Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
De escritura à écriture
De escritura à écriture
Archives
7 juillet 2023

Quand j'ai écrit cette nouvelle je ne voulais que

IMG_20190328_075452

 

Quand j'ai écrit cette nouvelle je ne voulais que remplir et signifier le titre... et cela a donné cette petite nouvelle qui m'a beaucoup amusé... Bonne lecture!

 

C’était quoi ça ?

 

1.

            J’arrive toujours en avance. Très en avance, c’est plus fort que moi. J’ai toujours l’impression que je vais être en retard. Le restaurant est élégant, sobre, d’une ambiance ouatée. La majorité des tables compte des couples endimanchés et mis sur leur trente-et-un. Les serveurs sont parfaits, très pros. Le service est impec, rien à redire et moi j’attends. Plus que dix minutes avant l’heure du rendez-vous prévue. Un homme entre dans la salle avec une énergie et une autorité avérée, il parcourt des yeux les clients. Je me lève lentement. C’est lui ? Pas lui ? Il fixe son regard sur moi, tout en souriant au maître d’hôtel et en acquiesçant à ce que lui dit ce dernier. Je suis toujours debout près de la table, fascinée par l’homme. Il arrive devant moi.

 

⁃                  Bonjour ! Je suis un peu en avance, mais…

⁃                  Non, c’est moi qui suis en retard. Merci d’avoir accepté ce rendez-vous et de m’avoir attendu. Pourrions-nous…

 

Il regarde fixement un point situé derrière moi et ses traits se durcissent en un clin d’œil. Son regard clair est glacial. Je voudrais regarder derrière moi, mais je n’ose pas bouger. Il fronce les lèvres qu’il a bien ourlées et pleines. Il s’avance vers moi. Je reste tétanisée.

 

⁃                  Venez !

 

Il me tend la main, impérieux, je lui tends la mienne, un peu déconcertée et fascinée. Nous sommes devant la table d’un couple. La femme est somptueuse, habillée comme une modèle, mais n’en étant pas une, puisqu’elle n’a pas la taille. Un mètre soixante-cinq sans talons ? J’ai l’œil pour ça. C’est une question de jambes et de bras… enfin, c’est compliqué ! L’homme d’une soixantaine d’années bien conservées regarde mon compagnon qui me tient toujours fermement la main. La femme a cillé et sa fourchette tombe sur la délicate assiette en porcelaine.

 

⁃                  Florent… Hélène… Comment allez-vous ?

⁃                  Très bien… Voulez-vous vous joindre à nous ?

 

Le ton de l’homme est incertain et suspicieux.

 

⁃                  En fait, pas vraiment. Je ne suis venu que pour vous dire que le contrat ne se fera pas. Hélène… tu devrais utiliser d’autres atouts plus appropriés. Mes avocats se mettront en contact avec toi. Bonne soirée !

 

Il leur sourit, se retourne et m’entraine à sa suite, une main à la taille et l’autre tenant toujours la mienne. Florent explose en imprécations, sommant Hélène de s’expliquer. Nous arrivons à ma table qui est toujours libre. George sort de la salle, suivi par une Hélène qui essaie de le retenir en se tenant à ses côtés, mais avec de tels talons… Un mètre soixante-sept sans talons, sans doute. Pas plus. L’homme me retire la chaise et je m’y laisse tomber, stupéfaite. C’était quoi ça ? Il s’assoit à son tour.

 

⁃                  J’apprécie ce que vous avez fait pour moi. Je vous remercie, même si elle m’avait dit que vous le seriez…

 

Je vois le couple sortir après un bref et coléreux conciliabule avec le maitre d’hôtel. Toutes les personnes présentes ont suivi des yeux ce qui se passait avec une certaine discrétion et classe. Un profond soupir résonne en face de moi. Je reporte mon regard sur l’homme. Il est impressionnant, pas vraiment beau au sens classique du terme, mais il se dégage de lui une séduction qui impose vraiment. Je me sens sous le charme, même si la seule chose qui correspond à ce qui me plaît chez un homme soit sa haute taille et un physique qui doit voir assez souvent une salle de sport. Il est blond vénitien, une coupe parfaitement bien coupée, un costume de bonne facture, mais sans ostentation et des mains aux doigts fins et déliés. Il donne confiance, mais aussi un peu de crainte. Il me regarde fixement. Un serveur tourne discrètement autour de notre table, mais un seul regard de l’homme l’empêche de s’approcher plus avant. Il se lève et dépose une enveloppe sur la table.

 

⁃                  Je vous remercie encore pour votre aide. Je vais vous laisser. Si vous désirez dîner ici, la note est pour moi. Si vous le permettez, je dois vous quitter.

 

Il me regarde fixement, impassible et intense. Il a un demi-sourire.

 

⁃                  Vous avez été parfaite !

 

 Il se penche, prend ma main et me fait un baisemain des plus protocolaires. Il se relève, me sourit et se dirige vers la sortie d’un pas sûr et puissant. Il dit quelques mots au maitre d’hôtel qui acquiesce diligemment et sort. C’est à ce moment-là que Sabrina entre dans la salle, dit bonjour au maitre d’hôtel, puis me fait une petit geste amicale et enjouée. Un homme la suit. Grand, brun, un physique sportif et un sourire qui semble des plus amicaux.

 

⁃                  C’était quoi ça ?

 

 

 

 

 

 

2.

 

Ne me demandez pas comment fut la soirée. Je ne me souviens que des clins d’yeux de Sabrina, ma meilleur amie, la conversation agréable entre nous trois, ma participation automatique et souriante à celle-ci, mais complètement à l’ouest, le repas délicieux et… les yeux de l’homme passant et repassant devant mes yeux faussement attentifs à ce repas concerté. Ben, l’ami de Sabrina est un homme vraiment sympa, mais je n’ai pas adhéré aux attentes de Sabrina et à ceux de Ben. Sabrina a été déçue, mais elle ne serait pas l’amie exceptionnelle qu’elle est pour moi si elle n’avait pas accepté ma décision. Elle m’a dit qu’elle comprenait. Tant mieux ! Au moins une comprend ce que je ne comprends toujours pas. Trois mois ont passé et je ne sais toujours pas ce qui s’est passé. Quelque chose, peut-être l’enveloppe avec mille euros en billets de cent euros, m’a retenu de lui raconter ce qui s’est passé. L’enveloppe est dans le tiroir du bureau que j’ai dans la chambre d’ami de mon appartement. Je n’ai jamais pu utiliser cet argent et je ne sais toujours pas ce qu’il a payé et à qui.

            Je la regarde une nouvelle fois. Je pourrais faire quelque chose avec cet argent, mais je ne le ferai pas. Plus encore maintenant que j’ai pris une importante décision. J’AI ENFIN REMIS MA DEMISSION A MON SALOPARD DE PATRON ! Ça non plus je ne l’ai pas raconté à Sabrina. J’attends notre prochaine sortie entre copines afin de le fêter comme il se doit. Je ne suis pas inquiète. Enfin, pas trop. J’ai suffisamment de diplômes et de formations dans divers domaines pour ne pas m’angoisser outre mesure, sans parler que je suis quadrilingue, aussi c’est pratiquement du tout cuit, crise ou pas crise. J’ai envoyé trois CV, sans enthousiasme. Après tout cela ne fait que deux semaines que je suis libre et en « vacances » obligées. Un « ping » me prévient qu’un mail est arrivé sur ma messagerie. Je quitte du regard la vue impénétrable que j’ai sur l’immeuble voisin et concrètement sur le grand balcon du superbe loft. Je ne sais pas qui habite là, mais la personne doit avoir un grand plaisir à avoir un tel espace à ciel ouvert. Je clique sur le mail et un bref message me prévient qu’un rendez-vous est prévu à l’entreprise dans laquelle j’ai envoyé un CV pour la semaine suivante, le vendredi à quatorze heures précises. Je peux prendre un autre rendez-vous si cela ne m’est pas possible de me rendre à celui-ci. Le reste est le même jargon habituel de ce genre de courrier. Un « plong » m’annonce un What’s App. Je clique sur le nouveau message. Sabrina. Cela tombe bien, elle doit me raconter quelque chose.

 

⁃                  Malia ? Ce soir ?

⁃                  Où ? Quand ? Nous deux seulement ?

⁃                  Tremblum. Vingt heures. Nous deux… à moins que…

⁃                  Non. Nous deux.  

⁃                  Parfait. On a des choses à fêter !

⁃                   ????

⁃                  L’attente rend plus forte !

⁃                  Jajajaja… a +…

 

J’ai une semaine pour me mettre à niveau de ce qu’un futur et probable patron attend d’une future et probable employée. Compte à rebours !

 

 

            Le Tremblum est un de nos ports d’attache quand on est un peu à la dérive et notre cantine la plupart du temps. Nous sommes de fidèles habituées depuis l’ouverture de l’établissement. Nous avons un endroit où nous pouvons nous détendre et apprécier tout ce qu’offre le local en termes de boissons de de nourritures. Nous adorons et nous le gardons jalousement pour nous deux. Nous le méritons bien !

 

⁃                  Alors !

 

Sabrina a déposé son verre sur la table en formica avec reflets fluo. Un peu kitch, mais ça laisse les clients dans une sorte de pénombre délassante.

 

⁃                  T’as… tu sais ?

⁃                  Quoi ?

⁃                  Ben… entrer dans le vif du sujet !

 

Je souris. Elle appelle comme cela un plan cul ! Je n’ai jamais très bien saisi l’idée ou le concept, mais c’est Sabrina.

 

⁃                  Non.

⁃                  T’es vraiment ouffe comme fille ! 

⁃                  Et toi, un peu portée sur la chose.

⁃                  Ahahaha ! Comme tout le monde ou presque !

 

Pas faux !

 

⁃                  Si c’est pas ça, alors c’est quoi ?

⁃                  Tu te souviens de notre sortie avec Ben…

⁃                  Ben… oui… d’ailleurs… Je te l’ai pas dit, mais… finalement, Ben et moi…

⁃                  Non !

⁃                  Si. J’ai vu qu’il n’était pas ça, du coup, il y a deux mois, on s’est revu… On était en contact, tu sais, puis une chose amenant une autre et…

⁃                  Crac-crac !

⁃                  Très délicat…

⁃                  Désolée !

 

Nous éclatons de rire. Je suis très claire dans ma manière de dire les choses et plus dans ce domaine. Je préfère cela que les pseudos allusions politiquement correctes. Ce soir, c’est jazzy-jazz ambiance et la salle est presque pleine. Nous buvons, picorons et observons les vagues des clients aller d’un endroit à l’autre. Les pièces sont très amples et personnalisées pour que tout le monde s’y sente à l’aise.

 

⁃                  Tu es heureuse, Sabri ?

 

Elle regarde son verre.

 

⁃                  Oui. En fait… j’avais pas remarqué ce rendez-vous que je t’ai concocté, c’était pour moi que je le faisais. Quand j’ai remarqué que t’étais pas du tout, du tout, du tout intéressée, je me suis sentie… libérée et… Ben aussi. On en a parlé.

⁃                  J’ai été une sorte de mécène d’amour…

⁃                  Sur quelle planète et dans quelle galaxie ! Non, tu nous as juste remis sur nos rails.

⁃                  Une sorte de catalyseur…

 

Elle a un petit rire et je suis certaine qu’elle rougit. Je vois bien le couple qu’ils forment. En fait… ils auraient dû être ensemble depuis bien longtemps déjà, mais… nos doutes sont pires que des chaines.

 

⁃                  Alors… c’était quoi ton histoire…

 

Je la regarde. J’hésite, puis…

 

⁃                  Avant que tu n’arrives, il y a un homme qui…

 

 

 

 

3.

