il devrait savoir que je ne mélange pas le privé et le professionnel.

 

J’attrape mon sac à main et sort en coup de vent. Où a-t-il la tête ? Bien sûr, cela part sans doute d’une bonne intention, mais ça m’a l’air loupé et je déteste arriver en retard. Un autre point commun. Pour un premier contact avec sa secrétaire qui ressemble à un dragon, c’est parfait !  J’arrive dans le bureau de la secrétaire avec une minute de retard, ce qui me fait un peu grincer des dents.

 

-          Bonjour. Je suis Madame Elina Bronteur.  Monsieur Dormond m’attend.

-          Effectivement. Je l’appelle pour le prévenir que vous êtes enfin arrivée.

 

Je souris étroitement. Il semble vraiment que c’est un dragon. Chouette ! Elle l’appelle et une minute plus tard me dit de la suivre. Elle ouvre une porte et m’enjoint à entrer. La porte se rassoit derrière moi. Je ne bouge pas. Je n’aime pas les convocations, même si je les comprends et ici, je trouve la chose absurde. Il est vraiment devenu un Grand Patron ? Il s’est levé à mon entrée et dès que la porte se ferme derrière moi, il s’approche rapidement, me prend les bras doucement, m’attire contre lui et m’embrasse à pleine bouche. Je reste rigide quelques instants, puis répond avec autant de passion que lui. Il me place contre le battant où je me laisse aller lorsqu’il se recule un peu.

 

-          Vous recevez toujours les employés comme cela, Grand Patron ?

-          Tu es l’exception à la règle générale.

-          Je préfère.

-          Moi aussi.

 

Il se recule, puis revient à sa place derrière son grand bureau.

 

-          Assieds-toi. Parlons.

 

 

 

 

 

39.

 

            Il est assis derrière son grand bureau de grand patron. Cela vaut mieux. Il serre les mains, seul signe apparent qu’il n’est pas à l’aise. Depuis dix jours nous ne nous sommes pas vu. Il aurait pu venir chez moi et moi chez lui.  Mais…

 

-          J’aurais pu venir chez toi ou toi chez moi… mais c’est trop tôt, je crois. Pour nous deux.

-          Oui. Merci. Je crois aussi.

 

On se sourit avec tendresse.

 

-          Je sais que c’est un peu bizarre de te convoquer comme tous les autres employés, mais je voulais te voir dans un endroit moins personnel et aussi, je veux savoir comment vont les choses. J’ai vu que tu avais signé ton nouveau contrat et assumer tes nouvelles responsabilités. Je t’ai envoyé un projet particulier pour ouvrir un nouveau secteur. J’aimerais que tu me dises ce que tu en penses et ajouter tes idées et autres commentaires. Et si ce projet d’après tes connaissances pratiques de l’entreprise, c’est financièrement viable. C’est un travail supplémentaire et je comprendrais que tu ne…

-          Non, non ! Cela m’intéresse. J’ai moi-même souvent pensé à des secteurs que l’entreprise pourrait développer. J’ai même esquissé certains de ces projets, mais sans approfondir.

-          Cela m’intéresse beaucoup ! Cela n’est pas pressé. Mais j’aimerais en savoir plus. Nous pourrions en parler autour d’un repas et nous verrions comment les mettre sur pied. J’aimerais faire partie de l’élaboration de ceux-ci.

 

Je souris amplement. Avec Jorbert, j’ai vite compris que c’était peine perdue. Il s’afférait à ce qu’il connaissait et cela ne l’intéressait pas d’évoluer et de créer. Moi bien. Cela me permet de mieux travailler et d’être plus motivée. Nous nous sourions, étant sur la même longueur d’ondes.

 

-          Bien, bien… Je ne vais pas plus te retenir…

-          Dommage…

 

Il me lance un regard comminatoire.