 

Je lui raconte tout en trébuchant sur les mots, genre logorrhée. Sabrina me regarde, la bouche ouverte. Elle écarquille les yeux.

 

⁃                  Mais c’est qui cet homme ?

⁃                  J’en sais rien.

⁃                  Dis-moi encore comment il est…

 

Je lui décris l’homme une nouvelle fois, rajoutant des détails que je pensais ne pas avoir noté.

 

⁃                  Wep ! C’est juste comme au moins cinquante pour cent des mecs dans cette ville et quatre-vingt pour cent des hommes d’affaires.

⁃                  Je sais.

⁃                  Mais t’as pas une idée, quelque chose…

⁃                  En fait… il a déposé une enveloppe sur la table avant de partir.

⁃                  Une enveloppe ?

⁃                  Oui. Avec mille euros en coupures de cent euros.

⁃                  Il t’a payé ? Mais pourquoi faire ?

⁃                  J’en sais rien.

⁃                  C’est pas net tout ça ! Viens, allons-y !

⁃                  Où ?

⁃                  Chez toi. Voir l’enveloppe !

⁃                  Pourquoi faire ? C’est une bête enveloppe blanche sans rien de particulier, idem pour les billets.

⁃                  Tant pis, je veux tout de même lui jeter un coup d’œil !

 

Quand Sabrina a une idée en tête… c’est Sabrina !

 

            Une heure plus tard, nous étions au même point pour essayer de comprendre qui pouvait être l’homme et pourquoi l’enveloppe. Nous avons envisagé des tas de scénarios y compris celui d’Escort-girl, pour ne pas dire pute. Le tout, c’est comment je peux être considérée comme telle. Je mesure un mètre septante deux, je suis mince, mais pas trop, plutôt banale, cheveux lisses marron normal, visage aux traits fins, rien de particulier non plus, yeux marron clair, rien ne sortant de l’ordinaire. Je me fringue bien, sans ostentation, les vêtements sont nécessaires, sans plus. Pas plus fashion victim que n’importe qui. Même si j’étais bien fringuée ce soir-là, comment pouvait-on me confondre avec une Escort ou une pute ? Pas que j’ai une idée de comment elle s’habille ou se présente, mais… Un mystère de plus ! Nous avons ouvert un bon chablis et on est légèrement pompette.

 

⁃                  J’y comprends rien !

⁃                  Idem pour moi… Et l’enveloppe… c’est comme si j’étais payée comme une…

⁃                  Une Escort ? Attends… toi…

 

Sabrina éclate de rie en se roulant dans le fauteuil. Je ne sais pas si je dois me sentir insultée ou… Elle reste couchée en hoquetant, puis tourne son visage rougi vers moi.

 

⁃                  Malia… T’es douée pour beaucoup de choses, mais pas pour ça, crois-moi ! Je te rappelle comment ça s’est passé avec tes ex…

⁃                  Non, c’est bon !

 

Elle a encore un petit rire en se frottant les yeux.

 

⁃                  Ecoute… on ne sait rien. Cet argent… on ne sait pas ce qu’il paie… qui il paie… donc…

 

Elle baille à bouche grande ouvert. Sabrina a toujours sommeil après une bonne rigolade. C’est presqu’une réaction automatique chez elle.

 

⁃                  Tu restes dormir ?

⁃                  Non. Ben m’attends…

⁃                  Alors si Ben t’attend…

 

Nous parlons encore un peu. J’évite de regarder l’enveloppe. Je ne sais vraiment pas quoi penser. Quant à être une super séductrice ou un autre truc du genre, c’est pas gagné pour moi. Sabrina a raison, je ne suis pas vraiment douée dans le domaine des sentiments. Les autres, oui ? Une demi-heure plus tard, elle est repartie en taxi et je suis toujours devant l’enveloppe. C’était quoi ça ?

 

 

 

 

4.

 

Je viens de passer deux entretiens dans des entreprises qui étaient très intéressés par mon CV et mes compétences professionnelles dans les deux entreprises ou j’ai travaillé. Mais je ne suis pas intéressé par le poste qu’ils m’offrent. J’ai appris à la dure ce qui me plait ou pas. Dans le domaine du travail, c’est du travail, c’est encore plus vrai. J’ai toujours été légèrement hyperactive, alors j’ai accumulé les formations, les cours pour obtenir des certificats, des diplômes en plusieurs matières. Je suis quelque chose comme une personne aux multifonctions. Le poste que l’on veut que j’ai est secrétaire de direction, mais je suis plus que cela. Je peux avoir un poste avec de plus hautes responsabilités, j’en ai les qualités et le désir. Il faut juste que je trouve une entreprise qui respecte cela et me donne l’opportunité de faire mes preuves. Dans une heure, je passe mon entretien d’embauche dans cette troisième entreprise. Elle me semble aussi prometteuse que les autres, mais tout va dépendre de ce qu’il me propose vraiment. Je connais toutes les formules de ce type d’entretien et aussi toutes leurs chausse-trappes, ce qui ne m’a pas empêché de me gourer les trois dernières fois. Ou pas. C’est selon et on a toujours besoin d’argent pour vivre, donc…

La salle d’attente où je suis est semblable à toutes celles que j’ai déjà vues. Neutre et banale. On m’a servi une tasse de café. La courtoisie est toujours agréable. Je suis en avance. Pour changer. La porte s’ouvre après un bref coup sur le battant à quatorze heures tapantes. J’aime la ponctualité. Une femme habillée en femme d’affaires, tailleur sobre, talons hauts, mais sans ostentation me sourit.

 

⁃                  Bonjour… Je suis Jane Cluistens. Directrice des ressources humaines.

⁃                  Bonjour.

⁃                  Je suis…

 

Je décroche un peu, la laissant faire son petit laïus bien rôdé. Je réponds ce qu’il faut quand il faut et j’hoche la tête en silence aux bons moments. J’ai l’air intéressé et je le suis, mais à 50% seulement. Elle me sourit souvent et je la trouve très pro et très plaisante d’une manière naturelle. C’est agréable.

 

⁃    Nous avons déjà pris la décision de vous engager si nos conditions d’embauche vous intéressent. Pour notre part, vous répondez exactement à ce que nous cherchions. Je suis désolée de vous presser ainsi, mais notre Directeur Général qui est en voyage d’affaires actuellement et qui est celui avec qui vous travaillerez sur les projets tenait à ce que le poste vous revienne. Aussi, nous aimerions que vous nous donniez votre réponse aujourd’hui-même. C’est pour cela que nous avons préparé le document et nous avons aussi mis à votre disposition un juriste d’une de nos filiales pour vous aider dans les termes techniques.

 

⁃                  Ce ne sera pas nécessaire pour le juriste, j’ai une formation dans ce domaine.

⁃                  Exact !

 

Elle rit gentiment de sa bévue et elle me devient directement sympathique. Cela change des autres personnes avec sa même fonction que j’ai dû côtoyer et qui était vraiment insupportables et invivables, imbues de leur importance au sein de l’entreprise. Elle se lève avec élégance et me sourit gentiment.

 

⁃                  Je vais vous laisser lire le document. Je reste à votre disposition. Faite le 7 sur ce téléphone. Vous atterrirez dans mon bureau. Désirez-vous un autre café ? Autre chose ?

⁃                  Non, cela ira, merci.

⁃                  Je vous laisse.

 

Elle sort de la pièce et je lis avec curiosité le contrat. Les termes sont conventionnels, mais cela ne veut pas dire que toutes les conditions me seront favorables. En une heure, j’ai pris connaissance de tout et je suis emballée. Le salaire, les congés payés et même une possibilité de participer aux bénéfices. Je ne peux pas demander plus. Le seul point plus flou est mon poste à proprement parlé. D’après ce que j’ai compris, c’est à la base un poste de « bras droit », autrement dit, de Directeur Adjoint pour le Directeur Général avec l’option de créer en quelque sorte mon poste en supervisant les postes de Directeur des succursales de la maison mère. Bref, je serai un petit chef avec le grand chef. Ça me plaît. Beaucoup même. Un bref coup est frappé contre le battant. Le visage souriant de Jane Cluistens se glisse entre le chambranle et la porte.

 

⁃                  Tout va bien ?

⁃                  Oui. J’allais vous téléphoner.

 

Elle entre et s’assoit. Je tapote sur le papier en souriant.

 

⁃                  J’ai lu attentivement… J’ai signé le contrat. Quand dois-je commencer ?

 

 

 

 

5.

 

            Depuis un mois, je suis aux anges. Le travail est tout ce que je désirais. Je suis en formation, pour ainsi le dire, ce qui signifie que j’ai passé deux semaines dans une succursale et deux autres dans l’autre. J’ai vu un nombre considérable de personnes, les responsables des secteurs et les employés proprement dit. J’ai ramené du boulot à la maison. J’ai étudié tout ce qui a trait à l’entreprise en général et à chacune des succursales en particulier, essayant d’en apprendre suffisamment pour mieux intégrer le poste que je vais pourvoir pleinement d’ici deux semaines auprès du Directeur Général, un certain Matis Farance. Je n’ai pas cherché à savoir qui il est, je suis trop concentrée sur tout ce que j’apprends. Je m’étire longuement sur mon siège ergonomique. J’en ai presque fini, juste… Un plong m’apprend qu’un message arrive sur mon What’s App.

 

⁃                  Malia ? T’es encore vivante ?

⁃                  Ça dépend… t’as besoin de moi ?

⁃                  Toujours ! Tremblum ?

⁃                  Quand ?

⁃                  Ce soir… 20h30 ?

⁃                  Oui. Bonne idée…

⁃                  Toujours !

 

Je suis dans notre coin préféré. En avance. Sabrina ne devrait pas tarder. La salle est presque comble comme un vendredi soir. J’ai déjà bu un de ces cocktails que j’affectionne particulièrement, pas très alcoolisé, juste ce qu’il faut. Luc, le barman, m’en apporte un autre, échange quelques mots avec moi et repart servir d’autres clients en fête. La musique est apaisante, pas très élevée, permettant de converser et de se détendre. Sabrina s’effondre dans le siège. Elle a cette tête, la tête de…

 

⁃                  Ça va pas, Sabri ?

⁃                  Dix jours que Ben est parti en formation. Le sexe via Sype, c’est vraiment pas ça !

⁃                  Ouh la ! Trop de détails scabreux…

⁃                  Je sais. J’ai plus la tête où elle doit être…

 

Je ne relève pas, moins encore quand elle est comme cela. Sabrina est une grande amoureuse et supporte mal être séparé plus de deux jours de la personne avec qui elle sort. Elle s’ébroue et me fixe de son regard inquisiteur.

 

⁃                  T’étais où ?

⁃                  Chez moi.

⁃                  Donc pas de…

⁃                  Non. Pas eu le temps.

⁃                  Ton nouveau boulot ? Alors ?

⁃                  C’est THE boulot !

⁃                  AAAAHHHH !

 

Elle s’élance vers moi et m’étreint longuement.

 

⁃                  Je suis ravie. Et qui sait, tu vas peut-être…

⁃                  Trouver l’âme sœur, un plan cul d’enfer ?

⁃                  Un truc du genre…

 

Nous éclatons de rire. Sabrina est une grande romantique. Si elle n’était pas si entichée de Ben, elle m’aurait poussée à chercher l’homme du rendez-vous manqué. Ce qui n’aurait abouti qu’à m’énerver et m’irriter à tour de rôle, je suis déjà passé par là.

 

⁃                  T’as déjà repéré quelqu’un ? T’as accès aux CV des employés ?

⁃    Je n’ai pas accès aux dossiers des employés et je me voyais pas demander : alors célibataire, libre, ouvert à un p’tit coup vite fait bien fait de temps en temps ?

⁃                  T’es bête, Malia ! Intelligente comme tu es, tu peux trouver le moyen de moyenner…

 

Je souris sans rien dire. Pour le moment, je ne suis pas très intéressée par un plan… amoureux quelconque. J’ai passé plus de sept ans à travailler dans des boîtes naze de chez naze avec des postes qui ne m’apportaient rien. Une perte de temps totale, niveau carrière. Si seulement j’avais pu compenser pécuniairement, j’aurais pu accepter et même y trouver mon compte. Même pas ça !  Je lui raconte mon mois. Je m’échauffe. Lorsque j’obtiens ce qui me plait j’ai tendance à m’enflammer. Sabrina m’écoute en souriant, mais de temps à autre, son regard s’évade. La soirée s’achève doucement avec le regard de plus en plus embrumé de ma meilleure amie.

 

⁃                  On y va, si tu veux. La semaine a été longue…

⁃                  Oui.

 

Nous nous levons. La note est réglée. La salle est comble. La piste de danse est pleine, ainsi que les tables alentours et autres comptoirs sinueux et design disséminés ici et là pour ceux qui ne désirent pas s’assoir. Nous atteignons difficilement l’entrée entre bousculades et frôlements. En passant près du comptoir principal où Luc officie avec maestria mon regard est attiré par un homme de haute taille, habillé simplement d’un jeans et d’un polo. Je plisse les yeux. Il me rappelle quelqu’un, mais je n’ai pas le temps de m’attarder, Sabrina, profitant d’une trouée dans la foule, me tire vers la sortie. Le local devient de moins en moins accessible, gage de la notoriété. J’en suis heureuse, mais aussi… irritée.

 

 

 

 

6.

 

            Aujourd’hui, c’est le grand jour. Je vais voir enfin le « Grand Patron », comme ils l’appellent dans l’entreprise avec un mélange d’admiration et de respect. Je n’ai pas entendu de bruits de couloirs à son sujet, juste des éloges comme homme d’affaires. Il a créé cette entreprise, l’a développé, puis a décidé de ne plus en être le propriétaire, il a préféré en devenir le Directeur Général et une sorte de « gérant ». L’accord passé est des plus personnalisés, d’après ce que j’ai compris, tant qu’il n’y a pas de terme conventionnel pour expliquer le poste qu’il a. Ce que j’ai compris des explications assez floues que j’ai obtenu des uns et des autres, le « Grand Patron » fait en sorte que l’affaire tourne en protégeant l’avantage, les droits sociaux et l’emploi de chacun. Pas évident par les temps qui courent. C’est intriguant. Cela me rassure que mon patron ait l’air d’être quelqu’un de bien. Niveau cons petits chefs qui se la pètent, j’ai déjà donné ! Je le regrette. J’aime travailler en accord avec quelqu’un et le côté civilisé, pro et considération a définitivement mon adhésion pleine et entière. Pour ma part, je le suis. Boulot, c’est boulot ! Je me suis habillée au mieux, comme les autres jours, mais un peu plus classe. J’ai remarqué que les habits n’étaient pas une priorité, du moment qu’ils sont corrects, peu importe si c’est une robe, une jupe ou un pantalon pour les femmes. Les hommes ne sont pas obligés de porter un costume/cravate tous les jours, mais bien lors de réunions ou de rendez-vous avec des clients ou des personnes extérieures. C’est conseillé, tout du moins. On privilégie la bonne tenue dans les tâches à accomplir. Ça me va ! L’ambiance a un côté bon enfant qui me plait bien.

            J’ai décidé qu’un pantalon à pinces et un chemisier discret ferait très classe. Ça l’est, tout en restant discret, ce qui est ma marque de fabrication à une exaction près, quand je décide de me mettre sur mon trente-et-un. Alors là, ça le fait vraiment ! Sabrina m’appelle alors « chic de choc ». Je ne sais même pas ce que cela signifie et il ne vaut mieux pas. Sabrina a des idées bizarres ! J’ai appliqué une très légère couche de maquillage, je n’aime pas trop ces produits, cela reste chimique et j’évite le plus possible. J’ai mis mes lunettes les plus sophistiquées que je possède. Je n’en ai pas vraiment besoin. Elles sont une aide appréciable compte-tenu du nombre d’heures que je passe à compulser des documents et autres fichiers informatiques à longueurs de journée et de soirée. Outre le boulot, je suis toujours en formation de l’une ou l’autre matière qui m’intéresse sur des cours on line. Pour le moment, j’ai zappé cette partie de mon quotidien, mon nouveau turbin m’accapare trop.

Cela fait deux semaines que je suis dans la maison mère. L’ambiance est détendue et très concentrée. On sent que les personnes aiment venir travailler, ce qui me change de mes deux derniers boulots. Je suis bien entourée, mes collègues de bureaux sont assez sympas. On m’a assignée une secrétaire pour certains travaux dans le cas où j’en aurais besoin. Elle s’appelle Clarisse. Onze heures. Il devrait arriver à son bureau dans pas longtemps d’après sa propre secrétaire, Tricia, une femme avec un humour que j’adore. Très femme d’affaires, mais avec un petit quelque chose d’ado attardée.  Nous avons connectée immédiatement. Elle est d’une discrétion à toutes épreuves, mais elle a su m’intégrer dans mon poste et dans toute la maison. Je finis d’étudier un dossier, lorsque je sens une sorte de courant d’air. Un homme avec un imperméable passe dans le couloir devant mon bureau et entre dans celui qui est à côté, autrement dit, dans celui de mon patron, Matis Farence. Enfin ! Je sens mon cœur faire un peu trop boum boum, mais dans l’ensemble, je vais assurer. J’assure ! Je l’entends s’installer dans son bureau, j’attends quelques minutes, histoire de ne pas le harceler dès son arrivée. Je me lève, me réajuste, tapote mes cheveux. Anxieuse, moi ? Pas du tout, du tout ! Je marche lentement, tendant l’oreille. Il fait quoi ? Un pling ? Un message sur son mobile. Tapotement sur un clavier d’ordinateur, crissement du cuir du siège, grommellement, pivotement, tapotement sur le clavier, un autre pling… J’arrive à la porte de son bureau et jette un regard, histoire de ne pas rater cette fameuse première fois. Je ne vois rien dans un premier temps, jusqu’à ce qu’il se redresse d’un coup et que je le vois et… Je me rejette en arrière précipitamment et file le plus silencieusement jusqu’à mon propre bureau. Je ferme la porte, me laisse aller contre le battant en avalant difficilement ma salive. Je me laisse tomber dans mon siège, un magnifique fauteuil en cuir des plus confortables. Je prends mon mobile. Crise d’urgence ! Une autre des expressions de Sabrina.

 

⁃                  Sabri ?

⁃                  Malia ? Ça va ?

⁃                  C’est lui, l’homme !

⁃                  Tu as trouvé un homme pour toi dans l’entreprise ?

⁃                  Non ! Lui. L’homme du rendez-vous raté !

⁃                  Ah ! Génial ! Vous allez pouvoir concrétiser !

⁃                  T’es dingo, c’est mon boss !

⁃                  Ouh la !

 

Un bref coup sur le battant de ma porte me fait jeter le mobile dans mon tiroir alors qu’un plong arrive.

 

⁃                  Mademoiselle Trouwens ?

⁃                  Oui…

 

La porte s’ouvre et il est là. Il a l’air toujours aussi formidable, imposant et décidé. Il est habillé avec un costume légèrement froissé, sans cravate et des cernes sous les yeux. Je me relève lentement avec un sourire factice. De toute façon, il va me virer, c’est sûr ! Pour une fois que j’avais trouvé mon bonheur ! Je relève ma monture, ne sachant quoi faire. Il me regarde légèrement en me souriant cordialement. Il me tend la main.

 

⁃                  Bonjour ! Matis Farence ! Je suis désolé de ne pas avoir été là lors de votre embauche. Clarisse m’a tenu au courant de tout et les échos qui me sont parvenus ont tous été élogieux. Je peux… Mon avion a eu sept heures de retard et je suis…

⁃                  Bien sûr ! Voulez-vous que je vous apporte un café ou un…

⁃                  Non ! J’ai eu ma dose de caféine, mais c’est gentil…

 

Je me rassois. Il se passe une main dans les cheveux.

 

⁃                  Avez-vous des questions ?

⁃                  Non. J’ai pris connaissance de la majorité des informations utiles.

⁃                  C’est ce que j’ai compris. Bien !

 

Il se relève souplement.

 

⁃                  Je vais vous laisser continuer. Je voudrais vous voir après-demain à mon bureau, disons à dix heures, si c’est bon pour vous. Nous ferons un premier point sur la situation et je vous expliquerai ce que j’attends de vous. Avec votre permission, je vais prendre ma journée et celle de demain. Bienvenue dans l’équipe !

 

Un dernier sourire et il sort tout aussi énergiquement. C’était quoi, ça ? Je me laisse tomber dans mon siège. Je regarde le vide durant plusieurs minutes. Au troisième plong, je prends mon mobile.

 

⁃                  MALIA !!!!! Quoi, quoi, quoi ?

⁃                  RU !

⁃                  Ouh laaaaaa !!! OK ! 18h30 ?

⁃                  Oui.

 

 

 

7.

 

            Luc me dépose mon cocktail habituel sur la table. Nous échangeons quelques banalités. La salle est à moitié pleine. Il règne une tranquillité apaisante, ce dont j’avais besoin. Sabrina arrive comme un coup de vent et se laisse tomber dans le siège en face de moi.

 

⁃                  Alors ?

⁃                  Un verre avant de…

⁃                  Non ! Je veux tout savoir… Alors ?

 

Je lui raconte ce qui s’est passé en me contredisant, me recoupant et m’embrouillant encore plus. Luc a déposé le verre avec la boisson habituelle devant Sabrina qui a un bref hochement de tête pour lui avant de reporter son regard sur moi avec sa fixité inquisitrice habituelle. J’arrête de parler, toujours aussi confuse.

 

⁃                  T’es pas virée alors ?

⁃                  Non.

⁃                  Ben c’est bien non ?

⁃                  Tu trouves ? Il ne m’a pas reconnue !

⁃                  J’avais compris. Tant mieux, non ?

⁃                  Non ! Et s’il me reconnaît et me vire ?

⁃                  Il te payera une bonne indemnité de départ et il a intérêt à trouver une bonne raison de te virer. Le «  ne vous ai pas reconnu en la femme à qui j’ai donné 1000 euros pour quelque chose que je voulais qu’elle fasse », n’est pas une raison valable !

⁃                  Tu fais bien de me le rappeler ! L’enveloppe blanche ! Je dois la lui rendre, mais si je la lui rends, je devrais lui dire que je ne suis pas celle qu’il attendait et alors il me virera !

⁃                  Ne sois pas drama madame ! S’il ne bouge pas, tu ne bouges pas et tu continues à faire ton boulot que tu adores ! Problème réglé !

⁃                  Mais… pourquoi il ne m’a pas reconnue ? Je suis tellement peu remarquable qu’après de six mois un homme ne me reconnait même pas ?

 

Sabrina s’assoit près de moi.

 

⁃                  Tu veux que je te dise quoi, ma bichette ?

 

Je regarde Sabrina fixement. Je ne me comprends pas. Je ne sais pas ce qui me gêne autant, après tout je garde mon boulot et c’est tout ce qui compte. Non ?

 

⁃                  Malia ! Sois pas bête ! Il t’a vu très peu de minutes finalement et il était légèrement…

⁃                  Je sais ! J’imagine que qui j’étais ce soir-là était peu important, du moment que je faisais ce qu’il attendait de moi. Juste un moyen.