 

-          Ne me provoqe pas, si tu savais combien c’est dur…

-          Je sais…

 

Nous savons bien sûr, mais nous sommes trop conscients des enjeux, des circonstances, de la fragilité et la vulnérabilité que je ressens encore dû à ces deux dernières années. J’apprécie qu’il me donne ce temps, j’aime qu’il comprenne que lui aussi doit avoir un certain temps. Je soupire discrètement. Il se relève de son siège lentement, sans me quitter des yeux. Il s’accroupit devant moi et pose son visage sur mes paumes. Il soupire légèrement. Je me penche en avant pour embrasser ses cheveux drus et doux.  Il se relève.

 

-          N’en fais pas trop et prends ton temps pour me dire ce qu’il en est. Ma porte t’est toujours ouverte si tu as besoin de moi.

 

Il se redresse légèrement et part vers la porte qu’il m’ouvre ne grand, dissipant notre complicité, notre désir de plus en plus grand l’une de l’autre.

 

 

 

 

40.

 

            Jacinthe, la cousine de Jérôme qui est l’avocate du dossier Jorbert m’a appelé. Celui-ci est devenu très long, ajoutant sans cesse de nouvelles accusations. Le dossier promet plusieurs procès très longs. Jorbert n’est pas prêt de sortir de la prison. Nous nous sommes vu au moment du déjeuner dans un petit resto très sympa, pas très loin du boulot où je vais de temps en temps. Marina m’accompagne quelquefois. Tout est très frais et excellent. Nous avons commencé à parler de choses et d’autres. J’avais l’impression qu’elle voulait me dire quelque chose de précis et que cela n’a rien à voir avec l’affaire qui l’occupe pratiquement full time.

 

-          Le travail avec Jérôme doit être différent…

-          Meilleur, je dirais. C’est la manière dont je conçois le travail. Un actif pour l’entreprise en dehors du fait qu’il est un excellent patron. L’entreprise a enfin ce qu’elle mérite. J’aime beaucoup mon travail et je suis toujours heureuse de le faire.

-          J‘imagine. Jérôme est un excellent gestionnaire, il est toujours passionné par ce qu’il entreprend. Toi aussi, non ?

-          Oui. Je crois. Et…

 

Elle rit joyeusement.

 

-          Touché ! Jérôme est quelqu’un de bien, il a eu quelques ennuis, pas trop graves, enfin, en absolu, parce que quand ça touche les sentiments, ce n’est pas le cas. Il t’en parlera sûrement. Il mérite d’être heureux et toi aussi… ensemble.

-          Direct.

-          Oui. Je t’apprécie et je crois qu’avec toi il peut être heureux. Je l’aime beaucoup, c’est mon cousin préféré. Il a ses défauts, mais bon… je te laisse le plaisir de les découvrir.

-          Merci.

-          Je t’en prie.

 

Nous dégustons nos commandes.

 

-          Quant à ton dossier. La juge a statué et «émis sa sentence. Tu recevras la notification d’ici quelques jours. Il te doit des dommages et intérêt pour le harcèlement durant les deux ans passés et aussi pour préjudice moral dans le cadre du domaine professionnel. La juge ajoutera cette sentence aux autres qui viendront en ce qui concerne la peine de prison. Pour le dédommagement financier, cela viendra dans quelques semaines ou mois. Les choses sont lentes en justice, comme tu le sais, même si Jorbert est solvable et à suffisamment pour dédommager une série de personnes, étant donné qu’après ta plainte plusieurs des femmes qui avaient subi le harcèlement de Jorbert et qui s’étaient rétractées à cause de menace ou de dédommagement sous le coude ont décidé de porter plainte contre lui à nouveau. Il n’y a pas prescription, aussi cela alourdit son dossier d’autant.

-          Mais si elles ont accepté l’argent…

-          Ce sont celles qui ont été violées et maltraitées physiquement. Jorberrt a usé de menaces et de récompense. C’est un esprit pervers. Ces femmes veulent maintenant restaurés leur dignité et aussi dire ce qu’elles ont subis.

-          Désolée. Je comprends.

 

Nous terminons de déjeuner. Son téléphone sonne et elle soupire en regardant en l’air d’un air un peu excédé.

 

-          Ça n’arrête jamais.

-          Je sais…

-          Excuses-moi, je dois le prendre. Et je dois partir aussi.

-          Ne t’inquiètes pas, c’est normal.