⁃                  Tu veux quoi ? Qu’il te voit ? Comme quoi ? Une femme qu’il paie pour faire on ne sait pas trop quoi, peut-être même qu’il avait prévu un truc plus glauque, genre sexe sauvage ? Ou alors…

 

Elle me lance son super regard brillant de meilleure amie.

 

⁃                  Ou alors… la femme qui va être sa meilleure partenaire professionnelle, indispensable et qui est si brillante, si intelligente et si parfaite ?

⁃                  Tu crois ?

⁃                  T’as quel âge, Malia pour poser cette question ?

⁃                  Le même que toi avec trois mois de différence !

 

Sabrina fait la grimace. Nous avons vingt-neuf ans et elle appréhende la trentaine.

 

⁃                  Oui, bon… Faut Que tu aies confiance en toi, Malia, tu es une personne géniale et une femme merveilleuse ! Si j’étais un homme, tu serais ma femme idéale !

 

Je regarde fixement Sabrina et nous éclatons de rire. Luc arrive avec deux consommations supplémentaires et se joint à notre rire. Il sait combien on aime déconner, sauf qu’ici pour moi il s’agit plus d’un rire libérateur. Nous nous calmons. Sabrina me serre l’épaule tendrement.

 

⁃                  Je te fais confiance. Tu as un boulot de rêve, je te vois super enthousiasmée et ça faisait longtemps. Tu as besoin de défis et là tu en plein dedans !

⁃                  Avec le boulot ou avec lui ?

⁃                  Les deux, peut-être ! Tu n’as rien à lui prouver, mais à toi bien. Donc, sers-toi de ce malentendu pour jouer ta partie comme tu le veux, tu le mérites.

 

Je hoche la tête. Luc nous apporte un assortissement de choses délicieuses à grignoter avec deux coupes de vin rosé pétillant, cuvée particulière de la maison. On va en profiter pour fêter ce nouveau boulot, ce nouveau présent, ce nouveau challenge professionnel, mon sentiment d’enfin m’épanouir dans un poste qui me convient et que je peux ajuster à ma mesure et si en plus, c’est bien payé, alors… de quoi je me plains ?

 

 

 

 

8.

 

            Voilà plus de trois mois que je travaille ici et c’est toujours aussi excitant et intéressant. Le second est une vraie surprise pour moi. Je m’ennuie facilement, d’autant plus que j’apprends vite et bien ce que je fais. Ici, j’apprends de nouvelles choses pratiquement tous les jours et cela est dû au fait que mon poste se crée continuellement. La routine ici serait de maintenir mon attention en éveil, tout en œuvrant. J’adore ! Je n’ai vu que sept fois mon boss depuis mon arrivée. Quatre de plus, semble-t-il, que prévu, étant donné que j’ai d’office une réunion mensuelle avec lui. Chaque réunion a été un grand moment de stress au début, ensuite un enchantement. C’est un homme brillant qui a une vision globale de ses affaires, tout en se préoccupant de chaque détail. Il est surprenant, pire que moi niveau perfectionnisme. Nous clopons totalement. Professionnellement. Sitôt que j’oublie qu’il est comme une épée de Damoclès sur ma tête. La semaine prochaine il y a une fête dans l’entreprise et ça cancane pas mal à ce sujet dans les couloirs. D’après la majorité des employés, c’est un vrai évènement à garder en mémoire.  Un plong m’arrête dans ma tâche. Je termine de noter un nouveau dossier sur un projet qui ne me semble pas viable. J’espère que Matis, comme il veut que je l’appelle, prendra en considération mes suggestions pour qu’il le devienne. Il m’a montré être ouvert aux idées nouvelles et également aux critiques si celles-ci sont étayées avec sérieux et majoritairement objectives. Il m’apparait comme un véritable et… Un plong me stoppe dans mes cinq minutes de relaxation. Sabrina.

 

⁃                  Tu viens ce soir ?

⁃                  Où ?

⁃                  Tremblum ?

⁃                  OK !

⁃                  Sinon… quoi de neuf, bichette ?

⁃                  Et toi ?

⁃                  OK ! On se met à niveau infos ! 20h ?

⁃                  Oui.

 

Heure de rentrer. J’aimerais un bon bain et un…

 

⁃                  Ah ! Malia ! Vous êtes là !

 

Matis entre dans le bureau, surexcité Je suis surprise, il a une capacité de maîtrise que j’admire beaucoup. Il me regarde et se passe la main sur les cheveux, un geste machinal qu’il n’a que lorsqu’il est sous un sentiment ou une émotion ou une situation qui le déstabilise.

 

⁃                   J’espère que vous n’avez rien prévu, j’ai besoin que vous m’accompagnez à un repas d’affaires de dernière minute ! Prienman est en ville et…

⁃                  Prienman ? Je pensais qu’il était…

⁃                  Et c’était le cas ! Il voyage peu et c’est presque un miracle de l’avoir en ville ! Avoir un rendez-vous avec lui c’est comme voir un loup blanc au centre-ville !

⁃                  Oui. Je comprends !

⁃                  Je suis désolée de vous prendre au dépourvu, mais c’est vital ! J’ai postposé ce projet compte-tenu la difficulté d’avoir un rendez-vous avec lui et il ne s’engage dans une affaire qu’après un rendez-vous directement avec lui.

⁃                  Je sais. C’est peu conventionnel…

⁃                  Il est peu conventionnel.

⁃                  Vous le connaissez ?

⁃                  Nous avons été ensemble en classe de troisième année au bahut. Nous avions peu de contact. Il était très réservé et restait un peu à l’écart. Nous avons préparé un travail d’étude en science et nous avons eu plus de contact, mais à peine. J’imagine qu’il n’a pas changé.

⁃                  Et cela ne vous a pas donné un avantage…

⁃                  Nous parlons de Prienman !

⁃                  Oui !

 

C’est un homme d’affaires qui les mènent selon des règles inébranlables. Et ça marche ! Tout le monde fait comme il veut et ne le regrette pas. Faire affaire avec lui est très lucratif et donne accès à un agenda de clients et d’hommes d’affaires des plus enviables, un atout dans notre monde. Pas étonnant que Matis soit aussi excité. Je le suis aussi.

 

⁃                  Pouvez-vous être prête dans un quart d’heure ? Prienman n’est pas très sensible à l’habillement, ni aux artifices.

⁃                  Ce qui signifie ?

⁃                  Vous êtes très bien comme cela. Prienman est très sensible aux personnes qui sont intelligentes, sinon il pense qu’il perd son temps et il n’y a plus moyen de faire des affaires avec lui.

 

OK ! Je me sens pas stressée maintenant ! Intelligente ? Le suis-je comme Prienman pense qu’est l’intelligence en général et la mienne en particulier ? A-t-il un radar pour détecter si une personne l’est ou pas ? Je vois cette petite lueur dans l’œil qui le trahi. La situation lui plaît beaucoup. Si j’aime les challenges, les paris, lui encore plus. Que les enjeux commencent !

 

 

 

9.

            Nous allons entrer dans le restaurant haute cuisine dans lequel nous avons rendez-vous avez « l’Homme d’Affaires ». Prienman. C’est un fantasme dans notre monde. Il a un tel parcourt que s’en est hallucinant.  J’essaie de ne pas lisser ma jupe, remonter mes lunettes sur mon nez, remonter mon décolleté de quelques millimètres, en fait, aucun geste qui pourrait laisser entendre que je me sens mal-à-l’aise ou angoissée. Matis se tourne vers moi après avoir poussé la porte, la retenir ouverte avec la main et se mettre de côté pour m’inviter à passer devant lui. Il est concentré, maîtrisé, le parfait patron que je vois à chacune de nos rencontres et cela me détend légèrement.

 

⁃                  Tout ira très bien. Profitez de la soirée, Malia… C’est un moment exceptionnel !

 

Je lui souris légèrement. Je vais m’y appliquer. Le maître d’hôtel nous dirige vers une table où il est assis avec un homme habillé d’un simple costume et qui me donne l’impression d’être de ces personnes que l’on regarde une fois, puis qui disparait dans le décor comme n’importe quel élément de celui-ci. Nous nous saluons formellement. Prienman est un homme d’un âge indéfini, d’une corpulence indéterminée, mais avec un regard brillant qui trahit une grande intelligence. Son apparence banale est son meilleur camouflage. Qui irait voir, en le regardant, l’homme extrêmement brillant qu’il est en réalité. Matis et lui se fondent dans une étreinte cordiale, ce qui me surprend assez.

 

⁃                  Matis…

⁃                  George…

⁃                  Tu n’as pas changé.

⁃                  Ta vue n’est plus ce qu’elle était dans ce cas, Matis !

 

Ils se sourient légèrement.

 

⁃                  Asseyons-nous !

 

Nous prenons place. Les serveurs nous apportent un apéritif et quelques délicatesses buccales que je n’ose goûter.

 

⁃                  Ce n’est pas de votre goût, Mademoiselle Trouwens ?

⁃                  Oui, oui. Désolée…

 

Il mange une de ces agapes et me sourit gentiment en reportant son regard sur Matis.

 

⁃                  On m’a dit que tu étais devenu employé de ta propre entreprise. Une idée surprenante.

⁃                  Gain de temps et sécurité personnelle et meilleure position pour travailler sur ce qui est vraiment important.

⁃                  Tu as toujours été intelligent et brillant.

⁃                  Venant de toi, George, c’est presque incongru et je te retourne le compliment !

⁃                  Dînons. J’aime profiter d’un bon repas.

 

Durant une heure nous mangeons et parlons sans nous attarder sur aucun sujet en particulier. C’est convivial et je ne goûte à aucun des plats. Débile, quand on pense que c’est un des meilleurs restaurant de la ville, mais j’ai un nœud au niveau du goût et de l’estomac. Je fais bonne figure et j’ai l’air détendue, c’est déjà ça. Au moment du pousse-café, George comme il insiste d’être nommé, resta quelques secondes dans un silence retenu avant de regarder fixement Matis qui lui en renvoie un d’aussi intense. Les affaires vont commencer.

            Durant la demi-heure qui suit je vois la plus fascinante joute verbale à laquelle je n’ai jamais assisté. Les paroles sont moins importantes que ce qui se trame incidemment entre eux. Je sens qu’il se crée un vrai lien professionnel entre eux. Cela équivaut à un contrat signé en bonne et due forme ou à ce serrement de main qui est comme une promesse claire et valide du même.  L’homme, le bras droit de George et répondant au prénom de Luc, reste impassible sûrement habitué à ce genre de situation. Moi pas. Nous clôturons la soirée sur un accord entre eux que je ne perçois pas, assez abasourdie par ce qui vient de se passer. La paume de Matis sur le bas de mon dos m’incitant à sortir du restaurant me remet dans la réalité et quitter cette espèce de songe éveillé dans lequel j’ai été soumise durant les dernières minutes. Nous montons dans sa voiture. Il met le contact.

 

⁃                  C’était quoi ça ?

⁃                  Ça, c’est l’effet Prienman ! Impressionnée ?

⁃                  Plus que cela !

⁃                  Remettez-vous, Malia, l’affaire que je vais conclure avec lui aura besoin de votre aide. Je vous mets sur l’affaire. Vous me rendrez compte des avancées. Je dois terminer deux affaires. Je pars demain pour une semaine. Vous pouvez compter sur Luc. Il est très efficace et très obligeant. Il gagne à être connu.

⁃                  Je vais être responsable de la première affaire conclue avec lui ?

⁃                  Vous êtes déjà responsable de cela.

⁃                  D’accord !

 

Durant le reste du trajet jusqu’à mon appartement, je reste silencieuse, songeuse, flippée à donf ! Matis sourit en me voyant perdue. Il ne dit rien. Je sens que l’excitation me parcourt. Les affaires de Prienman sont encore plus blufantes que lui-même. Ça promet !

 

 

 

10.

 

             Depuis cinq jours, je suis en plein bonheur. Mes journées sont de douze heures et si je fais des pauses, c’est grâce à Nadine, ma collaboratrice la plus merveilleuse qui soit et la plus efficace aussi. Nous travaillons dans une harmonie enviable. Je m’étire longuement, en frottant mes yeux épuisés. Même mes lunettes ne peuvent m’empêcher d’avoir mal aux yeux. Je soupire lentement, essayant de détendre chacun de mes muscles y compris ceux de mes fesses. Le siège est parfait, ergonomique et tout, mais plusieurs heures assises sans bouger ou presque ne fait pas forcément du bien au derrière. J’ai besoin d’un break, d’un massage, d’un transat sur une plage chauffée à blanc et un délicieux cocktail fruité et…

 

⁃                  Malia… Encore là ?

 

Je sursaute et manque m’étaler étant donné ma position étirée sur le siège. Je pousse un petit cri surpris et m’attends à m’écrouler sur le sol quand deux bras me retiennent et me replace sur le siège en retenant le siège de virer. Il est penché sur moi, les mains sur les accoudoirs et une impression d’inquiétude sur le visage.

 

⁃                  Ça va ? Vous m’avez fait peur.

⁃                  Vous aussi. Je ne vous ai pas entendu arriver…

⁃                  Je m’en suis rendu compte et je vous prie de m’excuser…

⁃                  C’est bon…

 

J’ai un sourire incertain. Il est trop près de moi et il commence à me chauffer réellement. Il est si beau. Le fait de ne le voir que rarement me permet de ne pas penser à l’attirance irrésistible que je ressens pour lui depuis cette première et improbable rencontre. S’il est loin ou absent, je peux contrôler, mais là… Il me fixe avec toujours le même air inquiet et j’ai peur de faire quelque chose que je finirais par regretter. Il a un bref sourire en biais et se recule. Je passe une main un peu tremblante sur les cheveux pendant qu’il se redresse et se recule jusqu’à s’assoir en face de moi. Il a l’air fatigué. Pas étonnant, son train de vie professionnel est des plus agités. Je me rapproche de ma table et… les lunettes ! Les lunettes sont sur la table et… Matis continue à me fixer du regard. Il n’est pas physionomiste, sans doute, mais là… Même si j’étais impeccablement maquillée avec une coiffure différente et une tenue luxueuse, je suis toujours moi, non ! Il se pince la lèvre et baisse le regard. Pendant une faction de secondes, je pense qu’il sait qui je suis et qu’il va alors me virer ou…

 

⁃                  Comment va le dossier RMAC de Prienman ?

⁃                  Terminer. Enfin, presque. Je dois le réviser. J’ai fait une copie papier pour le faire ce week-end. Je repère mieux les erreurs que…

⁃                  Remettez-le-moi, je le ferai pour vous.

⁃                  Mais…

⁃                  Cela peut être plus bénéfique et si j’ai compris quelque chose à votre sujet, Malia, vous êtes perfectionniste, aussi ce dossier même non révisé doit être déjà presque parfait !

⁃                  Mais…

⁃                  Avez-vous prévu quelque chose pour ce soir ?

⁃                  Prendre un bain.

⁃                  Aïe ! Je voulais vous proposer d’aller dîner, mais mon choix a l’air moins plaisant que votre projet…

 

J’ai un petit rire. Il est si cordial.

 

⁃                  Je dois manger aussi…

⁃                  Effectivement…

⁃                  J’accepte.

⁃                  Je m’en réjouis. Allons-y !

 

Nous sommes dans un restaurant italien dont la cuisine est un vrai régal. Il ne paie pas de mine, mais c’est une mine en or grâce à l’excellence de ses plats. Nous n’avons échangé que des banalités, préoccupés de nous détendre. Il est très correct et je me sens en confiance avec lui. Je suis celle qui a des intentions des plus vénales envers lui. Je le regarde et je vois des tas de postures sexuelles dans lesquelles nous sommes emmêlés avec des tas d’orgasmes et de gémissements et de… Je prends une longue gorgée de chianti qui ne fait que m’échauffer. Je devrais boire de l’eau, des hectolitres d’eau, histoire de noyer les flammes que je ressens partout.

 

⁃                  Vous allez bien ? Il n’est pas nécessaire de travailler autant. Vous n’avez pas à me prouver votre valeur, je la connais, Malia.

 

Je le regarde fixement. Il sous-entend quelque chose ?

 

⁃                  Vous travaillez comme si vous deviez signer un contrat de travail à durée indéterminée et ce n’est pas le cas. Depuis que vous êtes dans l’entreprise, vous avez abattu un travail extraordinaire et augmenté l’efficacité de la plupart des départements que vous supervisez. Je n’attendais pas un miracle, mais vous semblez décidée à en réaliser au moins un. J’ai confiance en vous et en votre professionnalisme. Je dirais plus… vous êtes un actif des plus appréciables tant pour l‘entreprise que pour moi-même. Détendez-vous, Malia !

⁃                  Je… oui. Merci. J’aime vraiment mon travail.

⁃                  Croyez bien que cela ne m’a nullement échappé et cela me complait. Vous avez été parfaite ! Dès le départ ! Soyez vous-même, Malia.

 

Je hoche la tête. Le serveur apporte nos commandes. Je mange avec appétit. Mais quelque chose m’inquiète. M’a-t-il finalement reconnue et pour une raison que je ne connais pas, a-t-il décidé de faire comme si de rien n’était ? Et si c’est comme cela, quel est le but ?

 

 

 

 

11.

 

            Je suis affalée dans le fauteuil club moelleux à souhait dans notre alcôve au Tremblum. Luc a déposé un assortissement de délicieuses préparations culinaires et mon cocktail préféré. Sabrina regarde dans le vague, le bord de son verre à portée des lèvres. Elle prend une minuscule gorgée. Elle éloigne son verre en reportant son regard sur moi.

 

⁃                  Et… tu crois qu’il t’a dit ça, parce qu’il t’a reconnue ?

⁃                  Je n’en sais rien. Mais tu avoueras…

⁃                  Et ce ne serait pas plutôt une appréciation d’un patron vis-à-vis de sa nouvelle employée ?

⁃                  Oui, mais…

⁃                  Quoi ?

⁃                  Il avait ce regard.

⁃                  Quel regard ?

⁃                  Ben celui, tu sais, quand tu veux passer un message de plus que tes mots ?

 

Sabrina cligne les yeux en buvant machinalement. Il dépose son verre. Le bruit alentour est diffus, ce qui permet d’avoir une conversation sans devoir hurler et articuler de manière grotesque avec un résultat d’entendement pas toujours très efficace.

 

⁃                  Tu veux dire qu’il te faisait savoir qu’il savait qui tu étais, mais qu’il ne fallait pas en tenir compte et que tu pouvais alors être ce que tu es dans l’entreprise et pas comme lui pense que tu es a          ussi ?

 

Je la regarde fixement, essayant de saisir tout ce qu’elle a dit.

 

⁃                  Je crois oui.

 

Sabrina soupire profondément en maugréant, le regard perdu au plafond obscur strié de faisceaux lumineux multicolores à intervalles réguliers.

 

⁃                  Malia, bichette… tu lis trop de conneries ou vois trop du même genre ! Pourquoi tu fais pas simple ? Il t’a dit ce qu’il pense de toi et c’est juste un commentaire amical par rapport à ta manière d’être.

⁃                  Quoi ma manière d’être ?

⁃                  Celle qui veut que tu veux toujours prouver ta valeur à tout le monde !

⁃                  Je ne veux pas prouver quoi que ce soit à qui que ce soit !

⁃                  Wep ! Sûr ! T’arrête jamais de le faire ! Si tu le faisais pour toi-même, je trouverais ça normal, genre challenge perso et se surpasser soi-même pour savoir qui tu es et tout le toutim, mais non… tu as besoin de le prouver aux autres qui de toute façon ont déjà une idée de qui tu es, que tu fasses ce que tu fasses. C’est une perte de temps et une frustration constante pour toi. Tu devrais suivre son conseil !

⁃                  Mais… c’était pas un conseil…

⁃                  Alors une gentillesse… tu le captes et tu en profites ! C’est dingue comme t’es supra efficace dans ton boulot et niveau perso, c’est cata assurée !

⁃                  T’exagère pas un peu ?

⁃                  Non ! Et tu le sais.

 

Je fais une grimace. Luc apporte un deuxième cocktail. Nous lui sourions. Il me fait un clin d’œil. Luc est mon confident, sans que je ne lui dise quoi que ce soit. Il sait toujours quand c’est pas ça ! Une heure passe. Sabrina me parle de sa relation, moi de mes dossiers. Nous sommes de grandes passionnées, sauf que le sujet n’est pas le même. Je rentre à la maison. Heureuse de ma soirée, mais tout aussi confuse. Je ne sais pas pourquoi, mais Matis m’inquiète toujours. Je sais que c’est con, puisque je n’ai rien fait, mais… je me sens coupable. J’ai accepté l’enveloppe, je l’ai suivi sans poser de question, ni de résistance et je n’ai pas réagi comme il fallait à la seconde où je l’ai reconnu et maintenant, à chaque jour qui passe, je me sens plus mal, plus coupable, plus angoissée. Si son but était de me rassurer sur sa position par rapport à moi et à mon boulot pour lui et l’entreprise, j’ai l’impression que c’est râpé. Je me sens plus que jamais inquiète. Il y a quelque chose… je n’arrive pas à mettre le doigt dessus. Heureusement, mes années laborieuses antérieures dans des conditions des plus déplorables et stressantes m’ont donné un autocontrôle et une capacité de concentration qui m’impressionne souvent. Je crois que lorsqu’on atteint une limite au niveau de la patience et de la résistance, on acquiert une maîtrise à toute épreuve littéralement. C’est au moins ça de gagné, outre l’excellent salaire qui va même me permettre d’économiser un peu en vue de… Pas de précipitation ! Après tout tant que je fais comme il faut mon boulot…

 

 

 

 

12.

 

            Depuis trois mois, c’est la folie ! Je n’ai jamais été aussi… si… je ne trouve pas le mot exact, mais ça le fait à donf ! Je travaille comme une damnée, sans m’arrêter ou presque. Matis est plus présent que jamais et même Trienman – que j’appelle George sur sa demande expresse – l’est. Nous avons des déjeuners, des soupers et même des petits dej d’affaires. Nous travaillons dans une harmonie parfaite, ce qui me ravit et me surprend. Matis a fini par me tutoyer et depuis lors nous le faisons. Au début, j’étais un peu méfiante, je n’aime pas la familiarité et une juste distance est pour moi la base d’une relation appréciable. Il n’en a pas abusé, n’a pas dépassé les limites et je me suis lentement détendue. Nos rapports sont cordiaux, teinté d’une confiance mutuelle et le travail n’en profite que plus. Aujourd’hui, nous mettons la main à la conclusion d’une affaire qui nous a pris trois semaines à temps pleins. Rien de difficile, mais il a fallu y mettre du doigté et de la minutie. George n’a pas vraiment participé à celle-ci, nous donnant carte blanche.

 

⁃                  Prête ?

 

Matis a le buste entré dans mon bureau et me regarde fixement. Je le regarde en fronçant les sourcils.

 

⁃                  Comment ?

⁃                  Prête ?

⁃                  Pourquoi ?

⁃                  Pour déjeuner !

 

Je regarde Matis qui a toujours cette énergie que je lui envie. Il peut passer une journée entière à travailler sur un dossier et avoir l’air en forme en fin de celle-ci.

 

⁃                  Je dois relire…

 

Il entre dans mon bureau en secouant la tête et en faisant « ts-ts-ts ».