-          Zut ! Ce client est tellement arrogant et impatient ! Je dois rappeler.

 

Elle me salut de la main et prend de l’argent. Je lui fais signe que l’addition est pour moi. Elle hoche la tête et souffle merci tout en sortant précipitamment, le téléphone collé à l’oreille et l’attention déjà ailleurs. Je souris et revient à mon bureau. D’une façon différente, elle ressemble à Jérôme.

 

 

 

41.

 

            Deux semaines. Cela fait deux semaines que l’entreprise est dans tous ses états. Jérôme a envoyé des circulaires à tous les services en leur demandant des évaluations et aussi de monter un dossier sur des suggestions pour améliorer leur service. Il n’a pas demandé de temps précis, mais tout le monde est devenu comme fou. Du coup, c’est à Qui apportera le plus d’améliorations à son service et aussi à mettre sur pied des projets lorsque, comme dans le cas du secteur marketing, il peut le faire. Il y a un air exacerbé qui m’épate. Jérôme est très présent et très disponible, chose que jamais Jorbert n’a été et il acquière très rapidement les suffrages, même des plus critiques. Je ne suis pas en reste, quand à Marina, c’est à croire que c’est elle qui l’a créé le big boss, comme elle l’appelle. Quinze jours où nous ne nous sommes pas vus, même pas croisés. Dire que je suis frustrée est un doux euphémisme. J’ai vraiment besoin de le voir et nos rapports professionnels me manquent. Pas que mon temps soit des plus flexibles quant aux projets en cours et les rendez-vous avec les clients. Nullement. J’ai à peine le temps de faire une pause tant je suis concentrée. Si ce n’était Marina qui me soigne, je ne mangerais rien, ni boirais quoique ce soit de toute la journée. Je dois dire que j’ai eu une bonne surprise il y a 8 jours. Jérôme m’avait prévenu par message privé que nous irions déjeuner ensemble, puis il m’a envoyé la demi-heure plus tard un autre message pour dire qu’il ne pourrait pas dû à un « contretemps ». Et nous sommes dans les contretemps continuels depuis sept jours. Une tasse apparaît devant moi. Quelle heure est-il ?

 

-          Cheffe ! C’est le quatre heure à quinze heures. Faut pas vous laisser aller comme ça ! Faut vous sustenter !

 

J’ai un petit rire en voyant sa mimique faussement sévère et excédée.

 

-          Tu as raison.

-          Demain week-end !

 

Elle hausse comiquement ses sourcils.

 

-          Oui.

 

Elle soupire lourdement.

 

-          Faut sortir, voir du monde… une petite partie de plaisir aussi… avec quelqu’un… bien… pas mal… hein…

 

Elle continue son jeu de sourcils avec  un air plus grivois.

 

-          C’est trop tôt.

 

Elle fait mine de s’évanouir et tombe lourdement dans le siège face au mien.

 

-          Trop tôt ? Tu plaisantes, cheffe ? Vous êtes plus mûrs que mûrs et faut donc conclure !

 

Je ris en me passant les mains sur le visage. Il y a plus d’un mois que Jorbert est hors d’état de nuire et… ce n’est pas une question de jours, mais comment je me sens par rapport à tout le temps dont Jorbert m’a mis à mal. Je ne sais pas si je suis déjà débarrassée de tous ces dommages. Mais Marina a ans doute raison. Cela ne sert à rien de trop attendre. D’autant que lui et moi en avons vraiment envie.  

Donc…

           

 

 

 

42.