 

⁃                  Je le ferai. Et ce sera comme toujours au point ! Viens. Tu dois manger. La semaine prochaine, tu es en vacances !

⁃                  Quoi ?

⁃                  Malia ! Depuis combien de mois travailles-tu ici ?

⁃                  Six mois et sept jours !

⁃                  Cela m’aurait surpris !

⁃                  Quoi ?

⁃                  Que tu ne saches pas exactement le temps que tu travailles ici !

⁃                  Et quel rapport ?

⁃                  Le fait que tu vas prendre des vacances !

⁃                  Pourquoi ?

⁃                  Tu as déjà près d’un mois d’heures sup et tu es épuisée. Shootée à l’adrénaline. Je reconnais les symptômes !

⁃                  Peut-être, mais si c’est bon pour les affaires…

⁃                  Rien n’est meilleur pour les affaires qu’être en bonne santé et là, tu cours au désastre !

⁃                  Tu n’exagères pas un peu ?

⁃                  Jamais ! Je suis passé par une période comme la tienne, en pleine exaltation. Ce n’était jamais assez, ce n’était plus de la perfection, mais de la rage. J’ai fini à l’hôpital pour stress. J’ai mis un mois à me remettre de mon état. Normalement cela prend plus de temps, mais j’ai mis un point d’honneur à me remettre au plus juste. Ensuite, j’ai décidé de ne plus arriver à de telles extrémités.

⁃                  C’est pas l’impression que cela m’a donné ces dernières semaines !

⁃                  C’est là que tu as mal vu ! Je peux travailler longtemps, mais j’arrive toujours à me déconnecter à un moment pour ne pas me laisser déborder par la situation. Peux-tu en dire autant ?

 

J’ouvre la bouche pour rétorquer que oui, mais je la referme. De fait, j’emmène toujours du travail à la maison, que ce soit en pensée, je révise point par point mentalement ce que j’ai fait dans l’affaire en cours ou littéralement via une clé USB, Clouds ou encore un dossier papier. Il a raison. Je ne déconnecte jamais !

 

⁃                  Tu as raison !

⁃                  A la bonne heure ! Allons déjeuner ! Ensuite, nous ferons un point sur la situation, tes dossiers en cours et tu seras officiellement en vacances pour cinq jours entiers ouvrables ! Et ce n’est pas négociable !

 

Je hoche la tête. Je n’aurai pas gain de cause, je le sais. C’est un patron soucieux de ses employés, de ses affaires et aussi d’un certain bien-être pour chacun, ce qui fait de lui une personne exceptionnelle. Il me plaît, je l’avoue. Mais mon travail me plaît presque plus et maintenant que je me sens rassurée par rapport à cette histoire de rendez-vous manqué qui me paraît avoir eu lieu il y a des siècles, je ne veux pas tout foutre en l’air. Pas mon genre, jusqu’à ce que cela le devienne !

 

 

            Nous avons déjeuné tranquillement. Je ne suis pas très heureuse de ces vacances forcées, mais je comprends la nécessité. Je verrai comment je fais pour me détendre. Je devrais y arriver ! C’est ce que je faisais de mieux dans les autres turbins, me détendre après m’emmerder profusément durant la semaine. Durant l’après-midi, nous nous mettons à jour. Il est plus de dix-huit heures lorsque nous finissons notre tâche. Matis s’étire et j’évite de baver devant lui. Il est… Il se penche en avant et referme un dossier papier. Il me jette un regard chaleureux en me souriant. Je m’étire aussi discrètement. Finalement, c’est une bonne idée de…

 

⁃                  Je suis impressionné, Malia. Tu as été parfaite !

 

Je le regarde et je me souviens. « Vous avez été parfaite ! ». C’est ce qu’il a dit ce soir-là ! Ce n’est pas une coïncidence, c’est… Je me lève précipitamment ! Il m’a reconnu… il sait qui je suis et… J’attrape mon sac et mon laptop. J’ai le cœur qui bat trop vite.

 

⁃                  Malia ?

⁃                  Je dois y aller… une urgence…

⁃                  Une urgence ?

⁃                  Oui !

⁃                  Je peux t’emmener en voiture si tu veux, cela ira plus vite que le métro que tu prends…

⁃                  Non ! Ça ira…

⁃                  Malia !

⁃                  A bientôt !

 

Je sors précipitamment. Zut, zut, zut ! Une rame de métro arrive, lorsque je dévale les escaliers jusqu’au perron. J’y entre, me laisse tomber dans un siège et soupire profondément. Un plong me prévient d’un What’s App.

 

⁃                  Malia ?

⁃                  Supra-mega-super RU !

⁃                  A ce point ?

⁃                  T’as pas idée !

⁃                  20 h Tremblum !

⁃                  Ok !

 

Et maintenant, quoi ?

 

 

 

 

13.

 

            Deux cocktails légèrement alcoolisés plus tard, je suis toujours aussi perturbée. Je lisse ma jupe droite, la même que j’ai mis ce matin pour aller à ma dernière journée de travail ! Je ricane bêtement. Je me sens… vide !

 

⁃                  Je vais être virée !

⁃                  Parce que tu as pris la fuite sans raison valable avec une excuse bidon ?

⁃                  Non ! Parce que maintenant il sait que je sais !

⁃                  Il sait quoi ?

⁃                  Ben que je suis celle à qui il a donné mille euros pour faire quelque chose dont je n’ai rien compris ! Que je n’ai rien dit quand je l’ai reconnu ! Que je suis un mensonge ambulant !

⁃                  Un mensonge ambulant ? Wep ! Ça le fait vraiment ! Et pour te punir d’être ça, il t’offre une semaine de congé payé, une prime substantielle pour bons et loyaux dossiers et affaires concrétisées pour le bénéfice de l’entreprise ? Je veux aussi devenir un mensonge ambulant à ce prix !

 

Je me frotte les yeux et les cheveux, mettant un peu plus de désordre dans mes boucles. Dire que j’avais réussi un superbe chignon élégant et tout !

 

⁃                  Ne bouge pas, mensonge ambulant ! Je reviens ! Faut changer l’eau au canari !

 

J’ai un bref rire. Je m’enfonce dans le profond siège en fermant les yeux. Une ombre m’occulte le peu de lumière que l’alcôve a de ce côté-ci. La salle est tranquille, la musique en sourdine et Luc est aux petits soins pour moi. Il sait que je ne vais pas bien et c’est ce qu’il fait toujours dans ces cas-ci.

 

⁃                  Merci, Luc ! Tu es un ange !

⁃                  Je suis ravi de le savoir !

 

J’ouvre les yeux, me redresse et m’écroule par terre.

 

⁃                  Malia ? Ça va ?

 

Matis m’aide à me relever et à m’asseoir dans le siège.

 

⁃                  Que fais-tu ici ?

⁃                  Je m’inquiétais… tu es partie si vite et tu ne répondais pas à mes messages. Je suis passé chez toi, mais tu n’y étais pas.

⁃                  Comment savais-tu que j’étais ici ?

⁃                  Tu as parlé du Tremblum un jour en disant que c’était un de tes lieux de prédilection dans la ville. J’ai supposé que tu pouvais être ici.

⁃                  Mais… j’avais dit que c’était une urgence…

⁃                  Cela me semblait un prétexte…

 

Il est accroupi devant moi et me regarde avec ce même regard intense que ce soir-là.

 

⁃                  Je m’absente cinq minutes et tu dragues ? C’est du beau, Malia ! Tu me présentes à ce superbe Monsieur ?

⁃                  Sabrina !

 

Matis se relève et sourit à Sabrina. Il semble apprécier ce qu’il voit. Et comment ne le ferait-il pas ? Elle fait un mètre septante-cinq, fine, mais avec des courbes des plus appétissantes là où il faut. Elle fait toujours un effet bœuf aux hommes et à certaines femmes aussi. Elle a un visage qui attire le regard tant il est séduisant et parfait. On lui a proposé souvent de devenir mannequin, mais cela ne l’intéresse pas. Elle aime son travail et y excelle.

⁃                  Vous avez un nom, beau brun ?

⁃                  Sabrina ! 

⁃                  J’ai également un prénom.

⁃                  Ah, comme moi ! Et celui-ci serait.

⁃                  Matis.

⁃                  Sabrina !

⁃                  Quoi ?

⁃                  C’est…

⁃                  L’homme ? Non !

 

Matis nous regarde alternativement, un air perplexe sur le visage.

 

⁃                  Ah d’accord ! J’ai merdé…

⁃                  Non. Oui. Enfin, pas plus que moi.

⁃                  Mesdames…

 

Sabrina se laisse tomber dans un siège en roulant des yeux.

 

⁃                  Matis, assieds-toi. Je crois que nous avons mérité un bon verre ! J’invite !

 

Luc apparait avec trois cocktails et quelques amuse-bouche dont il a le secret. Matis s’assoit, me regarde et hausse légèrement les épaules.

 

 

 

 

14.

 

            Nous parlons de choses et d’autres comme trois copains lors d’une veillée festive. J’apprécie, sauf que c’est mon patron. Matis se détend et bientôt je l’entends rire à gorge déployée avec Sabrina qui n’en rate jamais une. Je souris en les regardant, me détendant un peu. Une heure comme cela ou peut-être plus, je perds la notion du temps et je me laisse aller un peu, pas trop. Je ne suis toujours pas rassurée. Nous trinquons un nombre incalculable de fois pour les raisons les plus improbables et absurdes. Sabrina est légèrement éméchée, ce qui la rend plus volubile et plus marrante. Sauf que là…

 

⁃                  Sabrina !

⁃                  Je n’ai pas raison, peut-être ? Tu n’as pas piqué une crise et après tu n’es pas sorti en nuisette sur le palier de ton appartement pour faire une sortie « digne et fière » ?

⁃                  Oui, c’est vrai, mais c’était une erreur…

⁃                  Non ! L’erreur, c’est d’avoir commencé une relation avec ce cul pelé !

⁃                  Cul pelé ?

⁃                  Sabrina !

 

Matis rit longuement. Je rougis. Sabrina peut être vraiment… Mais c’est mon amie, presqu’une sœur.

 

⁃                  Je crois qu’on va y aller !

⁃                  Vous êtes venues…

⁃                  En métro. On rentre en taxi d’habitude, comme cela on ne s’inquiète pas si on est un peu pompette !

 

Sabrina met ses doigts autour de son nez et fait un mouvement circulaire en faisant un petit bruit de pet. Vraiment heure d’y aller !

 

⁃                  Je vous emmène chez vous !

⁃                  Tu n’es pas obligé, Matis…

⁃                  Et je ne le suis pas. Ce sera un plaisir…

⁃                  Alors si c’est un plaisir, bel homme…

⁃                  Sabrina !

 

Elle fait le geste de tirer une tirette sur ses lèvres. Matis a un petit rire en secouant la tête. Nous saluons Luc qui nous lève un pouce. Sabrina est un peu titubante, mais je la soutiens par la taille. Nous arrivons à la voiture de Matis qui n’est pas garée très loin. Nous arrivons à l’introduire dans l’habitacle sans qu’elle ne cesse de dire des sottises qui fait rire tout bas Matis. Le trajet n’est pas long et bientôt nous arrivons chez Sabrina. J’aide celle-ci à descendre de la voiture. Elle n’a pas arrêté de déblatérer sur des bêtises durant tout le trajet. Matis a été parfait tout du long. Il a ri souvent ou sourit, sincèrement amusé par les élucubrations verbales émises par une Sabrina plus qu’éméchée. Tout va-t-il bien avec Ben ? Je la connais. Sombrer dans de tels débordements verbaux met en évidence quelque chose qui ne va pas bien pour elle. Ça va être coton de la confesser ! Elle manie les circonvolutions langagières mieux qu’un politicien aguerri et c’est rien de la dire. Je finirai bien par savoir le fin mot de l’histoire ou pas.  Sabrina est d’une pudeur à toutes épreuves. La porte de sa maison s’ouvre, alors que j’allais insérer la clef dans la serrure et que Matis soutient une Sabrina qui a envie de faire une « petite danse fliflouflou pour l’beau M’sieur d’ces dames », dixit elle. Ben nous regarde dans un coup d’œil global et prend dans ses bras sa belle qui pousse une sorte de hoquet-soupir.      