 

            Je tourne en rond sur ma terrasse, ce qui n’est pas habituel pour moi. Il fait inusuellement bon, presque chaud. Le climat est si changeant…  Les paroles de Marina tournent dans ma tête. Et mon désir et mes envies et ma raison, tous ensembles circulant en une ronde infernale. Je n’arrive à aucune conclusion satisfaisante. Peut-être n’y en a-t-il aucune et que la seule satisfaction serait d’agir ? Oui, mais après ? Je fonctionne comme si j’étais seule pour décider. Je rentre dans mon salon et je prends un châle. Tant pis, je deviens chèvre à ne rien faire, aussi autant agir, je verrai plus tard, mais… maintenant c’est ce que je veux, ce que je désire. Je le veux lui et ça, ce n’est pas habituel. Je ne suis pas très passionnée comme personne, trop pragmatique, mais là… je le veux trop. Je chausse mes bottillons, ma veste, mon sac, mes clefs de voiture et bon vent ! En quelques minutes, je me gare et je regarde sa rue. Je me pince les lèvres, je tire sur le cuticule de mon pouce, vilaine habitude que j’ai quand je ne suis pas à l’aise. Je descends de voiture, marche d’un pas décidé, n’en menant pas large intérieurement, mais peu importe, je ne veux plus attendre. Marina a raison. Je suis devant la porte d’entrée extérieure de l’immeuble. Je vois son numéro, sa sonnette. Un peu de courage, ma vieille ! Je pousse sur celle-ci. Un petit écran s’allume.

 

-          Elina ?

-          Oui.

-          Monte !

 

Un clic m’apprend que la porte est déverrouillée. Je la pousse. J’entre, Je prends l’ascenseur. Deux minutes plus tard, je suis sur le palier de l’appartement. Il me regarde approcher, un léger sourire sur les lèvres, la mine imperturbable. Il me prend la main et m’entraine doucement à l’intérieur de son extraordinaire appartement. Il ferme la porte et me mène à un ample fauteuil, sans me quitter des yeux.

 

-          Je…

-          Non… pas maintenant…

 

Il me prend le visage entre ses mains et nous nous embrassons lentement. Le baiser s’approfondit et je désire plus, beaucoup plus. Il se recule, sans que ses mains ne quittent mes joues.

 

-          Si tu n’étais pas venue, je serai venu.

-          Oh, alors j’ai raté l’occasion de rester chez moi bien au chaud.

-          Si c’est de chaleur qu’il s’agit, je peux te tenir au chaud bien plus efficacement.

-          Promesses… promesses…

 

Il me prend contre lui en m’embrassant passionnément. Notre passion s’exacerbe. Il me prend dans ses bras et m’emmène dans sa chambre. Il me couche sur le lit et nous nous déshabillons avec une frénésie qui en dit long sur notre frustration et notre désir. Son corps est comme je l’imaginais. Grand, bien découplé par la pratique du sport, mais aussi par sa nature élancée. Ses hanches étroites mettent en évidence son sexe prêt. Il me regarde et son regard affamé se pose sur mes seins. J’ai un bref frissonnement. Il me regarde.

 

-          Cela te gène ou te déplait que je regarde et caresse tes seins ?

 

J’écarquille les yeux, surprise, heureusement surprise de sa délicatesse. Je lui prends la main et la pose sur mon sein, le téton déjà durci par le désir.

 

-          Non. Je… c’est vrai que je déteste certains regards et Jorbert ne m’a pas aidé à ne m’a pas me sentir sale et violée… mais… toi… ton regard me plait, m’excite et je veux le sentir et tes mains et… ta bouche…

 

Je me soulève et l’embrasse à pleine bouche, tout en me frottant contre sa paume. Il a un rire bas, puis me caresse avec douceur et force et le désir devient de plsu en plus fort.

             Durant l’heure qui sourit nous nous prenons et reprenons. La nuit est bien avancée quand nous nous retrouvons dans sa cuisine après une courte douche. Il a mis un pantalon de jogging assez défraichi et qui tombe bas sur ses hanches. J’ai mis une chemise qu’il m’a donnée et dans laquelle je flotte un peu. Nous faisons un peu cliché, mais je nous vois beaux et heureux, comblés. Je sirote un café. Je ne sais pas l’heure adéquate, mais le café ne m’empêche pas de dormir. Cela m’aide à apprécier plus encore le chaud breuvage. Jérôme fait tourner sa tasse entrez ses doigts habiles, agiles et subtils. Il fait toujours çà quand il est pensif ou qu’il a un problème à résoudre ou une décision à prendre. Chacun ses tics.

 

-          Tu es bien ?

 

Il me regarde fixement.