 

⁃                  Beeeeeeeennnnn… !

 

Elle repose sa tête contre l’épaule de son compagnon et sombre dans les vapes. Pas étonnant !

 

⁃                  Salut, Ben ! Désolée, elle a un peu trop…

⁃                  Je vois. T’inquiète ! Elle est un peu stressée. Remaniement salarial dans l’entreprise et cela augure des licenciements…

⁃                  Oh ! Je vois. Désolée.

⁃                  T’inquiète ! Elle sait la contre.

⁃                  Oui !

 

Nous passons encore une minute ou deux à nous saluer, enfin Matis que j’ai présenté à Ben et à échanger des banalités. Nous nous séparons sur des promesses de se revoir très bientôt. Nous partons en voiture pour aller chez moi. Ce n’est pas très loin, cinq minutes tout au plus de chez Sabrina. Nous ne disons rien. Il se gare près de ma porte d’entrée. Il fait nuit noire et silence de sommeil. Il coupe le moteur, se tourne vers moi.

 

⁃                  Invite-moi à un café chez toi ! Je crois que nous avons des choses à nous dire et à éclaircir.

 

 

 

 

15.

 

Dès que j’installe Matis dans mon salon en lui recommandant de faire comme chez lui, je file dans ma cuisine pour préparer un café. A cette heure-ci ce n’est pas recommandé, mais Matis est accro à la caféine et cela me semble plus lui faire d’effet, à part un plaisir toujours renouvelé. J’adjoins une petite assiette de douceurs sucrées. Je reste là à écouter le bruit que fait la machine à expresso et le glou-glou odorant du café s’écoulant dans la tasse, essayant de trouver quelque chose qui retarde le moment. Je regarde fréquemment par-dessus mon épaule comme si… et finis par me détendre. Je suis chez moi, que peut-il m’arriver ?  J’empoigne courageusement le plateau, redresse les épaules, relève la tête, quand faut y aller, faut y aller ! Matis vient à ma rencontre. Il était devant ma collection de photos persos et d’autres que j’aime particulièrement, témoins de visions sporadiques lors de déambulations ici et là dans le monde. Il me retire le plateau des mains et le dépose sur la petite table du salon. Il m’enjoint à m’assoir avant de prendre place lui-même. Il sirote par petite gorgée son café. Il me regarde et me sourit gentiment. Je lui rends la pareille. Je déglutis. Je ne sais que faire. Il dépose son mug sur la table. Il s’accommode contre le dossier du siège.

 

⁃                  Il est tard. Mais je crois qu’il vaut mieux en parler. D’abord, je te dois des excuses.

 

Je fronce les sourcils.

 

⁃                  Oui. Je ne t’ai pas reconnu tout de suite, tu ne portais pas de lunettes et cela n’excuse rien, ni ne justifie mon comportement. Non, laisse-moi parler, s’il te plait. Je pense que j’ai…

 

Il ferme les yeux et se reprend. Je suis fascinée de le voir si confus, lui qui est d’une clarté incroyable et d’un flegme impressionnant toujours.

 

⁃                  Lorsque j’ai reçu les rapports de nos collaborateurs et surtout celui de Marjorie, j’ai été très heureux. Tu étais tout ce que j’espérais. Je me suis réjoui. Cela faisait des mois que nous cherchions quelqu’un avec tes compétences et tes capacités. Lorsque je t’ai rencontré, j’étais très enthousiaste et très impatient de travailler avec toi. Ce n’est qu’après plusieurs jours que je t’ai reconnue. Au début, j’étais confus et je n’ai pas su comment réagir. J’ai alors décidé de ne rien dire et de faire comme si de rien n’était. Je me disais, sans doute à tort, qu’au long des mois de travail commun, cette nuit-là resterait comme quelque chose qui est passé sans plus.

 

Il soupire en se passant une main sur ses mèches d’un air frustré.

 

⁃                  Je comprendrais que tu ne veuilles pas continuer à travailler avec moi.

⁃                  Pourquoi ?

 

Il fronce les sourcils.

 

⁃                  Oui. Pourquoi ne voudrais-je pas travailler avec toi ? Je te dois aussi des excuses.

⁃                  Pourquoi ?

⁃                  Pour t’avoir reconnu et pour… attends !

 

Je file dans ma chambre et prends l’enveloppe blanche avec les mille euros de mon tiroir. Je reviens dans le salon où Matis a toujours les sourcils froncés. Je m’assois et dépose l’enveloppe sur la table basse. Il considère l’enveloppe sans aucun signe de reconnaissance.

 

⁃                  C’est à toi !

⁃                  A moi ?

⁃                  Oui. Tu me l’as donné ce soir-là.

 

Il réfléchit puis se souvient. Il la prend et l’ouvre. Il considère les billets.

⁃                  Pourquoi me les remets-tu ? Tu en as sûrement besoin et…

⁃                  Parce que je ne suis pas celle que tu attendais !

⁃                  Comment cela ?

⁃                  Je… écoute, je ne sais pas très bien qui tu attendais, ni ce que tu attendais de cette personne, mais je ne suis pas celle-ci !

 

Il ouvre la bouche et la referme en se laissant retomber pesamment contre le dossier.

 

⁃                  Tu veux dire que tu n’es pas une accompagnatrice…

⁃                  Une Escort-girl ?

⁃                  Pas vraiment. Enfin, quelque chose comme cela… j’ai demandé à une amie de trouver une personne qui pourrait passer pour ma compagne ce soir-là et que je la paierai. Tu n’es pas…

⁃                  Non ! Je… Non !

 

Il se lève et fais les cent pas devant moi en se frottant les cheveux. Il semble si agité. Je ne sais pas ce qu’il pense, mais cela le perturbe. Il revient s’assoir en face de moi en se rapprochant et en me regardant fixement.

 

⁃                  Je réitère ce que j’ai déjà dit. Si tu ne désires plus travailler pour moi, je…

⁃                  Non ! Je désire continuer à travailler pour toi. Cela fait des années que je voulais un travail comme celui-ci et je ne me souviens pas depuis combien d’années j’ai attendu une telle opportunité. Mais… je n’ai pas été très honnête… j’ai gardé l’enveloppe, alors que je t’avais reconnu et que je n’ai rien fait ce soir-là…

⁃                  Crois-moi, tu as été parfaite ce soir-là. Tu as réussi à me donner la sérénité nécessaire pour ne pas faire quelque chose qui aurait pu me nuire plus que je ne l’ai déjà été.

⁃                  Puis-je te demander ce que…

⁃                  Je te le dois bien !

 

Il soupire profondément.

 

⁃                  Si cela est trop pénible, tu ne dois pas…

⁃                  Non ! Tu as le droit de savoir ce qu’il en est ! Hélène est devenue ma compagne et si je n’étais pas tout à fait dupe de son goût prononcé pour le luxe, je n’ai jamais pensé qu’elle irait aussi loin. Elle ma trompée, pas seulement en jouant les coquettes auprès d’autres partenaires en affaires, mais elle est arrivée à me faire dire des choses sur certaines de mes affaires. Je pensais que cela était anodin, mais elle a su profiter de ces propos pour les divulguer à Florent qui a toujours été en compétition avec moi. J’ai failli perdre deux affaires sur lesquelles j’avais misé gros. Ce n’est que fortuitement que j’ai appris quel était son rôle. J’ai fait comme si je ne savais rien et l’ai laissé s’embourber. Lorsque j’ai réuni assez de preuves, j’ai décidé de faire agir la justice par le biais de mes avocats. Ce soir-là, j’ai décidé de la confondre avec mon pire ennemi. Pour ce faire, j’ai voulu le faire sans perdre la face et j’ai pensé, sans doute à tort, qu’avoir une femme à mes côtés serait au moins un gage pour sauver mon ego. Lorsque je t’ai vu, je n’avais pas les idées très claires, concentré sur mon désir de les confondre et de leur démontrer qu’elle ne comptait pas pour moi. Ton sourire, ta spontanéité, ta gentillesse… Tu m’as donné la force de ne pas faire quelque chose que j’aurais regretté. Ensuite, je suis parti.

 

Il me regarde.

 

-    Je suis désolée.

-    Pas moi ! Tu m’as aidé et cela est la meilleure chose qui me soit arrivé.

 

Nous nous sourions. Il me tend l’enveloppe.

 

⁃                  Je serais très peu galant en reprenant ce qui est ton dû.

⁃                  Mais… et l’autre femme ?

⁃                  Je ne sais pas. Je n’ai rien su après cette soirée et la personne qui m’avait assuré que je ne serais pas déçu ne m’a pas contacté pour me dire quoi que ce soit. Le mieux est de laisser les choses en l’état.

⁃                  Je suppose, mais…

⁃                  Non ! Prends-la !

 

Il me la tend et je l’accepte.

 

⁃                  C’est une autre prime pour cette semaine de congé que tu vas prendre.

⁃                  Merci.

⁃                  A toi.

 

Il se lève en me souriant. J’ai l’impression qu’il ne m’a pas tout dit. Et la lueur qui brille dans ses yeux me disent quelque chose que j’ai envie de savoir.

 

⁃                  Il est tard. Je te verrai dans une semaine. Profites-en bien !

 

Il se dirige vers la porte d’entrée d’un pas décidé. Je le suis à pas comptés. J’ai envie qu’il reste, mais maintenant que je ne vais pas être virée, je ne vais pas mettre en péril cela. Il ouvre la porte et se tourne vers moi. Il me sourit et passe sa paume sur ma joue en une caresse douce. J’écarquille les yeux.

 

⁃                  Bonne nuit, Malia.

 

Il se retourne et descend les escaliers d’un pas énergique. C’était quoi ça ?

 

 

 

 

 

16.

 

            J’ai craqué après deux jours d’intense activité ménagère dans l’appartement- il n’a jamais été aussi propre et ordonné – j’ai envoyé un SOS à Sabrina. Nous sommes affalées chacune sur un siège club avec un nouveau cocktail, spécial nous, concocté par Luc, à la main.

 

⁃                  Wep ! C’est sympa les excuses !

⁃                  Mutuelles !

⁃                  Oui. Mais… J’entrave toujours pas. Tu ne comprends pas quoi dans son attitude ?

⁃                  Il donne 1000 euros à un femme juste pour faire la potiche et jouer à la pseudo amante-remplaçante de la sienne, autrement dit, l’officielle ?

⁃                  Oui. C’est quoi le problème ?

⁃                  C’est pas cohérent !

⁃                  Tu penses quoi ? Qu’il avait prévu une séance de dînette-crac-crac en pousse café et basta après la confrontation.

⁃                  Non, non ! Je dis pas ça…

⁃                  Mais tu le penses et tu fantasmes à donf dessus ma bichette, je te connais !

 

Elle bat des cils, genre Marilyn Monroe en tordant sa bouche. J’ai un petit rire.

 

⁃                  Bien ! Comme le deal n’a pas été jusqu’au bout, on va y remédier !

⁃                  Comment ça ?

⁃                  Un fantasme, c’est toujours bien d‘arriver à le réaliser.

⁃                  Tu veux dire quoi avec ça ?

⁃                  Rien ! Fini la parlotte, place à l’action. Laisse faire Sabrina, elle a plus d’un tour dans son sac !

 

 

Deux jours ont passé. Deux jours de plus à tourner en rond chez moi, à faire des tas de choses que je ne ferais jamais en temps normal et me voilà ici, ce soir. Resto superclasse, je suis habillée sur mon trente-et-un. J’attends quelqu’un. Je ne sais pas qui. Sabrina ne m’a rien dit, sauf qu’elle a fait le nécessaire. Je dois avoir plusieurs cases en moins pour me laisser faire par elle et ses plans craignos. J’attends quelqu’un qu’elle va me présenter. Encore un rendez-vous raté ! J’ai vraiment pas besoin de ça ! Elle est en retard de cinq minutes, autrement dit, en avance de dix selon ses propres critères temporels. Le maître d’hôtel m’a offert une coupe de champagne. Je n’ai rien demandé, mais c’est cadeau de la maison, alors si c’est cadeau… Je trempe mes lèvres de temps à autre, le regard fixé sur l’entrée. Il n’y a pas trop de monde. On est jeudi et pas jour férié, donc… Du mouvement ! Non ! C’est un couple avec un ado connecté à son smart, pas intéressé par ce qui l’entoure. Je n’ai pas cette facilité de m’extraire du moment présent en surfant sur l’un ou l’autre appli de mon téléphone mobile. Un autre mouvement ! Sabrina entre avec deux hommes. Je suis déçue. Un peu. C’est Ben et sans doute un pote à lui ou à elle. J’ai espéré, pensé, imaginé, fantasmé, tout ça en même temps et séparément que son plan comportait l’élément Matis. Râpé ! Ils arrivent, nous nous saluons. Coupes de champagne pour tous. Nous levons nos verres à pleins de souhaits mutuels et persos. L’entrée. Le resto s’emplit doucement. Le plat principal ? Conversations d’intérêts différents, légères, rires, sourires, distraction pour ma part et l’un ou l’autre froncement de sourcil à Sabrina, genre « c’est quoi ce binz » et le temps s’écoule. Dessert. Il prendra un certain temps à être servi, c’est une spécialité maison. Nous attendons en sirotant déjà un pousse-café, personne ne prenant de café, trop tard. Le dessert arrive, les lumières se tamisent légèrement. C’est l’annif de quelqu’un ? Sabrina, Ben et Paul, se lèvent. Ils me saluent. Je les regarde, ébahie, confondue. Sabrine lève le pouce en me faisant une grande grimace. C’est quoi ça ? Les lumières se rallument. Le serveur… Non ! Matis s’assoit en déposant le dessert sur la table, une glace en forme d’enveloppe blanche avec le bout de quelques billets qui dépassent. Je le regarde, lui aussi. Le maitre d’hôtel nous souhaite bon appétit. Un serveur coupe deux tranches. Je regarde Matis fixement. Le brouhaha léger reprend son cours alentour.

 

⁃                  Je n’ai pas été tout à fait franc avec toi, Malia.

⁃                  Par rapport à quoi ?

⁃                  A cette soirée-là. J’avais prévu une soirée plus chaude.

⁃                  Plus chaude ?

⁃                  Oui.

⁃                  Sexuellement ?

⁃                  Oui.

⁃                  Avec la personne que tu avais…

⁃                  Oui.

⁃                  Et pourquoi tu n’as pas suivi ton projet ?

⁃                  Je n’ai pas pu.

 

Je ne dis rien. Je déglutis durement. Chouette plan ! Il n’a pas pu ! Je me lève lentement. Il fait de même et me prend la main doucement.

 

⁃                  Non ! Je n’ai pas pu, parce que tu es parfaite et que je ne pouvais pas dans ces circonstances et te traiter comme une simple femme de passage.

⁃                  Autrement dit une pute de luxe ?  Et si c’était l’autre personne qui était apparue, ça ne t’aurait pas dérangé ?

⁃                  Probablement aussi. Mais pas sans son consentement, si mon projet avait suivi son cours. Je ne suis pas à ce point un salaud, accorde-moi plus de crédit ! Non ! C’était une idée que j’avais. Les 1000 euros étaient pour jouer ce rôle, mais surtout pour sauver mon ego malmené par Hélène.

⁃                  Il vaut 1000 euros ?

⁃                  Il n’a pas de prix. Toi non plus, jamais, ni alors ni maintenant, mais tu as compté pour moi dès que j’ai posé les yeux sur toi. Si j’avais décidé de te séduire, je ne me l’aurais pas pardonné ! Tu ne méritais pas ça !

⁃                  Et l’autre oui ?

⁃                  Question piégée, Malia !

⁃                  Sans doute…

⁃                  On ne le saura jamais maintenant. Ce que je sais, c’est que tu es devenue mon bras droit, une collaboratrice indispensable et c’est alors que j’ai voulu que tu oublies cet incident, l’enveloppe et ce qu’elle semblait impliquer.

 

Je regarde la glace. Il suit mon regard.

 

⁃                  Idée de Sabrina. Elle disait que « c’est consommable, ça se digère et ça s’expulse et time ! ».

 

Je ris en entendant cela. C’est tout elle. Matis rit aussi.

 

⁃                  Et maintenant ?

⁃                  Maintenant, je veux tout. Toi comme collaboratrice dans l’entreprise et toi comme ma compagne.

⁃                  Et la politique des rapports entre…

⁃                  La politique de rien ! Nous n’avons pas ce genre de règlement intérieur dans l’entreprise. Il génère trop de conflit. Nous préférons parier sur le bon sens, le critère moral et le professionnalisme.

 

Je ne dis rien, pensant que le pari ne doit pas toujours être gagné. Il me sourit comme s’il devinait ce que je pensais.

 

⁃                  Lundi tu reviens au bureau.

⁃                  Oui.

⁃                  Je te laisse jusque-là pour me donner ta réponse. Je ne veux pas te harceler.

 

Je hoche la tête. Il ne veut pas me harceler, moi non plus, mais lui tomber dessus pour que nous fassions plein de galipettes, goûter nos… Stop ! Terrain miné !

 

⁃                  Nous goûtons ?

 

Quoi ? Il veut vraiment… Je le regarde en ouvrant grand les yeux. Il me montre du doigt nos assiettes où le morceau de gâteau glacé est pratiquement devenu un milk-shake.

 

⁃                  La tarte glacée…

⁃                  Oui, oui, bien sûr !

 

Elle est sûrement succulente, sauf que je n’ai pas trop faim, mais bon. L’heure qui suit est surréaliste pour moi. Matis parle de-ci, deçà, j’acquiesce, fascinée par son visage et l’imagination en surchauffe. Nous arrivons chez moi. Je ne sais pas comment je suis montée dans sa voiture, ni comment nous sommes maintenant devant la porte d’entrée de l’immeuble. Matis m’entoure le visage avec ses grandes mains. Il se penche et m’embrasse doucement sur les lèvres.

 

⁃                  Je te vois lundi.

⁃                  Oui.

⁃                  A lundi.

⁃                  Oui.

 

Il se recule et par en arrière sans me quitter des yeux. Il monte dans sa voiture après un petit sourire. Je regarde la voiture s’éloigner. Encore trois fois dormir !

 

 

 

 

17.

 

            Le pire week-end de ma vie ! Et j’espère le meilleur premier jour de la semaine. Je suis arrivée une demi-heure avant l’heure du début de ma journée laborieuse. Depuis lors je fais mine de travailler, l’oreille aux aguets. On ne se rend jamais assez compte de tous les bruits alentour qui nous entourent. Malgré l’heure matinale, l’entreprise bruisse déjà d’une multitude de sons qui sont tous particuliers. Les bureaux commencent à se remplir doucement de travailleurs. Des conversations s’engagent, des téléphonent sonnent, des mots, des photocopieuses remettent des documents, des ordinateurs s’ouvrent, des portes se referment, s’ouvrent. L’effluve de café voyage jusque moi. Les mots du document que je révise sur mon écran d’ordinateur se brouillent devant mes yeux. Je suis tendue, attentive à un certain bureau, celui de Matis. Normalement, il est très ponctuel. Je ferme un instant les yeux pour essayer de me calmer. Après tout, ce n’est pas comme si je faisais quelque chose de mal ou que j’avais fait… Un petit bruit du côté de… J’ouvre les yeux.

 

⁃                  Bonjour… Je voudrais savoir si tu as une idée de ce que faisait cette enveloppe sur mon bureau ?

⁃                  Cette enveloppe blanche, patron ?

⁃                  Oui. Celle-ci…

 

Il se rapproche de ma table après avoir fermé la porte doucement.

 

⁃                  C’est possible.

⁃                  Et tu pourrais m’en dire plus à ce sujet…

⁃                  Oui. Rapproche-toi, j’ai besoin de te montrer quelque chose…

⁃                  Voilà qui est prometteur, Malia.

⁃                  Je l’espère.

 

Il vient me rejoindre et se penche en avant, son visage au-dessus de mon épaule, son souffle dans mon cou. Je clique sur certains liens qui présentent des plages ensoleillées, une mer brillante, des villes touristiques, la montagne avec leur maison spécifique…

 

⁃                  Une de tes prochaines destinations de vacances ?

⁃                  En fait, j’ai pensé que cela pourrait être une pour nous deux. Ce serait une bonne manière de continuer le projet que tu avais et de m’enlever la petite frustration que je ressens par rapport à ce rendez-vous raté et ce projet avorté avant même de commencer.

⁃                  Frustration ?

 

Je me tourne vers lui et nos lèvres se touchent presque.

 

⁃                  Oui. Et il est temps de sceller ce chapitre…

⁃                  Sceller ce chapitre ?

⁃                  Oui. Faire quelque chose qui sera bien pour tous les deux et ce sera…

⁃                  Comme un projet réalisé et un rendez-vous réussi…

⁃                  Oui.

 

Il se rapproche de quelques millimètres, je fais pareil et nous scellons cette décision. Je me tourne vers lui. Il me soulève du siège et nous nous enlaçons. Le baiser ne finit par et je l’entoure de mes bras pour qu’il ne se détache pas de moi et de cette étreinte tant désirée. Il m’assoit sur la table, j’écarte les jambes, me frottant à lui. Cela dure… Il fait plusieurs pas en arrière et je me retiens à la table avant de me relever. Il me tourne le dos en se frottant les cheveux. Je le contourne et me place devant lui.

 

⁃                  C’est pas le bon moment, le bon endroit ?

 

Il me regarde et a un petit rire. Il me ramène contre lui et m’étreint.

 

⁃                  Je n’aurais pas mieux dit.

⁃                  Je suis ton bras droit, c’est normal.

 

Il a un autre petit rire en me caressant les cheveux.

 

⁃                  Tu fais bien de le rappeler. Nous devons retourner au turbin. Réunion avec George.

⁃                  Je sais…

 

Nous restons comme cela et je sens qu’il n’a pas envie de me lâcher, mais le devoir nous appelle.

 

⁃                  Nous y allons…

⁃                  Nous y allons…

⁃                  Et après…

⁃                  Après ?

⁃                  Ce soir.

⁃                  Ce soir ?

⁃                  Nous allons remédier totalement à cette situation.

⁃                  Je peux t’aider pour cela.

⁃                  Tu dois m’aider. Vingt heures au…

 

La porte s’ouvre impétueusement. Nous nous détachons rapidement en reculant précipitamment.

 

⁃                  Ah, vous êtes là… Monsieur Prienman vous attends dans son bureau, Monsieur Farence.

⁃                  Merci, Mélanie.

 

La porte se referme. Nous rions un peu nerveusement. Le devoir nous appelle vraiment…

 

 

 

 

 

 

Publicité
Commentaires
Publicité