 

-          Oui. Je… n’aurais pas pu supporter un jour de plus sans être avec toi. J’ai toujours  un peu peur… je me sens vulnérable encore, mais Jorbert est à l’ombre pour pas mal de temps, alors je veux être avec toi. J’ai besoin d’être avec toi…

-          Je veux être avec toi aussi. Je crois que ce sera plus simple de se soutenir ensemble.

-          Et dans l’entreprise ?

-          Nous sommes ensembles là aussi. Je n’ai pas l’intention de jouer aux chats et aux souris. Nous n’avons pas de politique sur les couples au sein de l’entreprise. Aussi rien ne nous empêche d’être ensemble. Nous sommes deux personnes discrètes et personne n’a à se mêler de notre relation.

-          Exact. Je préfère aussi, je n’aime pas les cachotteries.

 

Il se lève, me relève lentement et m’entraine dans une étreinte douce et forte. Je me laisse aller et notre désir monte à nouveau.

 

 

 

43.

 

            Durant une semaine, nous ne pouvons pas nous voir. Il accumule les heures sup et moi je ne suis pas en reste. Nous avons pu voler une heure en déjeunant dans son bureau et en nous étreignant, ce qui n’a attisé que notre frustration. Nous n’envoyons pas de messages via nos téléphones. Nous sommes tous les deux conscients que cela poserait un problème si nous faisions les frais d’une indiscrétion malveillante. L’entreprise bruisse comme une ruche et les affaires vont de mieux en mieux.

 

-          Cheffe… la réunion est dans cinq minutes.

 

Marina passe sa tête entre le chambranle et la porte.

 

-          Ouh là ! J’y vais.

 

Je rassemble quelques dossiers clôturés et ma tablette. Je prends mon sac que je mets en bandoulière. Une minute plus tard j’arrive dans la salle de réunions. Jérôme a demandé à tous les chefs de service et ses plus proches collaborateurs pour une réunion qui nous permettra de donner nos avis sur le service, les idées que nous en avons et échangés ainsi de vives voix des informations, afin d’émettre de meilleurs suggestions. Nous avons reçus les rapports des uns, des autres, mais Jérôme pense qu’une réunion est plus constructive et génère de meilleurs résultats, une sorte d’émulsion créative. Quand j’entre tous parlent ensemble et ça donne une sorte de cacophonie agréable. Je m’assois et nous nous saluons. Marina arrive peu après. Elle n’aime pas laisser le bureau seul sans protection. Les discussions sont peu professionnelles et tournant autour des bruits de couloir. Marina et moi chuchotons, mais en fait elle est plus attentive à ce qui se dit alentour que moi. Je n’aime pas trop les ragots. Ils ne m’ont pas apporté de bonheur par le passé et il m’a fallu assez de temps pour me défaire du mauvais sentiment qu’ils généraient en moi. Se reconstruire mentalement est toujours une sinécure. Les rires vont bon train et je dois dire que l’ambiance est assez bon enfant dans l’entreprise ne général, ce qui m’a incité à y rester, malgré l’inconvénient principal qu’était Jorbert. Il semble que lui dehors, l’entreprise a retrouvé un nouveau souffle et surtout une certaine sérénité. De fait tout le monde semble travailler mieux. Chacun se sert ce qu’il désire. Jérôme a insisté que tous aient quelque chose à boire et à manger, ce qui ajoute à la convivialité, même si la réunion sera des plus professionnelles et sérieuses. La porte s’ouvre et Jérôme entre. Le silence s’installe automatiquement.  Il est toujours aussi classe et élégant, même s’il prise la simplicité. Je le regarde comme les autres le regardent, sauf que je sens mon corps palpiter de désir. Marina pousse une sorte de petit grognement qui me fait savoir qu’elle sait ce que e ressens. Jérôme salue tout le monde collectivement, me lançant un bref regard neutre. Personne ne pourrait savoir ce qu’il en est pour nous. J’apprécie vraiment beaucoup. Il s’assoit.

 

-          Merci d’être venu. Excusez-moi du retard. Nous commençons ?

 

 

 

 

44.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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